Naissance du permis d’aménager à tranches : publication du décret reconnaissant la possibilité de commercialiser les lots par tranches successives

Par principe, la vente des lots d’un lotissement ne peut intervenir qu’après la réalisation des travaux par le lotisseur.

Toutefois, en vertu des dispositions de l’article R. 442-13 du Code de l’urbanisme, le lotisseur peut demander que son permis d’aménager l’autorise à procéder à la vente ou à la location des lots avant l’exécution de tout ou partie des travaux prescrits, sous réserve de justifier d’une garantie d’achèvement des travaux.

Pour rappel, cette garantie est donnée par une banque, un établissement financier ou une société de caution mutuelle et peut prendre deux formes (C. urb., art. R. 442-14) :

  • une ouverture de crédit par laquelle celui qui l’a consentie s’oblige à avancer au lotisseur ou à payer pour son compte les sommes nécessaires à l’achèvement des travaux ;
  • une convention par laquelle la caution s’oblige envers les futurs attributaires des lots, solidairement avec le lotisseur, à payer les sommes nécessaires à l’achèvement des travaux.

Désormais, le nouvel article R. 442-13-1 du Code de l’urbanisme élargit cette exception en permettant la commercialisation des lots tranche par tranche, sous réserve de justifier des garanties d’achèvement des travaux correspondantes.

Le deuxième alinéa de cet article précise que la garantie sera levée lors du dépôt de la déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux (DAACT), prévue par l’article R. 462-3 du Code de l’urbanisme, et de la garantie d’achèvement des travaux relatifs à la tranche suivante. Le dépôt de ces deux documents autorise le lotisseur à procéder à la vente ou à la location des lots au titre de la tranche suivante.

A titre d’exemple, le lotisseur qui a un lotissement en trois tranches (A, B et C) peut commercialiser les lots de la tranche A avant la réalisation des travaux prescrits, à condition de disposer d’une garantie d’achèvement des travaux pour cette tranche. Le lotisseur pourra ensuite commercialiser les lots de la tranche B lorsqu’il aura déposé la DAACT de la tranche A et la garantie d’achèvement des travaux de la tranche B. Il en ira de même pour la tranche C dont les lots pourront être commercialisés après le dépôt de la DAACT de la tranche B et de la garantie de la tranche C.

Ces nouvelles dispositions s’appliqueront aux demandes d’autorisation d’urbanisme déposées à compter du 21 décembre 2024.

A retenir également que, dans les communes de plus de 3.500 habitants, les demandes d’autorisation d’urbanisme ou les déclarations préalables émanant de personnes morales devront désormais être adressées par voie électronique, à compter du 1er janvier 2025.

Exercice du droit de rétrocession de l’exproprié : constitutionnel… sous réserve

Par une question prioritaire de constitutionnalité rendue n° 2024-1112 le 22 septembre 2024, le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité des dispositions de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique concernant l’exercice du droit de rétrocession, mais ce sous réserve d’une interprétation.

 

Pour rappel, si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans un délai de 5 ans à compter de l’intervention de l’ordonnance d’expropriation, la destination pour laquelle ils ont été expropriés ou ont cessé de recevoir cette destination, il est octroyé à l’ancien propriétaire un droit de rétrocession lui permettant d’acquérir de nouveau son ancienne propriété. Si l’ancien propriétaire décide d’exercer son droit de rétrocession, le prix d’acquisition sera fixé, comme en matière d’expropriation (à savoir à l’amiable ou, à défaut, par décision judiciaire).

L’article L. 421-3 du Code de l’expropriation, contesté dans le cadre de ce recours, intervient à la suite de cette fixation du prix de rachat et dispose qu’« à peine de déchéance, le contrat de rachat est signé et le prix payé dans le mois de sa fixation, soit à l’amiable, soit par décision de justice ».

Il en résulte ainsi que l’expropriant et l’ancien exproprié dispose d’un délai d’un mois pour réaliser les formalités nécessaires à la cession du bien (rédaction et signature de l’acte authentique de vente) et pour s’acquitter du paiement du prix de rachat, à défaut de quoi l’ancien exproprié – désormais acquéreur par rétrocession – sera considéré comme déchu de son droit.

En d’autres termes, si lesdites formalités ne sont pas réalisées dans le délai imparti d’un mois, l’expropriant est libéré de son obligation de revendre le bien à l’ancien exproprié, qui ne pourra plus prétendre à un quelconque droit de propriété sur ledit bien.

Cette disposition a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation à l’issue d’une décision de renvoi en date du 5 septembre 2024.

En l’espèce, plusieurs expropriés avaient exercé leur droit de rétrocession pour le rachat d’une parcelle expropriée dans le cadre de la création d’une zone d’aménagement concerté. Le prix de rétrocession avait été fixé par un jugement du 14 novembre 2019 mais faute de réalisation des formalités d’acquisition et de paiement du prix, l’Etablissement public foncier du Grand Est leur avait notifié la déchéance de leur droit de rétrocession. Les requérants ont donc saisi le juge judiciaire aux fins de restitution de la parcelle contre le paiement du prix de rétrocession, procédure au terme de laquelle la Cour de cassation a transmis la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Selon les requérants, l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation porte atteinte au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en raison de la durée insuffisante laissée aux parties pour s’acquitter des formalités et du paiement, et ce notamment lorsque la méconnaissance de ce délai pourrait résulter du comportement de l’expropriant.

Par sa décision rendue le 22 novembre dernier, les Sages ont confirmé la constitutionnalité de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation au terme d’un raisonnement en deux temps.

D’une part, il a été énoncé que la disposition litigieuse a pour objet de prévenir l’inaction du titulaire du droit de rétrocession. En effet, comme l’a rappelé le représentant du Premier ministre dans ses conclusions, une fois le droit de rétrocession exercé par l’exproprié, l’expropriant, encore propriétaire du bien, ne dispose plus de la pleine disposition de son bien et se trouve notamment dans l’impossibilité de le vendre à un tiers.

Afin de prévenir les atteintes au droit de propriété de l’expropriant (propriétaire), il était donc nécessaire d’encadrer les délais de formalisation du rachat par l’exproprié. Tel est l’objet de la disposition litigieuse.

D’autre part, il est acquis que le délai d’un mois de l’article contesté ne court qu’à compter de la fixation définitive du prix de rachat (à l’amiable ou par décision judiciaire devenue définitive). Or, cette phase de fixation du prix intervient nécessairement après que l’exproprié ai exercé son droit de rétrocession. Aussi, pour le Conseil constitutionnel, il n’est pas fait obstacle à l’exercice du droit de rétrocession.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation de l’article examiné :

« 9. Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, être interprétées comme permettant que la déchéance du droit de rétrocession soit opposée à l’ancien propriétaire ou à ses ayants droit lorsque le non-respect du délai qu’elles prévoient ne leur est pas imputable »

Aussi, l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation ne saurait permettre à un expropriant d’opposer la déchéance du droit de rétrocession à un exproprié ayant exercé son droit de rétrocession alors même que la méconnaissance du délai d’un mois laissé lui serait imputable en raison de son inaction ou son manque de diligences à réaliser les formalités de cession.

C’est sous cette réserve d’interprétation que le Conseil constitutionnel confirme la constitutionnalité de l’article L. 421-3 du Code de l’expropriation.

Cette décision, favorable aux expropriés, ne peut qu’inciter les expropriants comme les expropriés à anticiper la réalisation des formalités de rachat, et ce notamment en cas d’accord amiable sur le prix.

Les expropriants, quant à eux, devront être attentifs à la conservation des justificatifs des diligences opérées, afin de prévenir toute difficulté dans l’hypothèse d’une contestation de l’acquisition de la déchéance du droit de rétrocession.

La décision QPC étant silencieuse sur les modalités d’appréciation de l’inertie de l’expropriant conduisant au non-respect du délai prévu par l’article L. 421-3, désormais déclaré constitutionnel, il reviendra certainement au Juge judiciaire de statuer dans l’avenir sur ces questions.

Le juge de l’expropriation n’est pas tenu par les propositions amiables de l’expropriant

Dans cette affaire, les indemnités d’expropriation dues à l’exproprié ont été fixées judiciairement. L’exproprié a effectué un pourvoi en cassation dans lequel il soulève deux moyens.

En premier lieu, l’exproprié contestait le fait que le juge de l’expropriation n’avait pas tenu compte de l’offre faite par l’expropriant pendant la phase amiable antérieure à sa saisine.

L’on rappelle que l’expropriant doit notifier le montant de ses offres aux expropriés et les inviter à faire connaître le montant de leur demande (L. 311-4 du Code de l’expropriation), et ce n’est qu’à défaut d’accord sur le montant des indemnités, que celles-ci sont fixées par le juge de l’expropriation (L. 311-5 du même code).

Concrètement, dans cette affaire, l’exproprié s’était vu offrir une indemnité de 12.000 euros à l’amiable pour l’édification d’un mur antibruit mais, faute d’accord, le juge de l’expropriation a été saisi et a fixé à 1.860 euros l’indemnité de clôture, indemnité identique à celles des autres expropriés.

Sur ce point, la Cour de cassation rappelle que les offres faites à l’amiable entre les parties ne lient pas le juge de l’expropriation saisi ultérieurement, celui-ci n’étant tenu que par les demandes figurant dans les mémoires des parties, et donc dans la limite des prétentions des parties, conformément à l’article R. 311-22 du Code de l’expropriation.

Il arrive donc qu’un exproprié obtienne une indemnité principale et des éventuelles indemnités complémentaires dont les montants fixés par le juge de l’expropriation sont moindres que ce qu’il aurait pu obtenir s’il avait accepté l’offre amiable antérieure de l’expropriant. Dès le stade de la procédure amiable, il est donc utile pour l’exproprié d’étudier l’éventuelle marge de manœuvre qu’il pourrait avoir devant le juge de l’expropriation par rapport à l’offre amiable.

En second lieu, l’exproprié soutenait qu’il devait bénéficier d’une indemnité de dépréciation du surplus car l’expropriation concernait environ 24,5 % de son jardin. Le juge de l’expropriation a rejeté sa demande.

La Cour de cassation a ici relevé que le juge du fond avait bien rappelé qu’il s’agissait d’une expropriation partielle et que la perte de valeur subie par le surplus de la propriété restant à l’exproprié n’ouvre droit à réparation que sous réserve de résulter directement de l’emprise partielle objet de l’expropriation, et non de l’implantation d’un ouvrage public. En effet, le seul fait d’exproprier partiellement une parcelle ne confère pas un droit automatique à l’exproprié de percevoir une indemnité de dépréciation du surplus. Et la preuve de cette démonstration incombe à l’exproprié.

Au présent cas, le juge de l’expropriation avait relevé que le seul préjudice direct lié à l’emprise était la dépossession de 24,5 % de la superficie de la parcelle de l’exproprié qui est donc passée de 3.191 m² à 2.409m². La Cour de cassation estime que le juge de l’expropriation a souverainement retenu que si les travaux liés à l’aménagement de la route allaient provoquer une perte de vue et de nuisances sonores, selon ce qui ressortait bien d’un rapport produit par l’exproprié, ce dernier n’apportait en revanche aucune preuve de la perte de valeur du surplus non exproprié de sa parcelle résultant de la seule partie d’emprise expropriée.

Précisions sur la procédure à mettre en œuvre : Modification ou révision du plan local d’urbanisme (PLU) pour le passage d’une parcelle classée en 2 AU à 1 AU

Dans cette affaire, des sociétés ont sollicité l’annulation d’une délibération d’un conseil municipal de 2018 approuvant la modification n° 3 du plan local d’urbanisme (PLU), ensemble le rejet de leur recours gracieux, en soulevant notamment le moyen selon lequel une procédure de révision aurait dû être mise en œuvre.

En particulier, cette modification n° 3 était relative à la modification du zonage et à l’ouverture à l’urbanisation d’un terrain de 10 hectares « à urbaniser », antérieurement classé en zone 2 AU afin de la classer en 1 AU.

Le tribunal administratif a rejeté leur requête. La cour administrative d’appel a confirmé le jugement. Le Conseil d’Etat a alors été saisi d’un pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt de la Cour.

D’abord, le Conseil d’Etat a rappelé qu’un document d’urbanisme local pouvait définir quatre types de zones : les zones urbaines, les zones à urbaniser, les zones agricoles, et les zones naturelles et forestières.

Le Conseil d’Etat a ensuite rappelé la définition des zones à urbaniser (AU) au sens de l’article R. 151-20 du Code de l’urbanisme. En substance, cet article distingue deux types de zones à urbaniser :

  • la zone 1 AU concerne des parcelles déjà desservies par des voies et réseaux d’électricité, d’eau et d’assainissement d’une capacité suffisante pour desservir les futures constructions ;
  • la zone 2 AU correspond à des parcelles desservies par de tels réseaux mais en capacité insuffisante pour les futures constructions, et qui sont subordonnées à une modification ou une révision du PLU.

En outre, le Conseil d’Etat rappelle que les articles du Code de l’urbanisme applicables en l’espèce disposent que, sous réserve des cas où une révision du PLU s’impose, le PLU est modifié lorsque la collectivité compétente décide de modifier le règlement, les OAP ou le programme d’orientations et d’actions. Aussi, lorsque le projet de modification porte sur l’ouverture à l’urbanisation d’une zone, une délibération motivée de l’organe délibérant doit être prise pour justifier de l’utilité de cette ouverture au regard des capacités d’urbanisation encore inexploitées dans les zones déjà urbanisées et la faisabilité opérationnelle d’un projet dans ces zones. Enfin, à l’inverse, le PLU est révisé lorsque la Collectivité décide d’ouvrir à l’urbanisation une zone à urbaniser qui, dans les 9 ans [aujourd’hui le délai est de 6 ans] suivant sa création, n’a pas été ouverte à l’urbanisation ou n’a pas fait l’objet d’acquisitions foncières significatives de la part de ladite Collectivité compétente, directement ou par l’intermédiaire d’un opérateur foncier.

Cela étant posé, le Conseil d’Etat distingue selon que :

  • La parcelle est classée en zone à urbaniser depuis moins de 9 ans (désormais 6 ans), alors la Collectivité compétente pourra procéder par modification de son PLU, en justifiant par une délibération motivée de l’utilité de l’opération au regard des capacités d’urbanisation encore inexploitées dans les zones déjà urbanisées et la faisabilité opérationnelle d’un projet dans ces zones ;
  • La parcelle est classée en zone à urbaniser depuis plus de 9 ans (désormais 6 ans). Dans ce cas, il faudra mettre en œuvre la procédure de révision de son PLU pour la classer en zone urbaine.

Et le Conseil d’Etat justifie ici cette distinction selon la durée de classement en zone AU : «  Par ces dispositions, le législateur a entendu prévenir la constitution de réserves foncières dépourvues de projet d’aménagement et inciter les établissements publics de coopération intercommunale et les communes à définir et mettre en œuvre dans le délai de neuf ans les orientations d’aménagement et de programmation pour les zones identifiées par le plan local d’urbanisme comme étant à urbaniser, ainsi que cela ressort des travaux parlementaires préalables à l’adoption de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové qui a introduit les dispositions précitées de l’article L. 153-31 dans le Code de l’urbanisme. Il en résulte que le délai de neuf ans qu’elles prévoient court, soit à compter du classement initial comme zone à urbaniser du secteur en cause, soit, le cas échéant, à compter d’une révision ultérieure du plan local d’urbanisme portant, notamment par l’adoption d’un nouveau projet d’aménagement et de développement durables, sur un projet d’aménagement pour ce secteur. »

Enfin, le point de départ du délai est important.

Au cas d’espèce, c’était le passage du zonage 2 AU à 1 AU qui posait difficulté car il fallait apprécier la date du point de départ du délai de 9 ans. En effet, il fallait savoir si l’on prenait en compte la date de la révision générale du PLU en 2013 ou celle de la création en 2005 de la zone à urbaniser en cause.

Autrement posé, si l’on considère la date de l’approbation générale de la révision du PLU en 2013, le délai de 9 ans n’était pas encore expiré lors de la modification n° 3 approuvée en 2018, de sorte que l’ouverture à l’urbanisation pouvait se faire par une modification du PLU. A l’inverse, si l’on considère qu’il faut tenir compte de la date de création de la zone à urbaniser en cause en 2005, le délai de 9 ans était largement expiré en 2018, de sorte que la procédure à mettre en œuvre était une procédure de révision.

La cour administrative d’appel a calculé le délai de 9 ans par rapport à la date de la révision générale du PLU, approuvée par délibération de 2013, emportant notamment nouveau PADD et nouveaux règlements écrit et graphique.

Ce faisant, le Conseil d’Etat a jugé que la Cour n’avait pas commis d’erreur de droit.

Enfin, sur ce point, le rapporteur public, Maxime BOUTRON, rappelait que :

« La lettre de la loi n’est pas explicite. Repartons un instant de ses fondements. Par la loi « ALUR » n° 2014-366 du 24 mars 2014, le législateur a fait le constat que de trop nombreuses communes avaient tendance à créer des zones à urbaniser (2 AU), lors de l’élaboration de leur PLU, dans le seul but de constituer des réserves foncières, sans réel projet d’aménagement à court ou moyen terme. Afin de lutter contre ces pratiques et de les contraindre à mieux penser leur développement au regard des possibilités offertes par le tissu urbain déjà existant, il a souhaité introduire une sorte de « péremption » des zones 2 AU au terme d’un délai de neuf ans. Le texte initial du Gouvernement prévoyait que ce délai de neuf ans serait calculé à partir de la date d’approbation du PLU ou, si ce plan avant fait l’objet d’une ou plusieurs révisions, de la date d’approbation de la dernière révision. Mais à la faveur des amendements à l’Assemblée comme au Sénat, cette précision a d’abord disparu avant un amendement n° 526 au Sénat de M. Jacques Chiron le réexplicitant mais qui est tombé à la faveur de l’adoption d’un autre amendement. S’il est donc vrai que la loi en vigueur est muette, par deux fois (texte initial et amendement de clarification ayant reçu l’avis favorable du Gouvernement), il a bien été proposé de retenir la date d’approbation du PLU ou de la dernière révision de celui-ci. Et c’est ce que nous vous proposerons donc de juger explicitement, dans le même sens que la cour. »

Par conséquent, le Conseil d’Etat a confirmé l’arrêt des juges du fond.

Appréciation de la compatibilité d’un projet soumis à autorisation d’urbanisme avec une orientation d’aménagement et de programmation (OAP)

Dans cette affaire, un permis de construire a été délivré pour la construction d’un ensemble immobilier de dix-sept logements répartis dans trois immeubles collectifs.

Des voisins du projet ont saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ce permis de construire.

Ce permis a été partiellement annulé par le tribunal administratif au motif notamment qu’il était incompatible avec l’orientation d’aménagement et de programmation (OAP) n° 1 applicable dans la zone où se situe la parcelle objet du projet en litige, OAP qui prévoit de renforcer la mixité fonctionnelle à l’entrée du village et de permettre, pour les dix prochaines années, l’accueil d’activités de services.

Pour les premiers juges, l’incompatibilité était révélée par le fait que le projet ne prévoyait que la création de logements sans réserver au sein des rez-de-chaussée des trois immeubles collectifs une partie des surfaces de plancher créées pour l’accueil d’activités de services.

Le pétitionnaire a alors saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation ; l’appel étant supprimé dans ce type de contentieux par l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative.

  • Dans un premier temps, le Conseil d’Etat a rappelé qu’une autorisation d’urbanisme doit toujours être compatible avec les OAP du PLU applicable, de sorte que si les travaux objets de l’autorisation d’urbanisme sont incompatibles ou contrarient les objectifs de l’OAP, l’autorisation d’urbanisme ne pourra pas être délivrée. Il s’agit du considérant de principe d’une précédente décision du Conseil d’Etat, Commune de Lavérune (CE, 30 décembre 2021, n° 446763, mentionné aux Tables).
  • Dans un second temps, le Conseil d’Etat a précisé que cette compatibilité entre l’autorisation d’urbanisme sollicitée et l’OAP s’apprécie en procédant à une « analyse globale des effets du projet sur l’objectif ou les différents objectifs d’une OAP, à l’échelle de la zone à laquelle ils se rapportent».

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat a donc considéré que les premiers juges avaient commis une erreur de droit en annulant le permis de construire délivré au seul motif d’une incompatibilité du projet avec l’OAP n° 1 car le projet ne prévoyait que des logements et ne prévoyait pas d’accueillir des activités de services aux rez-de-chaussée des trois immeubles collectifs.

Par conséquent, le Conseil d’Etat a jugé que le tribunal aurait dû « rechercher si les effets de ce projet devaient être regardés comme suffisants pour contrarier, par eux-mêmes, les objectifs de l’OAP à l’échelle de la zone à laquelle l’OAP se rapportait. ».

Autrement posé, la circonstance qu’un projet porte uniquement sur la création de logements au sein du périmètre d’une OAP dédiée à la mixité fonctionnelle et à l’accueil d’activités de services, ne contrarie pas automatiquement, pour le seul motif de l’absence de réalisation d’espaces dédiés à l’activité de services, les objectifs de l’OAP applicables à l’échelle de la zone concernée par le périmètre de l’OAP.

Un conseiller municipal peut être élu maire sans avoir été candidat mais n’est pas obligé d’accepter les fonctions correspondantes

Dans une décision en date du 18 novembre 2024, le Conseil d’Etat a rappelé que l’article L. 2122-7 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), portant sur l’élection du maire, n’impose pas que les conseillers municipaux fassent acte de candidature pour être élus (v. en ce sens déjà : CE, 9 juillet 2021, n° 449223).

Ainsi, les votes peuvent valablement porter sur tout membre du conseil municipal et, logiquement, un conseiller non candidat peut, s’il obtient la majorité absolue au 1er ou au 2ème tour, ou la majorité relative au 3ème tour, être élu maire.

En somme, les suffrages exprimés en faveur d’un conseiller municipal non candidat aux fonctions de maire ne peuvent être exclus pour ce motif.

Ainsi, le Conseil d’Etat en a déduit que la circonstance que l’expression de suffrages en faveur d’un conseiller municipal non candidat aux fonctions de maires résulterait d’une manœuvre destinée à altérer la sincérité du scrutin est inopérante.

Cette argumentation des appelants était dirigée contre le décompte des voix, et tendait précisément à exclure la prise en compte des suffrages exprimés au profit du conseiller municipal non candidat.

De sorte qu’y répondre sur le fond aurait conduit à remettre en cause la portée susmentionnée de l’article L. 2122-7 du CGCT.

La Haute juridiction a toutefois rappelé que nul n’est obligé d’exercer un mandat, et précisé que le conseiller élu maire a la possibilité de refuser ses fonctions. Dans ce cas, le conseil municipal peut procéder immédiatement à une nouvelle élection pour le remplacer, sans nécessité pour le conseiller élu de présenter sa démission (v. également en ce sens CE, 3 novembre 1972, n° 83820). Dans le cas contraire, le maire élu peut démissionner selon la procédure prévue à l’article L. 2122-15 du CGCT.

Dans l’affaire qui a donné lieu à la décision commentée, il avait été procédé à l’élection du maire délégué d’une commune déléguée d’une commune nouvelle. Une seule personne avait candidaté, mais c’était un autre élu qui avait recueilli la majorité des voix.

Il avait alors été décidé d’exclure les votes s’étant porté sur le conseiller non candidat, et celui qui avait candidaté aux fonctions de maire avait été déclaré élu.

L’élection avait alors été déférée au tribunal administratif qui l’avait annulée dès lors que les votes en faveur du « non candidat » avaient été exclus à tort, en l’absence de toute cause d’invalidité des bulletins (lesdites causes étant listées, pour rappel, à l’article L. 66 du Code électoral).

Le Conseil d’Etat a confirmé cette analyse et a, tout comme le tribunal administratif, refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article L. 2122-7 du CGCT.

Il était en effet précisément reproché à cet article de ne pas imposer qu’il soit fait acte de candidature.

La Haute juridiction a rappelé que « en n’imposant pas la présentation de candidatures pour l’élection du maire au sein du conseil municipal, le législateur a dans l’usage de son pouvoir d’appréciation, entendu donner la plus large latitude au vote des conseillers municipaux afin de faciliter la désignation des exécutifs communaux ».

Elle a ensuite considéré que ce choix ne portait pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution dès lors que, ainsi que cela a été indiqué, nul n’est obligé d’exercer un mandat qu’il refuse.

Pénalités en délégation de service public : effets de la substitution d’une société ad hoc et application du délai Czabaj

CAA Toulouse, 1er octobre 2024, n° 23TL01797

Par deux arrêts du 19 mars 2024 et du 1er octobre 2024, la Cour administrative d’appel de Toulouse a précisé que la substitution d’une société ad hoc dans les droits et obligations du titulaire initial d’une convention de délégation de service public impliquait le transfert des droits et obligations résultant des titres de recettes émis avant la date d’effet de la substitution. Par suite, elle a jugé que la possibilité de contester les titres de recettes appartenait en tant que débitrice à la seule société ad hoc.

En l’espèce, le Département du Tarn a conclu avec la société SFR une convention de délégation de service public ayant pour objet la conception, l’établissement et l’exploitation d’un réseau de communications électroniques à très haut débit. Compte tenu des difficultés rencontrées dès les premiers mois d’exécution de la convention, le Département du Tarn a été contraint d’appliquer des pénalités de retard et d’émettre des titres de recettes à l’encontre de la société SFR, titulaire initial de la convention.

Postérieurement à l’émission de ces titres de recettes et conformément aux stipulations de la convention de DSP, une société ad hoc, dénommée Tarn Fibre, s’est substituée dans les droits et obligations de la société SFR. A la suite de cette substitution, la société SFR a sollicité, lors d’une première instance, l’annulation des titres de recette émis à son encontre. Cette demande a été rejetée par des jugements n°s 2103714, 2103732 et 2103133 du 17 mai 2023 du Tribunal administratif de Toulouse, au motif que la société SFR était dépourvue d’intérêt à agir. La société SFR a interjeté appel de ces jugements devant la Cour administrative d’appel de Toulouse.

La Cour administrative d’appel de Toulouse a suivi le raisonnement des premiers juges qui ont retenu l’irrecevabilité soulevée en défense par le Département du Tarn. Dans ces deux arrêts, la cour a relevé que les stipulations de la convention de DSP consacraient le principe d’un transfert des droits et obligations acquis par la société SFR au profit de la société Tarn Fibre, nouveau délégataire. Elle en a déduit que « les droits et obligations découlant de l’émission de ces titres ont été transférés à la société Tarn Fibre dès la date de prise d’effet de la substitution et le recouvrement des sommes correspondantes ne peut, depuis, être poursuivi qu’auprès d’elle. Par suite, la possibilité de contester les titres litigieux en tant que débitrice appartient à la seule société Tarn Fibre, qui l’a du reste fait dans le cadre d’autres instances. Par conséquent, c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société SFR était dépourvue d’intérêt à agir. »

La Cour administrative d’appel de Toulouse a appliqué les principes dégagés par le Conseil d’Etat[1] relatifs à la substitution de cocontractant et aux effets attachés à la cession des marchés publics et des délégations de service public.

Par ailleurs, prenant acte du rejet des recours de la société SFR pour irrecevabilité, la société Tarn Fibre a décidé de saisir elle-même le Tribunal administratif de Toulouse et ainsi de solliciter l’annulation des titres de recettes émis initialement à l’encontre de la société SFR. Par deux ordonnances du 26 juin 2024[2], le Tribunal administratif de Toulouse a retenu, une nouvelle fois, la fin de non-recevoir opposée par le Département du Tarn et a rejeté pour irrecevabilité manifeste les requêtes de la société Tarn Fibre.

Le Tribunal administratif de Toulouse a fait application du principe de sécurité juridique tiré de la jurisprudence du Conseil d’Etat « Czabaj »[3] pour rejeter la demande de la requérante. Le tribunal rappelle ainsi que ne peut « être contestée indéfiniment un décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance ». En effet, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable qui ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse a été notifiée, ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance, ceci nonobstant l’absence de mention des délais et voies de recours dans une décision administrative.

S’agissant des titres exécutoires contestés, le Tribunal administratif de Toulouse considère qu’il résulte de l’instruction que la société Tarn Fibre a effectivement eu connaissance de ces derniers au plus tard le 15 avril 2022, date à laquelle la requérante avait adressé une réclamation à la paierie départementale du Tarn tendant à la contestation d’une compensation opérée par le payeur départemental du Tarn entre une somme qui lui était contractuellement due et celle résultant de plusieurs titres de perception émis en 2020, dont ceux en litige. Le juge de première instance concluait donc que le recours contentieux contre les titres de recettes contestés aurait dû s’exercer dans le délai raisonnable d’un an à compter du 15 avril 2022, et que la requête enregistrée le 24 juillet 2023 était donc manifestement tardive.

Cette dernière tentative de recours à l’encontre des titres de recettes émis par le Département du Tarn aura été l’occasion pour le Tribunal administratif de Toulouse d’illustrer l’application de la jurisprudence Czabaj aux recours dirigés contre des titres de recettes.

_____

 

[1]CE, section des finances, avis du 8 juin 2000, n° 364803

[2] TA Toulouse, ordonnances n° 2303654 et n° 2305355 du 26 juin 2024

[3] CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763

Achats de moins de 40.000 € HT : qui peut le plus peut le moins ?

L’affaire était pourtant entendue : lorsque l’estimation des besoins des acheteurs était inférieure au seuil de 40.000 € HT prévu par l’article R. 2122-8 du Code de la commande publique (CCP), les collectivités recouraient à la méthode dite des « trois devis » : trois prestataires étaient directement sollicités et, le plus souvent, le moins disant était choisi.

Mais cette habitude a été récemment et directement questionnée à la suite d’une décision rendue par le Tribunal administratif de Strasbourg. Dans une décision en date du 16 mai 2024 (Société Ingevo, req. n° 2108389), le Tribunal a en effet considéré que lorsqu’un acheteur sollicite trois devis auprès de certains opérateurs, tout en rédigeant un règlement de consultation prévoyant l’application des dispositions du Code de la commande publique (CCP) pour l’analyse des offres, il se soumet en fait à une procédure adaptée au sens du Code, pour laquelle le recours au critère unique du prix était irrégulier compte tenu de l’objet du marché.

De nombreux commentateurs en ont conclu que le fait de demander plusieurs devis n’était pas (plus) possible car nécessairement constitutif d’une procédure adaptée au sens du Code de la commande publique (c’est-à-dire avec publicité et mise en concurrence minimales). En-deçà d’un montant de 40.000 € HT, l’acheteur serait en quelque sorte « contraint » de ne solliciter qu’un seul prestataire.

Nous pensons pourtant que cette analyse, aussi intéressante et fondée soit-elle, doit être nuancée.

D’abord, il nous semble que l’esprit de l’absence de publicité et de mise en concurrence préalables est de laisser une marge de liberté à l’acheteur, tout en entourant cette liberté d’un minimum de principes. On voit mal en quoi il serait contraint de ne consulter qu’un seul opérateur économique !

Ensuite, l’analyse du Tribunal administratif de Strasbourg parait contestable : elle repose sur le fait que la Commune aurait entendu mettre en œuvre une procédure de publicité (ce que n’est pas la procédure des 3 devis dès lors qu’il n’y a pas de publication !) et une procédure de mise en concurrence préalables, « notamment en se soumettant aux règles de jugement des offres prévues par le Code de la commande publique ».

Or, en recourant à plusieurs devis, il y a certes une mise en concurrence, mais au sens commun du terme, et cette mise en concurrence minimale répond le mieux, non seulement à l’impérieuse nécessité de respecter les grands principes de la commande publique dès le 1er euro, mais aussi à la lettre même de l’article R. 2122-8 du CCP qui précise qu’en dessous du seuil de 40.000 €, « l’acheteur veille à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin ».

Dès lors, comment choisir une offre, qui plus est pertinente, faire une bonne utilisation des deniers publics et ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur si l’on est autorisé ne consulter qu’un seul un opérateur ? A suivre le raisonnement, la pratique du sourcing prévue par l’article R. 2111-1 du code serait en réalité obligatoire avant la conclusion d’un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables puisqu’elle seule permettrait alors de conclure un marché directement avec un opérateur, tout en ayant veillé à choisir une offre pertinente ! La solution est séduisante mais ce n’est pas celle posée par les textes qui n’imposent nullement cet enchainement, et ce d’autant plus que les dispositions précitées précisent que si les résultats du sourcing peuvent être utilisés par l’acheteur, leur utilisation ne doit pas avoir pour effet de fausser la concurrence ou de méconnaître les principes essentiels de liberté d’accès à la commande publique, de transparence des procédures, et d’égalité de traitement des candidats.

Enfin, le risque est limité puisque compte tenu des montants en jeu, l’annulation ou la résiliation du marché est peu probable (la poursuite du marché a par exemple été décidée au cas d’espèce du Tribunal administratif de Strasbourg) et l’indemnisation quasi impossible puisque si l’attributaire est celui ayant proposé le meilleur prix, le requérant avait donc peu de chance d’obtenir le marché (à qualité technique peu ou prou équivalente, là encore ce fut la position retenue par le Tribunal administratif de Strasbourg). A l’inverse, la position selon laquelle les achats de faible montant nécessiteraient de solliciter seulement un opérateur nous semble faire courir un risque bien plus important, sur les plans pénaux, des contrôles des CRC ou du Juge administratif si cela conduit à des attributions récurrentes et si les principes de la commande publique ne sont pas respectés.

En réalité, il nous semble que l’acheteur peut recourir à un opérateur en particulier (quoi que cette manière de faire pourrait aussi être critiquée) mais également recourir à plusieurs devis. Dans ce cas, il doit s’inscrire dans un formalisme limité : pas de règlement de la consultation, pas de cahier des charges, mais une simple lettre de consultation qui ne fait pas référence aux autres dispositions du Code hormis celles de l’article R. 2122-8 du CCP. Il peut être indiqué aux opérateurs sollicités qu’afin de choisir une offre pertinente, plusieurs opérateurs seront sollicités sur le fondement du prix, mais qu’il ne s’agit pas d’une procédure adaptée et d’une mise en concurrence au sens du Code. Eventuellement, l’on peut préciser que cette lettre de consultation constitue un sourcing, avant conclusion d’un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables, mais cela ne nous semble pas être une obligation, plutôt une sécurité supplémentaire.

Qui peut le plus, peut sans doute le moins donc, et il serait dommage, à l’heure où la commande publique est critiquée dans son coût et son formalisme, de faire un excès de zèle juridique…

Marché à bons de commande sans minimum : la résiliation (irrégulière) n’ouvre pas droit à indemnisation

Par un arrêt du 17 septembre 2024, la Cour administrative d’appel de Versailles rappelle que le titulaire d’un marché à bons de commande sans minimum n’a pas droit à l’indemnisation de son manque à gagner en cas de résiliation irrégulière du marché, solution qui peut être étendue au cas d’un accord-cadre conclu sans minimum.

Dans cette affaire, Centrale Supélec a passé avec la société Jancarthier un marché public à bons de commande relatif à la fourniture de titres de transport et services annexes. Le marché, d’une durée initiale d’un an, pouvait être reconduit tacitement trois fois au maximum sauf à avertir la société attributaire au moins trois mois avant la date de reconduction. Le marché a été notifié le 26 juillet 2016 (avec, semble-t-il, un début d’exécution fixé au 1er janvier 2017) et, par lettre du 23 octobre 2018, Centrale Supélec a informé la société titulaire de sa volonté de mettre fin au marché à compter du 31 décembre 2018. La société titulaire soutenait notamment, devant le juge administratif, que la non-reconduction avait été irrégulière dès lors qu’elle aurait dû être communiquée avant le 1er octobre 2018, et réclamait ainsi une indemnisation de la perte de bénéfice subie.

La Cour administrative d’appel de Versailles juge : « Si le titulaire d’un marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice net dont il a été privé, il lui appartient d’établir la réalité de ce préjudice. Dans le cas d’un marché à bons de commande dont les documents contractuels prévoient un minimum en valeur ou en quantité, le manque à gagner ne revêt un caractère certain qu’en ce qu’il porte sur ce minimum garanti ».

Ce faisant, elle fait application d’une jurisprudence établie (CE, 10 octobre 2018, Société du docteur Jacques Franc, n° 410501) selon laquelle la perte de chance, pour le titulaire d’un marché à bons de commande, de réaliser des bénéfices ne peut constituer un préjudice certain que si le contrat prévoit un montant minimum de commandes. Autrement, le préjudice est incertain et n’est donc pas indemnisable, la circonstance que le marché ait été résilié de manière régulière ou non étant d’ailleurs indifférente (CAA Douai, 9 février 2021, Société OK Menuiseries, n° 19DA01125). De même, doivent être rejetées les conclusions indemnitaires présentées au titre de la perte de chance par un candidat évincé irrégulièrement de la procédure d’attribution d’un marché à bons de commandes sans minimum (CAA Douai, 25 mars 2021, Société NC Déménagement, n° 19DA01716).

Le délégataire résilié doit être indemnisé de la part non-amortie des droits d’entrée et redevances versées au délégant qui correspondent à la mise à disposition d’ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public

Le Conseil d’Etat est récemment venu préciser le calcul de l’indemnisation des investissements non amortis du concessionnaire en cas de résiliation d’un contrat de concession avant son terme.

Dans cette instance, la commune de Fontainebleau avait conclu avec la société auxiliaire de parcs de la région parisienne (SAPP) un contrat d’affermage avec travaux portant sur la modernisation, la rénovation, l’exploitation et l’entretien de parcs de stationnement souterrains et voirie, ainsi qu’un un contrat confiant à cette même société la gestion du stationnement payant sur voirie.

La commune a décidé de résilier ces deux contrats pour un motif d’intérêt général tenant à leur durée excessive de vingt ans. On rappellera, en effet, qu’une personne publique peut décider de résilier un contrat dès lors que sa durée présente un caractère excessif, tirant les conséquences de l’illégalité d’une telle durée[1].

Le concessionnaire résilié a, d’une part, demandé au Tribunal administratif de Melun la reprise des relations contractuelles et, d’autre part, la réparation des préjudices subis par la résiliation illégale des contrats.

Le juge de première instance a d’abord considéré que la durée excessive des concessions ne pouvait, au cas présent, justifier leur résiliation mais que la reprise des relations contractuelles porterait une atteinte excessive aux droits du nouveau délégataire, les deux contrats ayant déjà été réattribués. Puis, par un jugement avant-dire droit du 15 juin 2018, il a jugé que la SAPP était fondée à demander l’indemnisation de son préjudice et a prescrit une expertise afin de l’évaluer.

Finalement, le 28 juillet 2020, le tribunal administratif a condamné la commune de Fontainebleau à verser à la SAPP les sommes de 2.480.474 euros hors taxes au titre de la valeur nette comptable des investissements non amortis à la date de prise d’effet de la résiliation et de 2.201.000 euros hors taxes au titre du manque à gagner pour la période allant de la résiliation des contrats à leur date normale d’échéance, avec intérêts au taux légal capitalisés.

La Cour administrative d’appel de Paris ayant confirmé ce jugement, la commune de Fontainebleau a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat qui a permis de clarifier le régime d’indemnisation du concessionnaire résilié s’agissant notamment de ses investissements non amortis.

Précisément, il s’agissait pour le Conseil d’Etat de juger si les droits d’entrée et les redevances versés par le concessionnaire à l’autorité concédante en contrepartie de la mise à disposition des ouvrages de la concession devaient être pris en compte dans le calcul de l’indemnisation du concessionnaire résilié au titre de la part non amortie, à la date de la résiliation, des dépenses qu’il avait engagées.

Après avoir rappelé que les sommes versées par le concessionnaire au concédant ne doivent pas être étrangères à l’objet de la concession, le Conseil d’Etat a estimé que « Lorsque la convention de délégation de service public prévoit que ces sommes correspondent à la mise à disposition de biens, évalués nécessairement à la valeur nette comptable, et qu’elle est résiliée par la collectivité délégante avant son terme normal, le délégataire a droit, sauf si le contrat en stipule autrement, à l’indemnisation par la collectivité délégante de la part non amortie de telles sommes correspondant, à la date de la résiliation, à la valeur nette comptable des biens ainsi mis à disposition, si ces biens font retour à la collectivité ou sont repris par celle-ci ».

Il a ainsi considéré que le non-amortissement des sommes, versées en contrepartie de la mise à disposition d’ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, doit faire l’objet d’un remboursement en cas de résiliation du contrat avant son terme, sauf si le contrat en stipule autrement.

Si le concessionnaire a droit à une telle indemnisation, on rappellera cependant que celle-ci est limitée à la valeur nette comptable des ouvrages financés par le concessionnaire, comme l’a précisément rappelé le Conseil d’Etat dans un arrêt rendu le 24 novembre 2023, commenté dans une précédente lettre d’actualités, excluant la réévaluation de l’indemnité de fin de contrat due au concessionnaire en contrepartie de la remise des biens de retour par tout mécanisme contractuel (en l’occurrence un taux moyen des obligations à long terme)[2].

_____

[1] Voir par exemple CE, 7 mai 2012, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne, n° 365043.

[2] CE, 24 novembre 2023, n° 473696

Une cession immobilière n’est pas un marché public de travaux : nouvelle confirmation jurisprudentielle

Par un jugement rendu le 22 octobre 2024, le Tribunal administratif de Limoges est revenu sur les frontières entre les contrats de cession d’un bien immobilier public, d’une part, et les contrats administratifs dont, notamment, les contrats de la commande publique, d’autre part, ainsi que sur les obligations de mise en concurrence applicables le cas échéant.

Dans cette affaire, un département avait eu recours – comme il advient régulièrement – à une procédure d’appel à projets pour valoriser une dépendance dont il était propriétaire. Les candidats devaient formuler leurs offres, étant entendu que le lauréat se verrait céder le terrain objet de l’opération, afin qu’il y réalise son projet. Deux sociétés arrivées en deuxième position après classement des offres ont contesté les conditions d’organisation de cet appel à projets, et sollicité l’annulation de la délibération par laquelle le Département avait autorisé sa présidente à signer une promesse synallagmatique de vente avec la société lauréate de l’appel à projets.

Le tribunal commence par rappeler qu’un contrat « qui porte sur une vente de biens appartenant à une personne publique ne peut être regardé comme un marché public de travaux ». Il est vrai que les contrats de vente de biens immobiliers ne sont pas en principe des contrats de la commande publique – et donc pas, notamment, des marchés de travaux – mais sous une réserve fondamentale toutefois : ces contrats de vente peuvent être requalifiés en contrats de la commande publique (marché public ou plus sûrement concession) si leur contenu ou si le contexte de l’opération trahit la circonstance qu’ils ont en réalité pour objet, non pas une simple cession d’un bien immobilier, mais bien surtout la satisfaction d’un besoin du pouvoir adjudicateur. Ce n’était toutefois pas le cas dans cette affaire, ce que le tribunal administratif a rappelé sans toutefois entrer plus spécifiquement dans le détail de cette question, et ce malgré la présence, au sein du contrat, de prescriptions fixées par la collectivité : destination de la dépendance, aménagements paysagers, nature de certaines emprises… Ce jugement confirme donc toutefois incidemment que la seule existence de prescriptions émises par la personne publique n’est pas de nature à emporter une requalification en contrat de la commande publique, notamment lorsque ces prescriptions demeurent modestes ou trop générales, et/ou qu’elles n’entravent pas trop la liberté qu’a l’acquéreur de développer son propre projet.

Le tribunal administratif a par ailleurs écarté toute autre requalification en contrat administratif, faute pour ce contrat d’avoir pour objet l’exécution d’un service public, et faute de comporter des clauses qui impliqueraient qu’il relève d’un régime exorbitant du droit commun.

Le tribunal administratif rappelle ensuite que « aucune disposition législative ou réglementaire n’impose à une personne morale de droit public autre que l’État de faire précéder la vente d’une dépendance de son domaine privé d’une mise en concurrence préalable ». Il reprend, ce faisant, un principe déjà dégagé par le Conseil d’État[1] et appliqué par les juridictions du fond[2], et qui n’est que la conséquence de la distinction fondamentale entre les contrats de vente immobilière et les contrats de la commande publique. Mais il rappelle que la personne publique qui se soumet volontairement à une procédure de mise en concurrence, comme ici, doit alors respecter l’égalité de traitement entre les candidats. Le Conseil d’État considère en effet que « lorsqu’une telle personne publique fait le choix, sans y être contrainte, de céder un bien de son domaine privé par la voie d’un appel à projets comportant une mise en concurrence, elle est tenue de respecter le principe d’égalité de traitement entre les candidats au rachat de ce bien »[3]. En revanche, « il ne saurait cependant en découler qu’elle devrait respecter les règles relatives à la commande publique, qui ne sont pas applicables à la cession d’un bien »[4].

Logique et fondée en droit, la solution retenue ici par le tribunal administratif a le mérite de réaffirmer clairement les frontières respectives du droit de la commande publique et du droit des propriétés publiques, frontière qui n’est toutefois pas totalement étanche.

_____

[1] CE, 16 avril 2019, Sociétés Procedim et Sinfimmo, req. n° 420876.

[2] V. notamment CAA Lyon, 16 novembre 2017, req. n° 16LY03824 ; CAA Nancy, 23 juillet 2020, Commune de Schiltigheim, req. n° 18NC02029,18NC02050 ; CAA Marseille, 15 février 2021, req. n° 19MA01799 ; CAA Nancy, 21 octobre 2021, req. n° 20NC00365 ; CAA Versailles, 28 octobre 2021, req. n° 20VE02240.

[3] CE, 16 avril 2019, Sociétés Procedim et Sinfimmo, req. n° 420876.

[4] Id.

Les cessions avec charges requalifiables en contrat de la commande publique : marchés ou concessions ?

L’objet du sujet est maintenant bien connu : la cession avec charges désigne un outil de valorisation des propriétés publiques qui est, à l’évidence, chaque jour un peu plus sollicité en pratique, notamment dans les zones urbaines où les fonciers et autres droits à construire se font rares. Le dispositif présente un intérêt évident parce qu’il permet à un propriétaire public de faire « d’une pierre deux coups ». En procédant à la vente d’un terrain ou d’un ensemble bâti dont il n’a plus l’usage, et en imposant à l’acquéreur, promoteur ou autre investisseur, de réaliser un programme immobilier préalablement fixé, la personne publique va non seulement recevoir immédiatement le fruit de la vente (une somme d’argent) qu’elle pourra investir, mais elle va également – et peut-être surtout – être assurée que la propriété dont elle se défait ainsi va tout de même accueillir un projet utile à la Cité.

Ces cessions peuvent prendre des formes diverses. Qu’on pense par exemple au contrat par la voie duquel une commune cède une parcelle à un opérateur, à charge pour lui de réaliser un ensemble immobilier qui devra toutefois être nécessairement affecté, pout tout ou partie, à du logement (social). Il faut penser sinon à l’opération par laquelle une région cède un hôtel particulier qu’elle ne souhaite plus occuper parce que trop peu fonctionnel, mais que le nouveau propriétaire s’engage à réaménager en espace culturel de qualité. La portée de la charge peut être plus nette encore. Qu’on imagine autrement – et en plus grand – le montage par lequel une ville vend un terrain à un promoteur immobilier, avec une obligation pour lui de réaliser une série d’équipements : certains seront exploités dans son intérêt propre ou cédés à des tiers (un cinéma, des bureaux, un hôtel, des logements, un centre commercial…) mais pourront tout de même indirectement servir l’intérêt général parce qu’ils dynamiseront la vie d’un quartier et son développement économique ; tandis que d’autres (des espaces verts, une salle des fêtes, une crèche, un parc public de stationnement…) seront immédiatement remis à la commune, par la voie d’une « simple » dation en paiement ou d’une vente (en l’état futur d’achèvement), puis directement affectés à une mission d’intérêt général ou à un service public.

L’enjeu du sujet peut surprendre. Dans une très large mesure, les cessions avec charges sont tout bonnement étrangères au droit de la commande publique. Et elles ne sont pas autrement soumises à des obligations de publicité et de mise en concurrence préalables, puisque, à l’exception de l’État, les personnes publiques peuvent librement céder leurs biens immobiliers, sans procéder à des mesures de mise en concurrence préalables[1]. Il est vrai qu’aujourd’hui, en pratique, les collectivités territoriales ou autres établissements publics se soumettent le plus souvent volontairement à une procédure de mise en concurrence, via des appels à projets ou autres appels à manifestation d’intérêt. Et on sait que le propriétaire public est alors tenu de respecter les prescriptions qu’il s’est lui-même fixées, et ce dans le respect des principes d’égalité de traitement entre les candidats et de transparence[2]. Mais cette mise en concurrence n’est donc pas une obligation : elle répond simplement à la volonté de mieux valoriser son bien, en suscitant des appétits concurrents pour obtenir le plus et le mieux possible. On sait toutefois que cette liberté de principe n’est pas sans limite non plus : dans l’absolu, certaines cessions avec charges peuvent déjà être analysées comme une commande publique et/ou risquent sinon à l’avenir de l’être, au fur et à mesure que l’attractivité du champ de la commande publique gagne du terrain.

C’est ici que se place l’enjeu du sujet : si la cession avec charges peut être parfois – et sera sans doute à l’avenir plus facilement – analysée comme un contrat de la commande publique, il reste à savoir si elle l’est alors au titre d’un marché ou d’une concession. Pour beaucoup, la cession avec charges est nécessairement un marché de travaux (I), mais cette façon de voir mérite toutefois d’être sérieusement discutée, parce que, malgré les apparences, la concession est peut-être bien, fondamentalement plus fidèle à ce que recouvre réellement un contrat de cette nature (II).

 

1 – Un marché de travaux ?

I.1. – Il est aujourd’hui entendu qu’une cession immobilière avec obligation pour l’acquéreur de réaliser des équipements préalablement déterminés peut être requalifiée en marché de travaux, alors même que les équipements concernés ne sont pas ensuite remis à la personne publique. On sait en effet que la Cour de justice de l’Union européenne considère que la notion de marché de travaux au sens de la directive « impose que les travaux faisant l’objet du marché soient exécutés dans l’intérêt économique direct du pouvoir adjudicateur, sans que, toutefois, il soit nécessaire que la prestation prenne la forme de l’acquisition d’un objet matériel ou physique »[3].

La vente d’une propriété publique pourrait donc être un marché de travaux si elle répond à un intérêt économique direct pour le propriétaire, c’est-à-dire si elle répond à une utilité publique certaine. La notion a évidemment suscité bien des commentaires, tant sa portée demeure large et peut paraître trop attractive[4]. Pour cette raison, il faut tenir pour acquis que, pour faire une commande de travaux, l’intérêt économique direct ne suffit pas : il doit clairement (autrement) se traduire par la circonstance que l’acheteur public a (en conséquence) exercé une « influence déterminante sur la conception et la nature »[5] des équipements que l’acquéreur s’est engagé à construire.

Même sous cette acceptation plus fermée, le concept d’intérêt économique direct a toutefois trouvé un écho pour le moins des plus mitigés devant les juridictions nationales françaises : le plus souvent, le juge judiciaire[6] comme le juge administratif[7] refusent d’identifier un quelconque intérêt économique de nature à le conduire à qualifier une cession avec charges en marché de travaux. Tout récemment encore, par un jugement du 22 octobre 2024, le Tribunal administratif de Limoges a rappelé qu’un contrat « qui porte sur une vente de biens appartenant à une personne publique ne peut être regardé comme un marché public de travaux ». Bref, à quelques exceptions près[8], une requalification en marché de travaux d’une cession avec charges a systématiquement été écartée. On peut s’en étonner, tant il est parfois difficile de ne pas conclure que l’ensemble immobilier que tel ou tel promoteur a construit a été façonné en considération du « cahier des charges » que la collectivité territoriale avait préalablement attaché à la vente.

Il est clair qu’il faut exclure du droit de la commande publique les montages immobiliers dont l’objet principal demeure une simple opération immobilière, à l’occasion de laquelle la personne publique n’a pas autrement souhaité satisfaire un besoin, sinon que de solliciter de façon optimale le potentiel économique de son domaine. L’opération immobilière échappera au droit de la commande publique, si l’opération a essentiellement pour objet la réalisation d’un programme purement « privé », dont la personne publique n’a absolument pas pris l’initiative et/ou pour la réalisation duquel elle n’apporte, en tout état de cause, aucune réelle contrepartie financière[9] ; ou bien encore si les obligations de travaux qu’elle renferme demeurent modestes et les orientations que la personne publique a fixées par trop générales[10]. Mais le sujet restera ouvert lorsque la cession avec charges est un outil que le propriétaire public sollicite opportunément pour faire réaliser des équipements qu’il juge nécessaires, non pas pour son usage propre, mais pour servir un objectif politique qu’il s’est fixé, et sur la conception desquels il entend en conséquence exercer une influence déterminante[11]. Dans ce cas, la cession domaniale renferme peut-être bien une commande.

L’enjeu est toutefois ailleurs : c’est sur le terrain du « prix » que la qualification en marché est surtout des plus discutables.

 

I.2. La qualification en marché suppose en effet que la commande de travaux soit assortie d’une contrepartie onéreuse : il faut que l’acquéreur soit d’une façon ou d’une autre « rémunéré » au titre de la commande. Il est vrai que le critère onéreux est entendu largement lorsqu’il est appliqué aux marchés publics de travaux : il couvre la « contre prestation offerte à l’entrepreneur en raison de la réalisation des travaux visés par le pouvoir adjudicateur »[12], laquelle peut prendre la forme d’un prix ou d’un abandon de recettes[13]. Pour cette raison, certains n’hésitent pas conclure qu’une contrepartie onéreuse existe lorsque la vente d’un bien public avec charges est consentie à un prix inférieur au prix du marché. Il faudrait comprendre que la différence qui existe entre le prix de vente de la dépendance publique et le « vrai prix du marché » du bien cédé traduit un abandon de recettes qui vient rémunérer les charges qui pèsent sur l’acquéreur.

Cette façon de voir suscite toutefois la réserve, parce que la portée de ce rabais sur le prix de vente renvoie toujours à une somme d’argent qui est quelque peu « dérisoire » par rapport au coût global des travaux qui seront effectivement réalisés par l’acquéreur/promoteur. C’est en réalité surtout au titre de la commercialisation des ouvrages ou autre équipements construits que le promoteur va se rémunérer, et ce en supportant nécessairement un risque économique.

Pour cette raison, une qualification en marché de travaux est discutable. Et, parce qu’il existe pourtant bien parfois une commande publique dans certaines cessions avec charges, c’est alors plus probablement vers la concession qu’il faut se tourner.

2. – Une concession ?

Une concession se définit comme un « contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix »[14].

Si une qualification en concession de travaux doit nécessairement être exclue (II.1), il n’est en revanche pas absurde d’envisager, à tout le moins dans certaines situations, une qualification en concession de service (II.2)

II.1. – La cession avec charges apparaît facialement incompatible avec toute idée de concession de travaux, puisque le principe même d’une concession de travaux implique que l’autorité concédante soit propriétaire de l’ouvrage dont l’exploitation est concédée. On voit mal, en effet, comment une personne publique pourrait concéder le droit de réaliser des travaux sur un foncier dont elle ne sera plus propriétaire au moment desdits travaux, puisque, précisément, elle l’aura – par définition – préalablement cédé. Le Conseil d’Etat a eu l’occasion de le dire[15]. C’est du reste ce que considère une grande partie de la doctrine.[16]

C’est donc plutôt vers la concession de services qu’il convient de se tourner.

II.2. – Il peut paraître surprenant de voir dans une vente domaniale une concession. Mais l’exercice n’est pas absurde. Il s’agit bien parfois en effet de confier à un opérateur une mission globale qui satisfait un besoin d’une personne publique et qui renferme une série de « prestations », dont l’essentiel tient du service : le contrat par la voie duquel une collectivité territoriale, un aménageur public ou autre établissement public confie à un promoteur la charge de lui acheter telle ou telle dépendance, et donc de procéder à un « portage foncier », puis de la viabiliser, de concevoir et construire des ouvrages préalablement déterminés (logements, bureaux…) et enfin de les commercialiser est bien un contrat qui confie à un opérateur une mission globale de service qui satisfait un besoin de la collectivité, et ce à ses risques et périls.

En droit français, la concession d’aménagement en est l’illustration parfaite[17].

Les concessions d’aménagement au sens du Code de l’urbanisme, dans lesquelles le concessionnaire assume un risque économique, sont en effet fondamentalement une forme de concession de service d’un type particulier[18]. Et un tribunal administratif a d’ailleurs récemment jugé, à propos d’une opération relativement modeste, mais qui comprenait néanmoins des équipements publics qui faisaient retour à la collectivité, que le contrat de cession d’une parcelle communale à un opérateur devait être regardé comme une concession d’aménagement.[19] Cette décision est sans doute discutable au regard de l’espèce considérée, mais elle illustre en revanche le sujet : si un contrat de vente domaniale renferme manifestement une commande, on comprend qu’elle doive intégrer le champ de la commande publique, mais alors peut-être pas celui des marchés de travaux, puisque l’essentiel est ailleurs. Du point de vue du propriétaire public, en effet, la cession avec charges n’a pas tant pour objet principal la construction d’un ouvrage qui devrait être « payé », mais bien plus d’obtenir d’un opérateur qu’il mette sur le marché des équipements utiles à la vie de la Cité et/ou qu’il façonne le tissu urbain ou redynamise tel ou tel quartier. En droit français, on pense alors immédiatement à la concession d’aménagement, d’autant que les juridictions administratives retiennent aujourd’hui une acception très large de cette notion, et acceptent de qualifier d’opérations d’aménagement des opérations pourtant parfois très modestes.[20] [21]

Mais la réflexion peut être plus ouverte et plus « européenne » : lorsque la cession d’un bien public n’est plus une fin en soi, mais uniquement le support nécessaire pour obtenir d’un opérateur qu’il prenne en charge, à ses risques et périls, une opération immobilière qui satisfait précisément les besoins de la Cité, la cession avec charges pourrait être analysée comme une concession de service, d’aménagement ou pas.

Ces quelques lignes doivent être lues au conditionnel parce qu’assurément exposées au doute et en appétit de clarifications à venir. Et elles sont largement prospectives parce qu’aujourd’hui, il faut le rappeler de nouveau, les juridictions françaises tiennent manifestement et solidement les cessions avec charges à l’écart du droit de la commande publique. Mais si, à l’avenir, l’attractivité du droit de la commande publique devait emporter plus facilement les opérations immobilières publiques d’envergure, c’est sans doute plus sûrement, non pas dans le champ des marchés, mais dans celui de la concession qu’il faudrait les placer.

______

[1] CE, 16 avril 2019, Sociétés Procedim et Sinfimmo, req. n° 420876. Pour un exemple plus récent : TA Versailles, 26 janvier 2024, req. n° 2109860.

[2] CE, 15 octobre 1982, Société d’affichage Giraudy, req. n° 21609.

[3] CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller GmbH, C‑451/08.

[4] Conclusions P. Mengozzi, CJUE, 25 mars 2010, Helmut Müller, C‑451/08, pts 50 à 54.

[5] Article L. 1111-2 du code de la commande publique.

[6] V. par exemple : Cour de cassation, 3e Civ., 26 octobre 2023, RG n° 22-19.444.

[7] V. par exemple : CAA Marseille, 17 mai 2021, req. n° 19MA03527 ; CAA Nancy, 15 avril 2021, req. n° 19NC02073.

[8] TA Toulon, 16 novembre 2018, SA Proletazur, req. n° 1501281.

[9] CAA Nancy, 11 octobre 2007, Association Aubette Demain, req. n° 06NCX00733.

[10] CAA, Bordeaux, 18 juillet 2016, Société Lory, req. n° 15BX00192 ; CAA, Lyon, 4 juillet 2013, Société Apsys, req. n° 12LY01556.

[11] Fatôme E., Terneyre Ph., « À propos des règles de passation des contrats publics à objet à la fois immobilier et de travaux », Actualité Juridique du Droit Administratif, 2009, p. 1868

[12]  CJCE 18 janvier 2007, Jean Auroux/Commune de Roanne, C-220/05.

[13] CJCE, 12 juillet 2001, Ordre des architectes de la province de Milan, C-399/98.

[14] Article L. 1121-1 du code de la commande publique.

[15] V. en ce sens : CE, 4 mars 2023, Sté SOCRI Gestion, req. n° 437232 ; Conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil sous CE, 4 mars 2021, Sté SOCRI Gestion, req. n° 437232. ; S. Nicinski, « Concession, concession d’aménagement ou marché public ? », Revue Contrats publics, MoniteurJuris, n° 27, Janvier 2022.

[16] Conclusions sur la décision de la CAA de Marseille, 25 février 2010, Commune de Rognes, req. n° 07MA03620, publiées à l’AJDA le 21 juin 2010, p. 1200 ; J-F. Lafaix et R. Leonetti, «  À la recherche du droit d’exploitation dans les contrats immobiliers », AJDA 2021, p. 1986 ; L. Richer, « L’appel à projets Fluctuat nec mergitur », AJDA 2019, p. 1433.

[17] Article R. 300-4 du code de l’urbanisme.

[18] J-F. Lafaix et R. Leonetti, « À la recherche du droit d’exploitation dans les contrats immobiliers », AJDA 2021, p. 1986.

[19] TA Cergy-Pontoise, 9 février 2023, req. n° 2003860.

[20] CE, 19 décembre 2019, req. n° 420227.

[21] CAA Paris, 24 mars 2022, req. n° 21PA03913.

Produire de l’hydrogène renouvelable ou bas carbone : un choix stratégique pour les acheteurs publics et les professionnels du secteur

Les carburants liquides et gazeux renouvelables ou à faible teneur en carbone destinés au secteur des transports, dont l’hydrogène, pourraient jouer un rôle important pour augmenter la décarbonation des secteurs dépendant des carburants liquides et gazeux à long terme, tels que les transports maritime et aérien.

A ce titre, conformément à l’article 27 de la directive 2023/2413 du 18 octobre 2023 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, l’acte délégué 2023/1184 du 10 février 2023 a défini les conditions dans lesquelles l’hydrogène, les carburants à base d’hydrogène ou d’autres vecteurs énergétiques peuvent être considérés comme des carburants renouvelables d’origine non biologique (I).

Restait toutefois à définir les conditions dans lesquelles l’hydrogène peut être considéré comme bas carbone.

En effet, conformément à l’article 9 de la directive (UE) 2024/1788 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz renouvelable, du gaz naturel et de l’hydrogène, afin de veiller à ce que les réductions des émissions de gaz à effet de serre (ci-après « GES ») résultant de l’utilisation de carburants bas carbone soient de 70 % au minimum, la Commission doit adopter des actes délégués afin de préciser la méthode suivie pour évaluer les réductions des émissions de GES réalisées grâce aux carburants à faible teneur en carbone, dont l’hydrogène.

Le 27 septembre 2024, la Commission européenne a publié et soumis à la consultation publique un projet d’acte délégué précisant cette méthode d’évaluation applicable à l’hydrogène bas carbone (II).

Or, cette méthode d’évaluation est très attendue par les Etats membres et les professionnels du secteur afin de déterminer la nature de l’hydrogène – renouvelable ou bas carbone – à privilégier dans leurs investissements, mais également au regard de l’avantage compétitif qu’elle pourrait induire pour certains Etats membres, et en particulier la France.

 

1. L’acte délégué définissant l’hydrogène renouvelable

Pour rappel, l’acte délégué 2023/1184 du 10 février 2023 (dit « RFNBO ») a défini les conditions dans lesquelles l’hydrogène, les carburants à base d’hydrogène ou d’autres vecteurs énergétiques, peuvent être considérés comme des carburants renouvelables d’origine non biologique.

Etant précisé que les carburants liquides et gazeux, d’origine non biologique, dont l’hydrogène, produits à partir d’électricité ne sont considérés comme renouvelables que lorsque l’électricité est elle-même renouvelable.

A ce titre, l’article 3 de l’acte réglementé énumère les critères nécessaires pour comptabiliser comme entièrement renouvelable l’électricité obtenue à partir d’une connexion directe à une installation produisant de l’électricité renouvelable. Ainsi, le producteur d’hydrogène doit apporter la preuve des éléments suivants :

  • les installations produisant de l’électricité renouvelable doivent être reliées par une ligne directe à la station de production d’hydrogène, ou la production d’électricité renouvelable et d’hydrogène doit avoir lieu au sein de la même installation ;
  • les installations produisant de l’électricité renouvelable doivent avoir été mises en service au plus tôt 36 mois avant l’installation produisant de l’hydrogène et, au plus tard, 36 mois après la mise en service de l’installation initiale ;
  • l’installation produisant de l’électricité ne doit pas être raccordée au réseau ou, si elle l’est, un système intelligent de mesure mesurant tous les flux d’électricité en provenance du réseau doit démontrer qu’aucune électricité n’a été prélevée sur le réseau pour produire de l’hydrogène.

De même, si le producteur de carburant utilise également de l’électricité provenant du réseau, il peut la comptabiliser comme entièrement renouvelable s’il respecte les règles qui suivent.

Deux cas de figure peuvent se présenter.

D’une part, l’article 4 de l’acte délégué énumère des cas permettant de comptabiliser comme entièrement renouvelable l’électricité prélevée sur le réseau – autrement dit qui permettent de répondre au critère consistant à réduire de 70 % les émissions GES établi à l’article 25, paragraphe 2, de la directive (UE) 2018/20015.

En premier lieu, l’électricité prélevée sur le réseau peut être considérée comme entièrement renouvelable si – mais pas uniquement – l’installation de production d’hydrogène se trouve dans une zone de dépôt des offres où, au cours de l’année civile précédente, la part moyenne d’électricité produite à partir de sources renouvelables a dépassé 90 % – ce qui semble aujourd’hui illusoire.

En second lieu, il en va pareillement si l’installation de production d’hydrogène se situe dans une zone de dépôt des offres où l’intensité des émissions imputables à l’électricité produite est inférieure à 18 gCO2eq/MJ et si les critères suivants sont satisfaits :

  • un ou plusieurs accords d’achat d’électricité renouvelable (« power purchase agreements », PPA, en anglais) ont été conclus, directement ou par l’intermédiaire de tiers, avec des opérateurs économiques produisant de l’électricité renouvelable dans une ou plusieurs installations, pour une quantité au moins équivalente à celle déclarée comme entièrement renouvelable, cette l’électricité déclarée devant être effectivement produite par ces installations ;
  • les conditions relatives à la corrélation temporelle et géographique décrites ci-après sont remplies.

A ce titre, il a pu être considéré que cette clause a favorisé le mix énergétique de la France dont l’intensité des émissions imputables à l’électricité produite est inférieure à 18 gCO2eq/MJ. En effet, la règle d’additionnalité décrite ci-après ne leur est pas applicable.

D’autre part, si les conditions énoncées ci-avant ne sont pas remplies, l’électricité prélevée sur le réseau peut être comptabilisée comme entièrement renouvelable à condition de satisfaire aux exigences :

  • d’additionnalité qui impose au producteur – à compter du 1er janvier 2038 pour les installations produisant de l’hydrogène mises en service avant le 1er janvier 2028 :
    • de produire dans sa propre installation une quantité d’électricité renouvelable au moins équivalente à la quantité d’électricité déclarée comme entièrement renouvelable ;
    • ou à conclure, directement ou par le biais d’intermédiaires, un ou plusieurs PPA avec des opérateurs économiques produisant de l’électricité renouvelable pour une quantité au moins équivalente à la quantité d’électricité déclarée comme entièrement renouvelable, pour autant que les critères suivants soient remplis :
      • Les installations produisant de l’électricité renouvelable ont été mises en service au plus tôt 36 mois avant l’installation produisant l’hydrogène ;
      • Les installations produisant de l’électricité renouvelable n’ont pas bénéficié d’une aide sous forme de soutien au fonctionnement ou à l’investissement, sous réserve de quelques exclusions énumérées par l’acte délégué.
  • de corrélation temporelle qui, jusqu’au 31 décembre 2029, est réputée respectée si l’hydrogène est produit au cours du même mois civil (puis au cours de la même période d’une heure après le 1er janvier 2030) que l’électricité renouvelable produite :
    • dans le cadre de l’accord d’achat d’électricité renouvelable (PPA) ;
    • ou à partir d’électricité renouvelable provenant d’un nouvel actif de stockage situé derrière le même point de raccordement au réseau que l’électrolyseur ou l’installation produisant de l’électricité renouvelable, et chargé au cours du mois civil pendant lequel l’électricité relevant du PPA a été produite[1].
  • de corrélation géographique qui est réputée remplie si, en dehors des cas d’une zone de dépôt des offres en mer ou interconnectée, l’installation produisant de l’électricité renouvelable dans le cadre du PPA est située, ou était située au moment de sa mise en service, dans la même zone de dépôt des offres que l’électrolyseur.

Il résulte que ces critères particulièrement contraignants « augmenteraient le coût de production de l’hydrogène d’environ 2,40 euros/kg »[2], et pourraient opérer, selon certains Etats membres, une inégalité de traitement dès lors que le principe d’additionnalité ne s’applique pas aux mix énergétiques affichant un niveau d’émission de CO inférieur à 18 gCO2eq/MJ.

Alors que la France avait ainsi obtenu un début de reconnaissance de la spécificité de son mix bas carbone à travers cette définition de l’hydrogène renouvelable, elle projetait ensuite l’obtention d’une égalité de traitement entre l’hydrogène renouvelable et bas carbone (à travers le périmètre des enchères européennes de la banque de l’hydrogène aujourd’hui réservé à l’hydrogène renouvelable, l’encadrement des aides d’Etat, etc.).

Tel n’est toutefois pas le cas au regard du projet d’acte délégué soumis à la consultation publique.

 

2. Le projet d’acte délégué définissant l’hydrogène bas carbone

Si le projet d’acte délégué précisant la méthode d’évaluation des réductions d’émissions de GES réalisées grâce aux carburants à faible teneur en carbone était très attendu des acteurs de la filière afin de garantir une sécurité juridique aux investissements, il divisait par la même occasion les États membres, les cabinets des commissaires européens et les acteurs du secteur.

L’annexe du projet d’acte délégué retient trois méthodes alternatives suivantes à appliquer au cours de chaque année civile pour attribuer, sur l’ensemble du cycle de vie (fourniture d’intrants, transformation, transport et distribution, utilisation finale), des valeurs d’émissions de GES à l’électricité qui ne peut être considérée comme entièrement renouvelable[3] et qui est utilisée pour produire des carburants à faible teneur en carbone.

 

  • Une méthode de calcul de l’hydrogène bas carbone basée sur l’intensité carbone du mix électrique

La première méthode repose sur les valeurs d’émissions de GES attribuées sur la base de l’intensité des émissions de GES de l’électricité. Etant précisé que cette méthode considère comme « bas-carbone » tout hydrogène produit à partir d’un réseau électrique dont l’intensité carbone ne dépasse pas 18 g CO2 eq/MJ (soit 64,8 g CO2 eq/kWh).

A ce titre, l’intensité des émissions de GES de l’électricité est déterminée par référence à des valeurs datant de 2022.

Pour la France, et comme le relève le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, l’intensité carbone de l’électricité française retenue par la Commission – en vertu des données et statistiques de l’AIE (l’Agence Internationale de l’Energie) – apparaît particulièrement élevée (23,8 g CO2 eq/MJ) par rapport à la réalité, le bilan électrique de RTE retenant une intensité carbone de 8,9 g CO2 eq/MJ en 2023. Ceci serait en partie due à la prise en compte par la Commission de valeurs de l’année 2022, lors de laquelle une partie du parc nucléaire était indisponible, et des territoires d’outre-mer, ce qui ne correspondrait pas à une approche par zone de marché. Or, cette approche semble devoir prévaloir pour le calcul de l’intensité carbone de la France métropolitaine, dès lors que ces territoires d’outre-mer ne sont pas interconnectés avec elle de sorte qu’une production d’hydrogène en métropole ne peut pas y entraîner une augmentation de GES.

Néanmoins, il ressort de l’annexe à l’acte délégué que les États membres pourront également recourir aux données d’Eurostat et, lorsque l’intensité des émissions de GES est établie au niveau des zones d’offre, aux données des statistiques nationales officielles, des gestionnaires de réseaux de transport, dont RTE. Ainsi, s’agissant de la France ou la Suède, il serait possible de qualifier de « bas carbone » l’hydrogène produit grâce à l’électricité du réseau de leur zone de dépôt des offres.

Au contraire, inconvénient majeur pour la France, le texte proposé par la Commission ne reconnaît pas comme « bas-carbone » l’hydrogène produit grâce à de l’énergie exclusivement nucléaire, dans le cadre de la conclusion d’un accord d’achat d’électricité (power purchase agreements, PPA, en anglais).

En effet, l’article 3 du projet d’acte prévoit seulement, au plus tard le 1er juillet 2028, une obligation d’évaluer l’impact de l’introduction « d’un approvisionnement à faible teneur en carbone à partir de centrales nucléaires sur la base de critères appropriés et l’introduction d’une option permettant de prendre en compte l’intensité des émissions de gaz à effet de serre de l’électricité sur la base de moyennes horaires ».

Ce report de la prise en compte des PPA nucléaires est d’autant plus critiqué par les acteurs du secteur de l’hydrogène bas carbone – en particulier français (par exemple, France hydrogène, UFE, EDF) – que l’acte délégué 2023/1184 du 10 février 2023 définissant l’hydrogène vert prend en compte, à l’inverse, les PPA dans la définition de l’hydrogène renouvelable. Ils soutiennent que cette exclusion des PPA nucléaires jusqu’en 2028 est de nature à remettre les décisions d’investissements et à créer une inégalité de traitement entre ces deux technologies en rupture avec le principe de neutralité technologique. Ils prônent ainsi la mise en œuvre de critères similaires à l’hydrogène renouvelable (corrélation temporelle au pas horaire et corrélation géographique au niveau de la zone d’appel d’offres).

Ceci est d’autant plus problématique que la méthode proposée par la Commission, excluant les PPA nucléaires, permet de qualifier de « bas carbone » l’hydrogène produit grâce à l’électricité du réseau français, cette méthode ne prend pas en compte le besoin des filières dérivées (par exemple, la sidérurgie ou les e-fuels) qui recourent à l’hydrogène bas carbone dans le cadre d’un autre procédé industriel. En effet, dès lors que les émissions liées à la production d’hydrogène s’additionneront à celles des phases industrielles, la prise en compte d’un hydrogène ayant une valeur d’émission carbone dix fois inférieure à la moyenne du réseau (à hauteur de 2 g CO2 eq/kWh) – grâce à un approvisionnement direct des centrales nucléaires  – apporterait un avantage compétitif majeur par rapport à un approvisionnement en hydrogène renouvelable qui repose sur la conclusion de PPA encore rares, particulièrement onéreux et soumis à l’intermittence.

Bien au contraire, certains Etats membres s’opposent à la prise en compte des « PPA nucléaire » et regrettent que les émissions prises en compte pour la production d’hydrogène soient en réalité une moyenne de celles du réseau d’un pays. Dans sa note de position informelle sur le projet d’acte délégué, l’Allemagne propose notamment de « considérer les émissions moyennes horaires » de l’électricité utilisée dans la production d’hydrogène.

De plus, l’Allemagne, tout comme les ONG et professionnels de l’hydrogène vert, contestent l’écart entre les règles encadrant l’hydrogène renouvelable et celles relatives à l’hydrogène bas carbone, bien moins contraignants, et craignent que cette définition de l’hydrogène bas carbone rende plus facile l’installation de projets d’hydrogène bas carbone, notamment d’origine fossile, réduisant considérablement l’ambition de la décarbonisation.

 

  • Les deux autres méthodes d’évaluation

La deuxième méthode, consiste pour les producteurs d’hydrogène à faire coïncider leur production avec les périodes où les renouvelables ou le nucléaire fixent le prix de l’électricité.

Plus précisément, cette méthode prend en compte les valeurs d’émissions de GES qui sont attribuées en fonction du nombre d’heures de pleine charge pendant lesquelles l’installation produisant des combustibles à faible teneur en carbone fonctionne. Lorsque le nombre d’heures de pleine charge est égal ou inférieur au nombre d’heures pendant lesquelles le prix marginal de l’électricité a été fixé par les installations produisant de l’électricité renouvelable ou les centrales nucléaires au cours de l’année civile précédente pour laquelle des données fiables sont disponibles, l’électricité du réseau utilisée dans le processus de production de carburants à faible teneur en carbone se voit attribuer une valeur d’émission de GES de 0 g CO2eq/MJ.

A l’inverse, lorsque ce nombre d’heures de pleine charge est dépassé, l’électricité du réseau utilisée dans le processus de production de carburants à faible teneur en carbone se voit attribuer une valeur d’émission de GES de 183 g CO2eq/MJ.

Cette méthode assure que la production d’hydrogène a lieu pendant les heures où l’apport d’énergie renouvelable est élevé.

Toutefois, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives a relevé que cette valeur par défaut est significativement inférieure aux émissions de centrales à charbon et comparable aux émissions de turbines à gaz.

La troisième méthode consiste à prendre en compte la valeur des émissions de GES de l’unité marginale de production d’électricité au moment de la production des carburants à faible teneur en carbone dans la zone de l’offre peut être utilisée si cette information a été rendue publique par le gestionnaire du réseau de transport national. Autrement dit, cette méthode se fonde sur l’intensité exacte en carbone du réseau électrique régional, à condition que les opérateurs de réseau offrent un niveau d’information suffisant.

Cependant, selon les professionnels du secteur, cette solution – comme la deuxième – n’est pas crédible dans la mesure où les gestionnaires de réseaux de transport ne sont pas en capacité d’informer le producteur à chaque instant sur le type de centrale marginale appelée.

 

  • Le rôle de la Direction générale de la concurrence

Outre l’identification de la méthode d’évaluation des réductions d’émissions de GES la plus appropriée, les professionnels du secteur et les Etats membres ont vivement critiqué le fait que la direction générale de la concurrence (DG Competition) sera habilitée à exiger « des garanties supplémentaires » pour s’assurer que les aides d’Etats en faveur des carburants à faible teneur en carbone (comme l’hydrogène bas carbone) soient compatibles avec le marché intérieur et ne faussent donc pas indûment la concurrence.

En effet, il en ressort que, lorsque la DG Competition évaluera un projet bas carbone, elle pourra définir des critères additionnels, ce qui est de nature à réduire la sécurité juridique des investissements aujourd’hui envisagés et à limiter ainsi leur nombre.

 

  • La production d’hydrogène bleu/turquoise

Bien que non listée explicitement, la production d’hydrogène fossile produit à partir d’une technologie de captage, stockage et utilisation du CO2 est également visée par l’acte délégué dans le respect d’une émission maximum de 3,38 kg d’équivalent CO2 par kg d’hydrogène produit sur l’ensemble du cycle de vie.

A ce titre, les techniques de production d’hydrogène par vaporeformage de méthane associées aux technologies de captage, stockage et utilisation du CO2, par gazéification ou par pyrolyse sont ainsi prises en compte.

La méthodologie reconnaît ainsi le captage et le stockage des émissions comme une réduction des émissions lorsque celles-ci sont stockées de manière permanente dans un site de stockage géologique, y compris lorsque des émissions ayant lieu dans des pays tiers sont stockées en dehors de l’Union, pour autant que la législation nationale applicable garantisse la détection et la réparation des fuites conformément aux dispositions légales applicables dans l’UE, et que les fuites soient prises en compte afin qu’elles ne soient pas créditées en tant que réductions.

Toutefois, la méthodologie proposée a fait l’objet de vives critiques des ONG – ou de l’Allemagne – en retenant qu’en l’absence d’une méthodologie européenne permettant pour l’instant de comptabiliser les émissions de méthane, conformément à l’article 12 du règlement (UE) n° 2024/1787, l’intensité de méthane est calculée en appliquant une valeur par défaut. Il en va pareillement des fuites d’hydrogène.

En effet, l’utilisation de valeurs standard risque d’entraîner des émissions réelles beaucoup plus élevées que ces dernières, et une qualification à tort de l’hydrogène de « faible teneur en carbone ». D’autant que les émissions en amont du gaz naturel varient fortement entre les pays producteurs respectifs, et peuvent également varier fortement entre les producteurs d’un même pays (comme aux États-Unis). En outre, la valeur standard ne prendrait pas en compte l’augmentation des importations de gaz naturel liquéfié à forte intensité de carbone, dont les valeurs sont dominées par les émissions de CO2 liées à l’énergie pour la liquéfaction, la purification et le transport.

En somme, cela pourrait désavantager les producteurs, notamment d’hydrogène vert dont les critères apparaissent très contraignants, dont les émissions de GES sont très faibles sur leurs sites de production, au profit de projets d’hydrogène bas carbone, notamment d’origine fossile.

*   *

*

 

A la suite de la consultation publique qui s’est clôturée le 25 octobre dernier, la Commission européenne prépare la version finale de l’acte délégué pour la définition de l’hydrogène bas carbone qui ne sera probablement pas envoyée pour examen (d’une durée de deux mois, renouvelable) au Conseil et aux eurodéputés avant début 2025 – en particulier si les nouveaux cabinets de la nouvelle Commission demandent des modifications à son égard.

Ce projet pourrait être rejeté par une majorité qualifiée d’États membres de l’Union européenne ou par une simple majorité du Parlement européen. Toutefois, le report de sa publication définitive, s’il est compréhensible au regard des enjeux stratégiques qu’emporte la définition de l’hydrogène bas carbone pour les Etats membres, à travers l’avantage compétitif qu’elle pourrait leur procurer, ne serait pas sans conséquence sur la décision des professionnels du secteur d’engager de nombreux projets, dans l’attente d’une meilleure sécurisation juridique et économique de leurs investissements.

____

[1] Il en va de même dans le cas où l’électrolyseur utilise de l’électricité à des moments où les prix de l’électricité sont si bas (inférieurs à 20 euros par MWh ou à 0,36 fois le prix d’un quota d’émission d’une tonne d’équivalent CO2) que la production d’électricité d’origine fossile n’est pas économiquement viable et que, par conséquent, la demande supplémentaire d’électricité entraîne une augmentation de la production d’électricité renouvelable et non une augmentation de la production d’électricité d’origine fossile.

[2] Lettre du ministre fédéral de l’Économie et de la Protection du climat en date du 16 septembre 2024 proposant ainsi à la Commission que l’additionnalité ne s’applique qu’aux centrales construites après 2035 – au lieu de 2028 – et de reculer d’un an l’entrée en vigueur de l’obligation de justifier chaque heure que l’électrolyseur produisant l’hydrogène est alimenté par des ENR.

[3] Etant rappelé que l’électricité qui peut être entièrement considérée comme renouvelable conformément à l’article 27, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive (UE) 2018/2001 se voit attribuer des émissions de GES nulles.

Eau : adoption du décret relatif au schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE)

Après une consultation du public réalisée du 28 mars au 24 avril 2024, le décret relatif au schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) a été adopté le 2 décembre. L’objectif affiché de ce décret est de prévoir davantage d’agilité dans les procédures d’élaboration et de révision des schémas ainsi que dans le fonctionnement des commissions locales de l’eau (CLE). Les modifications apportées au Code de l’urbanisme ont quant à elles pour effet de garantir l’opérationnalité des schémas, notamment en améliorant leur intégration dans les outils d’aménagement des territoires.

Parmi les nouvelles dispositions issues de ce décret, on note la possibilité pour le préfet de département ou le préfet responsable de la procédure d’élaboration du SAGE de procéder à des adaptations du périmètre initialement proposé ou de modifier le périmètre existant du schéma lors de sa révision. Ces évolutions doivent toutefois être apportées avant que le projet de schéma ne soit soumis à la consultation du public.

Quelques dispositions concernent également l’organisation des commissions locales de l’eau : modalité de nomination des membres de la CLE, possibilité de renouveler leur mandat, adoption des délibérations par visioconférence ou par l’échange d’écrits à distance ou encore remplacement des membres de CLE dont l’absence répétée est constatée.

Le décret précise par ailleurs les procédures d’élaboration, de révision et de modification du schéma.

Concernant l’élaboration du SAGE, les avis du syndicat mixte d’aménagement et de gestion du parc naturel régional ainsi et du comité de gestion des poissons migrateurs sont désormais requis en plus de ceux déjà existants (conseils régionaux, des conseils départementaux, des chambres consulaires, des communes, de leurs groupements compétents, notamment en gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, et, s’ils existent, des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau et de l’établissement public territorial de bassin ainsi que du comité de bassin intéressés).

S’agissant de la modification, elle est désormais expressément prévue à l’article R. 212-44 du Code de l’environnement. L’article prévoit que cette modification peut intervenir à tout moment et, lorsqu’il s’agit d’assurer sa compatibilité avec le SDAGE, dans les trois ans qui suivent l’adoption de ce dernier. La modification peut être menée par la CLE ou par le préfet. Elle suppose l’avis du comité de bassin ainsi que la consultation du public par voie électronique.

La révision est quant à elle prévue à l’article R. 212-44-1 du Code de l’environnement. Elle peut intervenir à tout moment et en tout état de cause lorsque l’arrêté délimitant le périmètre du SAGE ou du SDAGE fixe un délai. La procédure peut être engagée par la CLE ou par le préfet. La CLE doit par ailleurs se prononcer tous les six ans à compter de l’adoption du SAGE ou de sa dernière révision. Elle doit en outre réaliser tous les douze ans un état de lieux et, sur cette base, décider ou non de procéder à une révision du schéma.

L’article R. 212-44-2 du Code de l’environnement précise quant à lui les cas où la révision doit être totale ou partielle :

  • révision partielle lorsque les changements envisagés ont pour effet d’entrainer des conséquences pour les tiers sans remettre en cause l’économie générale du schéma ;
  • révision totale lorsque les changements envisagés ont pour effet de remettre en cause l’économie générale du schéma.

Le contenu du SAGE est également précisé afin de donner plus de portée au plan d’aménagement et de gestion durable. En effet, ce dernier doit, d’une part, présenter les objectifs permettant de satisfaire aux trajectoires de prélèvement sur la ressource en eau et les moyens de les atteindre et, d’autre part, intégrer un nouveau document identifiant lesdits objectifs ainsi que les dispositions du règlement susceptibles d’avoir une incidence sur les orientations des SCOT (article R. 212-46 du Code de l’environnement).

La portée du SAGE est également renforcée dès lors que :

  • ce schéma est au nombre des informations qui doivent être portées à la connaissance, par le préfet, de la commune, de l’établissement public de coopération intercommunale ou du syndicat mixte qui a décidé d’élaborer ou de réviser un schéma de cohérence territoriale, un plan local d’urbanisme ou une carte communale (article R. 132-1 du Code de l’urbanisme).
  • les règlements des plans locaux d’urbanisme doivent par ailleurs intégrer, dans les zones U, AU, A et N, les secteurs des zones humides, sur lesquels existent des interdictions d’asséchement, d’imperméabilisation, de mise en eau ou de remblai, lorsqu’ils font l’objet, dans le schéma d’aménagement et de gestion des eaux, d’une cartographie à une échelle permettant leur localisation précise (article R. 121-47 du Code de l’environnement et R. 151-31 du Code de l’urbanisme).
  • est par ailleurs annexé au PLU le document prévu à l’article R. 212-46 point 6° identifiant les objectifs du SAGE, précité (article R. 151-53 du Code de l’urbanisme).

Ce décret doit entrer en vigueur dès le lendemain de sa publication bien que des dispositions transitoires soient prévues pour les schémas en cours d’élaboration, de modification ou de révision. L’autorité compétente peut toutefois décider de respecter l’ensemble de ces nouvelles dispositions à condition que le schéma n’ait pas été soumis au public. De même certaines des nouvelles dispositions du Code de l’urbanisme n’ont pas vocation à s’appliquer aux PLU dont l’élaboration ou la révision a été prescrite avant l’adoption du décret sauf décision contraire de l’autorité compétente dès lors qu’elle n’a pas arrêté le projet.

Publication des premières décisions de l’Autorité de régulation des transports (ART) applicables au développement des services numériques multimodaux

Pour la première fois, l’ART se prononce sur les modalités dans lesquelles un fournisseur de service numérique multimodal peut distribuer numériquement aux usagers les titres de transports afférents à des services de mobilité.

En l’espèce, la société Myzee Technology souhaitait, en application de l’article L. 1115-11 du Code des transports, délivrer des titres de transports dématérialisés afférents à plusieurs services de transport en commun, par l’intermédiaire de son application « Witick ».

Cette délivrance implique, en pratique, que la société dispose d’un accès aux services numériques de vente de leurs gestionnaires. Cet accès est organisé par les dispositions de l’article L. 1115-11 du Code des transports qui organisent un droit de délivrance des fournisseurs de services numériques multimodaux et une obligation des gestionnaires des services de mobilité de mettre à leur disposition « une interface permettant l’accès de l’usager à leur service numérique de vente ».

Pour ce faire, ces dispositions précisent qu’un contrat doit être conclu entre le fournisseur du service numérique multimodal et les gestionnaires des services de mobilité dont il assure la vente, afin d’y prévoir les modalités techniques et financières de vente des produits tarifaires.

C’est dans ce cadre que la société a sollicité l’autorisation de plusieurs gestionnaires aux fins de pouvoir procéder à la revente de titres de transports en commun en tant que fournisseur de service numérique multimodal.

Face aux refus de ces derniers, la société a saisi l’Autorité de Régulation des Transports (ART), afin que cette dernière enjoigne aux gestionnaires de services numériques de reconnaitre sa qualité de service numérique multimodal et que des contrats de fournisseur de service numérique multimodal lui soit délivré.

Par cinq de ses décisions concernant le périmètre d’Orléans, Tours, Toulon, Bordeaux et du Pays Basque Adour, l’ART va faire droit aux demandes de la société Myzee Technology et ainsi :

  • Reconnait que la société Myzee Technology répond aux conditions de qualification d’un fournisseur de service numérique multimodal, car son application permet la vente de services de mobilité aux usagers ;
  • Enjoint aux gestionnaires de services numériques d’élaborer et de publier les conditions contractuelles générales et particulières applicables à toute personne privée ou publique fournissant un service numérique multimodal.

Selon l’ART, les solutions dégagées par ces décisions ont vocation à s’appliquer à l’ensemble des gestionnaires de services numériques de vente de titres de transport en commun dans des situations comparables, et devraient ainsi permettre de faciliter le développement des services numériques multimodaux.

Chaque semaine jusqu’à Noël, des duos d’avocats du Cabinet vous proposent leur vision croisée de sujets d’actualité juridique

Tous les jeudis jusqu’à Noël des duos d’avocats du Cabinet vous proposent leur vision croisée de sujets d’actualité juridique via le #SEBANxSEBAN.

Retour sur les 4 premiers sujets traités au mois de novembre :
1) Le gestionnaire public qui ne déclare pas les accidents de service engage sa responsabilité personnelle !
Rédigé par Lorène Carrère avocate associée en fonction publique et Marlène JOUBIER, avocate associée en droit pénal, droit pénal de l’environnement et droit pénal du travail.

2) La protection fonctionnelle pour les élus et pour les agents publics n’est pas la même !
Rédigé par Lorène Carrère, avocate associée en fonction publique et Alexandra Aderno, avocate associée en vie des acteurs publics.

3) Vous accompagner dans la réforme de l’offre des services d’aide à domicile (SAD) : un travail d’équipe !
Rédigé par Marjorie Abbal, avocate associée en fonction publique et Esther Doulain, avocate à la Cour en Avocate à la Cour droit de l’action sanitaire et sociale, des ESSMS, des associations et de l’ESS.

4) Que faire des agents en cas de dissolution d’un syndicat ?
Rédigé par Lorène Carrère, avocate associée en fonction publique et Margaux Davrainville, avocate directrice en intercommunalité et finances publiques.

_____

A venir sur le mois de décembre, les expertises croisées de Lorène Carrère, Benoit ROSEIRO, Marion Terraux et Samuel Couvreur : abonnez-vous à leurs profils LinkedIn !

L’ensemble de ces posts seront ensuite republiés directement sur notre page fin décembre !

Rendez-vous cette semaine pour le prochain post sur les profils de Lorène Carrère et Benoit ROSEIRO !

 

Découvrez ici les articles de novembre :

Lire les analyses croisées

Royaume-Uni : Adoption de la réforme visant à nationaliser les services ferroviaires de transport de voyageurs

Entrée en vigueur du « Passenger Railway Services (Public Ownership) Act 2024 » visant à transférer les services ferroviaires de transport de voyageurs exploités sous « franchise » au secteur public.

Pour rappel, le service de transport ferroviaire de voyageurs au Royaume Uni a été ouvert à la concurrence par le Railway Act de 1993. Depuis le système ferroviaire est organisé de la manière suivante[1] :

  • En ce qui concerne d’abord la gestion des infrastructures Une entreprise privée contrôlée par l’Etat, Network Rail (auparavant Railtrack) est propriétaire et en charge de la gestion des voies ferroviaires sur lesquelles circulent les opérateurs. Le contrôle de l’Etat s’opère dans le cadre de licences d’exploitation délivrée par l’Office of Rail and Road, par lesquelles ce dernier impose à Network Rail des obligations en termes de maintenance ou de développement du réseau dont le non-respect est susceptible de conduire au prononcé d’amendes.
  • En ce qui concerne l’exploitation du service de transport ferroviaire. Celle-ci est assurée par des opérateurs privés circulant sur les lignes. L’accès des exploitants aux lignes nécessite l’attribution de contrats d’accès aux voies délivrés par le gestionnaire Network Rail. Une fois l’accès délivré, l’exploitation des lignes nécessite l’obtention de contrats de franchises attribués par le Departement for Transport (ou plus rarement en « open access»). Ici encore, l’Etat exerce un contrôle car, l’Office of Rail and Road est chargé de contrôler les contrats d’accès aux voies et de délivrer aux exploitants des licences d’accès aux infrastructures dont le maintien est conditionné au respect d’obligations environnementales ou sociales.

Depuis plusieurs années, le système ferroviaire de voyageurs britannique fait l’objet de critiques tenant principalement à la baisse de qualité du service et à l’augmentation du coût des billets.

Or, en l’état, l’Etat ne dispose pas de moyens lui permettant de remédier de façon durable aux dysfonctionnements des services ferroviaires. Car, au titre de ses pouvoirs de contrôle, l’Office of Rail and Road ne peut que, temporairement, suspendre les licences délivrées aux exploitants.

En vue de permettre une amélioration durable de la qualité du service et de réduire le prix des billets, un projet de loi « Passenger Railway Services (Public Ownership) Bill 2024-25 » a été présenté par le Gouvernement à la Chambre des Communes le 18 juillet 2024 en vue de transférer les services ferroviaires de transport de voyageurs exploités sous « franchise » au secteur public.

Entrée en vigueur le 28 novembre 2024, la réforme prévoit, en substance :

  • Un transfert progressif des services une fois les contrats arrivés à leur terme, avec une possibilité de transfert anticipé en cas de dégradation du service ;
  • Ce transfert s’opèrera sans coût pour l’Etat et les bénéfices allant actuellement aux actionnaires seront réinvestis ;
  • L’actuel gestionnaire du réseau Network Rail sera remplacé par une nouvelle entreprise publique Great British Railways qui sera chargée d’uniformiser la qualité du service et le prix des billets.

____

[1] A. Antoine, et M. Lahouazi, Privatisation vs nationalisation : faut-il choisir son camp ?, AJDA, 2018, p. 1758.

Nouvelles précisions pour la réalisation des services express régionaux métropolitains (« SERM »)

Le décret n° 2024-1048 du 20 novembre 2024 (« le décret »), publié au Journal officiel du 22 novembre 2024 et pris en application des articles 7 et 16 de la loi n° 2023-1269 du 27 décembre 2023[1], marque une étape importante dans l’organisation et la réalisation des Services Express Régionaux Métropolitains (« SERM »). En effet, le décret apporte plusieurs précisions :

Définition du contenu attendu de la Convention prévue à l’article L. 2111-13 du Code des transports

Le décret précise le contenu attendu de la convention entre SNCF Réseau (ou SNCF Gares et Connexions) et la Société des Grands Projets si cette dernière a la maîtrise d’ouvrage sur le réseau ferré national. Elle devra, notamment :

  • Fixer le programme fonctionnel, performance, d’exploitabilité et de maintenabilité des ouvrages construits sous la maîtrise d’ouvrage de la SGP ;
  • Identifier les interfaces entre les ouvrages construits sous la responsabilité de la SGP[2] et les infrastructures du réseau ferré national et installations de service en exploitation gérées par SNCF Réseau[3][4];
  • Définir les périmètres d’intervention de chacune des parties, notamment aux jonctions existantes entre le réseau ferré national et les nouveaux ouvrages[5];
  • Définir les spécifications techniques pour la réalisation des ouvrages destinés à être incorporés au réseau ferré national[6] et les spécifications techniques pour la réalisation des gares de voyageurs et des pôles d’échange multimodaux[7][8].

Instauration d’une validation obligatoire des études techniques

Le décret impose une validation obligatoire des étapes préliminaires et les avant-projets par SNCF Réseau ou sa filiale des études techniques du projet, sous forme d’avis conforme. En cas d’absence de réponse dans les délais impartis, les études sont réputées conformes[9]​​.

Précisions sur les conditions de remise de l’infrastructure

Le décret précise également les conditions de remise de l’infrastructure à SNCF Réseau ou SNCF Gares et Connexions[10] et notamment que cette remise intervient après l’autorisation de mise en service délivrée par l’Etablissement public de sécurité ferroviaire (« EPSF ») ou encore après que « SNCF Réseau ou sa filiale s’est assurée que les ouvrages respectent le programme fonctionnel, de performance, d’exploitabilité et de maintenabilité des ouvrages ainsi que les avis qu’elle a émis auxquels la Société des grands projets ou sa filiale était tenue de se conformer » [11].

Instauration d’un seuil financier

Enfin, le décret fixe un seuil de 500 millions d’euros à partir duquel les travaux de création ou de prolongement d’une infrastructure nécessaire à un SERM[12], correspondant au coût estimé pour 20 km de nouvelles lignes ferroviaires[13], sont soumis à une déclaration d’utilité publique par décret en Conseil d’État.

____

[1] Loi n° 2023-1269 du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains

[2] ou de sa filiale (article R.2111-4 du Code des transports)

[3] Ibid.

[4] Art. R. 2111-4 du Code des transports

[5] Ibid.

[6] Définies par SNCF Réseau

[7] Définies par la filiale de SNCF Réseau

[8] Art. R. 2111-5 du Code des transports

[9] Art. R. 2111-7 du Code des transports

[10] Art. R. 2111-8 du Code des transports

[11] Ibid.

[12] Art. R.121-2 7° du Code de l’expropriation

[13] Notice du décret n°2024-1048 du 20 novembre 2024

Tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE) : La Commission de régulation de l’énergie (CRE) et l’Autorité de la Concurrence ne voient pas leur avenir du même œil

Rapport de l’Autorité de la Concurrence relatif aux tarifs réglementés de vente

L’article L. 337-9 du Code de l’énergie prévoit une évaluation ministérielle et quinquennale des tarifs réglementés de vente de l’électricité (TRVE) sur la base d’un rapport transmis par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) et de l’Autorité de la concurrence portant sur :

« 1° La contribution de ces tarifs aux objectifs d’intérêt économique général, notamment de stabilité des prix, de sécurité de l’approvisionnement et de cohésion sociale et territoriale ;

2° L’impact de ces tarifs sur le marché de détail ;

3° Les catégories de consommateurs pour lesquels une réglementation des prix est nécessaire. »

En juin 2021, la CRE avait ainsi rendu son premier rapport dans lequel elle concluait que « les TRVE tels que mis en œuvre en 2021 étaient compatibles avec le bon fonctionnement du marché de détail français de l’électricité au bénéfice des consommateurs. »

Pour l’échéance 2025, la CRE a publié son rapport le 19 novembre 2024, dont il ressort synthétiquement les 2 points suivants :

  • La CRE estime que le dispositif des TRVE n’est pas remplaçable à court terme :

Selon la CRE, les TRVE sont un vecteur de flexibilité contribuant à la sécurité de l’approvisionnement mais avant tout une protection contre la volatilité des prix de l’énergie auxquels les consommateurs français restent attachés et à maintenir dans ce contexte de disparition de l’ARENH.

Elle souligne également la pertinence de leur méthode de construction, régulièrement améliorée, compatible avec le bon fonctionnement du marché de détail de l’énergie, réplicable par les fournisseurs alternatifs.

Ainsi elle recommande leur maintien durant les cinq prochaines années.

  • Elle émet toutefois trois recommandations afin de renforcer la concurrence au bénéfice des consommateurs :
  1. Compléter les pouvoirs d’enquête et de sanction de la CRE en matière de protection des consommateurs afin de renforcer leur confiance envers les fournisseurs d’électricité ;
  2. Interdire le retour aux TRVE des clients souscrivant une puissance supérieure à 36 kVA qui ont quitté les TRVE depuis moins d’un an, et ce pour limiter les allers-retours de court terme entre les TRVE et les offres de marché ;
  3. Distinguer clairement les processus de souscription en lignes TRVE/ offres de marchés afin d’éviter toute confusion pour les consommateurs et ainsi « limiter un possible effet d’aubaine au profit des offres de marché des fournisseurs historiques proposant des TRVE ».

Cette position n’est pas partagée par l’Autorité de la Concurrence qui recommande pour sa part dans son rapport du même jour de préparer la disparition des tarifs réglementés de vente et leur remplacement par d’autres dispositifs.

En effet, selon cette dernière les TRVE revêtent une dimension réglementaire et politique constituant de façon structurelle un obstacle à la libre concurrence ainsi qu’aux bénéfices qui en découlent pour l’économie.

Sur la base de ce constat, l’Autorité de la Concurrence suggère que succèdent aux TRVE d’autres mesures de protection des consommateurs ne relevant pas d’interventions de crise tels que le développement du comparateur de prix développé par le MNE et un mécanisme régulatoire post-ARENH. Ces mesures pourraient s’inscrire dans le prolongement des lignes directrices récemment publiées par la CRE pour la protection des consommateurs (commentées ici).

Qu’en est-il de la mise en cohérence du Code de l’urbanisme avec les dispositions du Code de l’énergie en matière de raccordement au réseau de distribution d’électricité ?

Un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes a été déposée le 31 octobre dernier à l’Assemblée nationale.

Parmi les mesures portées en matière énergétique, il y figure l’attendue mise en cohérence des dispositions du Code de l’urbanisme avec la suppression de la contribution des collectivités territoriales pour les travaux d’extension situés hors du terrain d’une opération de raccordement prévues par l’article 29 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (dite loi « APER »)  et par l’ordonnance n° 2023-816 du 23 août 2023 relative au raccordement et à l’accès aux réseaux publics d’électricité.

Ainsi que nous le soulignions dans une de nos précédentes lettres d’actualité, les nouvelles dispositions du Code de l’énergie mettant à la charge du demandeur du raccordement l’ensemble de la contribution correspondant aux extensions du réseau (qu’elles soient situées sur ou en dehors du terrain d’assiette de l’opération) demeurent en effet à ce jour contradictoires avec l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme.

Cette contradiction devait être levée par l’effet de l’article 2 du projet de loi de ratification de l’ordonnance du 23 août 2023 susvisée dont le texte définitif n’a pour l’heure pas été promulgué. Celui-ci prévoit en effet la suppression du troisième alinéa de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme limitant la prise en charge de l’extension par le demandeur à la partie de l’extension située sur le terrain d’assiette de l’opération ainsi que de plusieurs références au réseau d’électricité au sein de l’article.

C’est également l’objet du projet de loi ici commenté qui, à travers des amendements sensiblement identiques de l’article L. 332-15 du Code de l’urbanisme, supprime les références à la contribution de la collectivité chargée de l’urbanisme au financement du raccordement. Il semblerait donc que cette clarification soit finalement portée par le projet de loi du 31 octobre 2024.

Parmi ses autres nombreuses dispositions en matière de droit de l’énergie, on citera encore deux dispositifs portés en son article 20 visant à protéger les consommateurs de gaz et d’électricité par la surveillance du marché de gros :

  • un système de coopération entre le Médiateur National de l’Energie (MNE) et les autres médiateurs de la consommation afin de renforcer les mécanismes de règlement extra-judiciaire des litiges entre les consommateurs et les entreprises du secteur de l’énergie ;
  • une obligation pour la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) d’informer le ministre en charge de l’Economie de toute pratique restrictive dont elle aurait connaissance dans le secteur de l’électricité ou le gaz naturel, notamment en matière de clause d’exclusivité.

Nous ne manquerons pas d’analyser les mesures effectivement retenues une fois le texte définitif promulgué.