Indemnisation du harcèlement moral : compatibilité avec la prise en charge de l’accident du travail

En l’espèce, un salarié se déclare victime d’un harcèlement permanent de son supérieur hiérarchique le conduisant à commettre une tentative de suicide.Cette tentative est prise en charge au titre d’un accident du travail par la sécurité sociale.

Le salarié initie alors deux procédures :

  • Une procédure en reconnaissance et en indemnisation de la faute inexcusable de l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale
  • Une action en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en reconnaissance et indemnisation du harcèlement moral devant le Conseil de prud’homme.

Si la première demande du salarié échoue l’empêchant ainsi d’obtenir une indemnisation complémentaire au titre de son accident du travail, le salarié obtient cependant gain de cause devant la Cour d’appel de Caen au titre de l’indemnisation de son harcèlement moral.

Concernant cette dernière procédure, l’employeur forme un pourvoi en cassation et se prévaut de l’argumentation suivante : l’indemnisation des dommages résultant d’un accident du travail relevait de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, que celui-ci soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. La demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral formulée par le salarié devant les juridictions prud’homales doit alors être déclarée irrecevable, le salarié ayant déjà vu son préjudice réparé par la sécurité sociale au titre de son accident du travail.

Le pourvoi de l’employeur est rejeté par la Cour de cassation.

Pour la Haute juridiction, « la législation sur les accidents du travail et maladies professionnelles ne fait pas obstacle à l’attribution de dommages-intérêts au salarié en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il a été victime antérieurement à la prise en charge de son accident du travail par la sécurité sociale ».

Autrement dit, les dommages-intérêts qui réparent le préjudice que lui a causé le harcèlement moral peuvent alors se cumuler avec la réparation attribuée au titre de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, la Cour de cassation distinguant :

  • le préjudice subi du fait du harcèlement moral durant la période antérieure à la reconnaissance de l’accident du travail, dont la réparation relève du juge prud’homal ;
  • le préjudice postérieur, pris en charge au titre de la législation de la sécurité sociale, qui relève de la compétence du Tass.

La victime d’un accident du travail pris en charge par la sécurité sociale peut donc effet obtenir l’attribution de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui a causé le harcèlement moral dont il a été victime avant cette prise en charge. Les agissements de harcèlement moral étant distincts des conséquences de la tentative de suicide reconnue comme accident du travail, le salarié était fondé à réclamer devant la juridiction prud’homale l’indemnisation du harcèlement moral subi au cours de la relation contractuelle.

Par cet arrêt, la Cour de cassation transpose aux accidents du travail la solution déjà retenue en 2006 au titre des maladies professionnelles (Cass. soc. 15-11-2006 no 05-41.489 FS-PB).

Le non-respect d’une licence de logiciel relève-t-il d’une responsabilité délictuelle du fait de la contrefaçon ou d’une responsabilité contractuelle ?

CA Paris, pôle 5, ch. 1, 16 octobre 2018, n° 17/02679

Il est habituellement admis en droit français que la violation d’un contrat de licence de logiciel par le licencié constitue une atteinte aux droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits dont la sanction et la réparation doivent être recherchées dans le cadre d’une action en contrefaçon, qui relève de la responsabilité délictuelle.

Toutefois, depuis quelques années, un mouvement jurisprudentiel tend à écarter l’action en contrefaçon dès lors que la violation constatée est le fruit du non-respect d’un cadre de licence, considérant dans ce cas que cette inexécution relève au contraire de la responsabilité contractuelle.

Cette évolution a été récemment confirmée dans une affaire jugée le 21 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 3ème section). Cette affaire trouve son origine dans un appel d’offres lancé à la fin de l’année 2005 par l’Agence pour le gouvernement de l’Administration Electronique (ADAE) (agence par la suite rattachée à la Direction Générale de la Modernisation de l’Etat – la DGME) en vue de la conception et de la réalisation du portail « Mon Service Public ». La société Orange ayant obtenu la réalisation de l’un des lots relatif à la fourniture d’une solution informatique de gestion d’identité et des moyens d’interface, à destination des fournisseurs de service, a fourni à la DGME une solution logicielle comprenant une plateforme IDMP interfacée avec une bibliothèque logicielle « Lasso » éditée par la société Entr’ouvert sous licence libre GNU GPL (Version 2).

La société Entr’ouvert, considérant que la mise à disposition de sa bibliothèque logicielle par Orange à la DGME violait les termes de la licence GNU GPL (Version 2), a assigné la société Orange en contrefaçon de ses droits d’auteur sur ce logiciel.

Le Tribunal a, pour sa part, relevé que la licence libre à laquelle la société demanderesse avait décidé de soumettre sa bibliothèque logicielle pour encadrer son périmètre d’utilisation était une autorisation accordée par cette dernière à tout utilisateur d’exécuter, de diffuser et de modifier cette bibliothèque logicielle, à charge pour les utilisateurs (et en l’occurrence Orange) de respecter les conditions d’usages prévues dans la licence.

Le Tribunal, relevant que cette licence libre était un contrat d’adhésion, « dont les clauses ne peuvent être discutées et négociées par celui qui s’oblige, mais qui comporte néanmoins […] des obligations réciproque à charge de chacune des parties« , a considéré que la relation entre la société Entr’ouvert et la société Orange pour l’utilisation de la licence afférente à cette bibliothèque logicielle était donc de nature contractuelle et non délictuelle.

Il en a déduit que ces demandes auraient dû, au titre du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, être fondées sur la responsabilité contractuelle de la société Orange et non sur la contrefaçon.

Cette décision s’inscrit dans la lignée de l’affaire Oracle dans laquelle les juges de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 10 mai 2016 (pôle 5, ch., n° 14/25055), ont considéré que le litige portant sur le périmètre des licences consenties, et plus particulièrement sur la question de l’inclusion ou non d’un logiciel dans ce périmètre, relevait du terrain contractuel, rendant ainsi l’action en contrefaçon irrecevable.

Cet arbitrage opéré par les juges civils est sujet à débats. A tel point que dans une autre affaire récente, la Cour d’appel de Paris (pôle 5, ch., n° 17/02679) a, par un arrêt rendu le 16 octobre 2018, décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur le point de savoir si le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence constitue une contrefaçon au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 ou, au contraire, obéit à un régime juridique distinct, comme le régime de responsabilité contractuelle de droit commun.

La CJUE ne s’est pas prononcée à ce jour. Toutefois, les conclusions de l’avocat général, M. Manuel Campos Sanchez-Bordana, qui ont été présentées le 12 septembre dernier, apportent plusieurs éléments de réponses qui méritent d’être relevés.

Celui-ci a notamment observé que la directive 2004/48 du 29 avril 2004 (dont les articles ont servi de fondement pour la rédaction des articles L. 122-6 et suivants du Code de la propriété intellectuelle relatifs aux logiciels) permet au titulaire des droits sur un logiciel d’interdire « contractuellement » certains actes autorisés par la directive. Il en déduit que, dans ce cas, le fondement juridique du droit du titulaire est le contrat et non pas la loi. Notamment, l’article 5 de la directive autorise l’acquéreur légitime d’un logiciel à en modifier le code source lorsque cet acte était nécessaire à l’utilisation du logiciel d’une manière conforme à sa destination, « sauf dispositions contractuelles spécifiques ».

L’avocat général a ajouté qu’il appartient au législateur national de déterminer les modalités procédurales nécessaires à la protection des droits du titulaire lorsqu’une violation implique simultanément une violation de ses droits de propriété intellectuelle et un manquement contractuel.

C’est donc sans attendre la décision de la CJUE, et sans même faire référence à la question préjudicielle posée, que le tribunal de grande instance de Paris s’est prononcé le 21 juin dernier. Dans cette affaire, il semble que le juge a considéré qu’il n’y avait pas débat sur le fait que l’éditeur de cet outil poursuivait en réalité la réparation d’un dommage généré par l’inexécution d’obligations résultant de la licence libre et non pas la violation d’une obligation extérieure au contrat de licence.

Finalement, il pourrait être tentant de considérer que la solution devrait résider dans l’articulation suivante : action en inexécution contractuelle dès lors qu’un cadre contractuel lie les parties concernées et action en contrefaçon dès lors que les utilisations reprochées ont été faites à l’encontre de titulaires de droits en l’absence de toutes relations contractuelles. Toutefois cette articulation n’est pas satisfaisante puisqu’il peut y avoir des actes de contrefaçon y compris entre deux personnes liées par un contrat. Dans ce cas, il est nécessaire que l’action en contrefaçon soit recevable et que le titulaire de droit ne puisse pas se voir opposer une limitation de responsabilité contractuelle.

Par Audrey Lefèvre et Sara Ben Abdeladhim
Cabinet LEFEVRE AVOCATS

Absence d’exonération de responsabilité décennale des constructeurs du fait du comportement « passif » du maître d’ouvrage

Cette décision revient sur l’une des causes possibles d’exonération de la responsabilité décennale des constructeurs en venant apprécier l’existence ou non d’un comportement fautif du maître d’ouvrage.

Dans le cadre de l’appel formé par un maître d’ouvrage, les différents constructeurs soutenaient notamment que ce dernier avait commis des fautes de nature à les exonérer de leur responsabilité.

Si la Cour a d’ailleurs reconnu le comportement « passif » du maître d’ouvrage face aux désordres constatés :

« l’expert judiciaire a relevé dans son rapport que l’Université avait fait preuve de « passivité » dans la gestion des désordres pourtant apparus dans les deux jours suivant la mise en service de l’installation, qu’elle est restée très en retrait dans les deux années qui ont suivi cette apparition, alors que les solutions mises en œuvre pour y remédier s’avéraient inefficaces et qu’elle n’a, entre 1997 et 2005, sollicité aucun des acteurs du chantier ni mis en œuvre la moindre recherche de solutions, alors même que durant tout ce temps, la direction des services vétérinaires lui rappelait presque chaque année la nécessité d’agir et de remédier aux désordres. En outre, elle n’a pas remis en cause les conclusions de la société AXA, son assureur dommage-ouvrage et n’a pas modifié les procédures de nettoyage de la cuisine afin de les rendre davantage compatibles avec l’absence d’étanchéité du sol, et n’a fait procéder à aucun constat contradictoire avant de lancer les travaux de réfection ».

Elle a toutefois considéré que :

« Dès lors, d’une part, que les désordres trouvent leur origine dans des erreurs de conception et des malfaçons, d’autre part, que l’Université Paul Sabatier Toulouse III n’est pas intervenue dans la conception des locaux ni dans la réalisation et la direction des travaux, aucune faute de nature à atténuer la responsabilité des constructeurs ne peut être retenue à son encontre ».

Ainsi, le maître d’ouvrage n’avait pas exercé ici un rôle actif dans l’opération de construction, durant les phases de conception et d’exécution, de sorte qu’aucune immixtion fautive ne pouvait lui être reprochée.

En outre, les manquements des différents constructeurs étaient seuls à l’origine des désordres constatés, sans lien avec le comportement, même passif, du maître d’ouvrage.

Pour ce cas d’espèce, la Cour ne retient donc aucune faute du maître d’ouvrage de nature à exonérer les constructeurs de leur responsabilité.

Compétence du juge judiciaire en matière de bail portant sur un bien du domaine privé et sans clause exorbitante du droit commun

Une commune a donné à bail commercial à un preneur un immeuble dépendant du domaine privé dont l’accès lui a été empêché en raison d’un arrêté préfectoral interdisant la circulation à la suite de l’effondrement partiel du chemin rural desservant les locaux loués.

Le preneur a assigné la bailleresse en manquement à son obligation de délivrance de l’article 1719 du Code civil.

La commune a soulevé une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative au motif que son engagement d’entretenir le chemin rural constituait une clause exorbitante du droit commun, de telle sorte que le juge judiciaire ne pouvait être compétent pour connaître du litige.

Le pourvoi est rejeté en ces termes :

« Mais attendu qu’aux termes de l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; que cette obligation légale lui impose de délivrer un local conforme à la destination contractuelle ; que, dès lors, c’est à bon droit et sans avoir à procéder aux recherches visées par les deux premières branches du moyen, qu’après avoir relevé que l’action engagée par la société tendait à voir sanctionner la violation, par la commune, de son obligation de délivrance, en raison de l’impossibilité d’accéder aux locaux loués, la cour d’appel a retenu que le litige avait pour objet la résolution d’un contrat de bail portant sur un immeuble dépendant du domaine privé et dépourvu de clause exorbitante du droit commun et relevait, par suite, de la compétence de la juridiction judiciaire ; que le moyen n’est pas fondé ».

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle le principe constant suivant : un bail portant sur un bien du domaine privé et dépourvu de toute clause exorbitante de droit commun relève de la compétence du juge judiciaire.

En outre, dès lors que le manquement du bailleur a trait à son obligation légale de délivrance du droit des baux, nul n’est besoin de rechercher si un engagement du bailleur pouvait être analysé comme exorbitant du droit commun.

Les sous-loyers sont des fruits civils revenant au bailleur

Un bailleur, à l’occasion d’un congé pour reprise donné à ses locataires a, dans le cadre de la procédure en validation de congé, également sollicité le remboursement des sous-loyers perçus par les locataires en exécution de son droit d’accession.

Il convient de préciser que la sous-location, effectuée sur la plateforme Airbnb, n’avait pas été autorisée par le bailleur.

La Cour d’appel, saisie du litige, avait retenu l’argumentation du bailleur et ainsi condamné pécuniairement les locataires (arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 5 juin 2018 commenté dans notre LAJ du mois de juillet 2018).

Les locataires se pourvoient en cassation selon le moyen d’une part que les sous-loyers ne constitueraient pas des fruits civils mais l’équivalent économique du droit de jouissance conféré au preneur, et d’autre part que la sous-location non autorisée serait inopposable au bailleur, de même que ses fruits.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en les termes suivants ;

« Attendu que, sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire ; qu’ayant relevé que les locataires avaient sous-loué l’appartement pendant plusieurs années sans l’accord du bailleur, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, nonobstant l’inopposabilité de la sous-location au bailleur, que les sommes perçues à ce titre devaient lui être remboursées ».

La Cour de cassation confirme le recours à la règle de l’accession de droit commun pour sanctionner la sous-location, conférant ainsi une portée très générale à cet arrêt.

Attention à bien respecter le formalisme de la rupture conventionnelle sous peine de requalification en licenciement sans cause réelle ni sérieuse

Cass. Soc., 3 juillet 2019, n° 18-14.414

Par deux arrêts en date du 3 juillet 2019 (n° 17-14.232 et 18-14.414), la Cour de cassation précise que « seule la remise au salarié d’un exemplaire de la convention signé des deux parties lui permet de demander l’homologation de la convention et d’exercer son droit de rétractation en toute connaissance de cause ».

La Cour rappelle ainsi que la rupture conventionnelle doit répondre aux exigences du Code du travail selon lequel la rupture conventionnelle en application de l’article L.1237-11 « résulte d’une convention signée par les parties au contrat » qui doit être en possession des deux parties, la partie la plus diligente pouvant en application de l’article L.1237-14 du Code du travail l’adresser à l’autorité administrative pour homologation.

Ces deux décisions reprennent la jurisprudence antérieure au terme de laquelle (Cass. Soc., 6 février 2013 n° 11-27.000) « la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention […] et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause ».

Ces deux arrêts sont lourds de conséquences puisqu’en l’absence de respect du formalisme la rupture conventionnelle est nulle et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

Nouvelle extension de la reconnaissance du préjudice d’anxiété : tous les employeurs peuvent être concernés

Après avoir étendu la reconnaissance du préjudice d’anxiété aux entreprises qui n’étaient pas mentionnés à l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 (Cass. 5 avril 2019 n° 18-17.442), la Cour de cassation étant  désormais la possibilité d’indemniser ce préjudice aux salariés exposés à des toxiques, dans l’espèce du charbon.

La Cour décide ainsi qu’« en application des règles de droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur, le salarié qui justifie d’une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d’un préjudice d’anxiété personnellement subi résultant d’une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité ».

Ainsi tout salarié exposé à des produits toxiques pourra, sur le fondement de l’obligation de sécurité, solliciter même s’il n’a pas développé de maladie professionnelle indemnisation de son préjudice d’anxiété à charge pour les employeurs de s’exonérer de leur responsabilité en établissant avoir satisfait à leur obligation de sécurité.

Les employeurs doivent avec attention évaluer les risques professionnels auxquels sont exposés les salariés dans le DUER et avoir une démarche active de prévention des risques, sous peine d’un « contentieux de masse » sur le fondement du préjudice d’anxiété !

Condamnation prud’homale : Précompte des cotisations salariés sur le rappel de salaire

En l’espèce, une salariée a été licenciée par son employeur le 20 novembre 2013. Par jugement du Conseil de prud’hommes en date du 30 mars 2016, ce dernier a par la suite été notamment condamné à payer à la salariée diverses sommes à titre de rappel d’heures supplémentaires et de congés payés afférents, et au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C’est dans ce contexte que l’employeur a versé à la salariée une somme correspondant aux condamnations prononcées après déduction des cotisations sociales obligatoires. La salariée a alors fait délivrer un commandement et effectuer une saisie-attribution sur un compte bancaire de l’employeur qui a saisi un juge de l’exécution d’une contestation tendant à voir dire que la condamnation s’entendait d’une somme brute.

Pour débouter l’employeur de ses demandes de nullité du commandement de payer et de mainlevée de la saisie-attribution, la Cour d’appel (CA Paris, Pôle 4, 8ème ch., 14 décembre 2017, n° 16/24430) retient que la salariée a formulé une demande de condamnation en net et non en brut, que le conseil de prud’hommes a été saisi d’une telle demande, qu’aucune disposition n’impose à une juridiction de prononcer toutes les condamnations sur la même base, toutes en net ou toutes en brut, et qu’en faisant droit, sans autre précision, à la demande de la salariée, le conseil de prud’hommes, qui n’a pas écarté la prétention de la salariée qui souhaitait obtenir une indemnité nette, a prononcé une condamnation nette.

L’employeur s’est pourvu en cassation.

C’est dans ces conditions que la Haute juridiction a dû se demander si, faute de précision, les condamnations prud’homales doivent être assujetties aux cotisations sociales.

La Cour de cassation répond par la positive et censure la position des juges du fond au visa des articles 461 du Code de procédure civile et 1351 du Code civil. Elle énonce que la décision servant de fondement aux poursuites ne s’était pas prononcée sur l’imputation des cotisations et des contributions sociales, ce dont il résultait que l’employeur devait procéder au précompte des sommes dues par le salarié sur la condamnation prononcée.

Les actes de la Commission nationale du débat public relatifs aux modalités du débat public ou de la concertation préalable ne font pas grief et sont insusceptibles de recours

Par une requête enregistrée au Conseil d’Etat, un collectif de citoyens a demandé l’annulation pour excès de pouvoir de deux décisions du Commission nationale du débat public par lesquelles :

  • D’une part, elle a refusé d’organiser un débat public pour le projet de réaménagement de l’aéroport de Nantes-Atlantique, décidé de l’organisation d’une concertation préalable et désigné un garant du processus de concertation ;
  • D’autre part, elle a constaté la complétude du dossier de concertation et fixé les modalités de la concertation, notamment le calendrier et le périmètre du projet

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle que « si les actes par lesquels la Commission nationale du débat public décide ou refuse d’organiser un débat public ont le caractère de décisions faisant grief, en revanche les actes que la commission peut être appelée à prendre sur les modalités du débat ou de la concertation préalable, notamment le calendrier et les conditions de son déroulement, n’ont pas le caractère d’actes faisant grief ».

Par conséquent, les conclusions dirigées à l’encontre de la décision par laquelle la Commission nationale du débat public s’est bornée à constater la complétude du dossier de concertation et à fixer les modalités de cette concertation, notamment le calendrier et le périmètre du projet, sont entachées d’une irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte au cours de l’instance.

Marchés publics : sous-traitants versus fournisseurs ? Pas de droit au paiement direct dans un contrat qui ne présente pas les caractéristiques d’un contrat d’entreprise

Par un arrêt rendu le 30 juillet 2019[1], sans doute d’espèce mais qui alimente tout de même la jurisprudence en la matière, la Cour administrative d’appel de Bordeaux est venue, à nouveau, clarifier la distinction entre le contrat de sous-traitance et le contrat de fourniture.

La sous-traitance est régie par la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 dont les dispositions sont d’ordre public[2].

L’article 1er de cette loi définit la sous-traitance comme :

« […] l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage ».

Et l’article 3 précise, quant à lui, que :

« L’entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l’ouvrage […] ».

Une fois accepté et ses conditions de paiement agrées par le maître de l’ouvrage, le sous-traitant a ainsi droit au paiement direct par lui pour les prestations dont il assure l’exécution (article 6 de la loi du 31 décembre 1975).

Encore faut-il, pour relever du champ d’application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, que le contrat conclu présente les caractéristiques d’un contrat d’entreprise…

C’est ce que vient rappeler la Cour administrative d’appel de Bordeaux en affirmant, aux termes de son arrêt du 30 juillet 2019, que la fourniture de pavés, dalles ou encore bordures de granit façonnés conformément aux spécifications du marché, sans aucune participation à l’exécution du marché de travaux en cause, ne présente pas les caractéristiques d’un contrat d’entreprise.

En l’espèce, et c’est la particularité de cet arrêt, l’entreprise qui s’était vu confier un contrat portant sur la « fourniture et le façonnage de dalles, bordures et pavés granit noir de Chine », avait été acceptée par le maître d’ouvrage en qualité de sous-traitante et ses conditions de paiement avaient été agrées.

Pour autant, la Cour a jugé que :

«  […] une entreprise dont le contrat conclu avec l’entrepreneur principal n’a pas les caractéristiques d’un contrat d’entreprise mais d’un simple contrat de fourniture n’a pas droit au paiement direct de ses fournitures par le maître d’ouvrage, nonobstant la circonstance qu’elle a été acceptée par ce dernier en qualité de sous-traitante et que ses conditions de paiement ont été agrées ».

En effet, cette dernière a considéré que « […] pour l’application des dispositions de la loi du 31 décembre 1975, le contrat par lequel le titulaire d’un marché public de travaux commande à une entreprise la fourniture d’éléments de construction ne peut être regardé comme confiant au fournisseur l’exécution en sous-traitance d’une partie des prestations du marché ».

Cet arrêt rappelle donc l’importance, pour le titulaire du marché public, de savoir si son cocontractant doit être déclaré comme un sous-traitant, c’est-à-dire détenteur une obligation de faire, ou s’il n’est, en réalité, qu’un « simple » fournisseur.

 

[1]https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000038867236&fastReqId=1907459813&fastPos=1

[2] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000889241

Dématérialisation des procédures d’urbanisme : les plateformes se préparent !

A partir du 1er janvier 2022, toutes les communes de plus de 3 500 habitants seront tenues de recevoir et d’instruire les demandes de permis de construire par voie dématérialisée.

Pour se préparer à cette réforme d’ampleur, une charte d’engagement a été conclue le 25 avril dernier entre le ministère de la cohésion des territoires, l’ADCF et l’AMF. Elle rappelle les quatre domaines essentiels structurant le passage de l’urbanisme à l’ère du numérique :

  1. la dématérialisation des demandes d’autorisation d’urbanisme et la dématérialisation de leur instruction ;
  2. la mise à disposition des documents d’urbanisme au format numérique au sein du Géoportail de l’urbanisme ;
  3. le développement et l’articulation du Building Information Modeling (BIM) avec les projets et démarches d’urbanisme ;
  4. la transmission dématérialisée des Déclarations d’Intention d’Aliéner (DIA).

Dans ce contexte, le 10 septembre dernier, le Ministère de la Cohésion des territoires a présenté plusieurs dispositifs devant être testés rapidement.

Premièrement, serait instituée une plateforme des autorisations d’urbanisme (dite PLAT’AU). L’objectif serait de relier les différents systèmes d’information des collectivités et des services de l’Etat et ainsi de créer un « hub », permettant à tous les acteurs de l’instruction (collectivités, services déconcentrés de l’Etat, services d’incendie et de secours, unités départementales de l’architecture et du patrimoine) d’accéder aux dossiers en temps réel.

Deuxièmement, serait également développée la plateforme d’assistance aux demandes d’autorisations d’urbanisme (dite AD’AU), déjà existante (https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R52221) et en cours d’expérimentation.

Ce téléservice doit permettre d’accompagner le pétitionnaire dans la constitution de son dossier avant son dépôt pour instruction. A termes, l’objectif serait d’offrir aux administrés la possibilité de remplir entièrement leur dossier en ligne.

Troisièmement, et lorsque les dossiers seront instruits par l’Etat et/ou que la commune ne dispose pas d’un document d’urbanisme, sera créé un espace d’échange entre l’usager, la commune et le service instructeur. Cette plateforme de réception, information et échanges des autorisations d’urbanisme serait intitulée RIE’AU.

Ces objectifs de de développement de plateformes sont ambitieux dès lors qu’ils imposent de standardiser les modalités d’échanges, de simplifier les procédures existantes, de mettre en avant les avantages du numériques (plans 3D, meilleure modélisation, rapidité des échanges, etc.), et surtout de former les acteurs de l’urbanisme et notamment les services instructeurs, etc. A suivre donc…

L’exercice d’un droit de réponse par un fonctionnaire victime de diffamation à raison de ses fonctions doit être autorisé par son administration

L’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires met en place une protection organisée par l’administration à l’égard de ses agents lorsque ceux-ci sont victimes d’attaques ou de poursuites pénales à raison de leurs fonctions.

Le premier paragraphe de cet article prévoit notamment l’hypothèse dans laquelle un fonctionnaire fait l’objet de propos diffamatoires, c’est-à-dire d’allégations ou imputations de faits portant atteinte à son honneur ou à sa considération (Article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

Comme on peut le constater à la lecture de l’article 11, celui ne précise pas, à dessein, par quels moyens l’administration doit assurer la protection de son agent. De jurisprudence constante en effet, c’est à l’administration de déterminer les moyens les plus appropriés pour assurer cette protection (CE, 18 mars 1994, n° 92410). Elle consiste souvent en la prise en charge des frais de justice par l’agent pour obtenir réparation du préjudice subi en raison des attaques (CE 2 avril 2003, Chantalou, n° 249805), ou dans le versement d’une indemnisation (CAA Nantes, 26 décembre 2002, Mme Cocquereau, n° 01NT00614).

En matière de diffamation commise à l’encontre de son agent, l’arrêt ici commenté juge que la protection peut prendre la forme de l’exercice d’un droit de réponse adressé par l’administration au média en cause, prévu par l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881.

Conformément à cet article, le Conseil d’Etat rappelle également que l’agent peut exercer lui-même ce droit de réponse. Mais, de façon intéressante, l’arrêt prévoit que dans cette hypothèse, le texte du droit de réponse rédigé par le fonctionnaire doit être soumis à son l’administration afin que celle-ci apprécie « si, compte tenu du contexte, l’exercice d’un tel droit de réponse est la modalité appropriée pour assurer la protection qu’elle doit à son agent ».

Le contrôle de l’administration sur les moyens de protection mis en œuvre est ainsi tel qu’il limite en réalité le droit dont l’agent dispose en vertu 13 de la loi du 29 juillet 1881 : le fonctionnaire ne peut directement adresser son droit de réponse au média concerné, qui doit être préalablement validé par l’administration.

Cette jurisprudence fort intéressante révèle en réalité la substance exacte de la protection fonctionnelle : plus que l’agent, c’est, à travers lui, l’administration toute entière qui est protégée ; aussi n’est-il pas envisageable que les modalités de protection soient décidées de façon indépendante par l’agent.

Outre cette considération, il faut relever que la validation préalable du droit de réponse du fonctionnaire est également une garantie pour celui-ci puisqu’elle lui permettra d’écarter tout risque de manquement à son devoir de réserve.

La validité de la clause de non-garantie des vices cachés dans le contrat de vente

Un acte de vente a été conclu entre deux particuliers, lequel comportait une clause de non-garantie des vices cachés.

L’article 1643 du Code civil, en effet, dispose, s’agissant du vendeur : « Il est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n’ait stipulé qu’il ne sera obligé à aucune garantie ».

L’acheteur, se plaignant de divers désordres relatifs au système d’évacuation des eaux usées, a assigné le vendeur en réparation sur le fondement des vices cachés.

Considérant que le vendeur avait effectué ou fait effectuer des travaux de démolition puis de reconstruction dans les lieux, et qu’il était dès lors réputé vendeur-constructeur, la Cour d’appel a écarté la clause d’exonération de garantie des vices cachées qui avait été prévue au contrat.

Or, la jurisprudence considère que le vendeur qui, sans être professionnel, a effectué ou conçu lui-même les travaux, doit être assimilé à un vendeur qui connaissait les vices, lequel ne peut stipuler une clause de non-garantie dans son acte de vente.

En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si le vendeur avait effectué lui-même les travaux, seul élément qui lui aurait permis d’écarter valablement la clause d’exonération de garantie des vices cachés :

« Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si M. R. avait lui-même conçu ou réalisé les travaux, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

Cet arrêt permet utilement de rappeler les conditions de validité de la clause de non-garantie des vices cachés.

À missions équivalentes, un agent contractuel doit percevoir une rémunération équivalente à un fonctionnaire

Par une décision en date du 20 juin 2019 (aff. C-72/18), la Cour de justice de l’Union Européenne a jugé contraire au principe de non-discrimination tel qu’énoncé par la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999, une réglementation nationale qui réserve le bénéfice d’un complément de rémunération à des fonctionnaires titulaires, à l’exclusion des agents contractuels employés à durée déterminée.

La Cour était saisie d’une question préjudicielle par un Tribunal administratif espagnol qui devait trancher un litige avec un enseignant contractuel qui réclamait au ministère de l’Éducation le versement rétroactif d’un complément de rémunération dont bénéficiait les professeurs fonctionnaires.

Après avoir constaté qu’il « n’existe aucune différence entre les fonctions, les services et les obligations professionnelles assumés par un professeur fonctionnaire et ceux assumés par un professeur agent contractuel de droit public, tel que M. Ustariz Aróstegui », la CJUE relève que « l’intérêt public qui s’attache, en soi aux modalités d’accès à la fonction publique ne peut justifier une différence de traitement ».

En d’autres termes, le statut de fonctionnaire ne compte pas au nombre des « raisons objectives » permettant l’octroi d’une prime aux seuls statutaires à l’exclusion des contractuels.

En ce sens, la jurisprudence européenne va à l’encontre de la ligne jurisprudentielle du Conseil d’État qui considère que les fonctionnaires et les contractuels ne sont pas dans la même situation juridique dès lors que les fonctionnaires sont placés dans une situation légale et réglementaire spécifique (CE, 23 octobre 1937, Dlle Miniare, Rec p.843). Le Juge administratif autorise ainsi une différence de traitement, en particulier en matière de rémunération du fait du statut du fonctionnaire, et non tirée de la spécificité des tâches effectuées (CE, 15 décembre 2004, Chichery, n° 261215).

Dans ces conditions, cette jurisprudence pourrait avoir des conséquences importantes notamment sur les administrations qui ne font pas bénéficier, à missions comparables, leurs agents contractuels du même régime indemnitaire que leurs fonctionnaires et qui refusent l’octroi de primes réservées aux seuls fonctionnaires titulaires.

Modulation par le Juge du montant des pénalités contractuelles

Par sa décision Société GBR Ile-de-France du 19 juillet 2017 (req. n° 392707), le Conseil d’Etat avait précisé sous quelles conditions le Juge pouvait, à titre exceptionnel, moduler le montant des pénalités infligées à un cocontractant fautif dans le cadre de l’exécution d’un contrat de la commande publique : « si, lorsqu’il est saisi d’un litige entre les parties à un marché public, le juge du contrat doit, en principe, appliquer les clauses relatives aux pénalités dont sont convenues les parties en signant le contrat, il peut, à titre exceptionnel, saisi de conclusions en ce sens par une partie, modérer ou augmenter les pénalités de retard résultant du contrat si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l’ampleur du retard constaté dans l’exécution des prestations ». Dans cette hypothèse, il appartient au requérant de fournir aux juges tous éléments, relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige, de nature à établir dans quelle mesure ces pénalités présentent selon lui un caractère manifestement excessif.

Ce considérant de principe avait été dégagé à l’occasion d’un litige né de ce qu’un centre hospitalier avait infligé au titulaire d’un marché de travaux des pénalités de retard pour un montant total de 663.686,66 €, ce qui représentait 61,15 % du montant du marché. A la suite du rejet par le centre hospitalier de sa réclamation contestant l’application de ces pénalités, la Société requérante avait saisi le Tribunal administratif de Melun, lequel avait, par jugement du 12 février 2014, réduit le montant des pénalités. En appel, la Cour administrative d’appel de Paris avait, dans un arrêt du 15 juin 2015, accentué la réduction du montant des pénalités.

Par sa décision du 19 juillet 2017, le Conseil d’Etat avait annulé cet arrêt, au motif que la Cour administrative d’appel avait réduit le montant des pénalités sans s’assurer de leur caractère manifestement excessif au regard notamment des pratiques observées pour des marchés comparables ou des caractéristiques particulières du marché en litige. De plus, la Cour avait également commis une erreur de droit en réduisant les pénalités à un montant qui ne pouvait, en tout état de cause, être regardé comme corrigeant leur caractère manifestement excessif dès lors qu’il était soutenu, ce qu’il incombait au Juge de vérifier, que ce montant était inférieur au préjudice subi.

A nouveau saisie de l’affaire par renvoi du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Paris opère donc, dans son arrêt du 24 juin 2019, une nouvelle appréciation du fond du litige à la lumière de la décision du Conseil d’Etat. Elle constate notamment que la Société GBR Ile-de-France, qui se borne à invoquer des jurisprudences rendues dans d’autres affaires, ne fournit pas d’éléments relatifs notamment aux pratiques observées pour des marchés comparables ou aux caractéristiques particulières du marché en litige. Au final, la Cour administrative d’appel juge « qu’en l’absence de démonstration de caractéristiques particulières du marché ou de pratiques sensiblement différentes pour des marchés comparables, le montant des pénalités qui découle des stipulations contractuelles, alors même qu’il représente 61,15 % du montant du marché, ne peut être regardé comme manifestement excessif pour un retard cumulé de 465 jours sur une période de travaux prévue au marché de six mois ». Par suite, la Cour administrative d’appel conclue que la Société requérante n’était pas fondée à demander la réduction du montant de ces pénalités.

Droit de préemption et référé-suspension: une seconde chance laissée au vendeur ou à l’acquéreur évincé qui n’a pas été mis dans la cause

Dans le cadre d’un recours en référé-suspension exercé contre une décision d’exercice du droit de préemption qui a abouti, le Conseil d’Etat a, par un arrêt rendu le 24 juillet 2019 (mentionné aux Tables) ouvert une possibilité au vendeur ou à l’acquéreur évincé qui n’aurait pas été mis dans la cause dans l’instance de référé-suspension de saisir le juge des référés d’un recours « en modification », sur le fondement de l’article L. 521-4 du Code de justice administrative.

Pour rappel cet article dispose que « saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d’un élément nouveau, modifier les mesures qu’il avait ordonnées ou y mettre fin ».

Au cas particulier, une décision de préemption exercée par un établissement public local avait été suspendue, à la demande de l’acquéreur évincé, par le juge des référés du Tribunal administratif de Lille (cette suspension avait toutefois été limitée de telle sorte que le vendeur ne pouvait céder son bien jusqu’à l’intervention du jugement au fond), avant que le vendeur, qui n’avait pas été appelé dans l’instance, n’exerce un recours contre ce même juge sur le fondement de l’article L. 521-4 du Code de justice administrative, en vue de demander la suspension dans tous ses effets de la décision de préemption.

Le juge des référés du Tribunal administratif a rejeté comme irrecevable le recours de la société venderesse, au motif que le vendeur n‘avait pas introduit de requête au fond.

Saisi d’un pourvoi formé par le vendeur, le Conseil d’Etat a annulé l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif pour erreur de droit, considérant que l’exercice du recours prévu à l’article L. 521-4 du Code de justice administrative n’est pas subordonné à l’introduction d’une requête en annulation ou en réformation de la décision initiale.

Réglant l’affaire soumise au juge des référés, la Haute juridiction administrative rejette toutefois au fond la demande de modification des effets de la suspension de la décision présentée par la société venderesse du bien préempté, au motif qu’elle ne rapporte pas la preuve que les incidences financières subies par elle, liées à l’immobilisation du bien jusqu’à l’intervention du jugement au fond, seraient d’une importance telle qu’elles justifieraient une vente rapide du bien.

Conditions pour faire connaître son soutien à la proposition de loi tendant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des Aérodromes de Paris ? La consultation prendra fin le 12 mars 2020

Plateforme numérique de référendum d’initiative partagée

Conseil constitutionnel, 10 septembre 2019, Décision n° 2019-1-1 RIP

Sachez toutefois, si cela peut vous aider à vous déterminer, qu’en tout état de cause, vous pourrez continuer de suivre jusqu’à la conclusion de ce référendum, fonde sur l’article 11 de la Constitution, l’évolution du nombre des soutiens exprimés à la proposition de loi.

Au requérant, en effet, qui réclamait du Conseil constitutionnel qu’il enjoigne au Ministre de l’Intérieur, de publier régulièrement le nombre des soutiens sur son site, les Sages ont répondu, dans leur décision du 10 septembre dernier, que la question n’avait pas d’objet.

Le Conseil constitutionnel rappelant qu’il lui appartenait de constater, le cas échéant, l’existence d’irrégularités dans le déroulement des opérations de recueil des soutiens à une proposition de loi déposée en application du troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution,  il lui incombait de statuer sur une réclamation tendant à une publication régulière du nombre des soutiens à la proposition de loi.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel avait déjà décidé de rendre public tous les quinze jours le nombre de soutiens enregistrés au ministère de l’intérieur consacrés à cette procédure, en précisant la part de ces soutiens ayant franchi avec succès le stade des vérifications administratives auxquelles il incombe au ministère de procéder. Il rappelle, de plus, avoir fait état de cette décision dans les communiqués qu’il a publiés les 30 juillet et 29 août 2019. 

Les apports de la loi du 19 juillet 2019 en matière de cession de fonds de commerce et de location-gérance

La loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019 de simplification, de clarification et d’actualisation du droit des sociétés a procédé à des simplifications, lesquelles sont entrées en vigueur le 21 juillet 2019, en matière de cession et de location-gérance d’un fonds de commerce.

Suppression des mentions obligatoires en cas de cession de fonds de commerce

La loi abroge l’article L. 141-1 du Code de commerce qui prévoyait un certain nombre de mentions obligatoires pour tout acte de cession de fonds de commerce, à peine de nullité (nom du précédent vendeur, état des privilèges et nantissements, chiffres d’affaires et résultats d’exploitation des trois derniers exercices comptables, la date du bail, etc.).

Suppression du délai préalable d’exploitation de deux ans en cas de location-gérance

L’autre nouveauté introduite par la loi supprime la condition relative au délai d’exploitation minimum de deux ans du fonds de commerce avant sa mise en location-gérance.

Cette suppression devrait simplifier le recours à cette technique.

La loi de transformation de la fonction publique annonce-t-elle sa disparition ?

Le titre est volontiers provocateur, mais il faut bien avouer que la question se pose tant la transformation impulsée par cette loi est profonde. Pourtant, force est de constater qu’elle sera passée sans que les fonctionnaires ne se mobilisent, et si la commission mixte paritaire a dû être saisie pour mettre d’accord les deux assemblées, il semble que ce dernier fût vite trouvé.

L’objectif du Gouvernement, qui agit dans un contexte budgétaire contraint, a clairement été de rapprocher le statut public de celui applicable aux salariés de droit privé.

La loi importe ainsi du privé certaines nouveautés dont elle reprend même la terminologie à l’instar de la rupture conventionnelle, du contrat de projet, des comités sociaux qui fusionnent les comités techniques avec les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Par ailleurs elle gomme certaines spécificités du régime public en retirant aux commissions administratives paritaires une partie importante de leurs attributions (promotions, avancements, mises à disposition, détachements…), en mettant un terme définitif au pourtant mythique emploi à vie par la réduction à la portion congrue de la prise en charge des fonctionnaires momentanément privés d’emploi ou encore en allant jusqu’à contraindre des fonctionnaires affectés à des activités externalisées à passer sous statut privé.

Est-ce pour autant la fin de la fonction publique ?

Disons plutôt qu’il s’agit de la fin de la fonction publique de carrière, caractéristique principale de la fonction publique française.

En effet, depuis 1946 les emplois permanents étaient réservés aux fonctionnaires, titulaires de leur grade mais non de leur emploi, protégés des pressions du politiques comme des administrés par la garantie de l’emploi.

La loi du 6 août opère à cet égard un changement de paradigme : de fonction publique de carrière, la France aura une fonction publique de contrat.

Alors certes, le principe de la priorité des fonctionnaires pour occuper les emplois permanents demeure, et il y a toujours eu des contractuels, indispensables pour leurs compétences pointues et quand l’emploi ne pouvait être pourvu par un titulaire.

Mais ce principe va finir par devenir une exception tant le champ du recrutement possible des contractuels s’est étendu : tous les emplois des communes et établissements de moins de 1 000 habitants, tous ceux des établissements publics de l’Etat, pour toutes les catégories si la nature des fonctions et le besoin des services le justifient, pour tous les emplois de direction des collectivités au-delà de 40 000 habitants, et ce sans parler du contrat de projet.

Et si le secrétaire d’Etat a bien rappelé durant les débats parlementaires que les fonctions régaliennes seraient toujours occupées par des fonctionnaires, le Conseil constitutionnel, lui, dans sa décision du 1er août dernier, a souligné « [qu’] aucune exigence constitutionnelle n’impose que tous les emplois participant à l’exercice de « fonctions régaliennes » soient occupés par des fonctionnaires » (paragraphe 36).

Tous les emplois ? Probablement pas, et la loi va dans ce sens puisque sans distinguer les fonctions régaliennes des autres, elle confirme en réalité ce qui existe déjà, à savoir que depuis longtemps des contractuels travaillent pour la justice, pour l’armée, au sein de la DGFIP… Mais à quels postes ? Il sera nécessaire, si l’on veut aller au bout de cette logique, qu’une nouvelle loi détermine les emplois ne pouvant être occupés que par des personnels titulaires (magistrats, trésorier public, etc). Le statut de la fonction publique deviendrait alors un droit exorbitant du droit du travail, applicable à la minorité qui exercerait certaines fonctions régaliennes.

D’ici là il va falloir compléter le statut des contractuels qui, pour l’instant, relève toujours du droit public. A cet égard, le rapprochement opéré par la loi du 6 août avec le droit du travail est-il un signe avant-coureur ?

Le fait que le Gouvernement soit habilité à prendre toute disposition relative à la négociation dans la fonction publique afin de favoriser la conclusion d’accords négociés, aussi bien au niveau national que local, laisse penser que chaque collectivité pourrait disposer d’un ersatz de convention collective qui ne serait cependant pas complète, l’Etat conservant le monopole de la définition de la rémunération et du temps de travail. Il conviendra cependant que les employeurs, ainsi que les organisations syndicales, soient particulièrement attentifs lors de la conclusion de ces accords, car il sera nécessaire d’être attractif pour recruter les contractuels, agents publics de demain.

Par Lorène Carrère, Avocate Associée

Pesticides : suspension de l’arrêté de police du Maire de Langouët

Par une ordonnance de référé du 27 août 2019, la préfète d’Ille-et-Vilaine a obtenu la suspension d’un arrêté par lequel le maire de Langouët a réglementé les modalités d’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur le territoire de cette commune.

En substance, pour reconnaître le doute sérieux quant à la légalité de cet acte, le juge a constaté l’incompétence du maire à intervenir au titre des pouvoirs de police qu’il détient dès lors qu’une police spéciale en matière phytopharmaceutiques est instituée par les articles L. 253-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime, impliquant, selon les cas, une intervention des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation ou de celle du préfet du département dans lequel ces produits sont utilisés.

L’article L. 2131-6 du Code général des collectivités territoriales, sur le fondement duquel la juridiction a été saisie n’imposant pas l’existence d’une urgence, le doute relatif à la légalité de l’arrêté a donc suffi à en prononcer la suspension.