Le Monde révélait hier qu’un membre du cabinet du président de la République aurait été filmé en train de frapper un manifestant à terre lors des manifestations du 1er mai dernier, alors qu’il portait un casque et un brassard de la police.
Protection des données : la confirmation, par le Conseil d’Etat, d’une sanction prononcée par la CNIL contre l’éditeur d’un site internet
Dans un arrêt en date du 6 juin 2018, le Conseil d’Etat a confirmé une décision de la CNIL, qui avait prononcé une sanction pécuniaire à l’endroit d’un éditeur de site internet. Il était notamment reproché à ce dernier de ne pas avoir respecté l’obligation d’information aux personnes dont les données sont collectées et de ne pas avoir défini de durée de conservation des données.
C’est à l’occasion d’une mission de contrôle auprès de la société éditrice du site internet d’un journal en ligne que la CNIL a constaté des manquements aux règles en vigueur. Il s’agissait notamment d’un défaut d’information sur les finalités du traitement des cookies installés sur le site et de l’absence de définition d’une durée de conservation des données. La présidente de la CNIL avait alors mis en demeure la société de procéder aux mises aux normes prescrites dans un délai de trois mois. Ce délai écoulé et sans changement constaté, la CNIL a prononcé une sanction, qui était contestée devant le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat a alors estimé que les dispositions de la loi informatique et libertés instituent une obligation d’information claire et complète des utilisateurs d’internet sur le dépôt de témoins de connexion (« cookies ») sur les ordinateurs à l’occasion de la visite d’un site internet. Il en découle que les utilisateurs doivent être parfaitement informés sur la finalité de ces cookies et sur les moyens dont ils disposent pour s’opposer à leur dépôt. En outre, le recueil du consentement des utilisateurs est obligatoire avant tout dépôt de cookies sur un ordinateur, exception faite des cookies essentiels au fonctionnement technique du site.
En outre, la CNIL avait mis en demeure l’éditeur de définir et faire respecter une durée de conservation des données proportionnée à la finalité du traitement et, présentement, qui ne soit pas supérieure à treize mois pour les cookies déposés à l’occasion de la visite du site. Ayant constaté que l’éditeur n’avait pu apporter la preuve qu’il avait effectué les démarches auprès de ses partenaires pour qu’ils respectent cette obligation, la formation restreinte de la CNIL avait décidé de sanctionner l’éditeur sur ce fondement.
Cet arrêt, certes relatif à des manquements antérieurs à l’entrée en vigueur du RGPD, vient ainsi rappeler la rigueur avec laquelle le Conseil d’Etat entend appliquer les règles relatives au traitement des données personnelles et sanctionner les manquements. Il est à noter que le passage à la logique « accountability », qui prévaut dans le nouveau cadre juridique, induira nécessairement une rigueur supplémentaire dans l’application des règles par les autorités de contrôle et les juridictions, de sorte que les responsables de traitements doivent renforcer leur vigilance.
Plus encore, il apporte une illustration supplémentaire de la volonté de la formation restreinte de la CNIL et du Conseil d’Etat d’avoir une approche stricte de la notion de durée de conservation proportionnée à la finalité du traitement.
En conséquent, le présent arrêt du Conseil d’Etat constitue une piqure de rappel utile aux responsables de traitement, qui doivent rester particulièrement vigilants quant à l’application des nouvelles règles.
Le point sur la jurisprudence et la position administrative afférentes à l’application de la TVA sur marge aux opérations immobilières portant sur des terrains à bâtir
Les livraisons d’immeubles sont comprises dans le champ d’application de droit commun de la TVA dès lors qu’elles sont réalisées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (art. 257-I-2° du Code général des impôts).
Conformément à l’article 256 A du CGI, sont considérées comme assujetties les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa de cet article, quels que soient leur statut juridique, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention (cf. BOI-TVA-CHAMP-10-10-20).
A cet égard, les livraisons d’immeubles réalisées à titre onéreux par les opérateurs publics, et notamment les collectivités territoriales, entrent en concurrence avec celles des opérateurs privés lorsqu’elles s’inscrivent dans une démarche économique d’aménagement de l’espace ou de maîtrise d’ouvrage.
Sont donc imposables, quand bien même le cédant les aurait réalisées en tant qu’autorité publique à raison des procédures mises en œuvre, les cessions de terrains à bâtir ou de constructions résultant de l’aménagement d’emprises acquises à cette fin, voire d’origine domaniale non établie, dès lors que le cadre administratif (notamment la motivation des actes en cause) fait apparaître une telle volonté de valoriser son activité et de répondre aux besoins des acquéreurs comme pourrait le faire un intervenant privé (BOI-TVA-IMM-10-10-10-10).
En revanche, peuvent constituer des opérations réalisées hors du cadre économique les cessions de terrains à bâtir ou de bâtiments qu’une personne morale de droit public détient dans son patrimoine sans les avoir acquis ou aménagés en vue de les revendre (BOI-TVA-IMM-10-10-10 n° 140).
Ainsi, la personne publique sera fondée à ne pas soumettre à la TVA les livraisons d’immeubles de cette nature lorsque la délibération par laquelle il est décidé de procéder à l’aliénation fait apparaître que celle-ci relève du seul exercice de la propriété, sans autre motivation que celle de réemployer autrement au service de ses missions la valeur de son actif.
A cet égard, il y a lieu de souligner que selon la Cour de justice de l’Union Européenne, le nombre de cessions réalisées par un opérateur n’est pas en soit déterminant pour l’appréciation de la qualité d’assujetti dudit opérateur (CJUE 15 septembre 2011 aff. 180/10 et 181/10, 2e ch., Jarosław Słaby et Emilian Kuć).
Ainsi les cessions immobilières réalisées par les collectivités territoriales entrent dans le champ d’application de la TVA notamment lorsqu’elles sont réalisées dans le cadre d’une opération d’aménagement.
Bien qu’elles entrent dans le champ d’application de la TVA, sont exonérées de cette taxe, les cessions de terrains non à bâtir et d’immeubles achevés depuis plus de cinq ans, l’assujetti cédant pouvant cependant opter pour le paiement de la taxe (art. 261-5 du CGI).
Il en résulte que les ventes de terrain à bâtir par un assujetti agissant en tant que tel sont soumises à la TVA de plein droit.
En principe, conformément aux dispositions des article 266 et 267 du CGI, la base d’imposition des livraisons d’immeubles est constituée par toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le vendeur en contrepartie de ces opérations de la part de l’acheteur, à l’exclusion de la TVA elle-même.
Par dérogation, s’agissant de la cession d’un terrain à bâtir (ou de la livraison d’immeuble bâti achevé depuis plus de cinq ans lorsqu’elle a fait l’objet de l’option prévue au 5° bis de l’article 260), la base d’imposition est constituée de la marge s’il est établi que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction (art. 268 du CGI).
Outre cette condition qui est considérée comme remplie notamment lorsque l’acte d’acquisition ne mentionne pas de TVA ou lorsque l’immeuble a été acquis pour les besoins d’une activité hors du champ de la TVA, l’administration fiscale a dans sa doctrine posé une condition d’identité entre le bien acquis initialement et le bien revendu.
En application de cette seconde condition et dans le cadre de contentieux concernant des opérations de marchands de biens portant sur des détachements de parcelles, des services vérificateurs ont considéré que la condition d’identité n’était pas remplie au motif que la division cadastrale avait été opérée postérieurement à l’acquisition. La TVA sur marge était donc contestée et la TVA sur le prix total exigée.
Afin de justifier ces redressements, plusieurs réponses ministérielles sont venues au cours de l’année 2016 préciser les modalités d’appréciation de la condition d’identité celle-ci étant considérée comme remplie uniquement lorsque le bien revendu était identique au bien acquis « quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique ». (R.M. Bussereau n° 96679 et Savary n° 94538 du 20/09/2016 et R.M. JOAN La Raudière n° 94061 et Carré n° 91143 du 30/08/2016).
Par deux décisions de Tribunaux administratifs (TA Grenoble 14 novembre 2016 n° 14033397 et TA Montpellier 04 décembre 2017 n° 1602770) les juges se sont opposées à cette doctrine et ont pu décider que :
– l’application de la TVA sur la marge en matière de livraison de terrain à bâtir était conditionné au seul fait que l’acquisition par le cédant n’a pas ouvert droit à déduction
– il ne ressortait pas des dispositions de l’article 268 du CGI que les terrains revendus comme terrains à bâtir devraient nécessairement avoir été acquis comme terrains n’ayant pas le caractère d’immeubles bâtis pour que leur cession soit soumise à la TVA sur la marge.
Tirant en partie les conséquences de cette décision, le gouvernement est revenu sur sa doctrine antérieure et vient d’admettre que dans le cas de l’acquisition d’un terrain qui n’a pas ouvert droit à déduction par un lotisseur ou un aménageur qui procède ensuite à sa division en vue de la revente de plusieurs lots, que ces ventes puissent bénéficier du régime de la marge dès lors que seule la condition d’identité juridique est respectée.
Cet assouplissement qui rend caduque la nécessité de division parcellaire antérieure à l’acquisition par le cédant concerne également les opérations en cours (RM Jean-Pierre VOGEL, JO Sénat du 17 mai 2018 n° 04171).
L’administration fiscale persiste donc à ce jour à exiger pour l’application de la TVA sur la marge que les terrains à bâtir aient été acquis en tant que tel.
Il conviendra donc de suivre les évolutions jurisprudentielles prochaines pour déterminer si la condition d’identité juridique doit ou non être respectée pour pouvoir soumettre les cessions de terrains à bâtir à la TVA sur la marge.
Action en exécution d’une convention tripartite adossée à un contrat de partenariat : compétence du juge administratif
Le Tribunal des conflits, par une décision du 14 mai 2018, reconnait à la juridiction administrative la compétence pour connaitre des litiges relatifs à l’exécution d’un crédit-bail et d’une convention tripartite conclus pour financer les opérations de restructuration d’un musée, dans le cadre d’un contrat de partenariat.
L’affaire qui lui a donné l’occasion de statuer sur le sujet est somme toute classique : à la suite de la résiliation du contrat de partenariat par la commune de Nogent-sur-Seine, le prêteur avait saisi le Tribunal administratif pour obtenir la condamnation de la commune au paiement, à titre de provision, des sommes dues par application des stipulations du contrat de crédit-bail et de la convention tripartite. Par une ordonnance du 19 octobre 2017, le Tribunal a rejeté sa demande comme portée devant une juridiction incompétente, considérant que le contrat de crédit-bail et la convention tripartite étaient des actes de droit privé. Saisi d’un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’Etat a, par une décision n° 415425 du 5 février 2018, renvoyé l’affaire au Tribunal des conflits afin que soit tranchée la question de la compétence juridictionnelle.
L’enjeu du sujet est entendu : est-ce que des actes de financement qui sont attachés à un contrat administratif (le contrat de partenariat) et qui sont nécessaires à son exécution sont également des contrats administratifs ou, à tout le moins, relèvent aussi des juridictions administratives ? Les juridictions ont déjà eu, pour partie, l’occasion de se prononcer sur le sujet.
On sait que le Tribunal administratif de Bordeaux (TA Bordeaux, 19 décembre 2012, M. Rouveyre, req. n° 1104924) puis la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 17 juin 2014, M. Rouveyre, req. n° 13BX00564) avaient analysé comme étant « accessoire » à un contrat administratif un « accord autonome », à savoir l’accord qui est conclu en parallèle d’un contrat de partenariat ou d’une concession et qui a pour objet de garantir la continuité du financement du projet en cas de recours des tiers contre le contrat de partenariat. Le Conseil d’Etat a validé cette analyse, mais de façon elliptique (CE, 11 mai 2016, M. Rouveyre, req. n° 383768).
La jurisprudence s’est également prononcée sur les contrats de crédit-bail attachés à des contrats publics d’affaires. Mais il n’est guère aisé de dégager des certitudes sur ce point. En effet, le contrat de crédit-bail, qui a pour objet de prévoir les modalités de financement des opérations objet d’un contrat de droit public, a jusqu’ici toujours été considéré comme ayant la nature d’un contrat de droit privé (CAA Versailles, 14 septembre 2006, Société Unifergie, req. n° 04VE03502 ; Cass., Civ., 28 mai 2008, Commune de Draveil, req. n° 07-17.648). Mais, sans affecter cette conclusion, le Tribunal des conflits a toutefois eu l’occasion de juger que l’action du crédit-bailleur dirigée contre la personne publique et tendant au paiement de sa créance relève en revanche de la juridiction administrative (T. confl., 18 octobre 1999, Société Cussenot Matériaux, req. n° 03130). Et, dans la présente décision, il a sans surprise confirmé cette analyse, jugeant que « la nature de la créance que le titulaire détient sur la personne en exécution de ce contrat n’est pas modifiée par la cession dont elle peut être l’objet ».
Les conventions tripartites, ou encore appelés « accords directs », avaient également été étudiées par les juridictions. On sait que l’accord direct présente des caractéristiques communes à celles de l’accord autonome : il s’agit là aussi d’un accord qui se veut indépendant du contrat de partenariat et qui a également pour objet de sécuriser les prêteurs. Mais, à la différence de l’accord autonome, il sécurise les prêteurs non pas dans l’hypothèse où le contrat est annulé à la suite du recours d’un tiers mais en cas de résiliation du contrat de partenariat par l’acheteur public. La jurisprudence demeure toutefois, ici aussi, peu claire. La Cour de cassation a en effet analysé la convention tripartite comme un contrat de droit privé, notamment à raison de son caractère accessoire au contrat de crédit-bail, à raison de son objet purement financier, à raison de l’absence de clause exorbitante du droit commun et à raison de l’absence de participation du crédit-bailleur à l’exécution du service public (Cass., Civ., 28 mai 2008, Commune de Draveil, précitée). Mais, la motivation demeurait toutefois très discutable. Et cette nouvelle décision du Tribunal des conflits ne permet malheureusement pas d’y voir réellement plus clair. Certes, le Tribunal indique que l’action en exécution de la convention tripartite relève des juridictions administratives, mais sans se prononcer sur la nature de ces accords directs. Il fait en effet uniquement une application au cas d’espèce, considérant que « la convention tripartite prévoyait notamment, afin de préciser les conséquences à tirer d’une résiliation du contrat de partenariat, l’acquisition par la commune des ouvrages financés par le crédit bailleur contre versement de l’indemnité irrévocable prévue par ce contrat ». Le sujet demeure donc toujours quelque peu ouvert.
Marché public de fournitures et action en garantie des vices cachés
Un contentieux opposant le syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise (ci-après, le « SYTRAL ») aux constructeurs des moteurs de ses bus a donné l’occasion au Conseil d’Etat de préciser sa jurisprudence sur les conditions d’application de la garantie des vices cachés dans le cadre de marchés publics.
Plus précisément, constatant des départs d’incendies sur les moteurs de ses bus, SYSTRAL avait demandé au Tribunal administratif de Lyon la désignation d’un expert judiciaire.
Mis dans la cause en cours de procédure, les fabricants des moteurs – soit les sociétés Iveco France, d’une part, et les sociétés FPT Powertrain Technologies France et FPT Industrial Spa, contestaient l’utilité de cette mesure.
Les moyens qu’ils soulevaient ayant été rejeté en première instance et en appel, ils se sont pourvus en cassation.
Le SYTRAL fondait sa demande sur l’action en garantie des vices cachés.
Les sociétés requérantes soutenaient, notamment, qu’une telle action serait irrecevable car prescrite.
En effet, selon elles, en application de l’article L 110-4 du Code de commerce, une action en garantie des vices cachés ne pouvait être introduite que dans un délai de cinq ans.
Après avoir rappelé que l’action en garantie des vices cachés est applicable aux marchés publics de fournitures, le Conseil d’Etat rejette ce moyen et précise que « la prescription prévue par l’article L. 110-4 du Code de commerce n’est pas applicable aux obligations nées à l’occasion de marchés publics ».
Et, sur le fond, le Conseil d’État constate que les mesures demandées par le SYTRAL répondent aux conditions prévues par l’article R. 532-1 du Code de justice administrative. Il rejette donc le pourvoi formé par les Sociétés requérantes.
La saisine pour avis des juridictions suprêmes
La procédure de saisine pour avis devant le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation permet de fixer rapidement la jurisprudence sur une question de droit nouvelle qui se pose à l’occasion de nombreux litiges devant les juridictions du fond.
Depuis ses deux premiers avis rendus en 1989, le Conseil d’Etat est ainsi régulièrement saisi d’une dizaine à une trentaine de questions par année (25 demandes en 2016). De son côté, la Cour de cassation rend une dizaine d’avis par an. Plus précisément, le rapport annuel pour 2015 indique que : « La moyenne sur la période 2005 à 2015 est de 11,1 demandes d’avis par an ».
Il semble que cette procédure soit plus utilisée par le juge administratif que par le juge judiciaire, ce qui est dommage car elle présente l’avantage d’éclaircir par avance des questions de droit complexes et ainsi de contribuer à la lisibilité de la règle de droit et à la réduction des contentieux. La Cour de cassation souligne toutefois sur son site que : « Cette procédure, qui se révèle particulièrement utile lorsque les tribunaux et cours d’appel doivent appliquer de nouveaux textes de loi, contribue, en amont de la chaîne juridictionnelle, à l’harmonisation de la jurisprudence ».
Si le régime juridique de ces procédures est sensiblement identique devant les deux juridictions, le traitement qu’elles en font, lui, diffère, ainsi que le montrera l’analyse à suivre.
Rappelons que la saisine pour avis de la Cour de cassation est une procédure qui a été créée par la loi n°91-491 du 15 mai 1991 aux fins de lutter contre l’encombrement croissant de la haute juridiction et d’harmoniser la jurisprudence.
Cette procédure est régie par les articles L 441-1 et suivants et R 441-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire, les articles 1031-1 et suivants du Code de procédure civile et les articles 706-64 et suivants du Code de procédure pénale.
L’article L 441-1 alinéa 1er dispose ainsi : « Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation ».
La loi n°2015-990 du 6 août 2015 (dite Macron) a étendu la demande d’avis devant la Cour de cassation aux questions portant sur l’interprétation d’une convention ou d’un accord collectif.
S’agissant du Conseil d’Etat, l’article 12 de la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 portant réforme du contentieux administratif a introduit, au sein de l’ordre juridictionnel administratif, cette procédure de « renvoi » visant à permettre aux juges du fond, confrontés à une difficulté juridique, de solliciter pour avis le Conseil d’Etat sur une question relative au droit applicable avant de statuer sur une requête.
Ces dispositions sont aujourd’hui codifiées à l’article L. 113-1 du Code de justice administrative (CJA) qui prévoit que « avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai. »
En toute rigueur, ce mécanisme se distingue de la procédure de question préjudicielle dès lors que la juridiction qui saisit pour avis le Conseil d’Etat n’est pas incompétente pour se prononcer elle-même sur la question.
I – Les conditions de saisine pour avis
- Qui peut saisir les juridictions suprêmes pour avis ?
La saisine de la Cour de cassation ne peut émaner que d’un juge (Avis de la Cour de cassation, 16 novembre 1998, n°09-80.010, Bull, 1998, avis, n°12). Cette décision de saisine est insusceptible de recours (art 1031-1 du CPC).
En conséquence, les parties ne peuvent saisir directement la Cour de cassation d’une demande d’avis. Cependant, elles peuvent demander au juge d’utiliser cette procédure en justifiant de ce que les conditions en sont remplies.
Il en est de même devant le Conseil d’Etat.
Même si, en pratique, les parties au litige peuvent invitent les juridictions du fond à mettre en œuvre cette faculté, celles-ci peuvent de leur propre initiative solliciter le renvoi pour avais par une décision motivée insusceptible de recours en ce qu’elle constitue, en réalité, une mesure d’administration de la justice (de ce fait, une telle demande n’est pas « au nombre de celles sur lesquelles il appartient au juge de statuer » : CE, 21 février 1992, M. X., n° 120876, mentionné aux Tables).
- Conditions de recevabilité des demandes d’avis
Les demandes d’avis sont soumises à plusieurs conditions de recevabilité.
- En premier lieu, la demande d’avis doit porter sur une question de droit. Par conséquent une question mélangée de fait et de droit est exclue de la procédure de saisine (Avis de la Cour de cassation, 12 décembre 2011, n°11-00.007, Bull., 2011, avis, n°9).
- En deuxième lieu, la question de droit doit être nouvelle, à cet égard, la doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer qu’il doit s’agir d’une question liée à un texte nouveau (Morgan de Rivery-Guillaud, n°200, JCP 1992, I. 3576, n°13 ; Avis de la Cour de cassation, 14 juin 1993, n°09-30.006, Bull, 1993, avis, n° 5). Le renvoi pour avis ne peut donc être utilisé pour provoquer un revirement de jurisprudence sur une question déjà jugée (Avis de la Cour de cassation, 27 avril 2000, n°02-00.004, Bull, 2000, avis, n° 2) ou trancher un conflit de jurisprudence au sein de la Cour de cassation. Devant le Conseil d’Etat, la recevabilité est aussi admise lorsque la question doit être regardée comme nouvelle eu égard à l’évolution de la jurisprudence (voir les conclusions de J. Arrighi de Casanova sur CE, Sect., Avis, 5 avril 1996, Houdmond, n° 176611, Droit fiscal 1996, n° 25, comm. 765 : « En l’état actuel de la jurisprudence, ces deux questions appellent des réponses négatives. Pour autant, il ne fait aucun doute que ces questions sont sérieuses et nouvelles, au sens de l’article 12. Comme nous allons le voir, l’évolution de la jurisprudence dans le sens d’une application du droit répressif aux sanctions fiscales a renouvelé les termes du débat »).
- En troisième lieu, cette demande d’avis doit porter sur une question présentant une difficulté sérieuse. Cette condition est remplie dès lors que la question peut raisonnablement donner lieu à des solutions divergentes de la part des juridictions de fond (Rapport du Conseiller Matet sous l’avis n°15006 du 18 mars 2013).
- En quatrième lieu, cette question doit se poser dans de nombreux litiges. Cette condition restreint l’ouverture de la procédure de saisine, en ce qu’elle exige selon certains auteurs, l’existence d’un « vaste mouvement de contentieux » (Zénati, n°200, D.1992, chron, n°249).
Il est à noter que la Cour de cassation, dit n’y avoir lieu à avis lorsque « la Cour de cassation [est] saisie d’un pourvoi qui [pose] la même question » (Avis de la Cour de cassation, 22 octobre 2012, n°12-00.012, Bull,.2012, avis, n°9).
- Appréciation de la recevabilité
L’appréciation de la recevabilité semble être plus sévère du côté de la Cour de cassation que du Conseil d’Etat.
Preuve du libéralisme adopté par le Conseil d’Etat est sa propension à redéfinir la question dont il est saisi afin de conférer une portée utile à la procédure ainsi engagée (voir pour exemple CE, Ass., Avis, 7 juillet 1989, Cale, n° 106902, au Recueil, dans lequel le Conseil d’Etat, constatant que la disposition sur laquelle portait la question n’était pas applicable à la situation de la requérante, a redirigé la question sur la disposition applicable à l’espèce). Par ailleurs, il est intéressant de relever que le désistement d’une partie ne fait pas obstacle à ce que le Conseil d’Etat rende un avis sur la question de droit qui lui est soumise tant que la juridiction n’a pas donné acte de ce désistement (CE, 26 mars 2001, Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, n° 227921, mentionné aux Tables ; CE, 26 mars 2001, Société marseillaise du tunnel Prado-Carenage, n° 251816, mentionné aux Tables).
Les deux juridictions semblent considérer avec souplesse la condition que la question soit posée dans de nombreux litiges, estimant qu’il suffit qu’elle soit susceptible de se poser dans de nombreux litiges. Et il est vrai que ni le demandeur à l’avis, ni le juge qui s’en saisit, ne sont très bien placés pour avoir une vue précise du nombre de litiges concernés par la question.
II – Le traitement de la demande d’avis
Lorsque le juge envisage, de son propre chef, de solliciter l’avis de la Cour de cassation, il en avise les parties et le ministère public. Il recueille leurs observations écrites éventuelles dans le délai qu’il fixe, à moins qu’ils n’aient déjà conclu sur ce point.
Le non-respect de cette formalité est sanctionné par l’irrecevabilité de la demande d’avis (Avis de la Cour de cassation, 8 octobre 2007, n°07-00.012, Bull, avis, n°8 ; Avis de la Cour de cassation, 2 avril 2012, n°12-00.001, Bull, 2012, avis, n°3 ; Avis de la Cour de cassation, 14 janvier 2013, n°12-00.014, Bull, 2013, avis, n°1).
Ces observations sont ensuite transmises à la Cour de cassation devant laquelle les parties peuvent à nouveau conclure. L’article 1031-4 du Code de procédure civile prévoit à cet égard « dans les matières où la représentation est obligatoire, que les observations éventuelles des parties doivent être signées, par un avocat au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation ».
S’agissant de la composition de la formation de la Cour de cassation, appelée à donner l’avis, initialement, il s’agissait d’une formation spécifique de la Cour de cassation, présidée, en principe, par le Premier président et privilégiant la chambre spécialement concernée.
La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle du 18 novembre 2016, a supprimé cette spécificité. C’est désormais la chambre compétente qui traite la demande d’avis, sauf renvoi à une formation mixte pour avis lorsqu’elle relève normalement des attributions de plusieurs chambres ou en formation plénière « lorsque la demande pose une question de principe » ( L 441-2 du COJ).
La Cour de cassation dispose d’un délai de trois mois pour se prononcer, délai qui court à partir de la réception du dossier (art 1031-3 du cpc).
S’agissant de la publicité de l’avis, celui-ci est publié au bulletin des arrêts de la Cour de cassation (art R 433-4 du COJ), il peut également être publié au journal officiel de la République (art 1031-6 du CPC), enfin il est adressé à la juridiction qui l’a demandé et éventuellement à la cour d’appel dont elle dépend et il est notifié aux parties par le greffe de la Cour de cassation (art 1031-7 du CPC).
Devant le Conseil d’Etat, ces avis sont rendus dans les formes prévues pour la procédure contentieuse et dans un délai de 3 mois, lequel n’est cependant pas prescrit à peine de nullité de la procédure ou de dessaisissement.
Toutefois, dans la mesure où ils n’ont pas le caractère de décision, ces avis ne sont pas rendus « au nom du peuple français » et sont insusceptibles de recours (CE, 17 novembre 1997, Mme X., n° 188163, au Recueil).
III – L’autorité de l’avis
L’avis rendu par la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat a une portée paradoxale car même si cet avis est dénué de portée juridique au regard de l’autorité de la chose jugée, son autorité doctrinale est importante, en raison de la formation éminente dont il émane.
De plus, même si l’avis donné par les juridictions suprêmes ne les lie pas, lorsqu’elles se prononcent au contentieux, elles sont tenues d’avoir une jurisprudence cohérence et dotée d’un minimum de stabilité.
Dès lors, bien que ne s’imposant pas aux juridictions qui les ont sollicités, ces avis contentieux – selon l’expression consacrée par la doctrine – sont, en réalité, pratiquement toujours suivis.
En outre, dès lors qu’ils sont rendus par les formations contentieuses, il est permis de voir ces avis comme l’expression du droit au sens de la juridiction suprême. Leur autorité se trouve également renforcée par leur publication fréquente au Journal officiel de la République française.
Il ressort de tout ce qui précède que cette procédure de demande d’avis a trouvé un certain écho depuis sa création mais mériterait de se développer davantage. Si l’on peut comprendre que les juges du fond puissent hésiter à renoncer ainsi à leur pouvoir de jurisprudence, les avocats peuvent, par leur demande de renvoi, les inciter fortement à user de cette procédure dont l’utilité n’est pas douteuse.
Denis Garreau, Margaux N’Guyen, Sonia Merad (Stagiaires)
Irrecevabilité de principe des recours dirigés contre des actes superfétatoires
L’arrêt du Conseil d’Etat en date du 26 avril 2018 (n° 410858) fournit l’occasion de rappeler le principe aux termes duquel les recours formés contre des actes superfétatoires sont, par principe, irrecevables car dirigés contre des actes qui sont, en réalité, insusceptibles de recours comme dépourvus d’effet.
Au cas précis, la société Intervent, souhaitant accroitre les deux parcs éoliens qu’elle exploite sur les communes de Chicheboville et Conteville (Normandie), a sollicité, en application des dispositions de l’article 4 de l’arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent, l’accord préalable de l’établissement public Météo-France pour la construction de cinq nouveaux aérogénérateurs dans la mesure où ces ouvrages avaient vocation à être implantés à moins de 20 km du radar météorologique de bande de fréquence C utilisé par cet établissement.
Suite au jugement du 15 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Caen avait prononcé l’annulation d’un premier refus opposé par Météo France à la demande de la société Intervent et enjoint à l’établissement de statuer à nouveau sur cette demande, Météo France a réitéré son refus par décision du 14 février 2017.
C’est dans ces conditions que la société a, de nouveau, saisi le tribunal administratif de Caen d’une requête en annulation de cette décision, mais également, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, d’une requête aux fins de suspension de son exécution.
Par une ordonnance du 5 mai 2017, le juge des référés a, d’une part, prononcé la suspension de l’exécution de la décision du 14 février 2017, et d’autre part, enjoint à Météo-France de procéder au réexamen de la demande de la société Intervent, dans un délai d’un mois.
Météo France s’est alors pourvu en cassation contre cette ordonnance.
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés tribunal administratif de Caen en raison de l’erreur de droit qui l’entachait pour avoir fait application de dispositions qui n’étaient plus en vigueur à la date de la décision attaquée.
En effet, le texte qui imposait cet accord préalable de l’établissement public chargé des missions de l’Etat en matière de sécurité météorologique des personnes et des biens pour l’installation d’un aérogénérateur à une distance de moins de 20 km d’un radar météorologique de bande fréquence C, avait été substantiellement modifié par un arrêté modificatif en date du 6 novembre 2014. Dans le cadre de ces nouvelles dispositions, l’accord de Météo France préalablement au dépôt de la demande d’autorisation d’exploiter auprès du Préfet n’était plus requis lorsque, comme en l’espèce, la distance d’implantation des aérogénérateurs par rapport au radar était supérieure à 5 km.
Compte tenu de ce que ces nouvelles dispositions étaient applicables à la date du second refus opposé par Météo France, le Conseil d’Etat a censuré pour erreur de droit l’ordonnance du tribunal administratif de Caen qui s’était fondée sur les dispositions de l’article 4 de l’arrêté du 26 août 2011, dans leur rédaction antérieure à l’arrêté modificatif du 6 novembre 2014, pour estimer que la condition d’urgence devait être regardée comme satisfaite.
Dans un second temps, le Conseil d’Etat, statuant au fond après cassation, a rejeté la demande aux fins de suspension de l’exécution de la décision de refus du 14 février 2017 présentée par la société Intervent.
C’est dans le cadre du règlement au fond du litige que le Conseil d’Etat est venu réitérer sa jurisprudence aux termes de laquelle une décision présentant un caractère superfétatoire n’est, par principe, pas susceptible de faire grief à son destinataire ni même aux tiers et, en conséquence, insusceptible de recours.
Dans ses conclusions, le rapporteur public, Madame Julie Burguburu, rappelait qu’une « décision superfétatoire est une décision inutile qui ne peut produire aucun effet ».
Au cas d’espèce, et comme évoqué précédemment, il ressortait des dispositions de l’article 4 de l’arrêté du 26 août 2011, telles que modifiées par l’arrêté du 6 novembre 2014, qu’aucune autorisation de Météo France n’était requise pour l’installation des cinq aérogénérateurs dès lors qu’ils avaient vocation à être implantés au-delà de la surface définie par la distance de protection (en l’occurrence 5 km pour un radar de bande fréquence C). En effet, c’est seulement si l’implantation de l’aérogénérateur est envisagée à l’intérieur de cette surface que l’obtention préalable de l’avis favorable de l’établissement public chargé des missions de l’Etat en matière de sécurité météorologique des personnes et des biens est imposée. Toutefois, lorsque l’aérogénérateur est implanté en deçà de la distance minimale d’éloignement (fixée à 20 km pour un radar de bande fréquence C), comme c’est le cas en l’espèce, le demandeur de l’autorisation d’exploiter est tenu de fournir au Préfet une étude d’impact.
Ainsi, la décision prise par Météo France, sur injonction du tribunal administratif, suite à l’annulation de son premier refus était, eu égard à l’évolution des dispositions applicables, dénuée de toute portée et n’avait aucune incidence sur la possibilité pour la société Intervent de solliciter puis d’obtenir auprès du Préfet compétent une autorisation d’exploiter. Ce dont il résultait que le recours intenté à l’encontre de cette décision devait être regardé comme irrecevable car dirigé contre un acte insusceptible de faire grief à la société Intervent.
Ce faisant, le Conseil d’Etat a réaffirmé le principe, déjà bien ancré en jurisprudence, de l’irrecevabilité des recours dirigés contre des actes superfétatoires (CE, 2 novembre 1973, n° 86211, Ministre de l’équipement et du logement, au Recueil, s’agissant de l’irrecevabilité d’une demande d’annulation dirigée contre un arrêté accordant une dérogation aux dispositions d’un règlement d’urbanisme qui n’était pas entré en vigueur à la date de délivrance du permis de construire ; CE, 29 juin 1984, n° 39485, Association de sauvegarde de l’église de Castels et du Château de Fages, mentionné aux Tables, s’agissant de l’irrecevabilité d’une demande tendant à l’annulation d’un arrêté par lequel l’architecte des bâtiments de France avait autorisé la coupe de bois alors qu’une telle autorisation était inutile et donc superfétatoire ; CE, 30 avril 2004, n° 251569, mentionné aux Tables, s’agissant d’une autorisation préfectorale pour exploiter des terres qu’un agriculteur n’était pas tenu de solliciter et qui, par conséquent, n’était pas susceptible de faire grief aux tiers).
De la même manière, le recours formé contre un acte prononçant l’abrogation de décisions superfétatoires car dépourvues de portée juridique est irrecevable comme dirigé contre un acte insusceptible de faire grief au requérant (CE, 13 novembre 1987, n° 60518, mentionné aux Tables).
Si cette irrecevabilité de principe peut souffrir de certaines exceptions eu égard « aux effets susceptibles d’être prêtés aux actes en cause » (voir notamment CE, 13 mars 2013, n° 342704, M. et Mme A., mentionné aux Tables sur ce point ; ou encore CE, Section, 3 décembre 1993, n° 135782, Commune de Villeneuve-sur-Lot, au Recueil, s’agissant de l’annulation d’un arrêté de déclaration d’utilité publique ne prévoyant l’expropriation ou la cession amiable d’aucun terrain), le rapporteur public a néanmoins indiqué, qu’en l’espèce, la société Intervent ne parvenait pas à convaincre « des effets que [la] décision de refus [pourrait] avoir sur l’issue d’une nouvelle procédure de demande d’autorisation adressée cette fois directement au préfet ».
Denis Garreau et Margaux N’Guyen Chahn (stagiaire)
Concessions – Statut des biens acquis avant le contrat par le concessionnaire
Les biens nécessaires au fonctionnement du service public sont des biens de retour même s’ils ont été acquis par le concessionnaire avant la signature du contrat de délégation de service public.
Par sa décision du 29 juin 2018, la Section du Contentieux du Conseil d’Etat a précisé le régime des biens de retours des délégations de service public, dans la continuité de sa jurisprudence de principe « Commune de Douai » du 21 décembre 2012 (CE, Ass, 21 décembre 2012, n° 342788).
On se souvient tout d’abord que l’Assemblée du Contentieux avait, par sa décision Commune de Douai, consacré et précisé la théorie des biens de retour, dégagée par la jurisprudence à partir des cahiers des charges de concession. Ainsi les biens nécessaires au fonctionnement d‘un service public sont des biens de retour, qui reviennent gratuitement en fin de contrat à l’autorité délégante avec une possibilité d’indemnisation du délégataire pour les biens non amortis sur la base de leur valeur nette comptable à certaines conditions. Ces principes valaient tant pour les biens construits par le concessionnaire que pour les biens acquis par ce dernier.
Enfin l’apport jurisprudentiel résidait dans l’illicéité de toute clause contraire convenue dans la convention de concession.
Un flou juridique persistait concernant les règles applicables aux biens, propriété du concessionnaire avant la passation de la concession et que ce dernier acceptait d’affecter au fonctionnement du service public au moment de la signature du contrat de concession.
A cet égard, le cas des délégations de service public de remontées mécaniques dans les stations de montagne posait plus particulièrement question, puisque, depuis l’adoption de la loi dite « Montagne » en 1985[1], les remontées mécaniques, si elles ne sont pas exploitées en régie le sont dans le cadre de contrats de concession, de sorte que nombreux exploitants privés de remontées mécaniques ont apporté les biens nécessaires au service public à l’occasion de la signature des contrats prévus par la loi.
C’est ce qui s’est précisément passé lors de l’aménagement la station de ski « Sauze – Super Sauze ». En effet, en 1998, une convention de délégation de service public avait été conclue en 1998, pour une durée de quatorze ans, entre la communauté de communes de la vallée de l’Ubaye (CCVU) et la SARL C. Frères. À l’expiration de cette convention, la CCVU a décidé la reprise en régie de l’exploitation et signé avec l’exploitant sortant un protocole d’accord amiable pour le rachat des biens.
Estimant que ces biens devaient revenir gratuitement à la collectivité compte tenu de leur statut de biens de retour, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a déféré les délibérations des collectivités concernées qui avaient approuvé ledit protocole devant le Tribunal administratif de Marseille. Ce dernier ayant rejeté le déféré préfectoral, le représentant de l’Etat a porté le contentieux en appel.
Par un arrêt rendu en 2016, la Cour administrative d’appel de Marseille a estimé que si les règles qui gouvernent les concessions de service public imposent que les biens nécessaires au fonctionnement du service public appartiennent à la collectivité concédante dès l’origine, ce principe ne trouve pas nécessairement à s’appliquer à tout équipement, lorsque le délégataire en était propriétaire antérieurement à la passation de la convention et qu’il l’a seulement mis à disposition pour l’exécution de celle-ci.
La Cour avait ainsi jugé que la propriété des biens en cause, alors même qu’ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public concédé, n’avait pas été transférée à la CCVU dès la conclusion de la convention du seul fait de leur affectation à la concession de service public et que ces biens n’étaient pas régis par les règles applicables aux biens de retour. La Cour en avait alors déduit que le concessionnaire avait droit, du fait de leur retour dans le patrimoine de la CCVU, à une indemnité égale à leur valeur vénale (CAA de Marseille, 9 juin 2016, Préfet des Alpes-de-Haute-Provence, n° 15MA04083).
Le Ministre de l’Intérieur s’est alors pourvu en cassation offrant ainsi l’occasion au Conseil d’Etat de préciser sa jurisprudence « Commune de Douai ».
Dans la décision ici commentée, le Conseil d’Etat précise tout d’abord, aux termes de trois considérants, les règles applicables aux biens des concessions de service public (considérants 3, 4 et 5) puis énonce les règles qui doivent s’appliquer aux délégations de service public de remontées mécaniques, conformément aux conclusions de son Rapporteur public, Olivier Henrard.
Le Conseil d’Etat précise ainsi que la loi « Montagne » précitée n’a pas entendu déroger aux règles dégagées dans la décision Commune de Douai de sorte qu’elles « trouvent également à s’appliquer lorsque le cocontractant de l’administration était, antérieurement à la passation de la concession de service public, propriétaire de biens qu’il a, en acceptant de conclure la convention, affectés au fonctionnement du service public et qui sont nécessaires à celui-ci ; qu’une telle mise à disposition emporte le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique[…] ; qu’elle a également pour effet, quels que soient les termes du contrat sur ce point, le retour gratuit de ces biens à la personne publique à l’expiration de la convention[…] ».
Il ajoute ensuite que le transfert des biens dans le patrimoine de la personne publique doit être pris en compte dans l’équilibre économique du contrat au moment de la signature du contrat de concession à condition qu’en résulte aucune libéralité de la personne publique : « […] Les parties peuvent prendre en compte cet apport dans la définition de l’équilibre économique du contrat, à condition que, eu égard notamment au coût que représenterait l’acquisition ou la réalisation de biens de même nature, à la durée pendant laquelle les biens apportés peuvent être encore utilisés pour les besoins du service public et au montant des amortissements déjà réalisés, il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ».
Et, le Conseil d’Etat d’ajouter : « dans l’hypothèse où la commune intention des parties a été de prendre en compte l’apport à la concession des biens qui appartenaient au concessionnaire avant la signature du contrat par une indemnité, le versement d’une telle indemnité n’est possible que si l’équilibre économique du contrat ne peut être regardé comme permettant une telle prise en compte par les résultats de l’exploitation ; qu’en outre, le montant de l’indemnité doit, en tout état de cause, être fixé dans le respect des conditions énoncées ci-dessus afin qu’il n’en résulte aucune libéralité de la part de la personne publique ».
En définitive, par cette décision, le Conseil d’Etat pose le principe que la date d’acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public (antérieure ou postérieure à la signature du contrat) est sans incidence sur la qualification des biens de retour. Et que l’indemnisation due en contrepartie de la remise desdits biens de retour en fin de contrat (normale comme anticipée) doit être justifiée et demeurer normale.
Cette décision s’inscrit ainsi dans la suite logique de la décision « Commune de Douai », protectrice de la continuité du service public, sans remettre en cause l’équilibre économique des concessions de service public, en affirmant le droit à indemnité des concessionnaires sous certaines conditions.
[1] Loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne
Marché de maîtrise d’œuvre : de simples échanges ne sauraient être assimilés à un mémoire en réclamation
En l’espèce, deux architectes contestaient la résiliation de leur marché de maîtrise d’œuvre par une commune en vue de la construction d’une école élémentaire et maternelle.
Les appelants soutenaient avoir adressé à la commune de nombreux courriels et lettres, par lesquels ils entendaient répondre aux différents griefs formulés à leur encontre ainsi qu’une lettre recommandée, aux termes de laquelle ils se plaignaient notamment de l’immixtion du maire de la commune dans la conduite des travaux.
Une seconde lettre recommandée avait été adressée en évoquant l’absence de prise en compte de leurs conseils, le refus de régler leurs honoraires restant dus, la multiplication, confinant au harcèlement, des demandes qui leur étaient adressées et une agression dont l’un des requérants aurait été victime.
Or, les requérants n’avaient produit aucun mémoire en réclamation au sens de l’article 37 du CCAG Prestations intellectuelles qui prévoit :
« Le pouvoir adjudicateur et le titulaire s’efforceront de régler à l’amiable tout différend éventuel relatif à l’interprétation des stipulations du marché ou à l’exécution des prestations objet du marché. Tout différend entre le titulaire et le pouvoir adjudicateur doit faire l’objet, de la part du titulaire, d’une lettre de réclamation exposant les motifs de son désaccord et indiquant, le cas échéant, le montant des sommes réclamées. Cette lettre doit être communiquée au pouvoir adjudicateur dans le délai de deux mois, courant à compter du jour où le différend est apparu, sous peine de forclusion. Le pouvoir adjudicateur dispose d’un délai de deux mois, courant à compter de la réception de la lettre de réclamation, pour notifier sa décision. L’absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation ».
Au visa de cette disposition, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a alors jugé que dans le cas d’espèce :
« […] aucun de ces échanges n’exposait, de façon précise et détaillée, les chefs de contestation ni n’indiquait les bases et montants des sommes dont le paiement est demandé. Dès lors, ils ne sauraient être regardés comme constituant un mémoire en réclamation au sens des dispositions précitées de l’article 37 du cahier des clauses administratives générales. Par suite, les appelants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme irrecevables leurs demandes dirigées contre la commune ».
En effet, la juridiction administrative rappelle qu’un mémoire ne peut être considéré comme une réclamation au sens de l’article 37 du CCAG Prestations intellectuelles précité que « s’il comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant, d’une part, les montants des sommes dont le paiement est demandé et, d’autre part, les motifs de ces demandes, notamment les bases de calcul des sommes réclamées ».
Par conséquent, des courriels et lettres d’un maître d’œuvre par lesquels le comportement du maître d’ouvrage est mis en cause ne peuvent valoir mémoire en réclamation.
Modalités d’établissement du décompte général et définitif tacite – CCAG travaux
Les modifications apportées au CCAG Travaux par l’arrêté du 3 mars 2014 servent l’objectif d’améliorer les délais de paiement dans les marchés publics, notamment en encadrant les délais de production du décompte général définitif (DGD) et en instituant un mécanisme d’acceptation tacite du projet de décompte final.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer pour la première fois sur les conditions de mise en œuvre d’un tel mécanisme (article 13.4.4) mais également à préciser le délai donné au titulaire du marché pour transmettre son projet de décompte final (article 13.3.2).
En l’espèce, une entreprise de travaux publics s’est vue confier par une communauté de communes l’exécution d’un marché de renforcement de perrés servant à lutter contre l’érosion du littoral et, plusieurs mois après le prononcé de la réception des travaux, a adressé au seul maître d’ouvrage un projet de décompte final ainsi qu’un mémoire en réclamation portant sur une demande de rémunération complémentaire.
Considérant pouvoir se prévaloir des dispositions de l’article 13.4.4 précité, l’entreprise a ensuite saisi le juge des référés d’une demande de paiement d’une provision, qui a été rejetée tant par le Tribunal administratif que par la Cour administrative d’appel, laquelle s’est fondée sur « le double motif tiré de ce que, la société Merceron TP avait envoyé son projet de décompte final au-delà du délai de trente jours imparti par l’article 13.3.2 et, d’autre part, ce document n’avait été adressé qu’au seul maître d’ouvrage et non au maître d’œuvre ».
La Haute juridiction, suivant les conclusions de son rapporteur public (ici), a tout d’abord considéré que le respect du délai de trente jours octroyé au titulaire du marché ne « constitue pas une formalité dont la méconnaissance est de nature à faire obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite ».
Il est ainsi admis que le titulaire du marché puisse dépasser le délai de trente jours prévu à l’article 13.3.2, sans que cela ne puisse, en soi, faire échec à la mise en œuvre du mécanisme d’acceptation tacite de l’article 13.4.4..
Un tel dépassement ne fait en réalité que retarder la procédure d’établissement du DGD, et corrélativement décaler le point de départ des autres délais y relatifs.
En revanche, le Conseil d’Etat a ensuite retenu que « en jugeant qu’à défaut de transmission du projet de décompte final au maître d’œuvre, le délai de trente jours prévu par l’article 13.4.2 imparti au maître d’ouvrage pour notifier au titulaire du marché le décompte général ne peut pas courir, ce qui fait obstacle à la naissance d’un décompte général et définitif tacite selon les modalités prévues par l’article 13.4.4, la cour n’a pas commis d’erreur de droit ».
Il en ressort que le titulaire du marché se doit de se conformer à son obligation contractuelle et ainsi transmettre son projet de décompte final au maître d’ouvrage et au maître d’œuvre.
Faute de quoi, le titulaire du marché ne pourra se prévaloir de l’existence d’un DGD tacite et ce, quand bien même le projet de décompte final aurait été transmis indirectement au maître d’œuvre par le maître d’ouvrage.
Qualification des associations gestionnaires d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) en pouvoir adjudicateur : premiers éléments de réflexion et d’analyse
La discussion portant sur la question de savoir si, oui ou non, les associations gestionnaires d’ESSMS[1] sont soumises au droit de la commande publique a, très récemment, été relancée par la CRC des Pays de la Loire, qui a pris position en faveur d’une telle soumission sans toutefois livrer la teneur de son raisonnement[2]. Sans prétendre à l’exhaustivité ou à un examen détaillé, la présente contribution se propose de revenir sur les différents critères prévus à l’article 10-2° de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics (« l’Ordonnance »), dans la perspective de fournir des éléments d’analyse quant à la qualification ou pas de ces institutions, qui accomplissent des missions qualifiées par la loi d’intérêt général et d’utilité sociale[3], en « pouvoir adjudicateur ».
NOTION DE POUVOIR ADJUDICATEUR
Les règles relatives au droit des marchés publics[4], et plus largement au droit de la commande publique[5], s’appliquent par principe à un type particulier de personnes : les pouvoirs adjudicateurs. Trois catégories de personnes sont ainsi visées par l’article 10 de l’Ordonnance, dont les personnes morales de droit privé « qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial »[6]. En droit de l’Union européenne, celles-ci sont désignées sous le terme « d’organismes de droit public »[7]. Ainsi, dès lors qu’une personne morale de droit privée satisfait aux critères cumulatifs prévues à l’article 10-2° de l’Ordonnance, elle est de fait tenue de respecter le droit de la commande publique dans la passation de ses contrats.
Quels sont ces critères ? Ils sont au nombre de trois. L’entité en question doit (i) –on l’a dit – être dotée de la personnalité morale ; (ii) avoir été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ; (iii) être sous la dépendance d’un pouvoir adjudicateur, ce qui est le cas à partir du moment où l’une des conditions suivantes est remplie : soit l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de la personne morale est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par un pouvoir adjudicateur, soit son activité est financée majoritairement par un pouvoir adjudicateur, soit sa gestion est soumise à un contrôle d’un pouvoir adjudicateur. Seuls ces deux derniers critères alternatifs seront examinés dans le cadre de cette contribution – ceux tenant à la personnalité morale et à la satisfaction de besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial pouvant, dans le cas des associations gestionnaires d’ESSMS, aisément être considérés comme satisfaits.
Comment doivent-ils être interprétés ? Au sens spécifique de la jurisprudence de la CJUE[8], qui en a retenu une acception fonctionnelle conformément à l’objectif de la Directive, qui est notamment d’exclure « la possibilité qu’un organisme financé ou contrôlé par l’État, les collectivités territoriales ou d’autres organismes de droit public se laisse guider par des considérations autres qu’économiques » dans le cadre de la passation de ses marchés[9]. En d’autres termes, la CJUE ne se limite pas à la lettre du texte mais se réfère plutôt à ses objectifs en cherchant à déterminer, via un examen circonstancié, si l’organisme en question doit être soumis à des contraintes que son propre intérêt économique ne le conduit pas naturellement à s’imposer.
FINANCEMENT MAJORITAIRE PAR UN POUVOIR ADJUDICATEUR
En substance, il s’agit ici de déterminer si les activités menées par les associations gestionnaires d’ESSMS sont majoritairement financées par des ressources provenant d’un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs. D’emblée, deux précisions doivent être apportées. D’une part, la notion de financement vise ici « un transfert de moyens financiers opéré sans contrepartie spécifique, dans le but de soutenir les activités de l’entité concernée »[10]. Ainsi, à l’inverse des subventions, ne constituent pas un financement par un pouvoir adjudicateur au sens de l’Ordonnance et de la Directive, les versements effectués en contrepartie de prestations de services[11]. D’autre part, la CJUE a précisé que la notion de financement majoritaire signifie un financement pour plus de la moitié[12], qui peut d’ailleurs comprendre « des paiements provenant d’usagers, qui sont imposés, calculés et recouvrés conformément aux règles de droit public »[13].
Qu’en est-il dans le cas des associations gestionnaires d’ESSMS ? Une analyse au cas par cas visant à déterminer si plus de la moitié des ressources de l’association concernée émane de pouvoirs adjudicateurs serait nécessaire. Toutefois, et sous réserve de l’appréciation qui pourrait être faite par la jurisprudence sur ce point, il semble possible d’exclure de ce calcul les financements versés dans le cadre de la gestion des ESSMS dès lors qu’ils constituent la contrepartie de services rendus[14]. A contrario, devraient être prises en compte dans ce calcul toutes les ressources allouées sans contrepartie spécifique par des pouvoirs adjudicateurs en vue de soutenir les activités de l’association.
CONTROLE DE LA GESTION PAR UN POUVOIR ADJUDICATEUR
Si ce critère demeure sans conteste le plus délicat à cerner[15], la jurisprudence de la CJUE fournit de précieux éléments d’analyse qui permettent de mieux appréhender son raisonnement. En pratique, afin de déterminer si ce critère est satisfait, il convient d’examiner si les différents contrôles auxquels est soumis l’organisme créent une dépendance de celui-ci à l’égard des pouvoirs publics qui permet à ces derniers d’influencer ses décisions en matière de marchés publics, dépendance qui doit logiquement avoir une intensité équivalente à celle qui existe lorsque l’un des deux autres critères alternatifs est rempli[16]. Un simple contrôle a posteriori ne saurait donc suffire[17]. Pour autant, répond « à un tel critère une situation dans laquelle, d’une part, les pouvoirs publics contrôlent non seulement les comptes annuels de l’organisme concerné, mais également sa gestion en cours sous l’angle de l’exactitude des chiffres cités, de la régularité, de la recherche d’économies, de la rentabilité et de la rationalité et, d’autre part, ces mêmes pouvoirs publics sont autorisés à visiter les locaux d’exploitation et les installations dudit organisme (…). »[18]. Surtout, il a pu être considéré que lorsque « les règles de gestion [imposées par la loi à l’entité] sont très détaillées, la simple surveillance de leur respect peut, à elle seule, aboutir à conférer une emprise importante aux pouvoirs publics ».[19] Dans cette affaire, qui concernait les SA d’HLM, l’effectivité du contrôle sur la gestion était, selon la CJUE, notamment révélée par la possibilité pour le ministre de prononcer leur dissolution, de nommer un liquidateur, de suspendre les organes dirigeants et de nommer un administrateur provisoire – ceci quand bien même l’exercice de ces prérogatives avait vocation à demeurer exceptionnel[20]. En synthèse, on retiendra que la CJUE s’attache à évaluer le degré d’autonomie dont dispose concrètement l’entité sur le plan organisationnel et budgétaire[21].
Qu’en est-il dans le cas des associations gestionnaires d’ESSMS ? D’ores et déjà, c’est selon nous de la satisfaction, ou non, de ce critère dont dépend la qualification des associations gestionnaires d’ESSMS en pouvoir adjudicateur. Et, sans présager de la position des juges qui pourraient être amenés à se prononcer sur ce point, il serait difficile de contester le fait que ces associations et les ESSMS qu’elles gèrent sont soumis, dans leur fonctionnement quotidien, à un regard attentif de leur autorité de tarification ainsi qu’à un certain nombre de contrôles de la part des pouvoirs publics[22].
Une attention particulière sera donc portée, au cas par cas, au risque de qualification en pouvoir adjudicateur des ESSMS.
Nadia BEN AYED, avocat directeur et Christophe FARINEAU, avocat
[1] Etablissements et services sociaux et médico-sociaux.
[2] V. CRC des Pays de la Loire, Rapport d’observations définitives, ADAPEI-ARIA 85, exercices 2016 et 2017, 5 avr. 2018, p. 26.
[3] V. art. L. 311-1 du CASF.
[4] Constituées de l’Ordonnance et du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics.
[5] La qualification de pouvoir adjudicateur conduit également, le cas échéant, à devoir respecter les règles relatives au droit des concessions (ordonnance n° 2016-65 du 29 janv. 2016 relative aux contrats de concession et décret n° 2016-86 du 1er févr. 2016 relatif aux contrats de concession).
[6] Les deux autres catégories étant : les personnes morales de droit public ; et, les organismes de droit privé dotés de la personnalité juridique constitués par des pouvoirs adjudicateurs en vue de réaliser certaines activités en commun (art. 10-1° et 10-3° de l’Ord.).
[7] Article 2.1.4 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 févr. 2014 sur la passation des marchés publics (« la Directive »).
[8] La quasi-intégralité de la jurisprudence pertinente en la matière nous provient de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
[9] V. CJCE, 1er févr. 2001, Commission c/ France, aff. C-237/99, pts. 42 et 43 ; CJCE, 3 oct. 2000, University of Cambridge, aff. C-380/98, pt. 17.
[10] CJUE, 12 sept. 2013, IVD GmbH & Co. KG, aff. C-526/11, pt. 22.
[11] CJCE, 3 oct. 2000, University of Cambridge, précité, pts. 21 et 26.
[12] Ibid., pt. 32. Pour les modalités de ce calcul, v. pts. 40 et 41.
[13] Cons. 10 de la Directive. V. par ex. : CJUE, 13 déc. 2007, Bayerischer Rundfunk, aff. C-337/06.
[14] V. CE, 6 juil. 1994, Comité mosellan de sauvegarde de l’enfance de l’adolescence et des adultes, n° 110494, dans lequel le Conseil d’Etat considère que les prix de journées consentis aux établissements à caractère sanitaire et social gérés par une association ne peuvent s’assimiler à des subventions de fonctionnement puisqu’ils constituent la contrepartie de services rendus. V. également : rép. du ministère des affaires sociales et de la santé à QE n° 06176, JO Sénat, 27 févr. 2014, p. 528.
[15] V. récemment, Cass. com., 8 mars 2016, n° 14-13540.
[16] CJCE, 1er févr. 2001, Commission c/ France, précité, pts. 48 et 49
[17] CJUE, 12 sept. 2013, IVD GmbH & Co. KG, précité, pt. 29.
[18] CJCE, 27 févr. 2003, Adolf Truley GmbH, aff. C-373/00, pt. 70.
[19] CJCE, 1er févr. 2001, Commission c/ France, précité, pt. 52.
[20] Ces contrôles correspondaient donc davantage à une surveillance exercée sur la manière dont est dirigée l’organisme qu’à de véritables immixtions dans sa direction (v. conclusions de l’avocat général J. Mischo, pt. 36).
[21] CJUE, 12 sept. 2013, IVD GmbH & Co. KG, précité, pts. 27 et 30.
[22] Que la présente contribution n’a pas pour objet de détailler.
Attention aux liens entretenus par les assistants à maîtrise d’ouvrage des collectivités et les candidats à l’attribution de leurs contrats
Dans le cadre de la conclusion de leurs marchés ou délégations de service public et dans un contexte dans lequel l’environnement normatif et technique est de plus en plus complexe, les acheteurs font souvent appel à des assistants à maitrise d’ouvrage (AMO) pour les accompagner dans la définition de leurs besoins et dans le choix puis la mise en œuvre des procédures applicables. Ce rôle est important car il conduit les AMO à formuler des avis souvent suivis par les services des collectivités, par exemple sur les mérites respectifs de chaque offre. Dès lors, le risque d’une collusion, intentionnelle ou non, entre les membres de l’équipe d’AMO et les candidats potentiels peut être caractérisé, surtout dans les secteurs où les mêmes acteurs interviennent souvent.
Ainsi, la question posée au Tribunal administratif de Melun s’inscrit pleinement dans cette problématique.
Lors de la passation d’une délégation de service public pour le centre hippique municipal, la Ville de Saint-Maur-des-Fossés s’était entourée d’une équipe d’AMO, dont la société Parcours Conseil. La personne en charge d’accompagner la Commune pour cette mission avait participé à l’élaboration du cahier des charges, aux négociations, et au choix de l’attributaire, ici l’UPCA Sport Loisirs. Quelques semaines après l’attribution du contrat, cette même personne a été embauchée par l’attributaire en tant que responsable du développement de projets.
Tout d’abord, le Tribunal rappelle qu’« au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ».
Ce principe n’est pas nouveau et les juges l’appliquent avec plus ou moins de rigueur.
Au cas d’espèce, relevant que Mme X est intervenue à tous les stades de la procédure aux cotés des services et des élus et « que le caractère très récent de sa collaboration avec l’attributaire de la DSP et la concomitance de ce recrutement quelques semaines après l’attribution de celle-ci pouvait légitimement faire naître un doute sur l’existence d’intérêts communs nés antérieurement et, par voie de conséquence, sur l’impartialité de la procédure suivie par la commune de Saint-Maur-des-Fossés avec l’aide de cette dernière », le Tribunal administratif de Melun annule la procédure eu égard à la particulière gravité du vice entachant le contrat.
Ainsi, le doute sérieux semble suffire ici à caractériser le manquement.
L’acheteur doit donc être particulièrement vigilant à tous les stades du projet. En particulier, lors du choix de l’équipe d’AMO, il doit être attentif aux garanties d’indépendance qu’est susceptible d’apporter l’équipe (déclaration de non conflit d’intérêts, déclaration sur l’honneur que les membres de l’équipe n’ont pas récemment et ne travailleront pas pour l’un des candidats, …). Au stade du choix de l’attributaire du contrat pour lequel l’AMO est intervenu, l’acheteur peut également demander aux candidats de lui fournir une déclaration de non conflit d’intérêt avec l’équipe d’AMO.
Les apports du projet de loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) en droit des sociétés
Lancé en octobre 2017, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises a enfin été présenté en conseil des ministres le 18 juin 2018.
Le long exposé des motifs du projet de loi PACTE, contenant plus de 70 pages, détaille l’ensemble des mesures visant à relever le défi de la croissance des entreprises.
Parmi les nombreuses dispositions impactant le droit des sociétés :
• Figurera à l’article 1833 du Code civil un alinéa supplémentaire selon lequel « La société est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité« . Une référence sera aussi ajoutée aux articles L. 225-35 et L. 225-64 du Code de commerce, textes relatifs à la société anonyme.
En outre, l’article 1835 du Code civil serait également complété afin de permettre aux associés de toute société d’inscrire dans les statuts de l’entreprise sa raison d’être. L’alinéa proposé est ainsi rédigé: « Les statuts peuvent proposer la raison d’être dont la société entend se doter dans la réalisation de son activité ».
• Le projet de loi PACTE envisage d’imposer la désignation de deux administrateurs représentant les salariés dès lors que le conseil dépassera le seuil de huit administrateurs.
• Dans les SAS, les offres d’actions adressées aux dirigeants, salariés et anciens salariés seront facilitées, tandis que dans les sociétés à capitaux publics, les dispositifs d’attribution d’actions aux salariés seront élargis.
• Les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions ne seront plus tenues de désigner un CAC, sauf lorsqu’elles dépasseront certains seuils ou que la désignation d’un CAC sera ordonnée par voie judiciaire, à la demande d’actionnaires représentant au moins 10 % du capital.
Dans les SAS, la désignation d’un CAC ne sera plus obligatoire du seul fait de l’existence d’une relation de contrôle avec une autre société.
En revanche, pour éviter qu’un groupe ne soit fractionné entre des entités de petite taille et soit ainsi soustrait au contrôle de CAC, il est prévu que la désignation d’un tel organe sera obligatoire lorsque l’ensemble que forment les personnes et entités qui contrôlent une ou plusieurs sociétés avec celles-ci dépassera certains seuils.
• Sont également prévues des mesures d’assouplissement de la création des entreprises : guichet unique électronique (article 1er), création d’un registre dématérialisé des entreprises (article 2), modernisation du dispositif des annonces judiciaires et légales (article 3).
Pour exemple :
Allègement des obligations et coûts pour les artisans : suppression de l’obligation de formation avant constitution de la société (et économie du coût de la formation de 194 €), accompagnement de l’artisan dans son projet de création d’entreprise, etc. ;
Allègement des coûts pour les entreprises : suppression de l’obligation d’avoir un compte bancaire distinct pour les micro-entreprises réalisant un CAHT inférieur à 5 000 €, les seuils cantonnant l’obligation d’avoir recours à un commissaire aux comptes sont repoussés à un CA HT de 8M€, bilan de 4M€ et effectif d’au moins 50 salariés
• La création d’actions à droit de vote multiple sera autorisée.
S’agissant des baux commerciaux, les clauses imposant au cessionnaire d’un bail des dispositions solidaires avec le cédant seront réputées non écrites.
Le projet de loi sera examiné en commission spéciale à l’Assemblée Nationale la semaine du 3 septembre, puis en séance publique les semaines du 17 et du 23 septembre.
Modification du Cahier des clauses techniques générales applicable aux marchés publics de travaux
L’arrêté du 28 mai 2018 relatif à la composition du cahier des clauses techniques générales applicables aux marchés publics de travaux de génie civil (ci-après, le « CCTG de travaux de génie civil ») a procédé à une modification du CCTG de travaux de génie civil.
L’article 1 de l’arrêté précité a notamment mis à jour des huit fascicules suivants :
– fascicule 25 relatif à l’exécution des assises de chaussées en matériaux non traités et traités aux liants hydrauliques ;
– fascicule 26 relatif à l’exécution des revêtements superficiels et matériaux bitumineux coulés à froid ;
– fascicule 27 relatif à la fabrication et la mise en œuvre des enrobés hydrocarbonés ;
– fascicule 65 relatif à l’exécution des ouvrages de génie civil en béton armé ou précontraint ;
– fascicule 67 titre I relatif à l´exécution des travaux d’étanchéité (neufs, d’entretien ou de réfection), sur les ponts routes et les passerelles ;
– fascicule 67 titre III relatif à l’étanchéité des ouvrages souterrains ;
– fascicule 68 relatif à l’exécution des travaux géotechniques des ouvrages de génie civil ;
– fascicule 86 relatif à la construction d’installations de traitements biologiques de déchets ménagers avec éventuellement d’autres déchets non dangereux.
En revanche, l’arrêté du 28 mai 2018 supprime le fascicule 62 titre V relatif aux règles techniques de conception et de calcul des fondations d’ouvrages de génie civil et abroge l’arrêté du 30 mai 2012 relatif à la composition du cahier des clauses techniques générales applicables aux marchés publics de travaux de génie civil.
Les acheteurs publics pourront faire référence au CCTG de travaux de génie civil à compter de la publication de l’arrêté au journal officiel de la république, soit le 14 juin 2018. En revanche, il résulte de l’article 7 de l’arrêté du 28 mai 2018, les marchés publics qui se réfèrent au CCTG de travaux de génie civil et pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication antérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent arrêté demeurent régis, pour leur exécution, par les dispositions du cahier des clauses techniques générales, dans sa rédaction antérieure aux dispositions annexées au présent arrêté.
Précisions sur la notion de publicité en matière d’outrages
La distinction entre les délits de presse de diffamation ou d’injure (publiques comme non publiques) et le délit d’outrage n’est pas toujours aisée et nécessite une étude régulière des jurisprudences récentes.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 19 juin 2018, vient confirmer sa position quant aux critères permettant de régler le conflit idéal de qualifications entre ces délits.
Précisons que ce conflit de qualifications n’interviendra qu’en présence d’un propos qui visera une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service publique ou chargée d’un mandat public.
En l’espèce, à l’ouverture de la séance du conseil d’administration d’un lycée, une enseignante, accompagnée d’un groupe d’enseignants, avait pris la parole pour lire un texte dans lequel elle indiquait que les enseignants ne siégeraient pas au conseil d’administration en présence d’élus du Front National. Dans ce texte, le maire et son adjoint, présents en tant que représentants de la Ville, étaient qualifiés de « membres d’un parti raciste et xénophobe ».
Les élus citaient l’enseignante devant le Tribunal correctionnel, lequel la déclarait coupable du délit d’outrage et la condamnait à une peine de 1.500 € d’amende.
La Cour d’appel confirmait cette décision en retenant : « qu’en présentant le parti politique auquel appartiennent les parties civiles comme raciste et xénophobe, puis en insistant sur leur qualité d’élus de ce parti et en manifestant le refus des enseignants de siéger à leurs côtés, les propos litigieux n’ont pu que rejaillir sur les intéressés eux-mêmes et les fonctions qu’ils incarnent ; […] que le fait de qualifier une personne de raciste ou xénophobe consistant à lui imputer une attitude idéologique ou un comportement discriminatoire, de tels termes destinés à un maire et à son adjoint, dans l’exercice de leurs fonctions, désignés par le conseil municipal de la commune pour siéger au conseil d’administration de l’établissement scolaire, portent une atteinte grave à leur autorité morale, à leur dignité et au respect dû à leur fonction, puisqu’ils sous-entendent que leurs administrés ne seront pas tous traités de façon égale en raison de l’idéologie censée les animer ».
L’enseignante se pourvoyait en cassation ; elle invoquait un motif de droit tenant au fait que, les propos ayant été tenus publiquement, par l’un des moyens de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, ceux-ci devaient échapper à une répression du chef d’outrage pour relever des qualifications du droit de la presse.
La Cour de cassation rejetait le pourvoi en cassation en retenant que : « dès lors que la parole adressée à une personne chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie, qualifiée d’outrage par l’article 433-5 du code précité, d’une part, entre, même quand elle a été prononcée publiquement, dans les prévisions de ce texte, dont les articles 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 n’ont pas modifié la portée ni affecté l’application, d’autre part n’entre pas dans le champ de l’article 10, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, la cour d’appel a caractérisé, en tous ses éléments matériel et intentionnel, le délit dont elle déclaré la prévenue coupable ».
La tendance jurisprudentielle adopte, pour trancher le conflit de qualifications, un critère organique qu’elle privilégie désormais au seul critère de publicité.
(1) Entre la diffamation/l’injure publique et l’outrage, le raisonnement semble le suivant :
– Si l’auteur a utilisé, parmi les modes de publicité de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, un mode de publicité non médiatique (profération sur la voie publique ou à l’occasion d’une réunion publique, ou par la diffusion d’une correspondance à des personnes non réunies dans une Communauté d’intérêts), le critère de publicité n’est plus suffisant.
Le critère organique permettra seul de régler le conflit : c’est l’hypothèse où l’auteur se sera « adressé directement à la victime » ou par le biais d’un « rapporteur nécessaire » (lorsque est assis par exemple un lien hiérarchique ou de collaboration entre la victime et chacun des destinataires) (Cass., Crim., 10 janvier 2017 n° 16-81558 : à propos d’un courriel adressé à des personnes non réunies dans une communauté d’intérêts) ; l’arrêt de la Chambre criminelle du 19 juin 2018 vient confirmer cette position.
Toutefois, l’action de s’adresser à la victime ou à son rapporteur nécessaire n’est pas présumée de manière irréfragable : l’autorité de poursuite qui soutient la qualification d’outrage, à l’exclusion d’une infraction de presse, doit ainsi en apporter la preuve (Cass., Crim., 29 mars 2017, n° 16-82.884 : à propos d’une conférence publique).
– Si l’auteur a utilisé, parmi les modes de publicité de l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, un mode de publicité médiatique (presse imprimée, Internet…) pour proférer ces accusations, il est présumé s’être adressé à un public indéterminé et non s’être adressé à la victime du propos ou à son rapporteur nécessaire – notions d’ailleurs bien antithétiques – (Cass., Crim., 1er mars 2016 n° 15-82824 : à propos d’une utilisation d’Internet).
La question demeure en suspens de savoir si cette présomption serait irréfragable : que faire ainsi du propos aux termes desquels – nonobstant l’utilisation d’un mode de publicité médiatique (tel qu’Internet par exemple) – l’auteur se sera adressé directement à la victime en l’apostrophant personnellement ?
(2) Rappelons que le conflit de qualification entre le délit d’outrage et la contravention de première classe de diffamation/injure non publique est réglé en faveur de l’outrage, lorsque les propos mettent en cause « l’honorabilité et la délicatesse » de la victime dans l’exercice de ses fonctions publiques, ou critiquent ses compétences professionnelles ou remettent en question son intégrité ou sa probité dans l’accomplissement de sa mission (Cass., Crim., 24 janvier 1991, n° 87-90.214 ; Cass., Crim., 14 décembre 2016 n° 15-85517).
Rupture conventionnelle : Nouveau délai de rétractation en cas de signature d’une nouvelle convention de rupture conventionnelle après un refus d’homologation
En l’espèce, une salariée signe avec son employeur une première rupture conventionnelle le 27 juin 2013. L’autorité administrative refuse d’homologuer cette convention au motif que l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle était inférieure au minimum conventionnel. A la suite de ce refus, les parties ont signé un second formulaire de rupture conventionnelle en prenant soin de rectifier le mondant de l’indemnité mais sans prévoir un nouveau délai de rétractation.
La salariée décide de saisir la juridiction prud’homale d’une contestation de la validité de la rupture.
Dans un arrêt en date du 30 septembre 2016, la Cour d’appel de Douai énonce que la rupture du contrat de travail de la salariée équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne l’employeur au paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a eu à se demander si une partie à une convention de rupture peut valablement demander l’homologation de cette convention à l’autorité administrative avant l’expiration du délai de rétractation de 15 jours prévu par l’article L. 1237-13 du Code du travail lorsque cette convention a été conclue après une première qui a fait l’objet d’un refus d’homologation par l’autorité administrative.
La Haute juridiction répond par la négative et énonce qu’en cas de nouvelle convention à la suite d’un refus d’homologation, les parties doivent reprendre l’ensemble de la procédure et prévoir un nouveau délai de rétractation.
En statuant ainsi, les Hauts magistrats soulignent que le délai de rétractation de 15 jours calendaires est un élément essentiel qui garantit le consentement des parties à la convention.
Quelques précisions sur la protection des données personnelles dans les relations de travail
La Cour de cassation a apporté des précisions sur la mise en œuvre des règles relatives à la protection des données personnelles dans les relations de travail.
Il convient de préciser à titre liminaire que nonobstant des faits antérieurs à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données et des modifications apportées par la loi n° 2018-493 relative à la protection des données personnelles, les règles de fond envisagées dans cet arrêt sont demeurées les mêmes.
Dans cette espèce, une compagnie aérienne disposait depuis 2005 d’un outil informatique déclaré auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) comme ayant pour finalité d’être réservé à l’encadrement des Personnels navigants techniques (PNT), permettant un suivi de l’activité journalière et un passage de consignes entre les cadres de permanence des sites de Roissy et d’Orly.
Ces informations ayant pour but d’informer les cadres sur les événements liés à l’exploitation et les demandes particulières des pilotes, cette finalité n’avait fait l’objet d’aucune critique de la part de la CNIL au moment de sa déclaration en 2005.
Cette application a été par la suite étendue à l’ensemble de la flotte.
Estimant cette application illicite au regard des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, le syndicat des pilotes de la Compagnie a en premier lieu saisi le juge des référés aux fins de déclarer l’application non conforme à la loi, aux dispositions conventionnelles de la convention collective nationale des PNT et au livre des standards, d’ordonner à la Société de cesser toute utilisation de l’application et la condamner à lui payer des dommages-intérêts.
Aux termes de son arrêt du 13 juin 2018, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du syndicat des pilotes de la Compagnie et a précisé les trois points suivants :
1) Informer les salariés de manière globale sur les données collectées n’est pas déloyal
Constatant que les pilotes avaient, d’une part, été informés préalablement de l’existence de ce traitement automatisé des données à caractère personnel, de sa finalité, des destinataires des données collectées et de leurs droits d’accès, de rectification et de suppression depuis sa date de création, par le biais d’un mémo circularisé sous forme papier et disponible de manière constante sur l’intranet qui leur était dédié, et qu’ils pouvaient, d’autre part, à tout moment accéder directement à l’événement pour y ajouter leurs commentaires, la Cour a considéré que l’application était conforme à l’exigence de loyauté de la collecte posée par l’article 6 1°de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.
2) Sur la finalité du traitement : une appréciation souple
La Cour de cassation a suivi le raisonnement de la Cour d’appel qui a considéré que les cas d’utilisation de données dénoncés par le syndicat comme fautifs n’étant pas à eux seuls suffisants à démontrer l’illicéité de l’application et a donc constaté l’absence de détournement de la finalité déclarée de l’application à des fins de gestion illicite du personnel en violation de l’article 6 2° de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.
3) Sur les données sensibles
En premier lieu, la Cour de cassation a validé le raisonnement de la Cour d’appel qui a considéré que dans la mesure où les indications relatives aux arrêts de travail ne faisaient pas apparaître le motif de l’absence, elles ne pouvaient être considérées comme une donnée relative à l’état de santé bénéficiant de la protection prévue à l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978.
En second lieu, bien que l’application eût mentionné à deux reprises la qualité de gréviste des salariés, la Cour d’appel rappelait que les cas étaient isolés, ancien pour l’un d’eux, rectifiés et résultant d’erreurs commises par les utilisateurs que l’entreprise s’efforçait d’éviter en leur diffusant une liste de termes génériques.
Dès lors, selon la Cour de cassation, la Cour d’appel a pu en déduire qu’il n’était pas établi que l’application litigieuse offrait la possibilité de collecter des données illicites au sens de l’article 8 de la loi précitée.
Par cet arrêt, la Cour de cassation apporte quelques précisions sur les dispositions désormais en vigueur et permet de se demander si in fine elle n’accorde pas un droit à l’erreur à l’employeur.
Précisions jurisprudentielles sur la portée de l’obligation de représentation équilibrée entre femmes et hommes lors des élections professionnelles
Depuis le 1er janvier 2017, les listes de candidats présentées aux élections professionnelles doivent :
– d’une part, être composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale ;
La constatation par le Juge, après l’élection, du non-respect par une liste de candidats de la proportion d’hommes et de femmes entraîne l’annulation de l’élection d’un nombre d’élus du sexe surreprésenté égal au nombre de candidats du sexe surreprésenté en surnombre sur la liste de candidats au regard de la part de femmes et d’hommes que celle-ci devait respecter.
Le juge annule l’élection des derniers élus du sexe surreprésenté en suivant l’ordre inverse de la liste des candidats.
– d’autre part, respecter la règle d’alternance des candidatures (C. trav., art. L. 2314-24-1 et L. 2324-22-1 ; C. trav., art. L.2314-30 nouveau) .
La constatation par le juge, après l’élection, du non-respect par une liste de candidats de la règle de présentation en alternance d’un candidat de chaque sexe entraîne l’annulation de l’élection du ou des élus dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas ces prescriptions (C. trav., art. L. 2314-25 et L. 2324-23 anciens ; C. trav., art. L. 2314-32 nouveau).
La Cour de cassation avait déjà précisé que les règles de représentation équilibrée sont d’ordre public absolu. Ainsi, la signature du protocole préélectoral à l’unanimité prévoyant seulement que les syndicats s’engagent à rechercher les voies et les moyens qui permettraient de parvenir le plus possible à une représentation équilibrée, sans reprendre les règles légales y afférentes, ne peut faire obstacle à la contestation après l’élection des listes de candidats ne respectant pas ces règles (Cass. soc., 9 mai 2018, n° 17-60.133)
En effet, la représentation équilibrée n’est pas une obligation de moyen, et l’élection du candidat du sexe surreprésenté doit être annulée même si le syndicat prouve qu’il n’est pas en mesure de présenter une liste conforme au résultat de la règle de la représentation équilibrée (Cass. soc., 9 mai 2018, n° 17-14.569).
Dans un arrêt du 6 juin 2018, la Haute juridiction fait de nouveau une application rigoureuse des règles de représentation équilibrée qui doivent gouverner l’élaboration des listes de candidats aux élections professionnelles en retenant que c’est bien chaque liste qui doit leur être conforme. Ainsi, même si in fine, la représentation élue reflète exactement la proportion hommes/femmes du collège électoral, cela ne régularise pas les listes irrégulières (Cass., Soc., 6 juin 2018, n° 17-60.263).
En l’espèce, des partenaires sociaux avaient signés un protocole d’accord préélectoral en vue de l’élection des délégués du personnel et du Comité d’entreprise.
Pour l’élection des DP titulaires, trois sièges étaient à pourvoir. Le collège unique était composé à 79% de femmes et 21% d’hommes : les listes devaient alors être composées de deux femmes et un homme.
Cette règle avait été respectée par la CGT, tandis que la CFDT ne présentait que deux femmes. Avaient été élus deux femmes et un homme.
Pour l’élection des membres titulaires du CE pour le 1er collège, six sièges étaient à pourvoir. Le collège étant composé de 73% de femmes et 27%, de sorte que l’application des règles édictées par le Code du travail devait conduire à établir une liste composée de quatre femmes et deux hommes. Cependant, le protocole préélectoral aurait prévu que devaient figurer sur les listes cinq femmes et un homme.
La CFDT a présenté quatre femmes, la CGT deux femmes et un homme, et FO présentait une femme. Cinq femmes et un homme étaient élus à l’issue du scrutin.
Dès lors que les listes présentées dans le cadre des élections des deux instances représentatives du personnel ne respectaient pas les exigences légales en matière de parité femmes/hommes, le syndicat FO saisissait le tribunal d’instance, aux fins que soit prononcée l’annulation de deux mandats d’élus CFDT.
Cette dernière invoquait alors la représentation équilibrée des sexes tant au sein des délégués du personnel que du CE et soutenait à ce titre, que la composition irrégulière des listes de candidats qu’elle ne contestait pas, n’avait pas fait obstacle à l’élection d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part de femmes et d’hommes inscrits sur la liste électorale.
Si le hasard du scrutin a en effet permis, in fine, d’atteindre une représentation équilibrée au sein des deux instances, cette argument est inopérant selon la Cour de cassation qui affirme alors que « La constatation par le juge, après l’élection, du non-respect par une liste de candidats de la règle de l’alternance […] entraîne l’annulation de l’élection de tout élu dont le positionnement sur la liste de candidats ne respecte pas [les prescriptions légales], à moins que la liste corresponde à la proportion de femmes et d’hommes au sein du collège et que tous les candidats de la liste aient été élus ».
Cette décision confirme ainsi que si en cas de méconnaissance par une liste de l’alternance de candidats de chaque sexe, l’élection du candidat dont le positionnement sur la liste n’est pas conforme sera annulée en cas de contentieux, il existe néanmoins une exception à la mise en œuvre de cette sanction si les deux conditions cumulatives suivantes sont réunies :
– la liste doit respecter la proportion de femmes et d’hommes au sein du collège concerné ;
– et tous les candidats présentés sur celle-ci doivent avoir été élus (Cass., Soc., 9 mai 2018, n° 17-60.133).
Par son arrêt du 6 juin 2018, la Haute juridiction confirme que c’est seulement dans cette hypothèse, qu’il n’y a pas lieu de sanctionner le non-respect de la règle de l’alternance hommes/femmes dans l’ordre de présentation des candidats.
Cette règle stricte de l’alternance applicable à l’élaboration des listes de candidats ne souffre ainsi d’aucune autre exception, y compris lorsque les résultats du scrutin aboutissent à ce que la composition de la représentation élue reflète exactement la composition du collège électoral.
Obligation de suspendre la signature du contrat et preuve de l’introduction du recours
Par une ordonnance en date du 25 juin 2018, le Conseil d’État a mis un terme aux positions divergentes des Tribunaux administratifs sur la question de savoir si la notification d’un référé précontractuel au pouvoir adjudicateur devait, ou non, être accompagnée d’une preuve du dépôt de la requête devant le Tribunal pour être regardée comme régulière, et pour emporter la suspension de la signature du contrat.
Le Conseil d’État était saisi en cassation d’une ordonnance du tribunal administratif de Toulon qui n’était pas passée inaperçue et que certains avait pour le moins jugé audacieuse. Le Tribunal administratif de Toulon avait en effet considéré qu’un centre hospitalier ne méconnaissait pas son obligation de suspendre la signature du contrat s’il le signait après avoir été averti par le candidat évincé de ce qu’un référé précontractuel avait été introduit mais sans toutefois que n’y soit adjoint la preuve de ce que le recours avait réellement été introduit.
Le Tribunal rappelait en effet que l’obligation de suspendre la signature du contrat pesait sur le pouvoir adjudicateur à compter, « soit de la notification au pouvoir adjudicateur du recours par le représentant de l’État ou son auteur agissant conformément aux dispositions de l’article R. 551-1 du Code de justice administrative, soit de la communication de ce recours par le greffe du Tribunal administratif ». Et il jugeait alors que, faute pour la société d’avoir envoyé l’accusé de réception du dépôt de recours délivré automatiquement par l’application Télérecours lors de la notification de son recours au Centre hospitalier, le référé précontractuel ne pouvait être regardé comme régulièrement notifié au sens des dispositions de l’article R. 551-1 du Code de justice administrative. Et il en concluait que le Centre hospitalier avait donc légalement pu signer la contrat en l’absence de notification du recours par le Tribunal administratif et de notification régulière par l’auteur du recours (TA Toulon, ordonnance, 15 janvier 2018, Société Hospitalière d’assurances mutuelles, req. n° 1704809).
La décision pouvait se comprendre, d’un certain point de vue. On sait que l’article L. 551-4 du code de justice administrative (CJA) indique que « le contrat ne peut être signé à compter de la saisine du Tribunal administratif et jusqu’à la notification au pouvoir adjudicateur de la décision juridictionnelle ». Et l’on sait aussi que l’article R. 551-1 du CJA dispose que « le représentant de l’État ou l’auteur du recours est tenu de notifier son recours au pouvoir adjudicateur ». Or, cette formule pouvait effectivement suggérer que c’est bien le recours qui doit être notifié au pouvoir adjudicateur, c’est-à-dire la preuve de ce que le candidat évincé à véritablement introduit un recours. Ce raisonnement participe du reste d’une bonne logique : si une telle obligation n’existait pas, un requérant pourrait abusivement retarder la signature d’un marché en notifiant au pouvoir adjudicateur une requête pourtant toujours pas adressée au tribunal.
D’un autre point de vue, retenir l’existence d’une telle obligation, comme avait pu le faire le Tribunal administratif de Toulon, était une manière d’introduire une condition supplémentaire à la suspension de la signature dès lors que les dispositions précitées n’indiquaient pas expressément que la réalité du recours devait être démontrée pour qu’il soit regardé comme notifié. C’est du reste en ce sens que quelque semaine plus tard, le tribunal de Rouen avait jugé que « les dispositions de l’article R. 551-1 du Code de justice administrative n’impose pas que la transmission au pouvoir adjudicateur par la société dont l’offre est rejetée de son recours en référé précontractuel soit accompagnée de l’accusé de réception du dépôt et de l’enregistrement de sa requête au tribunal administratif délivré par l’application télérecours […] Dans ces conditions, la métropole n’est pas fondée à soutenir que la société Gallis ne lui a pas notifié son recours en référé précontractuel dans les conditions prévues à l’article R. 551-1 du Code de justice administrative » (TA Rouen, ordonnance, 24 mai 2018, Société Gallis, req. n° 1801446).
Et c’est cette seconde position que le Conseil d’État a retenue lorsque, saisi de la question à l’occasion du pourvoi contre l’ordonnance du tribunal administratif de Toulon, il a dû se prononcer. Par une ordonnance du 25 juin 2018, le Conseil d’État a en effet jugé que « ni les dispositions précitées [l’article R. 551-1 du CJA], ni aucune autre règle ou disposition ne subordonnent l’effet suspensif de la communication du recours au pouvoir adjudicateur à la transmission, par le demandeur, de documents attestant de la réception effective du recours par le Tribunal ». Et faisant application de ce principe à l’espèce, le Conseil d’État a indiqué « qu’en exigeant ainsi que le demandeur apporte au pouvoir adjudicateur la preuve de la saisine du Tribunal par la transmission de l’accusé de réception du dépôt et de l’enregistrement de la demande délivré par télérecours, et en déduisant qu’en l’absence d’une telle production, le centre hospitalier intercommunal n’avait pas méconnu l’obligation qui pesait sur lui de suspendre la signature du marché et en jugeant que, par suite, le référé contractuel était irrecevable, le juge des référés a entaché son ordonnance d’erreur de droit ».
Le Conseil d’État apporte ainsi une réponse claire et sans équivoque à ce débat : la preuve du dépôt du référé précontractuel devant le Tribunal administratif n’a pas à être jointe à la notification du recours au pouvoir adjudicateur pour qu’elle produise ses effets c’est-à-dire pour que l’obligation de suspendre la conclusion du contrat s’impose au pouvoir adjudicateur.
Intérêt communautaire de la compétence « politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales »
La compétence « politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales d’intérêt communautaire » est exercée de plein droit par les Communautés de communes et les Communautés d’agglomération depuis la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.
Néanmoins, le législateur a associé à cette compétence la définition d’un intérêt communautaire.
Et le législateur indique à propos de la définition de cet intérêt communautaire que celui-ci est déterminé par le conseil de la communauté de communes à la majorité des deux tiers, au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur de l’arrêté prononçant le transfert de compétence. A défaut de définition à l’issue de cette période, la Communauté de communes exerce l’intégralité de la compétence transférée (article L. 5214-16 IV et L. 5216-5 III du CGCT).
S’agissant de la portée de l’intérêt communautaire à définir, on notera qu’un doute a pu émerger : l’intérêt communautaire doit-il porter sur le volet « soutien aux activités commerciales » ou encore « politique locale du commerce » ou bien sur les deux volets ?
La doctrine n’a pas forcément adopté le même point de vue. La tendance qui ressortait penchait plutôt en faveur d’une définition d’un intérêt communautaire portant uniquement sur le volet « soutien aux activités commerciales ».
Néanmoins, une réponse ministérielle récente est venue préciser sans ambiguïté que l’intérêt communautaire doit, au contraire, être défini sur les deux volets de la compétence :
« (…)Toutefois, au sein de cette compétence, la loi distingue la composante « politique locale du commerce et soutien aux activités commerciales d’intérêt communautaire ». Il n’y a pas lieu de traiter de manière distincte la politique locale du commerce du soutien aux activités commerciales. En effet, la définition d’un intérêt communautaire permet l’élaboration d’un projet de développement de la politique locale du commerce et de soutien aux activités commerciales sur un territoire ou une thématique pertinents. En conséquence, le conseil communautaire délibère pour déterminer ce qui relève de sa compétence, à la fois en matière de politique locale du commerce et de soutien aux activités commerciales. Il s’ensuit que les communes membres interviennent dans le champ de la politique locale du commerce et du soutien aux activités commerciales qui n’aura pas été reconnu d’intérêt communautaire. Cette ligne de partage au sein de la compétence « commerce » permet à l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de laisser au niveau communal des compétences de proximité et d’exercer les missions qui, par leur coût, leur technicité, leur ampleur ou leur caractère structurant, s’inscrivent dans une logique intercommunale » (JO sénat du 31 mai 2018, QE03725 , p. 2702)
En ce qui concerne le contenu de la compétence en revanche, ni la jurisprudence, ni la doctrine des services de l’Etat n’apporte, à ce stade, d’éléments pour préciser ses contours.