Energie
le 05/10/2023

L’action d’un propriétaire visant à la démolition d’un ouvrage de la distribution d’électricité irrégulièrement implanté sur sa propriété privée est imprescriptible

CE, 27 septembre 2023, Société Enedis, n° 466321 :

Lorsqu’un ouvrage de la distribution d’électricité est irrégulièrement implanté sur une parcelle (donc en dehors de toute convention de servitude amiable régulièrement conclue ou d’une déclaration d’utilité publique de l’ouvrage), le juge administratif peut ordonner sa démolition ou son déplacement.

Cette décision du juge résulte d’un bilan coût/avantage entre l’atteinte portée aux droits du propriétaire du fait de la présence de l’ouvrage en question et de celle que porterait son déplacement ou sa démolition à l’intérêt général (attaché au service public de distribution d’électricité).

Il vérifie ainsi que les conditions suivantes sont bien réunies :

  • le caractère irrégulier de l’implantation de l’ouvrage est établi ;
  • il n’y a pas, le cas échéant, de possibilité de régularisation de cette-dernière ;
  • enfin, il ne résulte pas du déplacement ou de la suppression sollicitée de l’ouvrage une atteinte excessive à l’intérêt général au regard des inconvénients que la présence de l’ouvrage entraîne pour le propriétaire du terrain d’assiette (selon la théorie du bilan « avantages/inconvénients ») (Voir notamment en ce sens CE, 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes Maritimes, N° 245239 ou encore CAA de Nancy, 16 mars 2021, C c/ société Enedis, N° 20NC00531).

Ce raisonnement a d’ailleurs pu donner récemment lieu à de surprenantes jurisprudences ainsi que nous le commentions dans une de nos précédentes lettres d’actualité.

Dans la décision ici commentée, le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi en cassation d’Enedis, devait se prononcer sur l’injonction faite par la Cour administrative de Versailles au gestionnaire de réseau de procéder à la dépose d’un pylône électrique implanté sur une parcelle privée et au déplacement ou à l’enfouissement de la ligne électrique la surplombant.

Sur le fond et en suivant le raisonnement ci-avant décrit, le Conseil d’Etat conclut que dans cette affaire, eu égard aux coûts liés à ces opération, aux risques d’interruption du service de distribution d’électricité durant les travaux qu’elles impliquent ainsi qu’au temps écoulé depuis l’acquisition de la propriété supportant les ouvrages (de nature à limiter l’importance des inconvénients allégués par les propriétaires), cette suppression ou ce déplacement porterait une atteinte excessive à l’intérêt général.

Mais cette décision est surtout l’occasion pour le Conseil d’Etat d’indiquer que les actions de tels propriétaires sollicitant la suppression d’ouvrages de distribution d’électricité irrégulièrement implantés sur leur parcelle par l’opérateur sont imprescriptibles : « compte tenu des spécificités, rappelées au point précédent, de l’action en démolition d’un ouvrage public empiétant irrégulièrement sur une propriété privée, ni ces dispositions ni aucune autre disposition ni aucun principe prévoyant un délai de prescription ne sont applicables à une telle action ».

Il rejette ainsi comme étant inopérante l’invocation faite par Enedis de l’article 2227 du Code civil, lequel fixe la prescription des actions réelles immobilières à trente ans, qui ne s’applique donc pas à une action en démolition d’un ouvrage de réseau de distribution d’électricité irrégulièrement implanté sur une propriété privée.