Suppression de l’obligation pour les professeurs d’université d’informer leur administration de l’exercice d’une profession libérale découlant de la nature de leurs fonctions

Par un arrêt en date du 24 juillet 2024, le Conseil d’Etat, statuant en premier et dernier ressort, a annulé la circulaire du 22 août 2022 de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche relative à la mise en œuvre du régime de déclaration préalable pour certaines activités accessoires en tant qu’elle prévoyait que l’exercice d’une profession libérale par les professeurs d’université était soumis à une obligation d’information de leur administration. En l’espèce, un professeur des universités en droit public de l’Université d’Angers a saisi le Conseil d’Etat d’un recours en excès de pouvoir dirigé contre cette circulaire.

Le Conseil d’Etat a d’abord rappelé les dispositions de l’article L. 123-1 du Code général de la fonction publique (CGFP) selon lesquelles « l’agent public ne peut exercer, à titre professionnel, une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit sous réserve des dispositions des articles L. 123-2 à L. 123-8 ». Il a toutefois rappelé que, par exception, l’article L. 123-3 du CGFP dispose que « l’agent public membre du personnel enseignant, technique ou scientifique des établissements d’enseignement ou pratiquant des activités à caractère artistique peut exercer les professions libérales qui découlent de la nature de ses fonctions ».

La Haute juridiction a en outre souligné la distinction entre les conditions d’exercice par les personnels enseignants d’une activité libérale découlant de la nature de leurs fonctions et celles d’une activité accessoire. Ainsi, elle a relevé que contrairement à « l’exercice, par un agent public membre du personnel enseignant, technique ou scientifique des établissements d’enseignement, d’une profession libérale découlant de la nature de ses fonctions [qui] n’est soumis à aucune déclaration ou autorisation préalable, ni à aucune autre formalité […] l’exercice d’une activité accessoire par les personnels de l’enseignement supérieur et par les personnels de la recherche relève, selon les cas, soit d’un régime de déclaration préalable prévu par l’article L. 951-5 du code de l’éducation et l’article L. 411-3-1 du code de la recherche, soit d’un régime d’autorisation préalable, en application de l’article L. 123-7 du code général de la fonction publique et du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique ».

La circulaire litigieuse du 22 août 2022 de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche comportait – « curieusement », pour reprendre les termes de Monsieur le rapporteur public de Montgolfier dans ses conclusions sous cet arrêt – un paragraphe consacré aux « activités libres », lequel, tout en rappelant l’exception prévue à l’article L. 123-3 du CGFP précité, précisait que ces derniers avaient « l’obligation d’informer l’autorité compétente afin qu’elle puisse être en mesure de vérifier qu’il s’agit bien d’une activité libérale et qu’elle découle effectivement de la nature de leurs fonctions, ce qui correspond au contrôle effectué par le juge ».

Toutefois, le Conseil d’Etat a estimé que « s’il était loisible à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche de recommander aux agents concernés d’informer l’administration dont ils relèvent quant à l’exercice d’une profession libérale découlant de la nature de leurs fonctions, la circulaire attaquée ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l’article L. 123-3 du code général de la fonction publique, leur imposer une telle obligation d’information de l’autorité compétente ».

Autrement dit, la circulaire ne pouvait ajouter à la loi : l’exercice de cette activité est libre, et il ne pouvait être imposé à ces enseignants d’avertir leur hiérarchie de l’exercice de leur activité.

De la nécessité, pour l’agent public sollicitant la protection fonctionnelle, de démontrer que les agissements subis l’ont été à raison de sa qualité

Par un arrêt en date du 15 février 2024, le Conseil d’Etat a rappelé que la protection fonctionnelle n’est due que pour des agissements commis sur la personne de l’agent en sa qualité d’agent public.

L’affaire portait sur la situation d’un sapeur-pompier volontaire au sein du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de la Martinique. En 2017, alors qu’il était en service de nuit, des individus se sont introduits dans les vestiaires du centre dans lequel il était affecté et lui ont dérobé des effets personnels, ainsi que les clés de son véhicule, stationné aux abords du centre, qu’ils ont également volé. L’intéressé a alors sollicité du SDIS l’indemnisation des préjudices subis à raison de ce vol, évalué à un montant de 15.000 euros. Face au rejet de sa demande, l’agent a contesté celui-ci devant le Tribunal administratif de la Martinique puis la Cour administrative d’appel de Bordeaux, lesquels ont rejeté ses prétentions.

Saisi à son tour, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt d’appel en ce qui concerne la demande d’indemnisation fondée sur une faute dans la mise en œuvre de la protection fonctionnelle. Il considère en effet qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le vol du véhicule personnel et du matériel photographique de M. B… résulterait d’une volonté de lui porter atteinte en sa qualité de sapeur-pompier volontaire, quand bien même ce vol a été commis sur les lieux du service et pendant les heures de service de M. B. ». Il en résulte qu’il appartient à l’agent de démontrer que les agissements commis à son encontre l’ont été à raison de sa qualité, et non pour un mobile indépendant de celle-ci. A défaut d’une telle démonstration, l’administration peut légalement refuser de lui accorder la protection fonctionnelle.

Précisons que cette solution n’est pas nouvelle, bien qu’elle soit ancienne (voir CE, 9 mai 2005, Mme Afflard et Mlle Afflard, n° 260617), et que sa sévérité apparente s’explique par la nature – fonctionnelle – de la garantie ainsi offerte aux agents publics.

Un mécanisme d’incorporation gratuite au domaine public des ouvrages réalisés par un occupant privatif en cas de renouvellement d’une concession domaniale est compatible avec la liberté d’établissement.

Par un arrêt en date du 11 juillet 2024, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée sur la compatibilité d’une disposition italienne prévoyant l’incorporation au domaine public des ouvrages réalisés par un occupant privatif, même en cas de renouvellement du titre d’occupation. En l’espèce, la Sociétà Italiana Imprese Balneari Srl (SIIB) était titulaire d’une concession d’occupation domaniale conclue avec la commune de Rosignano Marittimo en vue de l’exploitation d’un complexe balnéaire situé sur le domaine public maritime.

Entre l’expiration et le renouvellement de la concession, la commune a décidé, sur le fondement de l’article 49 du Code de la navigation, d’incorporer au domaine public maritime certains ouvrages réalisés par la SIIB qualifiés « d’accessoires au domaine public » du fait de leur caractère difficilement supprimable.

La SIIB a alors décidé de contester la décision de la commune devant le juge administratif italien, considérant que l’article 49 du Code de la navigation relatif au mécanisme d’incorporation des ouvrages au domaine public constituait une entrave à la liberté d’établissement, conformément à l’article 49 du Traité sur le fonctionnement de l’union européenne (TFUE). C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat italien a décidé de sursoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’une question préjudicielle relative à la compatibilité entre lesdites dispositions.

En substance, la Cour considère que le mécanisme d’incorporation ne méconnait pas en tant que tel la liberté d’établissement et ce, même en cas de renouvellement de la concession. D’abord, la disposition de droit italien ne méconnait pas la liberté d’établissement car :

  • Elle est opposable à tous les opérateurs exerçant des activités sur le territoire national (1) ;
  • Elle ne porte pas sur les conditions de l’établissement des concessionnaires du domaine public (2) ;
  • Ses effets restrictifs sur la liberté d’établissement sont trop aléatoires et indirects pour que la disposition puisse être regardée comme étant de nature à entraver cette liberté (3).

Sur ce dernier point, la Cour explique que l’article 49 du Code de la navigation « se borne à tirer les conséquences des principes fondamentaux de la domanialité publique » car « l’appropriation gratuite et sans indemnisation par la personne publique concédante des ouvrages inamovibles construits par le concessionnaire sur le domaine public constitue l’essence même de l’inaliénabilité du domaine public ». Surtout, la disposition n’est pas de nature à entraver la liberté d’établissement dès lors qu’elle prévoit la possibilité de déroger contractuellement au principe d’incorporation immédiate sans aucune indemnité ni remboursement. Ensuite, la Cour estime que cette interprétation vaut même dans l’hypothèse où la concession domaniale a vocation à être renouvelée.

Pour la Cour, « le renouvellement d’une concession d’occupation du domaine public se traduit par la succession de deux titres d’occupation du domaine public et non par la perpétuation ou la prorogation du premier ». Sur ce dernier point, l’interprétation de la CJUE peut être mise en parallèle avec celle du juge français. La France dispose d’un mécanisme équivalent prévu aux articles L. 2122-9 du Code général de la propriété des personnes publiques (pour le domaine public de l’Etat et ses établissements) et L. 1311-7 du Code général des collectivités territoriales (pour le domaine public des collectivités, leurs groupements et de leurs établissements). Conformément à ces dispositions, à l’issue du titre d’occupation, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier existant sur la dépendance domaniale occupée doivent être démolis soit par le titulaire de l’autorisation, soit à ses frais, à moins que leur maintien en l’état n’ait été prévu expressément par le titre d’occupation ou que l’autorité compétente ne renonce en tout ou partie à leur démolition.

Dans cette seconde hypothèse, c’est-à-dire, si l’autorité domaniale et l’occupant s’accordent pour que les ouvrages ne soient pas démolis et restent sur le domaine public, la personne publique en devient propriétaire grâce au mécanisme de l’accession. Comme en droit italien, ce mécanisme d’incorporation au domaine public trouve sa source dans le principe d’inaliénabilité du domaine public dont la vocation est de protéger l’affectation du domaine à l’utilité publique.

Pour la Cour, le renouvellement d’une concession d’occupation du domaine public se traduit par la succession de deux titres d’occupation du domaine public et non par la perpétuation ou la prorogation du premier. Cette interprétation diffère de celle du juge administratif français pour lequel le renouvellement se traduit par la continuité du titre et fait obstacle à l’application du mécanisme de l’accession. Autrement dit, en cas de renouvellement, l’occupant conserve la propriété de ses ouvrages (CE, 13 novembre 2013, Union des coopératives agricoles Epis-Centre Nord, n° 351530, CE, 21 novembre 1978, n° 72878).

Le titulaire d’un marché public doit obligatoirement utiliser Chorus Pro quand bien même le cahier des clauses administratives générales ne le prévoyait pas mais sous réserve que l’acheteur le lui rappelle…

Depuis le 1er janvier 2020 et en application de l’article L.2192-1 du Code de la commande publique (« CCP »), les titulaires de marchés publics ont l’obligation de transmettre leurs factures sous forme électronique, en ce compris pour l’établissement du décompte général et définitif, via le portail public de facturation « Chorus Pro »[1]. Par principe, le titulaire ne peut donc pas utiliser un autre moyen pour transmettre ces documents, conformément à l’article R. 2192-3 CCP : « l’utilisation du portail public de facturation est exclusive de tout autre mode de transmission. Lorsqu’une facture lui est transmise en dehors de ce portail, la personne publique destinataire ne peut la rejeter qu’après avoir informé l’émetteur par tout moyen de l’obligation mentionnée à l’article L. 2192-1 et l’avoir invité à s’y conformer en utilisant ce portail ».

La Direction des affaires juridiques de Bercy (« DAJ ») l’a rappelé le 9 septembre 2024 à l’occasion de la publication de son « guide des bonnes pratiques de facturation et de règlement dans les marchés publics de travaux » en faisant référence à l’article 12.6 du CCAG-Travaux 2021 qui rappelle l’obligation d’utiliser le portail de facturation.

Mais quand est-il des marchés publics en cours d’exécution soumis aux anciens CCAG qui ne prévoyaient pas une telle obligation et permettaient la transmission par tout moyen ?

Dans cette affaire, le Syndicat mixte Les Eaux de Mayotte (SMEAM) avait confié en 2017 un marché public de travaux à la société Sogea Mayotte. En décembre 2021, après réception des travaux, cette dernière a transmis son projet de décompte final. En janvier 2023 et en l’absence de réponse du SMEAM, elle a transmis son projet de décompte général par pli recommandé adressé au Président. Estimant que ce décompte était tacitement devenu définitif, elle a réclamé 669 765,02 euros, ce que le SMEAM a rejeté.

La Cour administrative d’appel de Bordeaux rappelle que les dispositions imposant l’utilisation de Chorus Pro s’appliquent aux marchés en cours en vertu de l’article 193 – V de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises et ce, même si l’article 13.3.2 du CCAG ne prévoyait pas explicitement une telle obligation. Cependant, la Cour estime que le décompte général envoyé en pli recommandé reste valide car le SMEAM n’a pas informé la société Sogea Mayotte de son rejet, ni invité à utiliser le portail Chorus Pro. En conséquence, les délais applicables à l’établissement du décompte général et définitif courraient. Le SMEAM ne les ayant pas respectés, un décompte général et définitif tacite est effectivement né.

Ainsi et dans cette hypothèse, le juge considère que l’absence de dépôt sur Chorus Pro n’annule pas le caractère tacite du décompte mais seulement parce que le SMEAM n’a pas informé le Titulaire de son obligation de déposer le décompte via Chorus Pro.

 

[1] Article L2192-5 du Code de la commande publique

Lancement par la CNIL d’une consultation publique relative aux traitements portant mesure de la diversité au travail

Le 9 juillet 2024, la CNIL a publié, sur son site internet un projet de recommandations sur les enquêtes de mesure de la diversité au travail. Ce projet était soumis à consultation jusqu’au 13 septembre 2024. De sorte qu’une version finalisée de recommandations en la matière devrait être publiée sous peu sur le site internet de la CNIL. De telles recommandations sont apparues particulièrement nécessaires pour la CNIL, dans un contexte où pour lutter contre les discriminations, de nombreuses administrations et entreprises souhaitent mesurer la diversité au sein de leurs effectifs.

Si ce type de démarche n’est pas prohibée, la CNIL entend néanmoins via cette consultation et les recommandations à intervenir rappeler la nécessité de porter une attention renforcée au respect de la réglementation inhérente à la protection des données personnelles. Aussi, à ce titre, la CNIL plébiscite fortement le caractère directement anonyme des enquêtes (ce qui suppose néanmoins toute incapacité de réidentification de la personne via les réponses apportées). A défaut d’une telle possibilité, la CNIL formule différentes recommandations pour garantir la conformité des enquêtes de diversité au RGPD, parmi lesquelles :

  • L’établissement claire de la finalité poursuivie par l’enquête, laquelle ne saurait concourir qu’à l’amélioration de l’égalité des chances au travail et non fonder des décisions individuelles ;
  • Le recours à l’intérêt légitime comme base juridique du traitement ;
  • Le caractère facultatif des réponses apportées par les participants ;
  • La limitation des données traitées via notamment une restriction forte des zones libres de commentaire ;
  • Le recours à un tiers de confiance pour favoriser la confidentialité des données recueillies ;
  • Des précautions renforcées en cas de réalisation desdites enquêtes directement par internet (page web dédiée, cloisonnement des environnements, exclusion du recours à des identifiants personnels) ;
  • La consolidation des résultats sous forme anonymisée et la suppression des données personnelle dès leur analyse et leur agrégation.

Au-delà et à l’instar de l’ensemble des activités de traitement de données personnelles, la CNIL exige une information parfaitement transparente des personnes concernées sur cette activité de traitement ainsi qu’une contractualisation conforme aux exigences du RGPD avec les éventuels prestataires ou partenaires associés audit traitement.

Enfin, il sera noté utilement, à ce stade que la CNIL semble privilégier pour ce type de traitement la réalisation préalable d’une analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD), laquelle permettra précisément de vérifier que les recommandations précitées ont bien été respectées. Il convient donc de rester en alerte sur la publication prochaine des recommandations définitives de la CNIL sur ce sujet sensible.

La confirmation du caractère interruptif d’un soit-transmis du procureur par la chambre criminelle

La Cour de cassation, par un arrêt récent en date du 10 septembre 2024, confirme sa position concernant l’effet interruptif sur le délai de prescription de l’action publique de soit-transmis rendus par le procureur de la République. En effet, la Chambre criminelle déclare que le soit-transmis par lequel le procureur identifie la procédure et demande aux officiers de police l’état d’avancement de manière urgente et précise constitue un acte interruptif du délai de prescription. En l’espèce, la tutrice d’un majeur protégé déposait plainte pour des faits d’abus de faiblesse, le 2 août 2012.

Par la suite, les enquêteurs rédigeaient deux procès-verbaux d’investigation, le 8 août 2012 et le 21 novembre 2012, ces deux actes étaient interruptifs. Entre le 27 octobre 2012 et le 14 juin 2015, cinq soit-transmis avaient été adressés par le procureur de la République au service enquêteur aux fins de se renseigner sur l’état d’avancement de la procédure ou pour joindre un courrier de relance de l’avocat de la plaignante. Enfin, cette dernière, représentée par sa tutrice, décidait de déposer une plainte avec constitution de partie civile, le 23 décembre 2015.

Le 29 janvier 2016, une information judiciaire était ouverte contre personne non dénommée des chefs d’abus de faiblesse et d’escroquerie. Cette procédure se soldait, le 23 décembre 2022, par une ordonnance de non-lieu pour cause d’acquisition de la prescription, celle-ci était ensuite confirmée par la chambre de l’instruction. En effet, cette dernière juridiction considérait que le délai de prescription de trois ans prévu par l’article 8 du Code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi de 2011[1], était écoulé. Dans sa motivation, la chambre de l’instruction constatait qu’entre le dernier procès-verbal datant du 21 novembre 2012 et la constitution de partie civile du 23 décembre 2015, le délai de 3 ans s’était écoulé et partant la prescription de l’action publique était acquise. Cette juridiction estimait que les soit-transmis ne manifestaient, en l’absence d’instruction précise du parquet, aucune volonté de poursuite des faits dénoncés de la part du ministère public.

Ce raisonnement est censuré par la chambre criminelle au visa des articles 7 et 8 du Code de procédure pénale, dans leur version antérieure à la réforme de 2017, en considérant que les 5 soit-transmis susvisés démontrent une « volonté de rechercher des infractions à la loi pénale et d’en assurer la poursuite », puisque « le procureur de la République a enjoint les officiers de police judiciaire de lui rendre compte, précisément et en urgence, de l’état d’avancement de l’enquête en cours ».

Cette solution est une nouvelle déclinaison, en matière délictuelle, de la solution dégagée par un arrêt du 20 février 2002[2], dans l’affaire concernant les disparues de l’Yonne, où le soit-transmis du procureur de la République près le Tribunal de grande instance d’Auxerre avait été considéré comme interruptif de prescription ouvrant ainsi la possibilité aux poursuites d’Emile LOUIS.

 

[1] LOI n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs

[2] C.Cass, Crim. n° 01-85.042, 20 février 2002, Bull.crim 2002, n° 42

La mue en demi-teinte de la garde à vue : une évolution inachevée des droits du mis en cause

Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027

Par les lois en dates du 20 novembre 2023 et du 22 avril 2024, le législateur a opéré des évolutions limitées dans l’exercice des droits accordés à la personne gardée à vue tout en généralisant la visio-conférence (I°) et en modifiant les conditions d’intervention de l’avocat lors de cette mesure (II°).

I – Sur l’exercice des droits accordés à la personne gardée à vue

  • Le droit d’informer du placement « toute personne»

L’ancienne version de l’article 63-2 du Code de procédure pénale prévoyait ce même droit d’information, appelé dans la pratique « avis famille », mais exclusivement à l’égard des personnes expressément visées par ce texte (concubin, parent, frère/sœur, employeur et, en cas de nationalité étrangère, les autorités consulaires).

Afin de mettre en conformité le droit français avec les articles 5 et 6 de la directive du 22 octobre 2013, le législateur est intervenu pour étendre le droit de communication de la personne gardée à vue avec « toute personne qu’elle désigne », comme le précise le nouvel alinéa 1er de l’article 63-2 du Code de procédure pénale. Pour autant, une limite est immédiatement apportée à ce principe puisque le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction, selon les cas, conserve la faculté de différer ou de ne pas délivrer l’avis au tiers ainsi désigné, dès lors que ce report ou ce refus est motivé « par les nécessités de l’enquête ou la prévention d’une atteinte grave à l’intégrité physique ou à la liberté d’une personne ».

  • Le droit de communiquer avec toute personne

Si un tel avis a bien été délivré, la personne placée en garde à vue peut communiquer avec ledit tiers pendant le temps de la garde à vue, sur autorisation et contrôle de l’enquêteur. L’article 63-2 du Code de procédure pénale, dans sa nouvelle version, est applicable pour toutes les mesures de garde à vue à compter du 1er juillet 2024 et doit être notifié. Des gardes à vue ont d’ailleurs déjà été annulées par les juridictions pénales sur ce fondement en l’absence de notification complémentaire de ces droits.

  • L’introduction de la téléconsultation en cas d’examen médical de prolongation et/ou de recours à un interprète

La visio-conférence, déjà présente, en cas de présentation au magistrat lors de la prolongation de la mesure, gagne un peu plus de place et concerne désormais, dans certains cas, l’examen médical de compatibilité au stade de la prolongation, et même, le recours à l’interprète. Si la mesure de garde à vue est prolongée, le nouvel alinéa 5 de l’article 63-3 du Code de procédure pénale précise que l’examen médical pourra, sur autorisation du procureur de la République, avoir lieu par vidéotransmission ou tout autre moyen de télécommunication audiovisuelle, et ce, même si aucun examen médical n’est intervenu au moment du placement initial en garde à vue.

L’accord exprès de la personne gardée à vue est exigé pour la tenue de l’examen médical à distance dans l’hypothèse où elle a sollicité celui-ci, si l’examen a eu lieu à la demande d’un tiers, ce dernier devra donner son accord. Pour autant, lorsque le professionnel de santé requis estime nécessaire de procéder à un examen physique de l’intéressé, il peut librement refuser ou mettre fin à l’examen à distance, et ce, à tout moment de la vidéotransmission. Cette décision du médecin s’impose à l’officier de police judiciaire et au procureur de la République. L’alinéa 6 de l’article 63-3 détaille les différents cas où la téléconsultation de l’examen médical n’est pas applicable (mineur, personne enceinte, vulnérabilité apparente ou connue).

Sur le même principe, les nouvelles dispositions de l’article 803-5 du Code de procédure pénale, relatif à l’intervention de l’interprète, permettent aux enquêteurs de recourir à un interprète par un moyen de téléconsultation concernant une personne majeure, qui n’est pas soumis à une mesure de protection, celles-ci ont également vocation à s’appliquer en cas d’audition libre. Ce recours à distance peut intervenir pour l’ensemble des actes qui requiert l’assistance de l’interprète et sans qu’il lui soit nécessaire de justifier d’une impossibilité de déplacement dans les locaux des services de police ou de gendarmerie, la problématique de l’assistance à distance à l’entretien avocat n’est pas réglée pour l’heure. Au-delà de la 48ème heure de garde à vue, le recours à un interprète à distance ne pourra être possible que si deux conditions cumulatives sont réunies : l’impossibilité pour ce dernier de se déplacer et l’autorisation du magistrat en charge de la procédure.

Ces dispositions nouvelles entreront en vigueur à compter du 30 septembre 2024 et un décret en Conseil d’Etat précisera ses modalités d’application. Ce nouveau recours à la visioconférence ne peut qu’inquiéter les professionnels du droit, qui peuvent légitimement craindre des atteintes aux droits de la défense.

II – Sur les modalités renouvelées du droit à l’assistance par un avocat

L’ancienne version de l’article 63-4-2, 1er alinéa du Code de procédure pénale précisait que si la personne gardée à vue exerçait son droit à être assistée par un avocat, aucune audition sur le fond de l’affaire ne pouvait intervenir avant l’expiration d’un délai de carence de 2 heures, délai permettant à l’avocat de se présenter dans les locaux de police ou de gendarmerie après avoir été avisé. En pratique, ce délai était celui laissé à l’avocat pour arriver dans les locaux de police ou de gendarmerie. Ce dernier a été purement et simplement supprimé par la loi nouvelle posant le principe de l’impossibilité pour les enquêteurs de réaliser une audition sur les faits reprochés sans la présence de l’avocat choisi ou commis d’office, sauf renonciation expresse de la personne gardée à vue mentionnée au procès-verbal.

De nouveau, ce principe subit une forte exception puisqu’en cas d’impossibilité pour les enquêteurs de joindre l’avocat choisi par la personne gardée à vue ou si ce dernier ne peut pas se déplacer dans un délai raisonnable, notion subjective dont la jurisprudence future déterminera les limites, l’officier de police judiciaire doit saisir le bâtonnier afin qu’un avocat commis d’office soit désigné en remplacement. En miroir, l’avocat ainsi désigné est dans obligation d’accomplir « les diligences requises pour se présenter sans retard indu ».

En outre, le procureur de la République dispose toujours de la possibilité d’autoriser que cette audition débute sans attente, si cette décision est indispensable soit pour éviter une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale, soit pour prévenir une atteinte grave à la vie, à la liberté ou à l’intégrité physique d’une personne.

Expropriation – phase judiciaire : attention au nouveau point de départ du délai pour le dépôt des conclusions en appel !

Peu avant le début de la période estivale, la Cour de cassation a opéré un revirement important concernant le délai laissé à l’appelant pour déposer son mémoire d’appel à la suite de sa déclaration d’appel.

Pour rappel, les dispositions de l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation précise qu’« à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel ». Restait à connaître le point de départ de ce délai de trois mois. Sur cette question, et jusqu’alors, les procédures en matière d’expropriation faisaient figure d’exception. En effet, il était traditionnellement jugé qu’en matière d’expropriation, le délai de trois mois commençait à courir à compter la réception par le greffe de la déclaration d’appel adressé par lettre recommandée (Cass. Civ., 3ème, 20 octobre 1981, pourvoi n° 80-70.328, Bull. n° 165 ; Cass. Civ., 3ème, 11 mai 2006, pourvoi n° 05-70.020, Bull. 2006, III, n° 121 ; Cass. Civ., 3ème, 22 juin 2023, pourvoi n° 22-15.569). Au contraire, la procédure d’appel ordinaire avec représentation obligatoire prend en compte la date d’expédition de ce courrier (Cass. Civ., 2ème, 9 janvier 2020, n° 18-24.107, publié).

Avec cet arrêt du 4 juillet 2024, la Cour de cassation opère une harmonisation des procédures d’expropriation sur le régime des procédures d’appel ordinaires. Afin de simplifier et de préciser les « charges procédurales pesant sur les parties », l’appelant doit adresser au greffe son mémoire d’appel et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de l’expédition de la déclaration d’appel par lettre recommandée avec avis de réception. Cet arrêt opère donc un revirement sur la jurisprudence jusqu’alors en vigueur concernant les procédures d’expropriation, cohérent avec le renvoi opéré par le Code de l’expropriation au Code de procédure civile.

L’article R. 311-26 du Code de l’expropriation prescrivant à peine de caducité le respect de ces délais, il conviendra d’être particulièrement vigilant au respect de ce délai de trois mois. Néanmoins, la Cour de cassation a jugé que cette nouvelle computation de délai ne serait pas applicable aux instances au cours, assurant ainsi le respect du droit à procès équitable et de l’accès au juge aux justiciables ayant déjà interjeté appel.

Absence de désignation d’un Délégué à la Protection des Données : la CNIL liquide une première astreinte prononcée à l’encontre de la Commune de Kourou

Conformément à l’article 37.1. a) du Règlement Général sur la Protection des données (RGPD)[1], toute autorité publique, à l’exception des juridictions agissant dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle, est tenue de nommer un Délégué à la Protection des Données (DPO).

Comme expliqué dans une précédente brève, rappelons qu’en juin 2021, à l’occasion d’une opération de contrôle ciblant les communes de plus de 20 000 habitants, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a mis en garde, dans un premier temps, puis mis en demeure, dans un second temps, celles qui n’avaient pas encore désigné de DPO. En raison des manquements persistants de la part de la commune de Kourou, celle-ci a fait l’objet d’une procédure de sanction simplifiée en février 2023, puis d’une procédure de sanction ordinaire en décembre 2023.

A cette occasion, la formation restreinte de la CNIL a prononcé une amende de 5 000 euros à l’encontre de la commune, amende qui a été assortie d’une astreinte de 150 euros par jour de retard à l’issu d’un délai de deux mois. En outre, la Commission a enjoint à la commune de Kourou de désigner un DPO. Cependant, durant le délai de deux mois qui lui était imparti, la commune de Kourou n’a transmis aucun élément permettant d’attester de la désignation d’un DPO à la CNIL.

En conséquence, le 22 juillet 2024, la formation restreinte de la CNIL, considérant que la commune n’avait pas satisfait à l’injonction, a prononcé une liquidation de l’astreinte pour un montant de 6.900 euros.

A noter que cette liquidation d’astreinte ne clôture par la procédure, l’injonction courant toujours tant que la commune de Kourou n’aura pas décidé de désigner un DPO. Une nouvelle liquidation d’astreinte pourrait alors être prononcée !

 

[1] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE

Sécurisation des services publics en ligne : l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information lance l’outil MonServiceSécurisé et y intègre des objectifs de conformité RGPD

Afin d’aider l’Etat et les collectivités territoriales à sécuriser leurs services publics en ligne, l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI) a mis en place l’outil MonServiceSécurisé. Cet outil intègre notamment des mesures dédiées à la conformité au RGPD, élaborées avec la CNIL.

Le fonctionnement de l’outil MonServiceSécurisé

MonServiceSécurisé est un outil gratuit, accessible en ligne et collaboratif, qui est mis à la disposition des entités publiques et de leurs prestataires par l’ANSSI pour répondre aux risques de cyberattaques susceptibles de porter atteinte aux données des usagers des services publics en ligne. Pour utiliser cet outil, il revient à l’utilisateur, en première étape, de décrire le service en ligne qu’il souhaite faire sécuriser. Pour cela, il lui est demandé de présenter les caractéristiques dudit service.

 A la suite de cela, MonServiceSécurisé propose à l’utilisateur une liste personnalisée de mesures de sécurité à mettre en place, comprenant notamment des mesures proposées par la CNIL. Grâce à cette liste, l’utilisateur peut mettre en œuvre les mesures de sécurité adaptées à son service, afin d’obtenir une évaluation indicative de son niveau de sécurisation, évaluation également appelée « indice cyber ».

Enfin, il est proposé de télécharger le dossier et le projet de décision d’homologation. Cette décision d’homologation permet alors d’attester aux utilisateurs des services en ligne que les risques qui pèsent sur leurs données sont connus et maîtrisés.

Un outil incluant la mise en conformité RGPD

La CNIL et l’ANSSI ont collaboré afin d’intégrer au sein de l’outil une liste de mesures à mettre en œuvre pour rendre les services publics numériques conformes au RPGD. Six mesures prioritaires sont inclues dans l’analyse proposée par MonServiceSécurisé, à savoir :

  • L’inscription au registre des traitements ;
  • La minimisation des données ;
  • La durée de conservation des données ;
  • L’information des personnes ;
  • L’exercice des droits ;
  • L’analyse sur la protection des données.

A noter que chacune de ces mesures s’accompagne d’une explication et d’un mode opératoire concis.  Pour plus d’information, MonServiceSécurisé propose des webinaires de présentation de l’outil.

Concours de maîtrise d’œuvre : l’acheteur n’est pas lié par l’avis du jury

Dans quelle mesure un acheteur peut-il, à l’issue d’un concours de maîtrise d’œuvre, attribuer le marché à un lauréat différent de celui qui avait été désigné par le jury de concours ?

C’est à cette question que vient répondre le Conseil d’Etat, par sa décision en date du 30 juillet 2024, mentionnée aux tables du recueil Lebon, rendue dans le cadre d’un contentieux en contestation de validité d’un marché de maîtrise d’œuvre pour la réhabilitation d’une ancienne caserne militaire et sa reconversion pour accueillir une médiathèque et des archives intercommunales. Dans cette affaire, le groupement d’entreprises classé en première position par le jury avait été écarté par l’acheteur, en l’occurrence la communauté d’agglomération Valence Romans Agglo, au profit du groupement qui avait été classé par ce même jury en deuxième position. Le groupement évincé a donc saisi la juridiction administrative d’un recours tendant, d’une part, à contester la validité du marché ainsi attribué et, d’autre part, à être indemnisé du préjudice subi du fait de son éviction.

Bien que débouté de ses demandes en première instance, le groupement requérant a obtenu partiellement gain de cause en appel. En effet, la Cour administrative d’appel de Lyon a, par son arrêt n° 20LY00105 du 24 novembre 2022, posé le principe selon lequel l’acheteur ne pouvait s’écarter de l’avis du jury qu’à condition d’être en mesure de justifier que les motifs qu’il privilégie « doivent manifestement prévaloir sur le classement établi » par le jury ; ensuite, elle a jugé qu’en l’espèce, une telle justification n’avait pas été apportée et que l’inversion de classement opérée par la communauté d’agglomération par rapport à l’avis du jury était donc irrégulière. La Cour administrative d’appel en a conclu que les membres du groupement requérant avaient le droit d’être indemnisés du préjudice résultant de leur éviction, tout en rejetant leur demande tendant à l’annulation ou la résiliation du marché attribué, dès lors que celui-ci avait déjà été entièrement exécuté.

Saisi d’un pourvoi par la communauté d’agglomération, le Conseil d’Etat commence par rappeler le contenu des dispositions relatives au jury de concours en vigueur à l’époque (article 8 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 et article 88 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016) puis en déduit le principe suivant :

« Il résulte de ces dispositions que l’acheteur n’est pas tenu de suivre l’avis émis par le jury du concours et qu’il peut, notamment, porter son choix sur un candidat ayant participé au concours autre que celui classé premier par le jury. ».

Par suite, le Conseil d’Etat considère que la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en obligeant l’acheteur qui souhaite s’écarter de l’avis du jury à justifier que l’offre qu’il retient est manifestement meilleure que celle proposée par celui-ci, dès lors qu’une telle obligation ne résulte ni des dispositions précitées ni d’aucun autre principe général. En d’autres termes, là où la Cour administrative d’appel avait, par une approche « finaliste », considéré que l’esprit de la réglementation prescrivait implicitement à l’acheteur de suivre l’avis du jury de concours, sauf à démontrer que cet avis était manifestement erroné, le Conseil d’Etat retient une approche plus « littérale » selon laquelle une telle prescription ne pouvait être imposée à l’acheteur dès lors qu’elle ne figurait pas dans le décret et ne pouvait se déduire d’aucun autre principe textuel ou jurisprudentiel.

Pour autant, ainsi que le rappelle la décision, le choix de l’acheteur demeure soumis au contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Et, en l’occurrence, le Conseil d’Etat, statuant au fond après avoir annulé l’arrêt, constate que la communauté d’agglomération n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en rejetant l’offre du groupement requérant au motif que le prix de celle-ci dépassait substantiellement l’enveloppe prévisionnelle fixée et nécessiterait de lourdes adaptations fonctionnelles ; par ailleurs, il écarte comme infondé le moyen selon lequel l’offre retenue aurait été irrégulière en raison d’une sous-évaluation du coût des travaux ; en conséquence, il rejette les demandes indemnitaires du groupement requérant.

Network and Information Security (NIS) 2 : Vers une cybersécurité renforcée pour de nombreuses entités, collectivités territoriales incluses !

Alors que les cybermenaces continuent de croître et que les systèmes d’information demeurent vulnérables, la directive NIS 2 (Network and Information Security) a été publiée au Journal officiel de l’Union Européenne le 14 décembre 2022. Elle doit être transposée en France d’ici octobre 2024. Toutefois, à date, et avec la dissolution de l’Assemblée Nationale, le projet de loi de transposition « Résilience » n’a pas encore été débattu.

Après l’adoption de NIS 1, ayant permis un premier changement de paradigme en matière de cybersécurité européenne (I), la NIS 2 marque une nouvelle avancée cruciale pour renforcer la résistance de toute sorte d’entité publique (hôpitaux, grandes et petites communes, …) face aux cyberattaques de plus en plus nombreuses. En réponse à ces risques, la directive étend largement le périmètre des acteurs concernés (II) et renforce les obligations auxquelles ces-derniers doivent répondre (III).

I – Le changement de paradigme introduit par NIS 1

Adoptée par le Parlement européen en juillet 2016, et transposée au niveau national en septembre 2018, la directive NIS 1 a pour objectif d’assurer un niveau de sécurité élevé et commun pour les réseaux et les systèmes d’information de l’Union européenne. Pour cela, la directive prévoit le renforcement des capacités nationales de cybersécurité des États-membres ainsi que la mise en place d’une coopération européenne. Analysons les acteurs qui sont concernés par la directive NIS 1 (A) et les obligations qui leur incombent (B).

A. Les acteurs concernés

Cette règlementation s’adresse, d’une part, à tout opérateur désigné comme Opérateur de service essentiel (OSE). De façon générale, les OSE renvoient aux « opérateurs, publics ou privés, offrant des services essentiels au fonctionnement de la société ou de l’économie et dont la continuité pourrait être gravement affectée par des incidents touchant les réseaux et systèmes d’information nécessaires à la fourniture desdits services »[1] (loi de transposition du 26 février 2018, article 5, alinéa 1[2]). Sont dès lors visés les secteurs de l’énergie, du transport, de la santé, des infrastructures numériques, des banques et infrastructures des marchés financiers, mais également les infrastructures numériques et les fournisseurs et distributeurs d’eau potable.

D’autre part, la directive NIS 1 s’applique à certains Fournisseurs de Service Numérique (FSN), à savoir les places de marché en ligne, les moteurs de recherche en ligne, et les services d’informatique en nuage, permettant l’accès à un ensemble modulable et variable de ressources informatiques pouvant être partagées[3]. Dès lors qu’un FSN remplit l’une des conditions qui suit, il est concerné par la directive :

  • Chiffre d’employés supérieur ou égal à 50 personnes ;
  • Chiffre d’affaires annuel supérieur à 10 millions d’euros.

Seuls ces deux types d’acteurs sont dès lors concernés :  les OSE et les FSN.

B. Les principales obligations instaurées par NIS 1

Dès lors qu’un OSE a été désigné, il a l’obligation d’identifier un représentant auprès de l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI), et d’identifier précisément son ou ses système(s) d’information essentiel(s). S’agissant de la sécurité des systèmes, plus globalement, les OSE et les FSN ont l’obligation de prendre les mesures techniques et organisationnelles nécessaires et proportionnées pour :

  • Gérer les risques qui menaçaient la sécurité des réseaux et des systèmes d’information qu’ils utilisaient ;
  • Prévenir les incidents qui compromettaient la sécurité des réseaux et des systèmes d’information employés.

Les OSE et les FSN doivent également notifier à l’autorité compétente ou au CSIRT (Computer Security Incident Response Team)[4] les incidents qui avaient un impact significatif sur les services qu’ils fournissaient ou assuraient.

II – L’élargissement du champ d’application des entités soumises à la réglementation

La directive NIS 2 vise de nouveaux secteurs d’activités, et, partant, de nouveaux acteurs (A), dont notamment les collectivités territoriales (B).

A. Le champ d’application élargi de NIS 2

1. De nouveaux secteurs d’activités concernés

Face à la diversité croissante et à l’évolution constante des risques dans l’écosystème numérique, la directive NIS 2 a considérablement élargi son champ d’application. Ce sont désormais dix-huit secteurs qui sont concernés. Parmi les nouveaux secteurs inclus se trouvent les services postaux et de livraison, la gestion des déchets, la fabrication, la production et la distribution de produits chimiques, l’industrie, l’agroalimentaire, l’espace, ainsi que l’administration[5].

2. De nouvelles catégories d’acteurs visées

Avec la directive NIS 1, tel que cela a été vu précédemment, les États membres sont tenus de désigner des Opérateurs de Services Essentiels (OSE) qui doivent déclarer leurs systèmes d’information auprès des agences gouvernementales compétentes dans les 3 mois à compter de la date de désignation.

La directive NIS 2 simplifie cette approche en supprimant la nécessité de telles déclarations spécifiques. Désormais, les OSE et les FSN sont remplacés par deux nouvelles catégories d’acteurs : les entités essentielles (EE) et les entités importantes (EI). Selon l’article 3 de la directive, sont considérées comme des entités essentielles :

  • Les entités dont le secteur d’activité est considéré comme étant hautement critique (énergie, secteur bancaire, infrastructures des marchés financiers,[6] …), dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros et qui comprennent moins de 250 salariés ;
  • Les prestataires de services de confiance qualifiés et les registres de noms de domaine de premier niveau ainsi que les fournisseurs de services Domain Name System (DNS) ;
  • Les fournisseurs de réseaux publics de communications électroniques publics ;
  • Les administrations publiques des pouvoirs publics centraux et, au niveau régional, les administrations publiques fournissant des services dont la perturbation pourrait avoir un impact important sur des activités sociales ou économiques critiques ;
  • Et toute autre entité identifiée par un Etat membre comme entité essentielle.

Notons que les entités appartenant à l’un des secteurs visés par NIS 2 et ne constituant pas des entités essentielles sont alors considérées comme des entités importantes. Partant, il suffit qu’une entité appartienne à l’un des secteurs visés par NIS 2 pour être soumise à cette nouvelle directive, sans qu’il soit forcément nécessaire qu’elle réponde à des critères de taille ou de chiffre d’affaires, contrairement à ce que prévoyait la directive NIS 1. Plus spécifiquement, en ce qui concerne les collectivités territoriales, il semblerait que la qualification d’entité essentielle ou importante dépendra de critères spécifiques tels que, par exemple, le nombre d’habitants, les compétences et les services publics effectivement mis en place par ladite collectivité[7].

B. Focus sur les collectivités territoriales, nouveaux acteurs concernés par NIS 2

1. Les collectivités territoriales dans le viseur des cyberattaquantes

Depuis plusieurs années, toutes les collectivités territoriales, même les plus petites communes, sont touchées par les cyberattaques. De janvier 2022 à juin 2023, l’ANSSI a traité 187 incidents cyber affectant les collectivités territoriales, soit une moyenne de dix incidents par mois[8]. A noter que ces incidents représentent 17 % de l’ensemble des incidents traités par l’ANSSI sur cette période. Notons que les collectivités territoriales, souvent peu ou mal sécurisées, gérant des systèmes d’information nombreux et disparates, constituent des cibles privilégiées pour les cyberattaquants. Or, les conséquences d’une cyberattaque pour les collectivités territoriales peuvent être dramatiques : arrêt des services publics, atteinte à la réputation, blocage de fonctionnement, effets collatéraux sur les autres collectivités dont les systèmes d’informations sont interconnectés, …

Dès lors, il est essentiel que les collectivités territoriales bénéficient d’une protection renforcée. Des mesures spécifiques doivent être mises en œuvre pour améliorer la sécurité de leurs systèmes d’information et protéger les données sensibles qu’elles détiennent.

2. La régulation des collectivités territoriales laissée à la charge des États membres

L’article 5.2 de la directive NIS 2 prévoit que « les États membres peuvent prévoir que la présente directive s’applique aux entités de l’administration publique au niveau local ». Dès lors, dans un communiqué daté du 11 mars 2024, France Urgence, Intercommunalités de France et Les Interconnectés ont appelé à une transposition intelligente de la directive NIS 2.

Ces trois associations souhaitent que les principes d’adaptabilité, de progressivité et de soutien financier guident la mise en œuvre de la directive. Selon elles « il est impératif d’adopter une approche réaliste, en organisant la mise en conformité étape par étape, de manière claire et progressive dans le temps, ainsi qu’en mettant en place un accompagnement technique et financier spécifique, en particulier pour les communautés de communes et d’agglomérations. »

Stéphane Bouillon, Secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale, affirme lors d’une intervention à l’Assemblée Nationale le 6 mars 2024 : « nous ne saurions imposer aux petites communes ou aux communautés de communes de moins de 30 000 habitants des exigences inadaptées ; elles seront classées comme entités importantes et devront simplement veiller à des actions «  d’hygiène  de base » en matière de cybersécurité. A titre d’exemple, il ajoute qu’il sera possible de leur demander de modifier régulièrement leurs mots de passe lors de l’achat de nouveaux logiciels, de s’assurer qu’ils ont été certifiés et vérifiés, de disposer de sauvegardes débranchées du réseau informatique, …

À ce jour, il est trop tôt pour détailler davantage ce qui pourrait éventuellement être exigé de chaque collectivité territoriale. Ce d’autant plus que, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, la transposition de la directive est actuellement en suspens. En effet, son examen prévu en juin a été reporté à une date ultérieure.

III – Le renforcement des obligations imposées aux multiples acteurs

Des obligations renforcées (A) sont mises à la charge des entités concernées par NIS 2, et ce, conformément au nouveau mécanisme de proportionnalité (B).

A. Les principales obligations

Les EI et les EE doivent répondre, d’une part, à une obligation de gestion des risques, et d’autre part, à une obligation d’information.

En premier lieu, les entités concernées doivent prendre les mesures techniques, opérationnelles et organisationnelles appropriées et proportionnées pour gérer les risques qui menacent la sécurité de leurs réseaux et systèmes d’information. Les mesures à prendre sont fondées sur une approche « tous risques », et comprennent a minima la définition de politiques de sécurité des systèmes d’information, la mise en place de procédures de gestion des incidents, l’utilisation de mécanismes de chiffrement des données, l’utilisation de solutions d’authentification à plusieurs facteurs ou d’authentification continue, etc.

En second lieu, les entités subissant un incident important doivent répondre à une obligation d’information et de notification. En cas d’incident important[9], l’entité concernée doit le notifier, tout comme l’imposait la Directive NIS 1, au CSIRT territorialement compétent. Par ailleurs, elle est tenue d’informer, sans retard, injustifié les destinataires de ses services si l’incident est susceptible de nuire à la fourniture desdits services[10].

Enfin, notons que l’article 20 de NIS 2 prévoit que les organes de direction des EE et des EI doivent approuver les mesures de gestion des risques adoptées en matière de cybersécurité et superviser leur mise en œuvre. Les membres de ces organes de direction doivent, en outre, suivre une formation sur la gestion des risques en matière de cybersécurité et encourager les EE et les EI à offrir régulièrement une formation similaire aux membres de leur personnel.

B. L’introduction du principe de proportionnalité

La directive NIS 2 introduit une avancée significative avec l’intégration d’un mécanisme de proportionnalité, qui distingue les entités régulées en deux catégories en fonction de leur niveau de criticité, à savoir les EE et les EI. Ce principe de proportionnalité a vocation à établir des exigences adaptées et proportionnées aux enjeux spécifiques de chaque catégorie d’entités. Cette notion de proportionnalité se manifeste dans plusieurs aspects clés :

  • Les mesures de sécurité: les exigences peuvent varier entre les EE et les EI, tenant compte des ressources disponibles et des enjeux propres à chaque entité, en fonction de sa taille et de ses moyens[11] ;
  • Régulation: la régulation des EE est exercée de manière ex ante, permettant un contrôle préalable à la discrétion de l’ANSSI[12]. En revanche, pour les EI, la régulation est ex post, se manifestant principalement en cas de détection d’une non-conformité ;[13]
  • Les sanctions: les sanctions infligées sont ajustées en fonction de la taille et des moyens de l’entité, afin de garantir que les mesures punitives sont proportionnelles à l’envergure de l’infraction et aux capacités de l’entité concernée[14].

Ce principe de proportionnalité vise ainsi à assurer une régulation et une supervision adaptées, équilibrant rigueur et réalisme en fonction des spécificités de chaque entité.

En conclusion, en élargissant son champ d’application et en imposant des exigences renforcées, la directive NIS 2 vise à offrir une protection accrue contre les cybermenaces croissantes. Cette évolution assure, d’une part, une meilleure résistance des entités vulnérables, et notamment des collectivités territoriales, face aux cyberattaques, et, d’autre part, une défense harmonisée et cohérente à l’échelle nationale comme européenne.

Alexandra Aderno, David Conerardy et Inès Marcenat

 

[1] LOI n° 2018-133 du 26 février 2018 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine de la sécurité (1)

[2] Ibidem

[3] Décret n° 2018-384 du 23 mai 2018 relatif à la sécurité des réseaux et systèmes d’information des opérateurs de services essentiels et des fournisseurs de service numérique.

[4] Les CSIRT sont des centres d’alerte et de réaction aux attaques informatiques, destinés aux entreprises ou aux administrations.

[5] L’article 2. 5. a) de la directive utilise le terme d’administration publique.

[6] Annexe I NIS 2

[7] Compte rendu de réunion n° 46 – Commission de la défense nationale et des forces armées, mars 2024

[8] Synthèse de la menace ciblant les collectivités territoriales, 23 octobre 2023, ANSSI

[9] L’article 23 de la directive NIS 2 définit un incident important est caractérisé par le fait que l’incident litigieux a causé ou est susceptible de causer une perturbation opérationnelle grave des services ou des pertes financières pour l’entité concernée et a affecté ou est susceptible d’affecter d’autres personnes physiques ou morales en causant des dommages matériels, corporels ou moraux considérables.

[10] Article 23 NIS 2

[11] Article 21 NIS 2

[12] Article 32 NIS

[13] Article 33 NIS 2

[14] Article 36 NIS 2 et points130 et suivant du préambule de NIS 2

Révision des lignes directrices sur les aides d’Etat aux aéroports et aux compagnies aériennes

Les financements publics des aéroports et des compagnies aériennes peuvent constituer des aides d’Etats au sens de l’article 107 paragraphe 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après, « TFUE »). En la matière, la Commission européenne a publié des lignes directrices en 2014[1] afin de préciser les cas dans lesquels les financements publics peuvent être qualifiés d’aides d’Etat et les conditions dans lesquelles elles peuvent être compatibles avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3 point c) du TFUE. Aux termes de ses lignes directrices, la Commission précise qu’elle fonde son appréciation sur ses propres expériences et pratique décisionnelle ainsi que son analyse de la situation actuelle du marché dans les secteurs aéroportuaire et aérien, sans préjuger de sa manière de procéder à l’égard d’autres infrastructures ou secteurs d’activités.

Alors que ces lignes directrices devaient expirer en avril 2024, la Commission a décidé de les prolonger pour une durée de trois années afin, notamment, de tenir compte de la baisse des recettes et de la hausse des coûts auxquels les petits aéroports ont été confrontés avec la pandémie de Covid-19 et a hausse des coûts.

Le secteur de l’aviation ayant considérablement évolué depuis l’adoption des lignes directrices de 2014, la Commission estime nécessaire de démarrer le processus de révision desdites lignes pour les rendre notamment pleinement conformes aux objectifs énoncés dans le pacte vert. Ce faisant, la Commission a lancé, le 27 août dernier, une consultation ouverte jusqu’au 8 octobre visant à recueillir les observations et avis sur les besoins actuels du secteur de l’aviation qui pourraient être comblés par une révision des lignes directrices.

 

[1] Lignes directrices sur les aides d’État aux aéroports et aux compagnies aériennes 2014/C 99/03

Eau : vers une simplification du cadre législatif et réglementaire applicable à l’entretien des cours d’eau ?

Le 1er février 2024, le directeur de cabinet du ministre de la transition écologique et celui de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ont adressé une lettre de mission à l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD) et le Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) leur demandant de réaliser une mission « flash » afin de formuler des propositions visant à simplifier le régime juridique applicable aux travaux d’entretien des cours d’eau. Cette demande faisait suite aux différents épisodes d’inondation survenus sur le territoire et plus particulièrement, à l’automne 2023 et en janvier 2024, sur les secteurs de l’Audomarois, du delta de l’Aa, du Boulonnais et du Montreuillois. S’est en effet posée la question, à ces occasions, de savoir si l’état des canaux, cours d’eaux, fossés et wateringues pourrait être un facteur ayant concouru à aggraver les inondations intervenues. La mission a rendu son rapport en mai 2024 qui formule 8 recommandations et propose les évolutions suivantes :

  • faire application de l’article L. 151-37 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM) pour faire bénéficier les travaux d’une déclaration d’intérêt général (DIG) et obtenir ainsi la possibilité d’accéder aux parcelles ;
  • compléter l’article L 214-3 du Code de l’environnement en son alinéa – II bis -. Ainsi le régime d’urgence prévu par cet article, qui a pour effet d’exempter des travaux du régime de l’autorisation ou de la déclaration environnementale, deviendrait applicable non seulement à des travaux destinés à prévenir un danger grave et immédiat mais aussi à des travaux destinés à remédier à des inondations d’ampleur inédite ou à en prévenir le retour à court-terme ;
  • permettre aux préfets de département de fixer des prescriptions à la réalisation de travaux d’entretien des cours d’eau, en vue d’éviter les risques d’atteinte à des espèces protégées ou à leurs habitats. Ces prescriptions fixées par les préfets éviteraient que les travaux puissent recevoir la qualification juridique de « risque d’atteinte caractérisée à des espèces protégées » ;
  • supprimer les procédures administratives pour des travaux d’entretien de cours d’eau lorsqu’ils sont adossés à un programme général conçu par une collectivité publique et ayant reçu l’accord de l’administration ;
  • renforcer la base juridique des dispositions que les préfets prennent lors des crises, et prévoir que ces dispositions soient à nouveau mises en œuvre si des interventions dans les cours d’eau restent nécessaires pour éviter de nouvelles inondations ;
  • simplifier le statut juridique des sédiments extraits à l’occasion de travaux d’entretien des cours d’eau, et sécuriser leur valorisation agricole.

La mission suggère alors que la mise en place de cette simplification passe éventuellement par une expérimentation sur des territoires ayant fait l’objet d’arrêté de catastrophe naturelle pour des motifs d’inondation majeure. Elle rappelle par ailleurs que l’entretien des cours d’eaux et de prévention des inondations implique un partage des responsabilités entre de nombreux niveaux de collectivités publiques ainsi que de nombreux acteurs dans les territoires, de sorte les réflexions doivent se mener dans le cadre d’un dialogue large et permettant d’anticiper les enjeux de moyen et long terme.

Le ministre de l’économie demande à la Commission de régulation de l’énergie de revoir les modalités d’évolution du TURPE 6

On rappellera que les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité actuellement en vigueur, dits « TURPE 6 HTB » pour le réseau public de transport et « TURPE 6 HTA-BT » pour les réseaux publics de distribution d’électricité sont applicables depuis le 1er août 2021 pour une durée de quatre ans, soit jusqu’au 31 juillet 2025. Ainsi, la CRE a d’ores et déjà lancé une consultation commentée ici, sur la structure tarifaire du TURPE 7, applicable à compter du 1er août 2025.

D’ici là, les TURPE 6 HTB et le TURPE 6 HTA-BT devaient être ajustés au 1er août 2024, conformément au mécanisme d’ajustement annuel prévu par les délibérations les ayant institués afin de tenir compte de plusieurs paramètres tels que l’inflation. L’article L. 341-3 du Code de l’énergie prévoit que ces évolutions du TURPE sont déterminées par la CRE, qui doit toutefois prend en compte dans cette tâche les orientations politiques énergétiques indiquées par l’autorité administrative et lui transmettre sa décision motivée en la matière pour publication au Journal officiel de la République française (JORF). C’est ainsi que la CRE a communiqué le 8 juillet 2024 sa délibération du 26 juin 2024 portant décision sur l’évolution de la grille tarifaire du TURPE HTA BT et celle, du même jour, sur l’évolution du TURPE HTB.

Par une décision du 29 août 2024, le ministre de l’Économie a considéré que les évolutions prévues par ces délibérations n’étaient pas conformes aux orientations politiques du gouvernement en la matière, ni propre à assurer la stabilité des prix de l’électricité pour les consommateurs. Selon lui, l’ajustement envisagé par la CRE conduirait à une hausse du prix payé par de très nombreux consommateurs, qu’ils soient clients en Tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) ou en offre de marché. Et ce, alors que ceux-ci ont déjà connu une augmentation importante des tarifs en 2022 et qu’une baisse importante des TRVE est anticipée au 1er février 2025.

Ainsi, le ministre sollicite de la CRE, dans le cadre des prérogatives qui lui sont offertes par l’article L. 341-3 du Code de l’énergie susvisé, qu’elle établisse une nouvelle délibération relative à l’évolution des TURPE 6 prenant mieux en compte les orientations du Gouvernement relatives à la maîtrise, la stabilité et la bonne compréhension du prix de l’électricité.

La CRE doit donc revoir sa copie.

Schémas régionaux de raccordement des énergies renouvelables : publication des précisions réglementaires attendues

Décret n° 2024-789 du 10 juillet 2024 portant modification de la partie réglementaire du Code de l’énergie relative aux schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables

Institués par la loi dite « Grenelle II » afin de faciliter le développement des énergies renouvelables, les « schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables » (ci-après S3REnR) » :

  • définissent les ouvrages à créer ou à renforcer sur le réseau pour atteindre les objectifs de capacité fixés par le préfet de région en matière d’énergies renouvelables ;
  • évaluent le coût prévisionnel de ces ouvrages de réseaux à créer ou renforcer ;
  • permettent la mutualisation d’une partie des coûts des ouvrages à créer, via le paiement d’une quote-part par les producteurs d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelable au moment de leur raccordement au réseau.

Une ordonnance du 23 août 2023 prise en application de la loi ° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables dite loi APER et commentée dans notre lettre d’actualité juridique est venue intégrer quelques précisions sur les modalités de mise en œuvre de ces schémas au sein du Code de l’énergie. Certains éléments étaient toutefois encore attendus notamment quant à la périodicité de la mise à jour du schéma et de son délai d’élaboration, l’article L. 342-3 du Code de l’énergie laissant le soin à un décret de les fixer. C’est dans ce cadre que la CRE a été saisie le 13 juin 2024 d’un projet de décret visant à préciser les dispositions introduites par la loi APER en matière de SR3ENR.

Par délibération en date du 3 juillet 2024, la CRE a émis un avis favorable sur ce projet de décret, estimant qu’il « assure un encadrement efficace des S3RENR avec une déclinaison des étapes d’élaboration et de révision assurant à la fois une meilleure fluidité au dispositif et une planification plus robuste de ces schémas », tout en recommandant que sa version définitive prévoie « la définition par arrêté d’un critère technico-économique pour la sélection des ouvrages à renforcer au même titre que ceux à créer ». Ledit décret a été publié au Journal officiel du 11 juillet 2024. Il modifie ainsi la partie réglementaire du Code de l’énergie en venant notamment :

  • préciser les modalités d’élaboration et de révision des schémas ;
  • supprimer la possibilité d’adapter ces schémas ;
  • détailler le régime applicable aux producteurs dont les ouvrages de raccordement ne sont pas prévus par le schéma en vigueur ainsi que les modalités d’accès à la capacité réservée prévue le schéma pendant une période d’un an après sa publication pour les installations demandant un raccordement au réseau de transport.

Ainsi que le recommandait la CRE, le décret vient indiquer à l’article D.321-14 du Code de l’énergie qu’un arrêté, dont la CRE sera à nouveau saisie, définira les critères technico économiques permettant d’évaluer la pertinence des investissements relatifs aux inscrits dans le S3RENR.

La Commission de Régulation de l’Energie publie des lignes directrices pour le renforcement de la protection des consommateurs de gaz naturel et d’électricité

Le Médiateur National de l’Energie (MNE) a souvent, au travers de ses recommandations commentées dans notre lettre d’actualités juridiques, rappelé les fournisseurs à leurs obligations d’information des consommateurs sur la base des dispositions spécifiquement prévues aux articles L. 224-1 et suivants du Code de la consommation. La crise énergétique sans précédent de 2022 et la hausse considérable des coûts de l’énergie qu’elle a induite sont venues mettre en lumière la nécessité de mener une réflexion générale sur la protection des consommateurs face à leurs offres de fourniture d’énergie. Ainsi, dans le prolongement de propositions formulées par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) et le MNE en la matière, un projet de loi relatif à la souveraineté énergétique (sur lequel la CRE a d’ailleurs émis un avis favorable ici commenté), porte des dispositions relatives à la protection des consommateurs d’énergie.

Dans l’attente de son entrée en vigueur et face aux incertitudes pesant actuellement sur le calendrier des travaux législatifs, la CRE a publié, dans une délibération du 10 juillet dernier, des lignes directrices pour le renforcement de la protection des consommateurs de gaz naturel et d’électricité. Il s’agit d’un ensemble de treize mesures visant à renforcer la protection des consommateurs durant la phase préalable à la conclusion du contrat de fourniture, son exécution et à son terme. Elles ont vocation à s’appliquer aux consommateurs particulièrement exposés aux conséquences de la crises énergétiques, à savoir ceux du segment résidentiel, les associations à but non lucratif, les syndicats de copropriétés, les « TPE » et les petites communes (celles moins de dix employés et dont le budget annuel est inférieur à 2 M €).

Parmi ces mesures, on retrouve la mise en place d’une typologie des offres permettant « de clarifier les conditions d’évolution du prix des offres d’électricité et de gaz naturel, et de dissiper d’éventuelles ambigüités présentes sur les supports commerciaux des fournisseurs », des méthodes d’estimation de la consommation permettant d’améliorer la comparabilité des offres ou encore un principe de transparence des conditions d’évolution du prix sur les douze premiers mois de l’offre. La souscription à ces lignes directrices se fait par engagement volontaire de la part des fournisseurs. Ainsi, les fournisseurs souhaitant souscrire à ces mesures ont jusqu’au 30 septembre 2024 pour signifier à la CRE leur engagement ferme via le modèle joint en annexe de la délibération.

Afin de les inciter à y procéder, la CRE indique qu’elle publiera sur son site la liste des fournisseurs qui se seront engagés, celle de ceux qui ne se seront pas engagés ainsi que le nom des fournisseurs engagés qui ne les respecteront pas.

Consultation du public : les règles applicables aux nouvelles procédures issues de la loi « industrie verte »

Parmi les évolutions notables de la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte l’instauration de nouvelles procédures de consultation du public sont à relever. En effet, pour rappel et en substance, la loi précitée réformait notamment la procédure de consultation du public des projets impactant l’environnement à deux égards :

  • d’abord elle a ajouté l’article L. 121-8-2 au Code de l’environnement qui prévoit que lorsque plusieurs projets d’aménagement ou d’équipement soumis à la Commission nationale du débat public (CNDP) en vertu de l’article L. 121-8 sont envisagés sur un même territoire délimité et homogène au cours des huit années à venir, il peut être organisé, à la demande d’une personne publique, un débat public global ou une concertation préalable globale pour l’ensemble de ces projets ;
  • de plus, la procédure d’autorisation environnementale a connu plusieurs évolutions et a en particulier été raccourcie dans la mesure où les procédures d’instruction et consultation du public sont menées de manière concomitante. La nouvelle procédure de consultation est ainsi prévue à l’article L. 181-10-1 du Code de l’environnement.

Le décret du 6 juillet 2024 portant diverses dispositions d’application de la loi industrie verte et de simplification en matière d’environnement est alors, notamment, venu préciser les modalités de ces nouvelles procédures.

Concernant d’abord la tenue d’un débat public global ou d’une concertation préalable globale pour l’ensemble des projets envisagés sur un même territoire délimité et homogène au cours des huit années à venir, l’article R. 121-3-2 du Code de l’environnement prévoit que la personne publique susceptible de faire une telle demande peut être une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales si la saisine concerne exclusivement des projets d’aménagement portés par cette collectivité ou ce groupement et, dans les autres cas, le préfet. L’article indique par ailleurs les modalités de saisine de la Commission et les suites qui peuvent y être données :

  • le dossier de saisine transmis à la CNDP, comportant pour chaque projet les éléments prévus au second alinéa du I de l’article L. 121-8, précise le périmètre et la vocation du territoire considéré ;
  • la CNDP transmet sa décision sur la suite réservée à cette saisine à la personne publique ayant fait la demande ainsi qu’aux maîtres d’ouvrages connus à ce stade ;
  • la CNDP peut décider que certains des projets présentés dans le dossier de saisine, à raison de leur caractère prématuré ou insuffisamment précis, soient retirés et soumis à une saisine ultérieure dans les conditions prévues au I de l’article L. 121-8. Dans ce cas, la CNDP motive ce choix auprès de la personne publique à l’origine de la saisine et des maîtres d’ouvrages concernés ;
  • pour les autres projets, la saisine de la CNDP par la personne publique vaut également saisine au titre du troisième alinéa de l’article L. 121-8-2. Dans ce cadre, la CNDP peut, par décision motivée, décider l’organisation d’un débat public propre ou d’une concertation préalable propre à un ou plusieurs de ces projets si elle l’estime nécessaire.

L’article précise encore la procédure applicable aux projets envisagés ultérieurement sur le territoire et cohérents avec sa vocation. Il prévoit enfin les modalités d’organisation du débat/de la concertation qui doivent suivre les règles issues des articles R. 121-7, R. 121-8 et R. 121-10 du Code de l’environnement sous réserve des règles spécifiques qu’il édicte lui-même. S’agissant ensuite de la procédure d’autorisation environnementale, plusieurs évolutions doivent être relevées au sujet de la consultation du publique.

D’abord, le décret ajoute une sous-section intitulée « Informations et saisines préalables à la phase d’examen et de consultation » qui prévoit :

  • la procédure particulière applicable aux projets susceptibles de faire l’objet des servitudes d’utilité publique mentionnées aux articles L. 211-12, L. 214-4-1 et L. 515-8 du Code de l’environnement ou aux articles L. 174-5-1 et L. 264-1 du Code minier ;
  • que lorsqu’un pétitionnaire demande une dérogation à l’organisation d’une enquête publique unique en application du troisième alinéa du I de l’article L. 181-10, le préfet l’informe de l’acceptation ou du refus de cette demande avant d’engager la phase d’examen et de consultation. Le silence gardé par le préfet vaut refus ;
  • les modalités de saisine et de désignation du commissaire-enquêteur ou de la commission d’enquête lorsque le préfet est saisi d’une demande de consultation en application de l’article L. 181-10-1 du Code de l’environnement.

Il doit de plus être relevé que, pour application de l’article L. 181-10-1 du Code de l’environnement, l’article R. 181-17 du Code de l’environnement est modifié en ces termes :

« Dès que le dossier est complet et régulier, le préfet transmet un exemplaire de la demande et du dossier aux autorités et organismes prévus par le présent paragraphe lorsque leur avis est requis. II.-Le préfet informe le pétitionnaire de l’ouverture de la phase d’examen et de consultation.

 Lors de l’examen du dossier, le préfet peut demander au pétitionnaire de lui transmettre des informations complémentaires sur les pièces le composant. Lorsque la consultation du public est réalisée dans les conditions prévues à l’article L. 181-10-1, les informations complémentaires du pétitionnaire ne sont réputées faire partie du dossier de demande que si elles sont transmises au plus tard lors de la réunion de clôture de la consultation prévue au 5° du III de cet article. ».

Par ailleurs, un nouveau paragraphe est intégré au code et intitulé « Consultation du public » incluant les articles R. 181-35 à R 181-38-1. Ce sont alors les articles R. 181-36 à R. 181-38 qui précisent l’organisation spécifique aux enquêtes publiques menées en application de l’article L. 181-10-1 du Code de l’environnement. En particulier, le contenu du dossier qui doit être soumis au public est indiqué à l’article R. 181-36-1 du Code.

L’article R. 181-39 du Code indique en outre que « dans les quinze jours suivant l’envoi par le préfet au pétitionnaire du rapport et des conclusions du commissaire enquêteur mentionnés à l’article L. 123-6 ou L. 181-10-1, ou de la synthèse des observations et propositions du public dans le cas prévu à l’article R. 181-38 ou lorsque la consultation du public est réalisée conformément aux dispositions de l’article L. 123-19, le préfet transmet pour information la note de présentation non technique de la demande d’autorisation environnementale, les conclusions motivées du commissaire enquêteur ou la synthèse des observations et propositions du public, ainsi que les réponses du pétitionnaire. ».

Parmi les mesures spécifiques à l’enquête publique, on peut enfin également relever qu’une nouvelle sous-section est ajoutée et dédiée aux modalités d’indemnisation du commissaire-enquêteur. L’article R. 121-44 reconnaît ainsi le droit au commissaire enquêteur de bénéficier d’une indemnité, à la charge de la personne responsable du projet, plan ou programme, qui comprend des vacations et le remboursement des frais qu’il engage pour l’accomplissement de sa mission.

Pour être complet, on précisera que les nouvelles dispositions relatives à l’autorisation environnementale ont vocation entrer en vigueur à compter du 22 octobre 2024 et seront applicables aux demandes déposées à compter de cette date. Les associations Zero Waste France et Notre affaire à tous ont toutefois contesté le décret ici examiné ainsi que le décret n° 2024-704 du 5 juillet 2024 modifiant le Code de l’urbanisme et le Code de l’environnement en vue de favoriser l’implantation des installations industrielles vertes, par l’introduction d’un recours gracieux auprès des autorités compétentes. Au regard des informations connues, il semble que les nouvelles dispositions applicables à la consultation du public ici présentées ne soient pas celles principalement visées par ce recours de sorte qu’il n’est pas certain que, en cas de succès de ce dernier, les nouvelles dispositions réglementaires sur ce point soient remises en cause.

Autorisation environnementale : précision quant à l’intérêt à intervenir des collectivités territoriales

Dans un arrêt, mentionné aux Tables, du 12 juillet 2024, le Conseil d’État précise de manière inédite les critères de l’intérêt à intervenir d’une région en cassation dans le cadre d’un contentieux de l’autorisation environnementale en matière éolienne. La Cour administrative d’appel de Lyon a annulé la décision de refus du préfet de Haute-Loire de délivrer une autorisation environnementale délivrée à la Société Boralex Massif du Dèves d’exploiter un projet de quatre éoliennes et deux postes de livraison. L’arrêt a fait l’objet d’un pourvoi en cassation par différentes associations. Devant le Conseil d’État, la région Auvergne Rhône-Alpes est intervenue au soutien du pourvoi formé par les associations contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel

L’intérêt de l’arrêt du 12 juillet 2024 réside spécifiquement dans sa prise en compte de l’intérêt à intervenir de la région Auvergne Rhône-Alpes en matière de contentieux éolien.

Suivant les conclusions du rapporteur public M. Frédéric Puigserver (conclusions sous CE, 12 juillet 2024, Société Boralex Massif du Dèves, n° 464958, disponibles ici), le Conseil d’État admet l’intervention de la région Auvergne Rhône-Alpes, au regard de « ses compétences en matière de développement touristique régional » et, de manière plus concrète, à raison de l’impact potentiel du projet sur des « sites et monuments d’intérêt majeur au plan régional tels que la cathédrale du Puy-en-Velay, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO », motivant ainsi l’intérêt à intervenir de la région. À ce titre, « [l’] intervention [de la région] est, par suite, recevable ».

Cette jurisprudence concernant l’intérêt à intervenir entre en écho avec un arrêt antérieur du Conseil d’État à l’espèce analogue (CE, 1er décembre 2023, Région Auvergne Rhône-Alpes, n° 470723, article précédent), relatif lui à l’intérêt à agir de la région dans le cadre d’un contentieux de l’autorisation environnementale en matière d’éolienne. Selon cet arrêt, l’intérêt à agir des collectivités territoriales à l’égard d’une autorisation environnementale s’apprécie à l’aune des compétences et intérêts que la collectivité a à sa charge et de sa situation propre. En l’espèce, la région Auvergne Rhône-Alpes avait vu son intérêt à agir rejeté faute de « responsabilité en matière de protection des paysages et de la biodiversité contre les atteintes que l’installation d’éoliennes pourrait provoquer sur son territoire et que la circonstance qu’elle ait adopté un schéma régional par lequel elle définit des objectifs relatifs aux projets éoliens est insusceptible de lui conférer un intérêt direct pour contester l’autorisation en cause ».

Une analyse parallèle de ces deux arrêts permet de conclure à une appréciation de l’intérêt à agir plus rigoureuse que celle de l’intérêt à intervenir des collectivités territoriales, du moins dans le contentieux de l’autorisation environnementale pour des projets éoliens. En effet, à la lumière des conclusions du rapporteur public, l’approche moins rigoureuse du Conseil d’État concernant l’intérêt à intervenir s’explique par les prérogatives plus limitées, sur le plan contentieux, de la personne intervenante comme l’absence de la qualité de partie à l’instance ou l’impossibilité de présenter des conclusions propres.

Permis minier : les objectifs de lutte contre les changements climatiques peuvent justifier le refus d’accorder un permis exclusif de recherches d’hydrocarbures

L’administration peut-elle fonder son refus d’accorder un permis exclusif de recherches d’hydrocarbures liquides ou gazeux sur les objectifs de lutte contre les changements climatiques souscrits par la France ? Dans un arrêt du 24 juillet 2024, inédit, le Conseil d’État répond par la positive à cette problématique d’actualité.

Dans l’arrêt étudié, la société EG Lorraine a contesté en excès de pouvoir la décision explicite du ministre de la Transition Écologique et du ministre de l’Économie et des finances refusant de délivrer un permis exclusif de recherches d’hydrocarbures. Cette société requérante a obtenu l’annulation de cette décision devant le Tribunal administratif de Strasbourg, dont la solution a été confirmée par la Cour administrative de Nancy.

En l’espèce, le Conseil d’État revient sur la solution retenue par la Cour administrative d’appel.

D’abord il vise un principe selon lequel « lorsque l’administration est saisie d’une demande tendant à la délivrance d’un tel permis, elle peut la rejeter en se fondant sur un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de l’autorisation en cause ». De manière inédite, la Haute juridiction estime que « […] la limitation du réchauffement climatique par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de la consommation des énergies fossiles constitue un tel motif ».

Ensuite, jugeant que le ministre pouvait effectivement fonder son refus de délivrer le permis exclusif de recherches sur les objectifs de politique énergétique souscrits par la France, le Conseil d’État annule l’arrêt de la Cour administratif d’appel. Plus particulièrement, le Conseil d’État rappelle les motifs invoqués au sein de la décision de rejet du permis comme l’objectif de lutte contre les changements climatiques et la diminution d’émission de gaz à effet de serre formulée au sein « des orientations et objectifs de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte tendant notamment à promouvoir le développement des énergies renouvelables et à réduire les consommations d’énergie fossile », mais aussi l’accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015.