L’injection « portée » de biogaz dans le réseau : un dispositif de soutien dédié

Arrêté du 30 avril 2019 modifiant l’arrêté du 23 novembre 2011 fixant les conditions d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel

Délibération de la CRE du 4 octobre 2018 portant avis sur les projets de décret et d’arrêté adaptant le dispositif d’obligation d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel pour les installations de production de biométhane livrant à un point d’injection mutualisé après un transport routier

 

L’injection du biométhane dans le réseau de gaz naturel est permise en France depuis 2011[1].

Ce gaz vert est un gaz 100% renouvelable produit localement à partir de résidus agricoles, d’effluents d’élevage et de déchets des territoires. Après épuration, il atteint le même niveau de qualité que le gaz naturel et peut donc être injecté dans les réseaux. On l’appelle alors biométhane. Utilisé comme carburant (BioGNV), il offre une solution économique et écologique pour le transport de marchandises et de personnes.

Si depuis 2011, le nombre d’installations a augmenté progressivement, plusieurs freins techniques au développement de l’injection demeurent (absence de réseau de distribution de gaz dans certaines zones rurales, saisonnalité des besoins en gaz).

L’injection dite « portée » de biométhane peut être une solution pour développer l’injection de biométhane.

Cette solution consiste à acheminer par transport routier le méthane produit et préalablement comprimé ou liquéfié vers un point d’injection sur le réseau de gaz naturel (on parle également de point d’injection « mutualisé »).

L’injection portée permet ainsi à une ou plusieurs unité(s) de méthanisation, en cas d’absence de capacité d’injection sur le réseau de distribution de gaz naturel, de transporter par la route son biométhane vers un poste d’injection.

On parle d’injection portée individuelle quand une unité de méthanisation transporte par la route son biométhane vers un poste d’injection, et d’injection portée mutualisée quand plusieurs unités de méthanisation transportent par la route leur biométhane vers un même poste d’injection.

L’injection portée mutualisée était toutefois peu rentable dans le cadre réglementaire actuel (pertes de recettes dues à la dégressivité du tarif conditionné au point d’injection).

Afin de soutenir la filière de biométhane porté, le Gouvernement s’était alors engagé à étudier la possibilité de donner à une installation de production de biométhane un tarif d’achat déterminé à partir de la production de chaque site de production, mesurée à un autre endroit que le poste d’injection.

Le Gouvernement a donc adapté le dispositif d’obligation d’achat du biométhane injecté dans les réseaux pour les installations de production de biométhane livrant à un point d’injection mutualisé après transport routier (injection « portée »).

Le décret du 30 avril 2019 définit les conditions auxquelles les installations de production de biométhane livrant à un point d’injection mutualisé après un transport routier peuvent bénéficier d’un tarif d’achat dont le caractère dégressif est calculé sur la base de la production du site de production. Ce tarif d’achat est associé à un dispositif de comptage du biométhane produit sur le site de production.

L’arrêté publié le même jour vient quant à lui modifier l’arrêté du 23 novembre 2011 fixant les conditions d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel.

On rappellera enfin que, le 4 octobre 2018, la CRE avait rendu un avis sur ces deux textes (délibération n° 2018-208) aux termes duquel elle avait estimé que la généralisation du dispositif de soutien au biométhane porté devrait s’accompagner de la définition de conditions garantissant qu’il ne se déploie que dans des situations où son intérêt pour la collectivité est avéré.

 

[1] Décret n° 2011-15971 du 21 novembre 2011 relatif aux conditions de contractualisation entre producteurs de biométhane et fournisseurs de gaz naturel, décret n° 2011-15942 du 21 novembre 2011 relatif aux conditions de vente du biométhane aux fournisseurs de gaz naturel pris en application de l’article L. 446-2 du code de l’énergie, arrêté du 23 novembre 2011 modifié fixant les conditions d’achat du biométhane injecté dans les réseaux de gaz naturel.

 

Nouveau projet de loi relatif à l’énergie et au climat du Gouvernement

Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat a été définitivement adopté par le Gouvernement lors du Conseil des ministres du 30 avril 2019.

Ce texte fait suite à une première version du texte dévoilée par le Gouvernement lors de sa saisine pour avis du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), et du Conseil National de la Transition Ecologique (CNTE), en février dernier (voir notre Brève du 10 janvier 2019).

Le projet de loi définitif est composé de six chapitres.

Le chapitre Ier a pour objet de réviser les objectifs de la politique énergétique et climatique fixés par la loi n°2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Il ajoute, par rapport au premier texte, que l’objectif de « neutralité carbone » devra être atteint en « divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050 ».

Le chapitre II vise la création d’un Haut Conseil pour le Climat dont la mission essentielle est de prendre en charge les missions du comité d’experts visé à l’article L. 222-1 D du Code de l’environnement et à l’article L. 145-1 du Code de l’énergie.

Les chapitres III à V sont quasi identiques au premier projet de loi.

Pour mémoire donc, le chapitre III prévoit de nouvelles mesures de simplification relatives à l’autorisation environnementale visée à l’article L. 122-1 et suivants du Code de l’environnement.

Le chapitre IV porte sur le renforcement la lutte contre la fraude aux certificats d’économies d’énergies, notamment par le contrôle des demandeurs de CEE par un organisme tiers.

Le chapitre V prévoit l’habilitation du Gouvernement pour la mise en œuvre du Paquet intitulé « Une énergie propre pour tous les européens », soit en vue de la transposition et de l’adaptation du droit national aux nouvelles et futures directives et règlements européens relevant dudit Paquet (voir notre Brève du 10 janvier 2019).

On signalera, à cet égard, que le Parlement européen a adopté, le 26 mars dernier, les quatre propositions législatives restant à adopter dans le cadre du Paquet susvisé. Le Conseil européen devra se prononcer, à son tour, sur lesdites propositions lors d’un vote qui se tiendra courant du mois de mai en cours.

Enfin, le chapitre VI du projet de loi sur la « régulation de l’énergie » est la principale nouveauté de la version définitive du projet de loi.

Ce chapitre prévoit deux habilitations du Gouvernement lui autorisant à modifier, par voie d’ordonnance, la procédure du Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDIS) de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), d’ouvrir la possibilité pour la CRE d’agir devant les juridictions, ainsi que celle de transiger sur les demandes de restitution de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) aux titres des années 2009 à 2015[1].

Ce chapitre VI prévoit également des modalités d’adaptation du complément de prix applicable au dispositif d’Accès Régulé à l’Energie Nucléaire Historique (ARENH) lorsque son plafond fixé à 100 térawattheures (TWh) par an est atteint.

On précisera que le projet de loi a été déposé devant l’Assemblée nationale, et ce dès son adoption par le Conseil des ministres, pour une première lecture du texte.

L’adoption de ce projet de loi suivra une procédure accélérée dans les conditions de l’article 45 de la Constitution de la République française.

 

[1] En application de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 25 juillet 2018, SAS Messer France (affaire C-103/17) et celui du Conseil d’Etat du 3 décembre 2018, SAS Messer France (n° 399115).

Emprise irrégulière par le réseau de distribution d’électricité : pas d’injonction de déplacer l’ouvrage en dehors de la propriété privée

Des particuliers sollicitaient, pour la réalisation d’un projet de construction d’aires de stationnement et de retournement avec système d’éclairage personnel sur leur parcelle privée, l’enlèvement d’une ligne surplombant la parcelle ainsi que du poteau implanté sur ladite parcelle. Ces deux ouvrages du réseau de distribution d’électricité faisaient selon eux obstacle à la réalisation de leur projet de construction.

La société Enedis avait donné son accord pour prendre en charge le coût du déplacement du support de quelques mètres à l’intérieur de leur propriété, afin de permettre la réalisation du projet de construction, et proposé la signature d’une convention de servitude. La société avait en revanche refusé de reconnaître le caractère irrégulier de l’emprise et rejeté la demande d’enlèvement des lignes et du support hors de la propriété

Les riverains avaient alors porté le litige devant le Tribunal administratif de Marseille, lequel a partiellement fait droit à leur demande par un jugement du 8 décembre 2016.

Le Tribunal a retenu le caractère irrégulier de l’emprise de la ligne électrique surplombant la propriété et celle du poteau en constituant le support, et annulé la décision de la société ERDF (devenue ensuite Enedis) en date du 28 avril 2014, en tant qu’elle refusait de reconnaître le caractère irrégulier de l’emprise. Le Tribunal a également enjoint à la société Enedis, afin de régulariser l’emprise, de proposer à nouveau aux riverains la signature d’une convention de servitude conclue sur le fondement de l’article 1er du décret n° 67-886 du 6 octobre 1967 portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie et de la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, avec prise en compte du déplacement, dont le coût est à la charge de la société Enedis, du support et de la ligne sur la distance nécessaire, à l’intérieur de leur propriété, à la réalisation de leur projet, et ce dans un délai de cinq mois à compter de la notification du jugement. Le Tribunal n’avait donc pas fait droit à leur demande initiale portant sur le déplacement des ouvrages en dehors de leur propriété.

Les riverains ont fait appel de cette décision.

Dans sa décision du 29 avril 2019, la Cour administrative d’appel de Marseille commence par relever que c’est à tort que le Tribunal a jugé possible la régularisation de l’emprise irrégulière par la conclusion d’une convention de servitude sur le fondement du décret du 6 octobre 1967 précité. La Cour relève en effet que ces dispositions ne peuvent trouver à s’appliquer « en présence, comme en l’espèce, d’une propriété bâtie et close de murs, sauf à engager, ce qui n’a pas été fait, une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique » (Voir également en ce sens : CAA Lyon, 22 décembre 2015, ERDF c/ M. et Mme A, req. n° 15LY03078).

La Cour rappelle ensuite qu’une régularisation par voie de convention amiable constitue la seule solution pour instituer une servitude sur un terrain bâti et clos de murs et qu’elle est en l’espèce impossible à mettre en œuvre du fait du refus réitéré des riverains de conclure une telle convention et du fait du désaccord persistant sur la partie en charge des travaux.

Conformément à l’office du juge administratif en la matière, la Cour rappelle donc que « lorsque le juge administratif constate qu’une régularisation appropriée est impossible, il lui revient de prendre en considération, d’une part, les inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence et notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d’assiette de l’ouvrage, d’autre part, les conséquences de la démolition pour l’intérêt général, et d’apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n’entraîne pas une atteinte excessive à l’intérêt général ».

La Cour constate alors que la présence de l’ouvrage du réseau de distribution d’électricité prive les requérants de jouir pleinement de l’ensemble immobilier dont ils sont propriétaires. La Cour rappelle cependant les inconvénients exposés par la société Enedis qui pourraient résulter du déplacement du pylône et de la ligne électrique. En particulier, la Cour rappelle que le coût de l’enfouissement de la ligne en dehors de leur propriété s’élèverait à 60 249 euros TTC, contre 8 201,56 euros HT pour un déplacement du poteau de quelques mètres dans la propriété. La Cour rappelle en outre que l’enfouissement des ouvrages en dehors de la propriété des requérants nécessitera l’accord du gestionnaire de la voirie, « et éventuellement celui des propriétaires des parcelles susceptibles de recevoir l’armoire de dérivation ». La Cour rappelle enfin « l’impact de la coupure de la ligne le temps des travaux, sur les cinquante-trois personnes desservies par ce réseau ».

Dès lors, la Cour considère que si c’est à tort que le Tribunal a estimé régularisable l’emprise irrégulière, en revanche, « eu égard à l’atteinte excessive que porterait cette solution à l’intérêt général », l’irrégularité de l’emprise n’implique pas pour autant le déplacement du poteau et de la ligne dans les conditions réclamées par les requérants.

La Cour annule donc le dispositif d’injonction prononcé par le Tribunal mais rejette le reste de la requête des requérants.

Confirmation de la possibilité d’intégrer des travaux liés à l’éclairage public dans la redevance « R2 » de concession de distribution d’électricité

CAA Lyon, 11 avril 2019, Syndicat intercommunal d’électricité et de gaz du Puy-de-Dôme (SIEG 63), req. n° 18LY02782

La Cour administrative d’appel de Lyon a, par deux décisions du 11 avril 2019, apporté d’intéressantes précisions sur le principe même de l’intégration de dépenses liées au réseau d’éclairage public dans le terme E de la redevance de concession de distribution publique d’électricité dite « R2 ».

Pour mémoire, cette redevance est due au concédant par la société Enedis, gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, au titre des dépenses d’investissements engagées sur le réseau concédé par le concédant ou ses adhérents. Parmi les termes qui composent la formule de calcul de la redevance R2 (dans les contrats établis sur la base du modèle négocié par la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et des Régies (FNCCR) et la société EDF en 1992) figure le terme E défini comme « le montant des travaux d’investissements sur installations d’éclairage public, mandaté au cours de l’année pénultième par les collectivités exerçant la maîtrise d’ouvrage de ces travaux ».

Les litiges à l’origine des deux arrêts concernent l’intégration par le Syndicat intercommunal d’électricité et de gaz du Puy-de-Dôme (ci-après, SIEG 63), dans le terme E de la redevance R2 due au titre des années 2014 et 2015, de sommes exposées par la commune de Clermont-Ferrand au titre de travaux d’installation d’un système de télégestion sur le réseau d’éclairage public communal. La société Enedis, concessionnaire sur le territoire de cette commune, a contesté auprès du Tribunal administratif de Clermont-Ferrand les titres de recettes émis par le Syndicat en vue de percevoir la redevance R2 correspondant à ces travaux.

On précisera en liminaire que si la solution rendue par le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand est différente dans les deux litiges (annulation du titre dans un cas et rejet de la requête dans l’autre), on comprend de l’analyse des deux arrêts que cette divergence résulte du contenu respectif des deux requêtes introduites par la société Enedis qui différait vraisemblablement.

En effet, dans l’arrêt n° 16LY04349 statuant sur le jugement du Tribunal administratif de Clermont Ferrand du 20 octobre 2016, les premiers juges avaient rejeté la requête dirigée par la société Enedis à l’encontre d’un titre de recettes portant sur l’année 2014, en estimant notamment que la société Enedis ne pouvait être regardée, dans cette instance, comme se prévalant de l’illicéité (alléguée) du mécanisme contractuel prévoyant que la redevance R2 puisse porter sur des sommes étrangères au service public de la distribution d’électricité.

A l’inverse, dans l’instance n° 18LY02782 statuant sur le jugement du Tribunal administratif de Clermont Ferrand du 23 mai 2018 portant sur l’année 2015, les premiers juges avaient annulé le titre de recettes en estimant que les stipulations contractuelles intégrant, dans la redevance de concession R2, des sommes correspondant à des travaux réalisés sur le réseau d’éclairage public « étaient illicites dès lors que la charge résultant des travaux d’investissement relatifs au développement et au renouvellement des installations d’éclairage public constitue une dépense distincte de celle de la distribution de l’électricité ».

Il s’agissait là d’une remise en cause directe des dispositions contenues dans la totalité des contrats de concession de distribution d’électricité conclus sur la base du modèle négocié par EDF et la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et des Régies (FNCCR) en 1992. Mais, dans les deux arrêts du 11 avril 2019 ici commentés, la Cour administrative de Lyon adopte une position contraire à celle du Tribunal.

Ainsi, dans chacun des deux arrêts, la Cour conclut à la licéité des clauses contractuelles en relevant qu’« à la date à laquelle les parties ont conclu la convention de concession, en 1993, les réseaux d’éclairage public étaient intégrés, au moins pour partie, au réseau de distribution publique de l’électricité. L’autorité concédante et le concessionnaire ont contractuellement admis, en affectant la valeur E d’un coefficient de 0,30, que cette part des réseaux communs d’éclairage public et de distribution d’énergie électrique devait être évaluée à 30 % ». La Cour en déduit que « les stipulations contractuelles qui intègrent dans la formule de calcul de la part R2 de la redevance de concession une part des dépenses d’investissement se rapportant au réseau d’éclairage public n’étaient pas illicites, à la date de la conclusion du contrat, dès lors qu’elles ne mettaient pas à la charge du concessionnaire des dépenses d’investissement étrangères au réseau concédé » (considérant n° 7 de l’arrêt n° 18LY02782 et considérant n° 10 de l’arrêt n° 16LY04349).

La société Enedis soutenait néanmoins que, postérieurement à la conclusion du contrat, l’évolution des normes et de la pratique avait eu pour conséquence de dissocier les réseaux de distribution d’électricité et d’éclairage public qui ne partagent plus autant de dispositifs communs.

Mais la Cour administrative d’appel de Lyon écarte cet argumentaire en relevant (considérant n° 8 de l’arrêt n° 18LY02782 et considérant n° 11 de l’arrêt n° 16LY04349) :

  • que la société Enedis n’a jamais sollicité, en conséquence de cette dissociation progressive alléguée des réseaux d’éclairage public et de distribution d’électricité, de modification du coefficient de 0,30 prévu par le contrat ;
  • que, de surcroit, il ne serait pas établi, en l’espèce, que les deux réseaux seraient totalement dissociés sur le territoire de la commune de Clermont Ferrand à la date à laquelle les travaux d’installation du système de télégestion, dont le montant a été intégré à la redevance, ont été réalisés ;
  • qu’enfin, il n’est pas davantage établi par la société Enedis, que les travaux réalisés par la Commune de Clermont Ferrand sur son réseau d’éclairage public « dont l’objectif est de réaliser des économies d’énergie, n’auraient aucune incidence sur le réseau de distribution d’énergie électrique, même séparé du réseau d’éclairage public, dès lors qu’ils permettent en particulier d’éviter ou à tout le moins de différer le renforcement du réseau concédé ».

La Cour en déduit que les stipulations contractuelles n’étaient pas illicites à la date de conclusion du contrat, et ne le sont pas davantage devenues par la suite. La Cour censure le jugement du Tribunal du 23 mai 2018 en tant qu’il a annulé le titre de recettes pour ce motif.

Ce faisant, la Cour se prononce dans le même sens que le Tribunal administratif de Nantes qui, dans un jugement du 23 mai 2018 (Tribunal administratif de Nantes, 23 mai 2018, Sté Enedis c/ Nantes Métropole, req. n° 1601454 et 1605763 ; voir notre commentaire dans notre Lettre d’actualité Energie & Environnement du mois de septembre 2018), avait retenu un raisonnent analogue en jugeant « qu’il résulte de l’instruction que les parties ont entendu intégrer une part des dépenses d’investissement effectuées par le concédant et se rapportant au réseau d’éclairage public dans le formule de calcul de la redevance R2 en raison de l’existence d’ouvrages d’éclairage public indissociables des ouvrages de distribution électrique, lesquels peuvent partager un même support ou un fil conducteur commun ; qu’il résulte du point 3 que les parties ont contractuellement admis que le forfait de 30 % du total des dépenses d’investissement effectuées sur le réseau d’éclairage public est réputé ne concerner que des ouvrages indissociables du réseau de distribution électrique ; qu’il suit de là que la société Enedis ne peut utilement demander que soient exclus de l’assiette de la redevance les dépenses d’investissement relatives aux dispositifs de télécommande et de programmation du réseau d’éclairage public au seul motif qu’elles seraient par nature dissociables du réseau de distribution électrique concédé ».

 

Par ailleurs, la Cour écarte l’ensemble des autres moyens qui étaient soulevés par la société Enedis à l’encontre de chacun des deux titres de recettes, et juge:

  • s’agissant de l’année 2015 uniquement, que le titre de recettes satisfait aux dispositions de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 et de l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales dès lors qu’il comporte le nom, prénom et qualité de son signataire, et de surcroit que le bordereau du titre de recettes comporte la signature de l’émetteur du titre (le moyen n’était pas soulevé dans le cadre du titre portant sur l’année 2014) ;
  • s’agissant de l’année 2015 uniquement, que l’identité du comptable public n’a pas à figurer sur le titre de recettes (le moyen n’était pas soulevé dans le cadre du titre portant sur l’année 2014) ;
  • que la société Enedis a été régulièrement informée des bases et des éléments de calcul de la dette dont il lui est demandé le règlement par chacun des deux titres ;
  • que les travaux réalisés par la commune de Clermont Ferrand ont été valablement intégrés dans le terme E de la redevance R2 dès lors qu’ils contribuent au développement et au renouvellement des installations d’éclairage ;
  • que les stipulations contractuelles organisant le processus d’établissement des termes de la redevance ont été respectées dès lors que des échanges ont eu lieu, que le SIEG 63 a transmis à la société Enedis des documents et que ladite société n’a, à aucun moment, sollicité d’éléments ou précisions complémentaires qui lui auraient été refusés ;
  • que le titre ne peut être regardé comme portant sur des travaux non éligibles au terme E dès lors que, si effectivement certains travaux sans lien avec le développement et le renouvellement des installations d’éclairage figurent dans le tableau récapitulatif des travaux éligibles au terme E établi par le SIEG 63, en définitive après concertation avec la société Enedis, le montant total des travaux éligibles a été ramené par le SIEG 63 à une somme de 623 690,28 euros, en lieu et place d’une somme globale de 963 085, 69 euros figurant dans le tableau initial ;
  • qu’il ne résulte pas de l’instruction que les aides versées par la Caisse des dépôts et consignations au titre des travaux de mise en place du système de télégestion n’auraient pas été déduites des sommes sollicitées par le SIEG 63.

Nouveau point d’étape sur l’opposition au déploiement des compteurs « Linky »

Au centre des débats ces dernières années, les compteurs communicants d’électricité, dits compteurs « Linky », doivent constituer l’une des principales innovations du réseau public de distribution d’électricité.

Contrairement aux anciens, les compteurs « Linky » peuvent collecter et transmettre le relevé de consommation d’électricité à distance, de limiter le relevé physique et de permettre une consultation facilitée pour l’usager. Ils sont en cours d’installation au sein des foyers français et leur nombre devrait atteindre 35 millions d’ici à 2021.

Pour y parvenir, les compteurs Linky, et leur déploiement, sont strictement encadrés par le Code de l’énergie (I). L’opposition de la population contre ce déploiement, qui s’est surtout manifestée par l’action de nombreuses collectivités, a nourri un contentieux abondant (II), et de nouveaux enseignements sont à tirer des récentes décisions rendues sur le sujet (III).

I. Rappel du cadre juridique du déploiement des compteurs « Linky »

La directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009[1] a fixé un objectif pour les Etats membres d’équiper les clients de « systèmes intelligents de mesure » de leur consommation d’électricité, à une échéance de dix ans, et selon les résultats d’une évaluation économique de leur mise en place.

En droit national, les missions du gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité visent notamment les activités de comptage de l’électricité consommée. Cette mission comprend la fourniture, la pose, le contrôle, l’entretien et le renouvellement des compteurs électriques, ainsi que la gestion des données issues de l’activité de comptage (cf. art. L. 322-8-7° du Code de l’énergie).

L’article L. 341-4 du Code de l’énergie impose également aux gestionnaires du réseau de prévoir des dispositifs permettant à la fois aux consommateurs de limiter leur consommation pendant les périodes où les prix sont les plus élevés, et aux fournisseurs de proposer des prix différents dans l’année ou la journée.

Cette volonté de permettre aux consommateurs d’électricité de maitriser leur propre consommation s’est renforcée avec la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement. Depuis cette loi, la réduction de la consommation d’énergie est un objectif de politique énergétique auquel la pose de compteurs intelligents doit contribuer.

Pour atteindre concrètement cet objectif, les conditions de mise en œuvre des compteurs « Linky », et notamment le calendrier de leur déploiement, ont été fixés par le décret n° 2010-1022 du 31 août 2010 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics d’électricité, dont les dispositions sont codifiées aux articles R. 341-4 et suivants du Code de l’énergie.   

Ainsi, pour la société Enedis d’une part, et les Entreprises Locales de Distribution d’Electricité (ELD) de plus de 100 000 clients d’autre part, 95 % des compteurs devaient être installés au 31 décembre 2016 et au 31 décembre 2020 pour les autres gestionnaires de réseaux.

Ce calendrier a été ajusté en 2015 avec l’objectif de 80 % des compteurs communicants installés au 31 décembre 2020, puis 100 % au 31 décembre 2024.

En novembre 2017, la société Enedis a annoncé que sept millions de ménages ont été équipés du compteur Linky[2]. Ce déploiement en cours se poursuivra jusqu’en 2021.

II. L’état des lieux de la jurisprudence relative aux compteurs « Linky »

L’annonce puis le déploiement progressif des compteurs Linky ont suscité des inquiétudes de la part de la population liées principalement à l’inviolabilité de leur propriété privée, à la protection de leur vie privée et à la santé humaine.

Ces inquiétudes se sont manifestées par une opposition farouche aux compteurs Linky de nombreux usagers au travers d’actions individuelles et collectives (refus de pose, saisine du juge judiciaire), ainsi que par la prise de délibérations ou d’arrêtés par des communes interdisant ou aménageant les conditions d’installation des compteurs Linky (voir notre Focus d’avril 2016).

Depuis lors, nombreuses sont donc les décisions de justice qui ont été rendues à la suite de ou contre ces actions.

Concernant tout d’abord la violation de la propriété privée, le Tribunal administratif de Toulouse a admis, de manière indirecte, que le respect du droit de propriété exigeait le consentement des usagers pour l’installation des compteurs au sein de leur domicile (cf. TA Toulouse, ord., 10 septembre 2018, Commune de Blagnac, n°1803737 – voir notre Brève d’octobre 2018).

Et le ministre de la transition écologique et solidaire a précisé, dans une réponse du 13 mars 2018, que « le gestionnaire de réseau doit procéder au remplacement du compteur en respectant notamment le droit de la propriété lorsque le compteur n’est pas situé sur l’espace public ou dans un endroit accessible », même si « dans le cadre de son contrat […], le client s’engage à permettre l’accès au compteur pour le gestionnaire de réseau »[3].

S’agissant ensuite de la protection de la vie privée, la jurisprudence a régulièrement considéré que les compteurs Linky ne portent pas atteinte à la vie privée[4], à l’appui notamment des recommandations de la Commission Nationale des Libertés Informatiques (CNIL)[5]. En effet, l’accès aux données à caractère personnel issues des compteurs communicants est soumis à l’accord des consommateurs et à des règles de confidentialité spécifiques (cf. art. R. 341-4 et suivants du Code de l’énergie).

Récemment, le Conseil d’Etat a estimé que trois communes, agissant au nom de leurs administrés, n’avaient pas intérêt à agir pour demander l’annulation d’une décision de clôture de la CNIL relative à la plainte desdites communes sur les risques d’atteinte à la vie privée des compteurs Linky (cf. CE, 11 juillet 2018, Communes de Troyon, de Fontenay-sous-Bois et de Tarnos, n° 413782).

S’agissant spécifiquement des délibérations arrêtés municipaux relatifs aux compteurs Linky, on rappellera que l’installation des compteurs Linky s’inscrit dans le cadre des contrats de concession pour le service public de la distribution d’énergie électrique conclues entre les communes, le gestionnaire de réseau et le fournisseur d’électricité aux tarifs réglementés.

A ce titre, les compteurs Linky relèvent des ouvrages basse tension des réseaux publics de distribution d’électricité et sont la propriété des collectivités territoriales concédantes[6].

Toutefois, lorsque la commune a transféré sa compétence d’autorité organisatrice de distribution d’électricité (AODE) sur son territoire à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ou à un syndicat mixte d’électricité, la commune n’est pas partie au contrat de concession et c’est l’AODE qui est l’autorité concédante de la distribution publique d’électricité.

Dans ces conditions, le juge administratif a estimé que la commune est incompétente pour prendre un arrêté interdisant ou encadrant les conditions d’installation des compteurs Linky (voir notre Brève de novembre 2018)[7]. Il suspend également de tels arrêtés municipaux au motif d’un doute sérieux de légalité tiré de l’incompétence du maire (voir notre Brève de juillet 2016[8]).

Reste néanmoins que l’arrêté municipal (et il en irait de même d’une délibération du conseil municipal), se bornant à un simple rappel au droit de propriété et au respect de la vie privée des usagers à destination du gestionnaire de réseaux lors de l’installation des compteurs Linky, n’est pas susceptible de recours en annulation (cf. TA Toulouse, ord., 10 septembre 2018, préc.).

Pour ce qui est enfin du principe de précaution et des risques pour la santé, estimant que les ondes des compteurs n’excèdent pas les seuils réglementaires, ni ceux l’Organisation mondiale de la santé, le Conseil d’Etat a jugé que « le Gouvernement n’avait pas (…) à procéder à une évaluation des risques des effets de ces rayonnements ou à adopter des mesures provisoires et proportionnées » (cf. CE, 20 mars 2013, Association Robin des Toits, n°354321).

Cette jurisprudence a été suivie depuis, mais une exception demeure : l’exposition des personnes hyper-électrosensibles aux ondes émises par les compteurs (ou syndrome de l’hyper-sensibilité électromagnétique).

III. Les enseignements à tirer de la jurisprudence récente

Comme le remarque la Cour des comptes dans son rapport public annuel 2018, les oppositions aux compteurs Linky ont eu « un impact limité, puisqu’elles n’ont conduit à ne pas poser moins de 0,6 % des 6,1 millions de compteurs dont l’installation était prévue entre décembre 2015 et septembre 2017 » (cf. notre Brève de mars 2018).

Dans le rapport critique précité, la Cour des comptes a toutefois conclu que le financement des compteurs Linky présente un surcoût excessif à supporter par les consommateurs, que le pilotage du projet n’a pas été suffisamment efficace et que les gains espérés des compteurs sont insuffisants.

De son côté, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) a également émis un avis critique en date du 28 septembre 2018 sur les fonctionnalités des compteurs (voir notre Brève d’octobre 2018).

Toutefois, les enseignements à tirer de l’état actuel de la jurisprudence ne portent pas sur les conséquences des compteurs Linky sur la collectivité publique au sens large, mais sur l’impact à titre individuel de leur déploiement au sein des foyers français.

Une vigilance doit donc être portée, à la fois sur le consentement personnel des usagers à l’installation des compteurs au sein de leurs domiciles, mais aussi à l’égard des personnes en situation de fragilité particulière telles que les personnes électro-hypersensibles.

A cet égard, le Tribunal de grande instance (TGI) de Bordeaux a récemment jugé, dans une ordonnance du 23 avril 2019, que « le déploiement du compteur Linky ne devrait s’effectuer qu’accompagné du montage de filtres, dont la société ENEDIS ne conteste pas l’existence technique », et ce lorsqu’il concerne des personnes électro-hypersensibles. Cette ordonnance confirmerait une décision rendue, dans le même sens, le 12 mars dernier, par le TGI de Toulouse.

C’est également dans ce cadre de protection de l’individu que l’arrêté du maire d’une commune peut rappeler aux gestionnaires de réseaux le droit des usagers de refuser l’accès à leur logement ou propriété pour l’installation des compteurs et que les données collectées par le compteur soient transmises à des tiers partenaires commerciaux de l’opérateur (cf. TA Toulouse, ord., 10 septembre 2018, préc.).

 

[1] Cf. directive 2009/72/CE du Parlement Européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE.

[2] Voir : https://www.enedis.fr/linky-un-projet-industriel

[3] Rep. min. du 13 mars 2018, JO A.N., page 2158, sur question n° 2243 du 24 octobre 2017, JO A.N., page 5113.

[4] cf. TA Toulouse du 8 mars 2017, Préfet de l’Aveyron, n°s 1603808 ; TGI Bordeaux, ord., 23 avril 2019, rôle 19/75.

[5] Position de la CNIL du 30 novembre 2015 sur les compteurs communicants Linky et délibération n° 2012-404 du 15 novembre 2012 portant recommandation relative aux traitements des données de consommation détaillées collectées par les compteurs communicants.

[6] Cf. CAA Nancy, 12 mai 2014, M. M. et autres, n° 13NC01303.

[7]Cf. CAA Nantes, 5 octobre 2018, Commune de Cast, n° 17NT01495 ; CAA Nancy, 2 août 2018, Commune de Steinbrunn-Le-Bas, n° 18NC02046 ; CAA Nantes, 5 octobre 2018, Commune de Bovel, n° 17NT01495.

[8] cf. CAA Marseille, 8 mars 2019, Commune de Barjols, n° 19MA00537 ; CAA Bordeaux, 18 mars 2019, Commune de Montesquieu-Guittaut, n°s 18BX03980, 18BX04018.

 

Par Marie-Hélène Pachen-Lefèvre et Maxime Gardellin

La nécessité d’une mise en concurrence préalable à la délivrance des titres d’occupation du domaine privé ?

Par une réponse ministérielle en date du 29 janvier 2019, le Ministre de l’action et des comptes publics a indiqué que, quand bien même les règles de droit interne régissant l’attribution des titres d’occupation sur le domaine privé des personnes publiques n’ont pas été modifiées par l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, il résulte de la décision Promoimpresa de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 juillet 2016 (affaires n° C-458/14 et C67/15) que « les autorités gestionnaires du domaine privé doivent [ ] mettre en œuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du code général de la propriété des personnes publiques ».

Cette position est surprenante, et sans doute discutable, en ce qu’elle donne une portée générale à l’obligation de mettre en œuvre une procédure préalable à la délivrance de titres d’occupation du domaine privé, alors que la jurisprudence européenne Promoimpresa n’impose de mettre en œuvre une procédure de mise en concurrence que lorsque « le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables », c’est-à-dire lorsque schématiquement le nombre d’autorisations disponibles n’est pas suffisant par rapport à la demande.

Un « sujet du mois » de la Lettre d’actualités juridiques sera, d’ici l’été, consacré aux règles régissant l’attribution des titres d’occupation du domaine privé des personnes publiques.

Requalification d’une autorisation d’occupation du domaine public et qualification de l’espace situé au-dessus de la Seine

Par un avis du 22 janvier 2019, le Conseil d’Etat a répondu aux questions posées par le gouvernement sur deux sujets essentiels : la potentielle requalification d’une autorisation domaniale en contrat de la commande publique, et la qualification domaniale qu’il faut donner à l’espace qui se situe au-dessus de la Seine.

Au printemps 2018, la ville de Paris a lancé un appel à projets pour désigner un opérateur en charge de la conception et de la réalisation de trois passerelles sur la Seine, ainsi que pour assurer l’animation touristiques des sites. Et le « cahier des charges » attaché à cette procédure comportait de nombreuses prescriptions, lesquelles pouvaient être de nature à faire basculer le montage dans le champ de la commande publique.

Tout l’enjeu était en effet de déterminer si les prescriptions fixées n’avaient pas, in fine, pour objet de satisfaire un besoin de la ville de Paris, et/ou à tout le moins des personnes publiques partenaires. Par cet avis, le Conseil d’État expose la démarche à suivre : il faut apprécier si le contrat a pour objet de satisfaire un besoin précisé par la Ville et s’il rémunère en contrepartie l’opérateur désigné.

La satisfaction d’un besoin public relevait ici de l’évidence : dans la mesure où la réalisation des passerelles avait pour objectif de faciliter les déplacements au sein de la capitale, il est clair que le montage répondait à un besoin de la Cité. L’enjeu se situait donc ailleurs : il fallait apprécier si la Ville entendait pour autant préciser son besoin, c’est-à-dire si elle avait exercé une influence déterminante sur les ouvrages. Et, sur ce terrain, la réponse du Conseil d’Etat est en effet intéressante. D’un certain point de vue, la réponse s’imposait : dans la mesure où la Ville imposait la réalisation d’un ouvrage bien particulier, une passerelle, elle exerçait nécessairement une influence déterminante sur la nature de l’ouvrage. Mais le Conseil d’État se place toutefois sur un autre terrain. Outre la « présomption de réponse à un besoin de la personne publique » qui découle de l’inscription des ponts sur la « liste des activités qui sont des travaux en droit de la commande publique », et qui rend l’examen de cette condition ici caduque, il indique qu’en tout état de cause, la ville a exercé une influence sur la conception de l’ouvrage à raison des prescriptions tenant au maintien des activités économiques et industrielles déjà en place, et à la mise en œuvre d’une démarche écologique/durable.

Enfin, et l’avis est ici aussi éclairant, le caractère onéreux est également considéré comme vérifié sur le fondement d’une présomption attachée à « la seule mention » d’un modèle économique dans l’appel à projets : alors même que ce « plan d’affaires » n’est pas connu au jour du lancement de l’appel à projets, le Conseil d’Etat indique qu’il ressort de cette mention que l’opération aura fatalement pour contrepartie, soit un prix, soit (aussi) un droit d’exploitation.

L’ensemble des critères attachés à la définition d’un contrat de la commande publique étant satisfaits, le Conseil d’Etat en conclut que la procédure d’appel à projets engagée doit être abandonnée à raison du vice qui l’entache : elle ne peut être regardée comme satisfaisant l’une des procédures de publicité prévues au titre de la commande publique.

Le gouvernement souhaitait également savoir s’il pouvait effectivement octroyer des droits réels au titulaire de l’autorisation d’occupation du domaine, et ce alors même que l’autorisation allait porter pour l’essentiel sur l’espace situé au-dessus de la Seine, laquelle appartient au domaine public fluvial naturel, dont on sait qu’il ne peut donner lieu à l’octroi d’aucun droit réel (article L. 2122-5 du CG3P). Et l’avis est ici riche d’enseignements, puisque le Conseil d’Etat indique, par parallélisme avec sa jurisprudence relative au domaine maritime naturel, que l’espace situé au-dessus de la Seine n’appartient pas au domaine public fluvial naturel, et ne suit donc pas le même régime. Et, dans la mesure où les passerelles ne reposent pas sur des piliers implantés dans la Seine, l’autorisation domaniale ne porte pas, à ce titre non plus, sur le domaine public fluvial naturel. Le Conseil d’Etat donne donc son feu vert pour l’octroi de droits réels sur cette part « aérienne » du domaine public.

Précieux sur ces deux sujets, un « sujet du mois » de la Lettre d’actualité juridique sera consacré à cet avis dans un prochain numéro.

Régularité de la procédure de passation d’un contrat de concession d’une durée de douze ans

Par une décision en date du 8 avril 2019, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la durée pouvant être fixée à un contrat de concession en vertu de l’article 34 de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et de l’article 6 du décret n° 2016-86 du 1er février 2016[1].

En janvier 2018, la Commune de Cannes a lancé une procédure de passation en vue de sous-concéder l’exploitation d’une plage artificielle dont le droit d’exploitation lui a été concédé par l’Etat pour une durée de douze ans. Ayant vu son offre rejetée, un candidat évincé a introduit un référé précontractuel conduisant le Tribunal administratif de Nice à annuler la procédure de passation de la concession.

Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance de référé et a confirmé la régularité de la procédure de passation du contrat de concession.

Rejetant les moyens soulevés par le requérant, le Conseil d’Etat a notamment estimé que le sous-critère de sélection des offres sur le chiffre d’affaires prévisionnels est irrégulier car il « repose sur les seules déclarations des soumissionnaires, sans engagement contractuel de leur part et sans possibilité pour la commune d’en contrôler l’exactitude ».

En l’espèce, le manquement n’a pas été retenu par le Conseil d’Etat au motif qu’il n’a pas lésé le requérant dont l’offre était mieux notée que celle de l’attributaire sur le critère « qualité du projet » prévalant, par ordre décroissant, sur celui du prix.

Par ailleurs, le requérant avait également critiqué la durée de douze ans du contrat de concession d’exploitation de la plage au motif qu’elle serait excessive.

Rappelant que la durée des contrats de concession est limitée « en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire » par l’autorité concédante, le Conseil d’Etat a considéré que la commune n’apportait pas d’éléments suffisants pour justifier une durée de douze ans du contrat litigieux.

Compte-tenu des circonstances de l’espèce et, certainement, de la durée de douze ans d’exploitation que l’Etat a accordée à la Commune, le Conseil d’Etat a tout de même admis que la durée de la sous-concession de plage ne constituait pas un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

Un rappel utile visant à ce que les autorités concédantes s’assurent de pouvoir justifier de la durée qu’elles entendent fixer aux contrats de concession avant leur conclusion.

[1] Les dispositions des articles L. 3114-7, L. 3114-8, et R. 3114-1 et suivants du Code de la commande publique s’appliquent désormais aux les contrats de concession conclus ou dont la procédure de passation a été engagée à compter du 1er avril 2019.

Annulation par le Conseil d’Etat d’une concession d’aménagement entièrement exécutée pour les vices entachant sa validité

Par une décision en date du 15 mars dernier, le Conseil d’Etat a annulé rétroactivement une concession d’aménagement, arrivée à son terme, en raison des vices ayant entachés gravement sa validité.

En août 2011, la Commune de Saint-Tropez a conclu avec la société Kaufman & Broad Provence une concession d’aménagement portant sur la restructuration urbaine de trois secteurs de son centre-ville. Candidate évincée à la procédure de passation, la Société anonyme gardéenne d’économie mixte (SAGEM) a tenté d’obtenir l’annulation du contrat, en première instance puis en appel, par un recours en plein contentieux[1].

Après avoir cassé un premier arrêt d’appel puis renvoyé l’affaire, le Conseil d’Etat a été saisi, de nouveau, d’un pourvoi en cassation en novembre 2017, alors que la concession d’aménagement avait pris fin en août 2017, les travaux étant d’ores et déjà achevés.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt rendu par la Cour et les motifs de la cassation sont particulièrement sévères. En effet, le Conseil d’Etat a jugé que :« la cour administrative d’appel de Lyon, qui était pourtant saisie d’argumentations développées des parties sur ce point, s’est bornée à faire état, en des termes hypothétiques et imprécis, des conséquences inextricables d’une éventuelle annulation et de la complexité de l’ensemble des montages juridiques et financiers qui pourraient pour certains être remis en cause par une telle mesure. Elle n’a ce faisant pas mis le juge de cassation à même de procéder à un contrôle de qualification juridique sur son appréciation des conséquences à tirer sur le contrat des irrégularités constatées et a, ainsi, insuffisamment motivé sa décision ».

Puis, statuant sur cette affaire, le Conseil d’Etat a annulé la concession d’aménagement pour les trois vices ayant « affectés gravement la légalité du choix du concessionnaire » et tirés de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat a jugé que la Commune a méconnu l’article R. 300-8 du Code de l’urbanisme et son règlement de consultation en examinant l’offre de l’attributaire en l’absence de documents probants sur sa capacité financière à exécuter le contrat, en ce que la société s’est fondée sur les capacités de sa maison-mère sans pouvoir justifier que cette dernière avait mis ses capacités et garanties à sa disposition.

Ensuite, la société attributaire était accompagné, lors des négociations, du cabinet d’architecture qui avait établi les dossiers de permis de construire sur lesquels les offres devaient être construites, ce que la Commune n’avait pas pu ignorer. A cet égard, relevant la « volonté de la personne publique de favoriser un candidat », le Conseil d’Etat a jugé que la Commune avait méconnu le principe d’égalité entre les candidats.

Enfin, le Conseil d’Etat a estimé que des modifications intervenues au stade de la signature du contrat (dont le nombre de logements sociaux, la densité retenue et le nombre de places de parking) avaient altéré « substantiellement l’économie du projet mis à la concurrence » en violation des règles de mise en concurrence et de publicité.

Constatant la particulière gravité des vices entachant la validité de la concession et l’absence de régularisation possible, le Conseil d’Etat a estimé que l’annulation rétroactive du contrat ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

En effet, le Conseil d’Etat a noté que la résiliation de cette convention n’implique pas l’annulation de baux emphytéotiques conclus entre la commune et l’aménageur ou celle d’actes de droit privés conclus par l’aménageur avec la commune ou avec des tiers.

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat rappelle néanmoins aux parties la nécessité de « réexaminer l’exécution financière de la concession d’aménagement annulée sur le terrain quasi-contractuel de l’enrichissement sans cause ainsi que, le cas échéant, sur le terrain de la faute », ainsi que la restitution par l’ancien concessionnaire des biens n’ayant pas été cédés à des tiers.

Reste donc, pour les parties, à organiser les conséquences de cette annulation.

[1] Dans les conditions de la jurisprudence de l’Assemblée du Conseil d’Etat du 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291545.

Généralisation du tableau de bord de la performance dans le secteur médico-social

Un arrêté ministériel est venu donner une valeur juridique au tableau de bord de la performance dans le secteur médico-social qui s’adresse aux vingt catégories d’établissements et services médico-sociaux (ESMS) relevant des 2°, 3°, 5°, 6° et 7° du I de l’article L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles (CASF).

A l’origine, le projet « tableau de bord de la performance du secteur médico-social », conçu par l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), fait suite à la demande conjointe du Ministère des solidarités et de la santé et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et a été élaboré en étroite collaboration avec l’Agence technique d’information sur l’hospitalisation (ATIH).

L’objectif de ce tableau de bord est décrit à l’article 3 de l’arrêté qui précise qu’il « est un outil de pilotage interne pour les établissements et services, d’aide au dialogue de gestion avec les autorités de tarification et de contrôle, notamment dans le cadre du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, de comparaison entre établissements et services et de connaissance de l’offre territoriale ».

Il se compose d’une partie relative aux données de caractérisation de chaque établissement ou service et d’une partie constituée d’indicateurs relatifs aux prestations de soins et d’accompagnement, aux profils et parcours des personnes accompagnées, aux ressources humaines afférentes au fonctionnement de la structure, aux ressources budgétaires et financières et à l’état des lieux des systèmes d’information.

Cet outil, d’abord expérimenté à partir de 2011 auprès de plusieurs régions et d’établissements et services volontaires accompagnant des personnes âgées et/ou des personnes handicapées, est entré dans une période de généralisation à partir de 2015 et pour trois ans, à l’ensemble des établissements et services relevant des vingt catégories de structures médico-sociales suscitées. 

L’arrêté du 10 avril 2019 rend désormais obligatoire le remplissage annuel de ce tableau de bord pour ces établissements et services sachant que les gestionnaires doivent l’effectuer au plus tard le 31 mai de chaque année pour l’année précédente sur une plateforme. A titre transitoire, le taux minimum de remplissage du tableau de bord est fixé à 70 % pour l’année 2019. Cette obligation se substitue à la production des autres indicateurs médico-socio-économiques (IMSE), qui était antérieurement applicables à ces catégories d’établissements ou de services.

L’ANAP a notamment mis à disposition des gestionnaires des outils d’aide au remplissage, qui sont consultables sur son site.

Ce nouvel arrêté permet de mettre fin à la situation quelque peu paradoxale à laquelle étaient soumis les gestionnaires avant sa publication, leur imposant un double remplissage. En effet, la réglementation leur imposait de produire, à l’appui de différents documents budgétaires les renseignements nécessaires au calcul des IMSE. Cependant,  plusieurs agences régionales de santé (ARS) avaient progressivement abandonner ces indicateurs et demandaient aux gestionnaires de remplir les données du tableau de bord conçu par l’ANAP, en dehors de tout cadre réglementaire.

Les gestionnaires devaient pour autant continuer à remplir les IMSE faute de voir leurs propositions budgétaires ou leurs comptes administratifs déclarées incomplets et donc être tarifiés « d’office ».

Précisons que si les indicateurs du tableau de bord de la performance ne sont pas utilisés dans le cadre de la convergence tarifaire, rien ne semble exclure le fait que l’autorité de tarification puisse se baser sur l’exploitation de ces données pour justifier que « les prévisions de charges sont manifestement hors de proportion avec le service rendu ou avec les coûts des établissements et services fournissant des prestations comparables en termes de qualité de prise en charge ou d’accompagnement » (article L. 314-7, III du CASF) ou d’essayer d’argumenter, pour les établissements sous CPOM, sur la base de ces données les demandes de récupération prévues à l’article L. 313-14-2 du CASF.

Entre DUP et ZAC : aucune opération complexe mais une prise en compte du juge administratif dans son contrôle de l’utilité publique

Par un arrêt en date du 18 octobre 2018, le Conseil d’Etat réitère la position de principe suivant laquelle l’illégalité frappant la délibération de création d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) ne peut être utilement invoquée par la voie de l’exception à l’encontre de la contestation de la déclaration d’utilité publique (DUP) des travaux nécessaires à l’aménagement de cette zone.

Toutefois, il précise que : « il appartient au juge de l’excès de pouvoir, lorsqu’il se prononce sur le caractère d’utilité publique d’une opération nécessitant l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers de tenir compte, le cas échéant, au titre des inconvénients que comporte l’opération contestée devant lui, des motifs de fond qui auraient été susceptibles d’entacher d’illégalité l’acte de création de la zone d’aménagement concerté pour la réalisation de laquelle la déclaration d’utilité publique a été prise et qui seraient de nature à remettre en cause cette utilité publique ».

Ainsi, les motifs de fonds ayant conduit à l’illégalité de la délibération créant la ZAC peuvent valablement venir « contaminer » l’utilité publique de la DUP à l’occasion du contrôle du bilan coûts/avantages opéré par le juge administratif, en application de la jurisprudence « Ville nouvelle Est » (CE, 28 mai 1971, Ville nouvelle Est, Rec. Lebon p. 409).

Alignement du délai de prescription de l’action en nullité des conventions de forfait en jours sur celui des demandes en rappel de salaire

La Cour de cassation vient récemment et pour la première fois, de préciser que le salarié, dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n’est pas prescrite, peut contester la validité de la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail (Cass. Soc., 27 mars 2019, n° 17-23.314).

La mise en œuvre d’un forfait annuel en jours suppose la conclusion d’un accord collectif, comprenant notamment les dispositions destinées à protéger la santé et la sécurité du salarié, et la signature d’une convention individuelle de forfait.

Avant 2016, l’accord collectif sur le forfait jours devait impérativement comporter des dispositions qui assurent la protection de la sécurité et de la santé des salariés. A défaut, le forfait jour était invalidé.

Dans cette affaire, un salarié embauché le 15 janvier 2006 aux termes d’un contrat de travail prévoyant une convention de forfait en jours, avait saisi la juridiction prud’homale le 19 mai 2014, notamment d’une demande tendant à voir constater la nullité de cette convention.

Il soutenait à ce titre que, tant son contrat de travail que l’accord collectif instaurant le dispositif de forfait jours datant du 15 mars 2000, ne comportaient pas de dispositions de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé des salariés et que son employeur n’avait pas mis en place un entretien permettant de contrôler sa charge de travail.

La Cour d’appel avait condamné l’employeur à payer au salarié un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires effectuées outre les congés payés afférents, au motif que la demande de constat de la nullité de la convention de forfait en jours n’était pas prescrite, étant rappelé que la clause litigieuse avait été appliquée dans le cadre des relations contractuelles jusqu’au licenciement de l’intéressé. En conséquence, les juges du fond ont considéré que tant que la convention de forfait en jours était en vigueur, le délai de prescription d’une action en nullité de cette convention ne courait pas.

Statuant sur le pourvoi formé par l’employeur, la Cour de cassation a approuvé cette solution en retenant que: « le salarié, dont la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires n’est pas prescrite, est recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours stipulée dans son contrat de travail ».

Pour rappel, l’action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit à l’expiration de délai de « trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture » (C. trav., art. L. 3245-1).

Ainsi, au cas particulier, dès lors que la demande de rappel d’heures supplémentaires se rapportait à une période non prescrite, le salarié était recevable à contester la validité de la convention de forfait annuel en jours contenue dans son contrat de travail, et le pourvoi formé par l’employeur ne pouvait qu’être rejeté.

Depuis, la Loi « Travail » du 8 août 2016, l’employeur et le salarié peuvent conclure une convention de forfait sur la base d’un accord collectif ne stipulant pas l’ensemble des clauses légales obligatoires prévues par l’article L.3121-64, parmi lesquelles figurent par exemple, les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié.

En effet, cette Loi a sécurisé, sous réserve par l’employeur du respect de dispositions supplétives relatives notamment au suivi de la charge de travail du salarié prévues à l’article L. 3121-65 du Code du travail, l’ensemble des conventions individuelles de forfait conclues avant le 10 août 2016, date d’entrée en vigueur de la loi Travail, qui seraient adossées à des accords collectifs incomplets (L. n° 2016-1088, 8 août 2016, art. 12 : JO, 9 août).

Ainsi, un employeur peut continuer à conclure de nouvelles conventions de forfait-jours sur le fondement d’un accord collectif antérieur au 10 août 2016, sous réserve de respecter les dispositions supplétives notamment sur le contrôle et le suivi de la charge de travail, le respect des temps de repos et le droit à la déconnexion.

Précisions relatives aux règles applicables à la passation et à la conclusion d’un contrat entre une collectivité territoriale et une SEMOP

Le Conseil d’Etat a précisé, par une décision en date du 8 février 2019 (n° 420296), les modalités de passation d’un contrat avec une société économie mixte à opération unique (SEMOP). Il a clarifié, notamment, les modalités de signature d’un contrat avec une SEMOP et le contenu des documents contractuels.

Pour mémoire, la SEMOP, définie aux articles L. 1541-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT), est une entreprise publique locale sous forme de société anonyme ayant la particularité d’être créée par une collectivité territoriale ou son groupement – après l’organisation d’une procédure de mise en concurrence dont le but est de sélectionner le ou les futurs opérateurs économiques actionnaires de cette société –, pour une durée limitée et à titre exclusif en vue de la conclusion et de l’exécution d’un contrat avec ladite collectivité territoriale ou ce groupement de collectivités.

L’arrêt du 8 février 2019 concernait le cas d’une SEMOP qui avait été créée par le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) en vue de lui confier un marché public de prestations de services pour l’exploitation d’une station d’épuration. Le SIAAP avait donc organisé une mise en concurrence et avait retenu la société Veolia Eau comme opérateur économique actionnaire de la SEMOP.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a d’abord dû répondre à la question de savoir si le fait pour le SIAAP d’avoir signé le marché non pas avec la SEMOP mais avec la société Véolia, en sa qualité d’actionnaire, constituait un vice de compétence susceptible d’emporter l’illégalité du marché.

Pour y répondre, le Conseil d’Etat a d’abord rappelé, sans surprise, que « lorsqu’une collectivité territoriale crée une société d’économie mixte à opération unique, c’est avec cette société qu’elle doit passer le contrat confiant l’opération projetée. La société d’économie mixte à opération unique doit par suite être substituée, pour la signature du contrat, au candidat sélectionné selon les procédures applicables aux contrats de concession ou aux marchés publics ». Cependant, le Conseil d’Etat a fait preuve de pragmatisme dans l’application de ces règles.

En effet, s’il a considéré que le fait pour le SIAAP d’avoir signé le marché avec la société Véolia et non la SEMOP constituait bel et bien un vice de compétence, le Conseil d’Etat a toutefois considéré que ce vice avait, en l’espèce, pu être valablement régularisé. Pour ce faire, le Conseil d’Etat a, d’une part, tenu compte de ce que la constitution de la SEMOP par le SIAAP avait pris du retard, si bien que ni les statuts, ni le pacte d’actionnaires n’avaient été arrêtés à la date de signature du marché et, d’autre part, du fait qu’une « convention de régularisation tripartite [avait] été signée fin novembre 2017 par le SIAAP, la société Veolia Eau […] et la SEMOP SIVAL et approuvée par le SIAAP par une délibération du 24 novembre 2017 ».

Cette question réglée, le Conseil d’Etat a ensuite été amené à préciser les règles applicables à la constitution d’une SEMOP et notamment celles prévues à l’article L. 1541-2 du CGCT selon lesquelles « l’avis d’appel à la concurrence comporte un document de préfiguration, précisant la volonté de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales de confier l’opération projetée à une société d’économie mixte à opération unique à constituer avec le candidat sélectionné ». En effet, le préfet – qui avait contesté la légalité du marché –, avait soutenu que le document de préfiguration était trop imprécis et que les projets de statuts et de pacte d’actionnaires n’avaient pas été fixés préalablement à la mise en concurrence.

A cet égard, le Conseil d’Etat a de nouveau fait preuve de souplesse en précisant que les dispositions du CGCT « n’imposent pas à la personne publique qui entreprend de constituer une SEMOP de fixer par avance de manière intangible dès le stade de la mise en concurrence tous les éléments des statuts de la SEMOP et du pacte d’actionnaires », dans la mesure où ces dispositions « ne concernent pas l’offre elle-même de l’actionnaire opérateur économique candidat à la passation du contrat ». Partant, ont été jugés comme suffisants par le Conseil d’Etat, de manière combinée et au stade de la mise en concurrence, le fait que :

  • le document de préfiguration indiquait la part que la collectivité souhaitait détenir au sein du capital de la SEMOP ;
  • le projet de pacte d’actionnaire énonçait les règles de gouvernance et les modalités de contrôle offertes au SIAAP sur l’activité de la SEMOP ;
  • le projet de statuts précisait les règles de dévolution des actif et passif de la SEMOP dans l’hypothèse de sa dissolution.

Au final, le Conseil d’Etat a validé la légalité du marché notifié à la SEMOP et, en conséquence, rejeté le recours du préfet.

Travail dissimulé : l’URSSAF n’est pas liée par ses précédents contrôles !

En l’espèce, sur demande du procureur de la République près le Tribunal de grande instance, l’URSSAF a procédé à un contrôle portant sur la période du 1er janvier 2005 au 30 juin 2010, d’une société.

Par la suite, elle a adressé le 15 octobre 2010, à cette société, une lettre d’observations visant neuf chefs de redressement consécutifs à l’existence d’un travail dissimulé, puis lui a notifié, les 21 décembre 2010 et 13 janvier 2011, deux mises en demeure.

La société a saisi d’un recours la juridiction de Sécurité sociale.

Pour annuler le redressement et les mises en demeure subséquentes, les juges du fond retiennent en substance que :

  • les pratiques vérifiées lors des précédents contrôles, intervenus en 1998 et en 2003, n’ont donné lieu à aucune observation ;
  • l’URSSAF a eu l’occasion, au vu de l’ensemble des documents consultés, de se prononcer en toute connaissance de cause sur ces pratiques ;
  • chaque inspecteur, en 1998 puis en 2003, a été parfaitement informé de l’activité et des pratiques de la société et a, en parfaite connaissance de cause, décidé de ne faire ni observations pour l’avenir, ni redressement ;
  • les circonstances de droit et de fait au regard desquelles ces éléments ont été examinés sont restées inchangées ;
  • les éléments de fait du dossier permettent ainsi de dire qu’il y avait un accord tacite, antérieur au contrôle clôturé par la lettre d’observations du 15 octobre 2010.

C’est dans ces conditions que la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la question de savoir si, dans le cadre d’un redressement consécutif à un constat de travail dissimulé, un employeur peut invoquer l’approbation tacite de ses pratiques par l’URSSAF lors de précédents contrôles

La Haute juridiction répond par la négative et énonce qu’au regard de l’article R. 243-59 du Code du travail, susvisé, dans sa rédaction issue du décret n° 2007-546 du 11 avril 2007, une société ne peut pas se prévaloir de l’approbation tacite de ses pratiques par l’URSSAF résultant de précédents contrôles, dès lors que le redressement litigieux est consécutif à un constat de travail dissimulé.

La référence dans un contrat de travail au calcul de l’intéressement ne vaut pas contractualisation

Si les éléments constituant le socle contractuel ne sont pas obligatoirement inscrits dans le contrat de travail, à l’inverse, tout ce qui figure dans le contrat de travail n’est pas nécessairement contractuel.

Cela vaut par exemple pour le lieu de travail qui ne peut avoir qu’une simple valeur d’information (Cass. Soc. 3 juin 2003 n°  01-40.376), ou pour la mention d’un accord collectif : la référence dans le contrat de travail aux dispositions d’un accord collectif ne signifie pas que les dispositions de cet accord ont été contractualisées (Cass. Soc., 26-9-2012 n° 11-10.220 F-D : RJS 12/12 n° 963).

Il s’agit du principe de l’autonomie du contrat de travail et des conventions ou accords collectifs.

L’arrêt du 6 mars 2019 en est une nouvelle illustration.

Dans cette affaire, un salarié avait adhéré à un dispositif de cessation anticipée d’activité proposé par son employeur, en signant le 29 mars 2012 un avenant à son contrat de travail. Cet avenant précisait que la période de dispense d’activité serait prise en compte à hauteur de 77 % d’un temps plein pour le calcul de l’intéressement, clause conforme à l’accord d’intéressement conclu fin 2010 dans l’entreprise et alors applicable. Mais peu de temps après, cet accord était dénoncé et un nouvel accord était conclu, fixant la prime d’intéressement pour cette catégorie de personnel à un tiers de celle des salariés en activité. L’intéressé s’étant vu appliquer ce nouveau mode de calcul en 2012 et 2013 et s’estimant lésé, il avait porté l’affaire devant le Conseil de prud’hommes pour réclamer l’application du ratio de 77 % indiqué dans l’avenant à son contrat de travail.

La Cour de cassation, au visa des articles L 3312-2 et L 3313-2 du Code du travail (relatifs à l’instauration d’un intéressement collectif par accord et au contenu de cet accord) pose le principe selon lequel la référence dans le contrat de travail d’un salarié aux modalités de calcul de la prime d’intéressement prévues par l’accord collectif alors en vigueur n’emporte pas contractualisation, au profit du salarié, de ce mode de calcul (Cass. Soc., 6 mars 2019, n° 18-10.615 P+B).

Cette absence de contractualisation signifie que :

  • le salarié ne peut reprocher à l’employeur une modification de son contrat de travail sans son accord exprès, par l’application du nouveau mode de calcul de l’intéressement ;
  • le principe de faveur est inopérant celui-ci permettant d’écarter l’application d’un accord collectif en présence d’une clause plus favorable du contrat de travail (C. trav. art. L 2254-1).

Dès lors, l’accord d’intéressement qui s’est substitué à celui en vigueur au moment de la signature de l’avenant au contrat de travail du salarié est applicable à ce dernier de manière immédiate, automatique et impérative sans qu’il puisse s’y opposer.

Contrats publics : un protocole transactionnel est un document communicable, dès lors que l’instance en cause a pris fin

Par cette décision, le Conseil d’Etat précise qu’un protocole transactionnel conclu par l’Administration en vue d’éteindre un litige porté devant la juridiction administrative est un document communicable, dès lors que l’instance en cause a pris fin.

Cette décision intervient dans le cadre d’un litige né du refus du Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique de communiquer à Monsieur B., qui en faisait la demande, l’accord passé le 9 avril 2015 entre l’Etat et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, l’intégralité des avenants aux contrats passés entre l’Etat et ces sociétés à la suite de cet accord, avec leurs annexes ainsi que la liste des marchés conclus par les sociétés concessionnaires d’autoroute en 2013 et 2014, le nom des attributaires et le contenu de certains marchés de travaux et de fournitures. Par un jugement en date du 13 juillet 2016, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de refus attaquée et enjoint au Ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique de communiquer à Monsieur B. les documents demandés.

Saisi d’un pourvoi par le Ministre de l’Economie, le Conseil d’Etat a, par une première décision n° 403465 en date du 3 octobre 2018, partiellement annulé le jugement du Tribunal administratif en ce qu’il enjoignait au Ministre de communiquer les avenants et leurs annexes, alors que ces documents avaient déjà fait l’objet d’une diffusion publique. Et, s’agissant de la communicabilité du protocole transactionnel en date du 9 avril 2015, il a sursis à statuer et ordonné au Ministre de l’Economie, avant dire droit, de lui transmettre ce document sous un mois.

Par cette seconde décision n° 403465 en date du 18 mars 2019, le Conseil d’Etat statue donc sur le caractère communicable de ce protocole transactionnel.

Tout d’abord, il rappelle qu’en application des articles L. 300-1 à L. 311-2 du Code des relations entre le public et l’administration que l’Etat (CRPA), les collectivités territoriales ainsi que les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une mission de service public sont tenues de communiquer aux personnes qui en font la demande les documents administratifs qu’elles détiennent, sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 à L. 311-8 du même Code, lesquelles précisent notamment que ne sont pas communicables les documents dont la consultation ou la communication porterait atteinte « au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ».

Sur le fondement de ces dispositions, le Conseil d’Etat juge qu’un protocole transactionnel conclu par l’administration afin de prévenir ou d’éteindre un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, qui est un contrat administratif, présente le caractère d’un document administratif communicable. Toutefois, il précise que cette communication ne peut intervenir, sous réserve du respect des autres secrets protégés par la loi tel notamment le secret en matière commerciale et industrielle, « qu’après que l’instance en cause a pris fin ».

En l’occurrence, à la suite de la conclusion de l’accord transactionnel en date du 9 avril 2015, les sociétés contractantes s’étaient désistées des actions qu’elles avaient engagées devant les juridictions administratives. Dès lors, l’Etat ne pouvait plus refuser de communiquer ce protocole transactionnel sans méconnaitre les dispositions du CRPA. Par suite, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi du Ministre de l’Economie.

Un frein à la présomption d’égalité de traitement instituée par un accord d’entreprise !

Par arrêt en date du 3 avril 2019 (17-11.970), la Cour de cassation s’est prononcée sur le point de savoir si une différence de traitement résultant d’un accord collectif est toujours présumée justifiée.

En effet, les accords collectifs sont soumis au principe d’égalité de traitement : les différences de traitement que ceux-ci instaurent entre les salariés placés dans une situation identique au regard de l’avantage considéré doivent reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence (Soc., 1 juillet 2009 n° 07-42.675)

Cependant, il existe une présomption générale de justification de toutes différences entre salariés dès lors qu’elles ressortent d’un statut collectif.

Or, la jurisprudence européenne considère qu’un accord collectif n’est pas en soi de nature à justifier une différence de traitement (CJUE, arrêts du 8 avril 1976, Defrenne, 43-75, point 39, du 13 septembre 2007, Del Cerro Alonso, C-307/05, points 57 et 58, du 17 avril 2018, Egenberger, C-414/16, point 77).

C’est pourquoi, la chambre sociale a écarté une présomption générale de justification de traitement : une différence de traitement en raison uniquement de la date d’entrée dans l’entreprise ne peut pas bénéficier d’une présomption de justification, alors que les salariés sont placés dans une situation exactement identique au regard des avantages institués par l’accord.

Les conséquences du principe de liberté de la preuve devant le Juge administratif : le cas de la note interne « soustraite » à son auteur

Le principe est connu : la preuve est libre devant le Juge administratif, et les parties peuvent étayer leurs allégations par tout type de preuve : témoignages écrits, constats d’Huissier, copies d’écran…

On a même été jusqu’à dire que le Conseil d’Etat était « viscéralement » attaché au principe de la liberté de la preuve, ce qui l’amène à écarter comme inopérant tout moyen relatif à l’origine des éléments de preuve, et notamment par exemple ceux obtenus en violation du secret de l’instruction (CE 14 juin 1999, Baumet, n° 196215).

La décision rendue par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 4 octobre dernier en est une illustration intéressante, puisque pour qualifier un détournement de procédure viciant la renonciation d’un agent au contrat à durée indéterminée dont il était titulaire au bénéfice d’un contrat à durée déterminée qui n’a ensuite pas été renouvelé à son terme quelques mois plus tard, le Tribunal s’est appuyé sur des notes de service rédigées par la directrice des affaires juridiques à l’intention de l’autorité territoriale, dont il ressortait que la décision avait en réalité pour objectif de mettre fin aux fonctions de la requérante, et non de régulariser sa situation comme cela lui avait été annoncé.

Il ressort du jugement que ces notes ont été « soustraites » à leur auteur : en d’autres termes, on peut s’interroger sur leur mode d’obtention…

Pour autant, le Tribunal considère :

« la circonstance que ces notes, dont l’authenticité n’est pas contestée, aient un caractère confidentiel et auraient été soustraites à leur auteur n’a pas pour effet de les rendre inopposables devant le juge administratif dès lors que ces pièces ont pu être discutées contradictoirement par les parties ».

Il s’agit en réalité de l’application d’une jurisprudence constante du Conseil d’Etat : il a ainsi déjà été jugé, dans des termes identiques (CE 8 nov. 1999, n° 201966, Election cantonale de Bruz) :

« Considérant que, si M. X… soutient également que le tribunal s’est fondé sur une note adressée par M. Y…, chef de cabinet, au président du conseil général d’Ille-et-Vilaine qui avait un caractère confidentiel et aurait été soustraite à son auteur, cette circonstance, à la supposer établie, n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la procédure à la suite de laquelle le jugement attaqué a été rendu dès lors que cette pièce a pu être discutée contradictoirement par les parties ».

C’est ainsi que l’origine d’une preuve, et ses moyens d’obtention, sont indifférents au Juge administratif qui s’assurera uniquement que les deux parties puissent en débattre, avant de la retenir pour établir la réalité d’un fait, et en l’espèce la qualification de l’intention de l’auteur de l’acte.

Naturellement, l’autorité territoriale est libre de déterminer si elle entend saisir le Juge pénal d’une plainte à la suite de ces faits, tout du moins si les éléments du dossier le permettent.

Mais quoi qu’il en soit, on notera tout de même que si la preuve est libre pour la partie requérante, en revanche tel n’est pas le cas pour l’employeur public.

En effet, le Conseil d’Etat a considéré que l’employeur public étant soumis à une obligation de loyauté envers ses agents, il ne peut se fonder, pour établir des faits fautifs, sur des documents obtenus « en méconnaissance de cette obligation » (CE, 12 juillet 2014, Ganem, req. 355201), sauf « intérêt public majeur », notion dont les contours n’ont, à ce jour, et à notre connaissance, pas été encore définis.

C’est ainsi que sans aller jusqu’à consacrer un principe de loyauté de la preuve, comme cela peut exister en droit privé, le Conseil d’Etat a restreint la liberté pour l’employeur de rapporter la preuve de faits fautifs, par exemple dans le contentieux disciplinaire.

On soulignera que devant un Conseil de prud’hommes, le salarié ne peut produire un document appartenant à l’entreprise seulement si il y a eu accès à l’occasion de ces fonctions (Cass. Soc., 30 juin 2004 n° 02-41.720), ce qui en l’espèce n’aurait pas été le cas.

En d’autres termes, si l’agent peut « soustraire » un document à son employeur pour rapporter la preuve d’une faute, en revanche, l’employeur ne saurait, lui, « soustraire » un document à son agent pour démontrer une faute.

Les décharges d’activité de service constituent l’une des modalités d’exercice de la liberté syndicale dans la fonction publique

La mise œuvre des décharges d’activité de service pour activités syndicales accordées sur le fondement de l’article 16 du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique n’est pas toujours aisée, notamment dans les cas où leurs bénéficiaires ne sont pas affectés ou rémunérés par leur service d’origine.

Un syndicat avait sollicité en l’espèce du ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt une décharge d’activité de services au bénéfice d’un de ses membres dont la gestion du corps est assurée par ledit ministre. Toutefois, cet agent était affecté dans un service relevant du Premier ministre, et était de surcroît rémunéré sur un programme du ministère de l’Ecologie.

C’est dans ces conditions qu’un refus a été opposé au syndicat par le ministre de l’Agriculture s’étant déclaré incompétent pour accorder la décharge.

Le syndicat a alors demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler ce refus, ainsi que le refus implicite du ministre de l’Ecologie également opposé à cette même demande. Le Tribunal a annulé le refus du ministre de l’Agriculture mais ce jugement a été annulé à son tour par la Cour administrative d’appel de Paris, considérant que le principe de liberté syndicale ne couvrait pas l’attribution aux syndicats de facilités pour l’exercice du droit syndical, dont relève l’octroi de décharges d’activités de service et jugé que le ministre de l’Ecologie était seul compétent pour octroyer une telle décharge dès lors que l’agent était rémunéré par ce ministère.

Saisi par le syndicat en cassation, le Conseil d’Etat rappelle en premier lieu que : « les décharges d’activité de service constituent l’une des modalités d’exercice de la liberté syndicale dans la fonction publique, dans les conditions définies par les dispositions de l’article 16 du décret du 28 mai 1982 » et annule pour ce motif l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris.

Puis, s’agissant des modalités spécifiques d’octroi d’une décharge de service pour activité syndicale à un agent affecté ou mis à disposition d’un autre ministère, la Haute Juridiction, après avoir rappelé le mode de détermination du crédit de temps syndical, c’est-à-dire en fonction du nombre d’électeurs inscrits sur les listes électorales pour l’élection au comité technique ministériel, précise que les bénéficiaires de ces crédits de temps syndical dont relèvent les décharges d’activité « sont des agents de ce département ministériel et à ce titre électeurs au comité technique ministériel, quand bien même ils seraient affectés dans un service placé sous l’autorité d’un autre ministre ou mis à sa disposition ».

Il en ressort que le ministre de l’Agriculture était bien compétent pour statuer sur la demande de décharge d’activité de service demandée par l’agent en sa qualité d’électrice au comité technique ministériel, quand bien même elle était affectée dans un service du Premier ministre et rémunérée par le ministre de l’Ecologie.

Le Conseil d’Etat indique néanmoins que la démarche à adopter dans une telle hypothèse consiste à ce que « Dans ce cas, l’autorité compétente recueille l’accord de cet autre ministre ou du chef du service où est affecté l’agent, lequel se prononce au regard de la compatibilité de la décharge sollicitée avec la bonne marche de ce service ».

Des conditions de reprise de la sanction initiale par l’autorité territoriale à la suite de l’annulation de l’avis du conseil de discipline de recours

A la suite de l’annulation de l’avis du conseil de discipline de recours par le juge administratif, l’autorité territoriale peut-elle reprendre la sanction initialement prononcée à l’encontre d’agent sans abroger au préalable la précédente ? C’est la question qu’a eu à trancher le Conseil d’Etat dans une affaire récente.

Le maire de la commune de Ris-Orangis avait prononcé la révocation de Mme A, agent d’entretien titulaire.

Par un avis en date du 15 janvier 2010, le conseil de discipline de recours d’Ile-de-France s’était cependant prononcé en faveur d’une sanction d’exclusion temporaire de dix-huit mois dont six mois avec sursis. Or, pour rappel, aux termes de l’article 91 de la loi du 26 janvier 1984, « l’autorité ne peut prononcer de sanction plus sévère que celle proposée par le conseil de discipline de recours », c’est-à-dire qu’elle est liée à l’avis rendu.

Le maire de la commune a donc tiré les conséquences de cet avis et prononcé à l’encontre de l’agent une exclusion temporaire de fonctions de dix-huit mois dont six mois avec sursis.

Puis, le maire a saisi le Tribunal administratif d’un recours contre cet avis. Le Tribunal a annulé celui-ci par un jugement devenu définitif. 

Eu égard à cette annulation, le maire de la Commune a alors pû prononcer de nouveau la révocation de l’agent. Pour ce faire, il s’est cependant abstenu d’abroger la décision d’exclusion temporaire de dix-huit mois qui avait été antérieurement exécutée.

L’intéressé a alors saisi le Tribunal administratif de Versailles d’un recours en annulation qui a donné lieu à l’annulation de la sanction de révocation, confirmée par la Cour administrative d’appel.

Le Tribunal puis la Cour ont en effet jugé que le maire n’ayant pas rapporté la sanction de dix-huit mois d’exclusion temporaire, il ne pouvait pas prononcer une nouvelle sanction à l’encontre de Mme A pour les mêmes faits sans méconnaître la règle du non bis in idem.

Le Conseil d’Etat dans l’arrêt commenté rappelle cependant qu’en cas d’annulation de l’avis du conseil de discipline de recours proposant une mesure moins sévère, l’autorité territoriale peut légalement prendre de nouveau la sanction initiale qui avait été rapportée.

Puis, surtout, il juge que « cette sanction, qui ne peut prendre effet qu’à compter de sa notification à l’intéressée, doit être regardée comme rapportant implicitement mais nécessairement la mesure moins sévère qui avait, le cas échéant été antérieurement prise pour se conformer à l’avis », annulant ainsi l’arrêt de la Cour et confirmant la légalité de la révocation.

Tout à fait pragmatique, cette jurisprudence a ceci de pratique qu’elle évite une multiplication d’actes et, ce faisant, allège quelque peu la complexité de la procédure disciplinaire en pareille hypothèse de saisine du Juge par l’administration de la légalité de l’avis du Conseil de discipline de recours.