Droit de priorité : la cession d’immeubles appartenant à la SNCF en vue de réaliser une opération d’intérêt national est exclue du champ d’application du droit de priorité prévu à l’article L. 240-1 du Code de l’urbanisme

Par une décision en date du 9 janvier 2024, l’EPF PACA a exercé, par délégation de la commune de Sanary-sur-Mer, le droit de priorité prévu à l’article L. 240-1 du Code de l’urbanisme sur des parcelles et des droits indivis propriétés de la SNCF.

La SNCF avait trouvé un acquéreur avec lequel une promesse de vente avait été signée et qui avait obtenu un permis de construire délivré le 13 juin 2023 pour la réalisation de 30 logements dont 15 logements locatifs sociaux.

L’acquéreur évincé a donc saisi le Juge des référés du Tribunal administratif de Toulon pour suspendre l’exécution de la décision portant exercice du droit de priorité. Il a été débouté par ordonnance n° 2400792 du 9 avril 2024 et s’est pourvu en cassation.

Par un arrêt “Groupe A et A Novelis” du 9 février 2025, le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur :

  • 1°) Le champ d’application du droit de priorité et, notamment, sur le point de savoir s’il s’appliquait aux cessions d’immeubles appartenant à la société nationale SNCF (ancien établissement public SNCF) ;
  • 2°) Un cas d’exclusion du champ d’application du droit de priorité, notamment, en cas d’aliénation d’immeubles en vue de réaliser des opérations d’intérêt national (OIN), y compris s’agissant des opérations de logements ayant les effets des OIN ;
  • 3°) Le point de savoir si, dans une commune carencée en logements sociaux, le droit de priorité est ou non transféré au préfet.

 

En premier lieu, le Conseil d’Etat énonce que l’article L. 240-1 du Code de l’urbanisme dispose que le droit de priorité s’applique aux cessions d’immeubles appartenant aux établissements publics mentionnés aux articles L. 2102-1, L. 2111-9 et L. 2141-1 du Code des transports, renvoyant notamment à la SNCF.

Et, s’il relève encore que l’établissement public SNCF est devenu, à compter de l’ordonnance du 3 juin 2019 portant diverses dispositions relatives au groupe SNCF et de la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités, la société nationale SNCF et que le législateur a laissé subsister la mention “établissements publics”, le droit de priorité reste applicable à la société nationale SNCF.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat rappelle, au visa de l’article L. 240-2 alinéa 3, que le droit de priorité ne s’applique pas à l’aliénation d’immeubles en vue de réaliser les opérations d’intérêt national mentionnées à l’article L.132-1 du Code de l’urbanisme, y compris les opérations ayant ces effets en vertu de l’article 1 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement qui dispose notamment que la réalisation de logements présente un caractère d’intérêt national lorsqu’elle contribue à l’atteinte des objectifs fixés de réalisation de logements locatifs sociaux par période triennale en application de l’article L. 302-8 du Code de la construction et de l’habitation.

Or, en l’espèce, le Conseil d’Etat relève que l’acquéreur évincé a conclu une promesse de vente avec la SNCF subordonnée à l’obtention d’un permis de construire, effectivement délivré pour la construction de 30 logements dont 15 logements locatifs sociaux.

Il en conclu, à juste titre, que le projet de l’acquéreur évincé présente un caractère d’intérêt national en soulignant, d’une part, que la commune de Sanary-sur-Mer n’a pas atteint l’objectif global de réalisation de logements sociaux pour la période triennale 2020-2022 fixée par le préfet et, d’autre part, qu’un arrêté préfectoral de carence a été prononcé le 20 décembre 2023 pour la période 2023-2025. Ainsi, le droit de priorité n’était pas applicable à l’aliénation des biens en cause vendus par la SNCF pour réaliser un programme de logements dont une partie est réalisée en logement social et a l’effet d’une opération d’intérêt national.

En troisième et dernier lieu, le Conseil d’Etat énonce qu’en l’absence de dispositions prévoyant que, lorsqu’une commune a fait l’objet d’un arrêté de carence au regard de ses objectifs en matière de réalisation de logements sociaux, le droit de priorité des terrains affectés au logement ou destinés à être affectés à une opération de construction ou d’acquisition de logements sociaux serait exercé par le représentant de l’Etat dans le département, il ne peut être reproché à la commune d’avoir voulu déléguer le droit de priorité à l’EPF PACA.

Au total, le Conseil d’Etat suspend la décision d’exercer le droit de priorité prise par l’EPF PACA au motif que la cession de la SNCF en vue de réaliser une opération ayant l’effet d’une OIN est exclue du champ d’application du droit de priorité.

Inopérance du moyen tiré de l’exception d’illégalité de la délibération arrêtant le projet de PLU (Plan Local d’Urbanisme) dans le cadre d’un recours contre la délibération approuvant le PLU

Dans cette affaire, un requérant avait sollicité du tribunal administratif l’annulation d’une délibération approuvant la révision d’un plan local d’urbanisme (PLU) en tant qu’il a classé une parcelle en zone naturelle et non en zone urbaine.

Le tribunal administratif a annulé cette délibération.

La commune a interjeté appel et la Cour administrative d’appel a annulé le jugement. Le requérant de première instance s’est alors pourvu en cassation.

La question qui se pose ici est de savoir s’il est possible d’exciper de l’illégalité de la délibération arrêtant le projet de PLU dans le cadre d’un recours en annulation à l’encontre de la délibération approuvant ledit PLU.

Le requérant critiquait précisément ici l’information, insuffisante selon lui, des membres du conseil municipal lors du conseil municipal portant sur la délibération arrêtant le projet de PLU.

Or, la Cour a considéré que :

« 7. Mme B… soutient que la convocation des conseillers municipaux à la séance du conseil municipal du 19 décembre 2019 était irrégulière faute de mentionner un ordre du jour suffisamment précis et d’être accompagnée d’une note explicative de synthèse. Toutefois, le moyen tiré de l’illégalité de la délibération arrêtant le plan local d’urbanisme ne peut, eu égard à son objet et à sa portée, être utilement invoqué contre la délibération approuvant la révision du plan local d’urbanisme… » (CAA Bordeaux, 2 novembre 2023, n° 22BX02433).

Le Conseil d’Etat confirme que c’est sans erreur de droit que les juges d’appel ont écarté le moyen tiré de l’illégalité de la délibération arrêtant le plan local d’urbanisme soulevé dans le cadre du contentieux à l’encontre de la délibération approuvant le PLU. Un tel moyen est bien inopérant :

« Eu égard, d’une part, aux spécificités de la procédure d’élaboration ou de révision du plan local d’urbanisme décrite au point 2, qui impliquent que le conseil municipal est nécessairement conduit à se prononcer, lors de l’adoption définitive du plan local d’urbanisme ou de sa révision, sur le contenu de ce document et, d’autre part, à l’absence d’effet propre de la phase arrêtant le projet de plan avant l’enquête publique, prévue par l’article L. 153-14 du Code de l’urbanisme, les éventuelles irrégularités affectant la délibération arrêtant le projet de plan sont sans incidence sur la légalité de la délibération approuvant le plan. Par suite, c’est sans erreur de droit que la Cour administrative d’appel de Bordeaux a écarté comme inopérant le moyen tiré de l’illégalité de la délibération arrêtant le plan local d’urbanisme. »

Le rapporteur public, M. Frédéric PUIGSERVER, a précisé dans ses conclusions sur cette affaire que la délibération arrêtant le projet de PLU constitue une mesure préparatoire qui n’est pas susceptible de recours devant le juge de l’excès de pouvoir, à l’inverse par exemple de la délibération qui la précède relative au débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable (PADD). La délibération approuvant un PLU est quant à elle attaquable devant le juge de l’excès de pouvoir.

Le Conseil d’Etat valide donc la solution de la Cour administrative d’appel qui a considéré que la délibération approuvant le PLU purge le vice tenant à l’information insuffisante de ce même organe délibérant lors de la délibération précédente arrêtant le projet de PLU.

Le Conseil d’Etat étend donc ici sa jurisprudence Commune de Saint-Bon-Tarentaise qui empêche d’exciper de l’illégalité de la délibération prescrivant la révision du PLU, se prononçant sur ses objectifs, et arrêtant les modalités de la concertation dans le cadre d’un recours postérieur à l’encontre de la délibération approuvant le PLU.

La création de logement peut constituer une raison impérative d’intérêt public majeur

Le Conseil d’Etat était saisi dans cette affaire d’un projet portant sur la construction de trois bâtiments comprenant soixante logements locatif sociaux et dix-huit logements en accession sociales à la propriété. Ce projet portant atteinte à une espèce protégée, la salamandre tachetée, les sociétés pétitionnaires ont sollicité et obtenu une dérogation à l’interdiction de porter atteinte à des espèces protégées, prévue par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement.

C’est de la légalité de cette autorisation qu’avait été saisi le tribunal administratif, puis la Cour administrative d’appel de Nancy qui avaient toutes deux fait droit à la demande d’annulation formulée par les requérants.

Pour ce faire, la Cour administrative d’appel de Nancy avait jugé que le projet de réalisation de logements ne répondait à pas à une raison impérative d’intérêt public majeur car même si, relevait-elle, le projet privé permettait de concourir à la poursuite de l’atteinte des objectifs du programme local de l’habitat durable de la métropole du Grand Nancy, et du quota de logements sociaux définis par la loi SRU, ce projet privé :

  • N’était pas nécessaire pour atteindre ces objectifs dès lors que la commune satisfait à la date de la décision attaquée aux exigences de la loi SRU,
  • Outre qu’aucun élément ne venait étayer l’affirmation selon laquelle, sans ce projet, ces objectifs ne pourraient être atteints qu’au détriment des terrains agricoles environnantes,
  • Il n’est pas non plus démontré que la métropole connaîtrait une situation de tension particulière en matière de logement social en raison d’une hausse démographique prévisible et d’un besoin non satisfait.
  • Il n’est pas davantage démontré que ce projet aurait pu être réalisé sur une emprise foncière moins attentatoire à la conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore alors que les sites permettant le développement de ce type de projets ne sont pas inexistants, tant sur le territoire de la commune, que sur celui de la métropole.

En somme, la Cour administrative d’appel jugeait que seule une rupture établie de l’offre et de la demande en matière de logement aurait pu permettre d’envisager la reconnaissance d’une raison impérative d’intérêt public majeur.

Les sociétés pétitionnaires ont formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

Celui-ci a annulé la décision et a renvoyé devant la Cour.

Nicolas Agnoux dans ses conclusions sous cette affaire, soulignait à son sens deux failles dans le raisonnement de la Cour :

  • D’une part, une confusion entre les différentes conditions de l’octroi d’une dérogation espaces protégées de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement : l’existence d’une RIIPM, qui est une condition de l’octroi de cette dérogation s’apprécie indépendamment des deux autres, notamment de celle tenant à l’absence d’autre solution satisfaisante. Ce n’est que si l’on constate qu’existe un RIIPM justifiant le projet et la dérogation entreprise, qu’il faut alors s’interroger sur les autres conditions. Or, pour juger que n’existait pas de RIIPM, la Cour a relevé que les objectifs en matière d’offre de logement pouvaient être atteints par d’autres voies sans jouer au détriment des terres agricoles et que d’autres sites d’implantation étaient disponibles sur le territoire de la commune et de la métropole. Cela caractérise une erreur de droit.
  • D’autre part, les autres motifs de rejet de la RIIPM ne sont pas fondés. Illustrant l’analyse particulièrement casuistique à opérer, il propose donc d’analyser in concreto la manière dont le projet répond à une RIIPM, et relève que si au jour de la délivrance de la dérogation les objectifs SRU étaient atteint, ce n’était de nouveau plus le cas en 2020, ce qui entrainait le versement des pénalités correspondantes, et le rapporteur public souligne que « la problématique de construction de logements sociaux appelle une approche de long terme, s’agissant d’opérations lourdes et structurantes».

Outre le fait que le projet s’inscrit en cohérence avec les orientations définies au niveau de l’agglomération, Nicolas Agnoux souligne surtout que les seuils légaux de 20 ou 25 % inscrits à l’article L. 302-5 du Code de la construction et de l’habitation ne sauraient servir ici que de références indicatives, ces taux constituant des seuils à atteindre et non des plafonds, et le conduit à considérer que : « la construction de logements sociaux est susceptible de caractériser une RIIPM si elle répond à des besoins locaux effectivement non pourvus, sans qu’il soit nécessaire de justifier d’une situation critique ».

Le Conseil d’Etat a censuré le raisonnement de la Cour aux motifs :

  • « d’une part que la construction de ces logements est destinée soit à permettre à une population modeste d’accéder à la propriété, soit à assurer le logement des populations les plus fragiles»
  • « d’autre part, que le taux de logements sociaux de la commune, observé sur une période significative de dix ans, était structurellement inférieur à l’objectif de 20 % fixé par le législateur et l’un des plus faibles de la métropole du Grand-Nancy, et qu’au demeurant les objectif fixés par la loi en termes de logements locatifs sociaux constituaient des seuils à atteindre et non des plafonds»

L’affaire est renvoyée devant la Cour.

Un décret du 17 janvier 2025 ouvre aux congrégations religieuses la possibilité de faire une demande d’exhumation

Au Journal officiel du 19 janvier 2025 est paru un décret introduisant plusieurs nouveautés et simplifications d’application immédiate en matière funéraire.

 

1. Possibilité d’exhumation de corps à la demande d’une congrégation religieuse :

Pour rappel, l’article R. 2213-40 du Code Général des collectivités territoriales (ci-après « CGCT ») réserve la possibilité de demander l’exhumation d’un corps au plus proche parent de la personne défunte (notion à distinguer de l’ayant droit ou de la personne ayant la qualité pour pourvoir aux funérailles). Il en va de même pour les demandes de crémation (article R. 2213-37 du CGCT).

L’article R. 2213-40-1 du CGCT introduit par le décret ici commenté vient créer la possibilité de procéder à de telles demandes pour la personne chargée de l’administration ou de la direction d’une congrégation religieuse, d’une association cultuelle ou d’une association régulièrement déclarée en cas :

  • De dissolution de la congrégation/association ou de la prise d’un acte d’administration ou de disposition à l’égard du bien où se situent les sépultures ;
  • Et d’autre part, d’impossibilité d’identifier le plus proche parent du défunt.

Ces dispositions offrent un cadre législatif sécurisant à de récentes et pragmatiques positions jurisprudentielles. Par un jugement du 24 avril 2024, le Tribunal judiciaire de Paris avait par exemple considéré qu’une congrégation pouvait, à défaut d’éléments contraires, être considérée comme le plus proche parent de religieuses membres et donc fondée à solliciter la réunion de leurs corps (opération juridiquement assimilée à une exhumation, voir en ce sens Tribunal judiciaire de Paris, 22 mai 2024, RG n° 22/12747)

Ces dispositions sont également applicables aux établissements publics du culte en Alsace-Moselle.

 

2. L’accès des officiers de police judiciaire au volet administratif du certificat de décès dématérialisé :

Le certificat de décès comporte un volet médical mais également un volet administratif indiquant la commune de décès de la personne, les date et heure de décès, ses noms, prénoms, date de naissance, sexe, domicile ainsi que les informations nécessaires à la réalisation des opérations funéraires. Ce volet administratif est établi sur support numérique et transmis par voie dématérialisée notamment à la mairie du lieu de décès ainsi à la régie, l’entreprise ou l’association en charge du service funéraire (voir en ce sens articles R. 2213-1-1 et R. 2212-1-2 du CGCT).

Ainsi que le prévoit le décret du 17 janvier 2025, celui-ci peut désormais être communiqué aux officiers de police judiciaire qui en font la demande.

3. Autres simplifications et clarifications en matière funéraire

Ce décret procède à d’autres mesures permettant de clarifier et de rationaliser l’exercice du droit funéraire :

  • Il parachève le transfert de compétences en matière funéraire du Préfet de police de Paris vers le Maire en abrogeant l’article R. 2512-35 du CGCT (certaines compétences en la matière étant jusqu’alors partagées entre le préfet et le maire dans la capitale) ;
  • Il simplifie enfin la procédure de modification des statuts pour les congrégations religieuses d’Alsace-Moselle en l’alignant sur la procédure prévue par le décret du 16 août 1901 qui, depuis 2018, n’exige plus qu’un arrêté ministériel approuvant les statuts au lieu d’un décret en Conseil d’Etat.

Harcèlement moral institutionnel : une consécration jurisprudentielle

En suite de l’arrêt du 25 juin 2024[1], la Chambre criminelle reconnait pour la première fois par arrêt du 21 janvier 2025 la notion de harcèlement moral institutionnel – i.e. un harcèlement résultant d’une politique d’entreprise conduisant à la dégradation des conditions de travail des salariés, en toute connaissance de cause.

Cette décision intervient dans le cadre de l’affaire médiatisée des suicides au sein du groupe France Télécom, faisant suite à la politique de restructuration mise en place par les dirigeants de ce groupe, prévoyant notamment une réduction des effectifs à hauteur de 22.000 salariés ou agents.

A la suite de la plainte déposée par le syndicat en décembre 2009, une procédure d’information judiciaire a été ouverte, à l’issue de laquelle les principaux dirigeants ont été condamnés par la Cour d’appel de Paris des faits de harcèlement moral institutionnel sur le fondement des dispositions de l’article 222-33-2 du Code pénal.

Le pourvoi formé par les dirigeants pose ainsi la question de savoir si le harcèlement moral institutionnel entre dans les prévisions de l’article 222-33-2 du Code pénal.

La Cour de cassation y répond par l’affirmative.

Elle rappelle en premier lieu la définition donnée par les juges du fond à cette notion, savoir « des agissements définissant et mettant en œuvre une politique d’entreprise ayant pour but de structurer le travail de tout ou partie d’une collectivité d’agents, agissements porteurs, par leur répétition, de façon latente ou concrète, d’une dégradation, potentielle ou effective, des conditions de travail de cette collectivité et qui outrepassent les limites du pouvoir de direction ».

La Haute juridiction réaffirme en second lieu la distinction entre les agissements ayant pour objet une dégradation des conditions de travail et ceux ayant un tel effet. Ainsi :

  • La caractérisation des agissements ayant pour effet une dégradation des conditions de travail suppose que les victimes soient précisément identifiées ;
  • En revanche, les agissements ayant pour objet une telle dégradation n’exigent pas que les faits reprochés à leur auteur concernent un ou plusieurs salariés en relation directe avec lui ni que les salariés victimes soient individuellement désignés. En effet, dans cette hypothèse, le caractère formel de l’infraction n’implique pas la constatation d’une dégradation effective des conditions de travail.

Elle en conclut que l’élément légal du délit n’exige pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes, pourvu que ces dernières fassent partie de la même communauté de travail et aient été susceptibles de subir ou aient subi les conséquences visées à l’article 222-33-2 du Code pénal.

Dans ces conditions, la Cour de cassation reconnait la notion de harcèlement moral institutionnel qu’elle définit comme « des agissements visant à arrêter et mettre en œuvre, en connaissance de cause, une politique d’entreprise qui a pour objet de dégrader les conditions de travail de tout ou partie des salariés aux fins de parvenir à une réduction des effectifs ou d’atteindre tout autre objectif, qu’il soit managérial, économique ou financier, ou qui a pour effet une telle dégradation, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces salariés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel ».

Enfin, pour rejeter l’argument tiré de la méconnaissance du principe de prévisibilité de la loi pénale, la Cour de cassation répond que la jurisprudence n’a jamais interprété l’infraction comme exigeant, dans toutes les situations, qu’un rapport direct et individualisé entre la personne poursuivie pour harcèlement et sa ou ses victimes soit constaté, et que les agissements qui lui sont imputés soient identifiés salarié par salarié, pas plus qu’elle n’a exclu de dimension collective à ce délit. La Haute juridiction ajoute que le harcèlement moral institutionnel ne constitue qu’une des modalités du délit prévu à l’article 222-33-2.

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[1] Crim. 25 juin 2024, n° 23-83.613, B

Urbanisme : un bon rappel de droit et une précision sur la demande de pièce complémentaire en partie illégale par le Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat, dans sa décision n° 494180 en date du 4 février 2025 précise que si une demande de pièces complémentaires pour l’instruction d’un permis comporte des pièces non exigibles, mais également des pièces exigibles, il y a lieu de considérer qu’elle est légale. La décision est également l’occasion de faire le point sur d’autres règles en droit de l’urbanisme.

En l’espèce, deux propriétaires d’une maison située à Contes, dans les Alpes-Maritimes avaient procédé à une extension de 57 mètres carrés d’emprise au sol totale de leur maison sans autorisation.

Plusieurs années plus tard, ils ont déposé une demande de permis de construire en vue de régulariser cette extension illégale.

Cette demande de permis ainsi que le recours gracieux formé ont été rejetés par le Maire de Contes.

Les propriétaires ont alors saisi le juge des référés d’une requête en référé suspension, qui a abouti. En effet, le Juge des référés du Tribunal administratif de Nice a suspendu l’exécution de l’arrêté de refus de permis et enjoint au maire de réexaminer la demande de permis dans un délai de six semaines.

La commune a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 4 février 2025 apporte une précision et rappelle différents principes en droit de l’urbanisme :

1) Sur les pièces exigibles par le service instructeur à l’appui d’une demande d’autorisation ou d’une déclaration préalable, le Conseil d’Etat apporte quelques précisions.

Le Conseil d’Etat rappelle qu’à expiration du délai d’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite et que le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande illégale de pièces non exigibles au dossier de permis. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans que la demande illégale puisse y faire obstacle[1].

Le Juge des référés du Tribunal administratif de Nice avait estimé que certaines demandes de pièces étaient illégales : en l’occurrence, d’une part, la production d’une copie de la lettre du préfet relative au défrichement des parcelles du pétitionnaire et, d’autre part, la superficie exacte située en zone UD de ces parcelles. Il en avait déduit qu’elles n’avaient donc pas pu interrompre ou suspendre le délai d’instruction. Il avait estimé que dès lors, le refus devait être analysé comme un retrait illégal du permis tacite né à l’expiration du délai d’instruction.

Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement en ces termes :

« […] Toutefois, si la demande relative à la superficie exacte située en zone UD des parcelles ne porte pas sur une des pièces mentionnées au livre IV de la partie réglementaire du Code de l’urbanisme, la lettre du préfet relative au défrichement des parcelles du pétitionnaire est mentionnée à l’article R. 431-19 du Code de l’urbanisme et fait ainsi partie des pièces qui peuvent être exigées en application du livre IV de la partie réglementaire de ce code. La demande relative à cette lettre faisait donc obstacle en l’espèce à la naissance d’un permis tacite à l’expiration du délai d’instruction et à ce que la décision de refus de permis de construire en litige soit regardée comme procédant illégalement au retrait d’un tel permis tacite. Par suite, le juge des référés a, en jugeant le contraire, commis une erreur de droit. ».

Il faut en déduire que si une demande de pièces complémentaires pour l’instruction d’un permis comporte des pièces non exigibles, mais également des pièces exigibles, il y a lieu de considérer qu’elle est légale, quand bien même la pièce exigible n’était pas utile. Pour faire simple, la légalité l’emporte sur l’illégalité.

2) Sur un tout autre point, à savoir la motivation des décisions de rejet de demandes de permis ou d’opposition à déclaration préalable, l’arrêt commenté mérite également notre attention.

En l’occurrence, la commune avait fait valoir, en cours d’instance, que le refus de permis pouvait également être fondé sur un autre motif, à savoir la méconnaissance des règles de hauteur.

Le juge des référés en avait déduit que, l’absence de mention de ce motif dans l’arrêté de refus et alors qu’il n’était invoqué qu’en cours d’instance traduisait une insuffisance de motivation de l’arrêté.

Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement. Il rappelle l’obligation de motivation intégrale résultant des dispositions de l’article L. 424-3 du Code de l’urbanisme tout en réaffirmant que l’administration peut, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, faire valoir en cours d’instance que cette décision est légalement justifiée par un autre motif que ceux qui y sont énoncés[2]. Mais en déduisant de ce motif supplémentaire au contentieux, l’insuffisance de motivation dans l’arrêté, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

3) Enfin, sur l’appréciation de l’urgence en référé-suspension contre un refus de permis, le Conseil d’Etat décline ici le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».

Le Conseil d’Etat rappelle comment doit être appréciée l’urgence en cas de refus d’autorisation d’urbanisme :

« Il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi d’une demande de suspension d’un refus de permis de construire sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 de ce code, citées au point 1, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets du refus de permis litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence s’apprécie objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce, en tenant compte, notamment, des conséquences qui seraient susceptibles de résulter, pour les divers intérêts en présence, de la délivrance d’un permis de construire provisoire à l’issue d’un réexamen de la demande ordonné par le juge des référés. »[3].

Or, en l’espèce, le Conseil d’Etat rejette la requête pour défaut d’urgence. En effet, il estime que la demande de permis avait pour objet de régulariser une construction illégale, de sorte que la situation d’urgence résultait de l’absence de respect des règles d’urbanisme, autrement dit du comportement fautif du requérant.

En outre, le Conseil d’Etat estime que l’urgence n’est pas non plus établie car il n’est pas du tout certain que la délivrance d’un permis de construire provisoire permette aux requérants de vendre leur bien à bref délai, en dépit de l’irrégularité de la construction édifiée. D’où l’importance de ne pas construire sans autorisation.

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[1] Voir notre article sur la décision de principe CE Sect. 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain n° 454521.

[2] Sur ce point, v. CE, avis, 25 mai 2018, Préfet des Yvelines et autres, n° 417350, p. 240.

[3] Principe dégagé dans CE Sect. 7 octobre 2016, n° 395211.

Expropriation : Revirement de la jurisprudence concernant la sanction pour communication tardive des pièces en appel (phase judiciaire)

Par un arrêt du 16 janvier 2025, la Cour de cassation est venue préciser la portée de l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation concernant la sanction du dépôt des pièces annexées aux conclusions d’appel au-delà du délai de trois mois.

Pour rappel, l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation rythme la procédure d’appel dans le cadre d’une fixation judiciaire devant le juge de l’expropriation (concernant tant le prix d’acquisition d’un bien préempté que l’indemnité d’expropriation) avec un calendrier de procédure fixe sanctionné par la caducité des conclusions d’appel. Il en résulte que l’appelant (comme l’intimé) dispose d’un délai de 3 mois pour déposer ses conclusions :

« A peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.

A peine d’irrecevabilité, relevée d’office, l’intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu’il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction. […] ».

La sanction de la caducité de la déclaration d’appel particulièrement stricte en cas de non-respect de ce délai pourra par ailleurs être relevée d’office.

En l’espèce du présent litige, la Cour de cassation avait à juger si le dépôt tardif des pièces, après l’expiration du délai de trois mois laissé par le code, et ce alors même que les conclusions de l’appelant ont été déposées dans ce délai, faisait encourir la caducité à l’ensemble de la procédure d’appel.

Sur le fondement des dispositions de l’article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la Cour de cassation a répondu par la négative en ne sanctionnant que par l’irrecevabilité le dépôt des pièces après l’expiration du délai prévu par le code :

« 13. Si l’obligation de communication simultanée des conclusions et des pièces dans le délai de trois mois de la déclaration d’appel poursuit l’objectif d’intérêt général de célérité de la procédure d’appel en matière d’expropriation, la sanction de caducité de la déclaration d’appel qui s’attache à la production tardive de pièces lorsque les conclusions ont été communiquées dans le délai ne s’inscrit pas dans un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

14. En conséquence, il doit être jugé que la caducité de la déclaration d’appel n’est encourue que lorsque l’appelant n’a pas conclu dans le délai prévu par l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le défaut de communication des pièces dans ce délai n’étant sanctionné que par leur irrecevabilité lorsque le juge estime qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utile».

 

La Cour de cassation opère ainsi un revirement de sa jurisprudence rendue en la matière d’expropriation selon laquelle l’appelant qui dépose les pièces produites au soutien de son mémoire après l’expiration du délai prévu pour conclure, était déchu de son appel (Cass, 3ème civ., 29 février 2012, n° 10-27.346, Publié au bulletin), y compris lorsque celles-ci étaient identiques à celles produites en première instance (Cass, 3ème civ., 15 juin 2017, n° 16-50.039, Publié ; Cass, 3ème civ., 27 avril 2017, n° 16-11.078, Publié).

Ainsi, en dépit de l’objectif de célérité de jugement ayant guidé l’adoption de l’article R. 311-26, la Cour de cassation considère que la sanction de caducité de l’appel est disproportionnée au regard de l’objectif de célérité de la procédure poursuivi dans l’hypothèse du seul dépôt tardif des pièces alors que les conclusions d’appel ont, quant à elles, bien été déposées dans le délai.

La communication tardive des pièces annexées aux conclusions d’appelant (déposées quant à elles dans le délai) ne sera donc sanctionnée que par l’irrecevabilité des pièces, le juge d’appel devant ainsi les écarter.

Autrement dit, la caducité de l’appel n’est désormais encourue que si l’appelant ne conclut pas dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel.

La Cour de cassation conclut sa décision en précisant que, selon le même raisonnement, l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé ne sera encourue uniquement quand ce dernier n’aura pas conclu dans le délai de 3 mois imposé par l’article R. 311-26 du Code de l’expropriation, la communication tardive des pièces n’étant sanctionnée par le juge d’irrecevabilité que lorsqu’il estimera qu’elles n’ont pas été communiquées en temps utiles.

Les finances des Établissement public territorial (EPT) sauvées pendant encore deux ans !

Initialement le législateur avait prévu que, au sein de la Métropole du Grand Paris (MGP), la cotisation foncière des entreprises (CFE) serait d’abord perçue au profit des établissements publics territoriaux (EPT) pour les années 2016 à 2022 (article 59 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dite loi NOTRe) puis au profit de la MGP à partir de 2023 et pour les années suivantes.

Cependant, à ce jour et en raison d’amendements déposés en ce sens depuis 2020, les EPT continuent de percevoir la CFE qui représente la principale et dernière de leur ressource fiscale.

En 2020, les députés expliquaient qu’une telle mesure avait pour objectif de stabiliser pour les années 2021 et 2022 le schéma de financement de la MGP (Amendement n° II-1609 (Rect) déposé après l’article 58 sur le projet de loi de finances pour 2021 (n° 3360) assemblée nationale 26 octobre 2020).

En 2025, si la dissolution de l’Assemblée nationale puis le vote de la motion de censure du gouvernement Barnier a laissé craindre qu’un tel dispositif ne soit pas réitéré pour les prochaines années, les députés l’ont finalement réintégré à l’article 62 quater de la loi de finances pour 2025 (voir amendement n° II 1598 déposé comme article additionnel après article 62 sur le projet de loi projet de loi de finances pour 2025 (1ère lecture) du 15 janvier 2025).

Cet article prévoit que le transfert de la CFE des EPT vers la MGP est de nouveau reporté de deux années (soit pour les années 2025 et 2026).

Mais ce sont les débats parlementaires d’octobre 2024 qui nous éclairent sur les intentions réelles du législateur qui semble s’interroger sur le schéma de financement de la MGP de manière plus globale :

« En 2015, lors de l’adoption des lois MAPTAM et NOTRE, le législateur anticipait une montée en puissance de la métropole du Grand Paris (MGP) au sein du système institutionnel métropolitain et, en conséquence, organisait une concentration progressive de toutes les ressources au bénéfice de la MGP, en plus de la doter de ressources propres dynamiques. Or, les élus locaux ayant fait le choix de confier les compétences opérationnelles aux établissements publics territoriaux (EPT), un déséquilibre majeur s’est créé au sein du système métropolitain. L’architecture financière ainsi organisée a en effet conféré de très importantes marges de manœuvre budgétaires à la MGP. Les recettes métropolitaines, après avoir connu une diminution en 2022 du fait de l’impact décalé dans le temps de la crise sanitaire sur le produit de CVAE, ont fortement augmenté en 2023. Cette progression s’explique notamment par le remplacement de la CVAE – que la MGP ne perçoit désormais plus – par une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), dont le produit se montre structurellement plus dynamique et moins volatil. Les recettes de TVA se sont ainsi établies en 2023 à un niveau supérieur de 140 millions d’euros au montant de CVAE perçu en 2022, qui sera légèrement tempéré par une régularisation en 2024 liée à une exécution moins favorable que prévue. La MGP a ainsi dégagé en 2023 une épargne brute de l’ordre de 112 millions d’euros – qui aurait d’ailleurs dépassé 154 millions d’euros si elle n’avait pas fait le choix de verser aux communes une dotation exceptionnelle de solidarité communautaire –, portant son taux d’épargne brute à plus de 50 % (calculé sur les recettes réelles de fonctionnement nettes des atténuations de produits), quand il s’élève à environ 17 % en 2022 pour les EPT. La MGP conserve par ailleurs un fonds de roulement de près de 100 millions d’euros.

Au-delà de l’exercice 2023 et des prévisions de faible hausse pour 2024 liées au ralentissement de la consommation française, les recettes de la MGP sont appelées à poursuivre leur progression dans les années qui viennent. En effet, malgré une dynamique qui devrait être plus faible qu’attendue en 2024 et 2025, à long terme, le produit de TVA national progresserait, d’après les hypothèses de croissance du produit intérieur brut, de 3 % à 3,5 % chaque année. Aussi, il est attendu pour les prochaines années un renforcement structurel de la désynchronisation des recettes et dépenses du territoire métropolitain. Dans ce contexte, l’application du dispositif prévu par les lois précitées, impliquant le transfert de recettes supplémentaires des EPT en direction de la MGP (dotation d’intercommunalité et cotisation foncière des entreprises), apparaît inenvisageable sauf à empêcher les EPT de poursuivre leurs engagements de politiques publiques. Prévu par le législateur, ce dispositif a d’ailleurs été constamment repoussé depuis 2021. » (Amendement n° II-CF1616 non soutenu à l’article additionnel après l’article 59, PLF POUR 2025 – (n° 324))

Pour toutes ces raisons, il semble que ce nouveau report permettra de laisser du temps à la concertation sur l’évolution institutionnelle de la MGP.

Enquête administrative : attention aux questionnaires orientés

L’enquête administrative est devenue un outil fréquent et essentiel de l’administration dans l’établissement de la matérialité de faits de signalements reçus, pouvant notamment fonder une sanction disciplinaire.

Il convient toutefois de prêter une attention particulière aux modalités d’organisation de cette enquête. On sait, en effet, que le manque d’impartialité ou de neutralité de l’enquête peut affecter la régularité de la sanction disciplinaire prise sur son fondement, le juge considérant qu’elle ne permet pas d’établir la matérialité des faits reprochés.

Tel est précisément ce qu’a jugé la Cour administrative d’appel de Lyon dans un arrêt du 11 décembre 2024, concernant la rédaction des questionnaires soumis aux agents auditionnés.

La Cour était saisie de la légalité d’une sanction d’exclusion temporaire de fonctions infligée par un centre hospitalier à une cadre de santé qui avait tenu de manière répétée des propos dénigrants et blessants à l’encontre du personnel, et de la pratique de favoritisme à l’égard de certains agents créant des dissensions profondes au sein de l’équipe.

La sanction reposait sur l’enquête internée réalisée par le centre hospitalier et plus précisément sur les réponses apportées par les agents à un questionnaire de l’administration.

Or la Cour relève que les témoignages étaient pour la plupart peu circonstanciés, ne permettaient pas d’identifier et de dater précisément les faits évoqués. Elle constatait également que les agents avaient fait part d’un sentiment de pression et de surveillance exercée à leur endroit par un délégué syndical.

La Cour a donc considéré que les questions posées par les agents étaient manifestement orientées et « permettaient de mettre en doute la sincérité et la neutralité de l’enquête menée ».

La Cour en concluait que la valeur probante des réponses apportées au questionnaire, n’était pas démontrée, et jugeait par conséquent que les faits évoqués ne pouvaient ainsi être considérés comme matériellement établis.

L’administration doit donc rester attentive lorsqu’elle diligente une enquête administrative afin que ses auditions et questionnaires ne traduisent aucune partialité de l’enquête.

L’inutilité de l’intervention publique et le défaut des cofinancements publics constituent des motifs d’intérêt général justifiant la résiliation d’une convention d’exploitation d’un réseau de très haut débit (THD)

CAA Marseille, 20 janvier 2025, n° 23MA01617

Par un arrêt en date du 20 janvier 2025, la Cour administrative d’appel de Marseille confirme la légalité de la résiliation d’une convention de délégation de service public d’exploitation d’un réseau de haut débit (HD) et de très haut débit (THD), dans un contexte d’importants retards et de difficultés budgétaires liées à la suppression de toute perspective de financement étatique.

Dans le cadre du programme national de déploiement du THD en France, un syndicat mixte a, par un contrat d’affermage du 5 décembre 2015, fait le choix de déléguer au secteur privé l’exploitation, sur le territoire de ses membres, d’un réseau HD et THD.

Aux termes de cette convention, le syndicat mixte s’engageait, en deux phases, à remettre progressivement en affermage des prises « fiber to the home » (FTTH) à l’opérateur de sorte à parvenir, à l’issue de ces phases, à une couverture totale de trois départements membres.

Or, en raison de retards d’exécution lors de la première phase et de difficultés budgétaires pour le financement de la deuxième phase, le syndicat mixte a décidé de :

  • lancer un « appel à manifestation d’engagement locaux» à l’issu duquel l’offre d’un autre opérateur a été retenu ;
  • supprimer le service public ;
  • de résilier la délégation de service public pour un motif d’intérêt général ;
  • et de céder le réseau à un opérateur privé ;

Face à ces décisions, l’opérateur initial a, sur le fondement de la jurisprudence Béziers II[1], saisi le Tribunal administratif de Marseille, lequel a refusé d’annuler la délibération prononçant la résiliation du contrat, et condamné le syndicat mixte à verser à son ancien délégataire la somme de 87.779 euros[2].

C’est dans ce cadre que la Cour administrative de Marseille a été saisie, par l’opérateur débouté, d’une requête tendant notamment à l’annulation du jugement en tant qu’il rejette sa demande de requalification de la résiliation en résiliation aux torts exclusifs du syndicat mixte.

Pour rappel et conformément aux règles générales applicables aux contrats administratifs, une personne morale de droit public peut, pour un motif d’intérêt général, résilier unilatéralement un contrat administratif, à condition de verser à son cocontractant une indemnisation, dont l’étendue et les modalités peuvent être déterminées par les stipulations du contrat.

Appréciant la légalité de la décision de résiliation, la Cour a considéré que constituent des motifs d’intérêt général justifiant la résiliation de la convention :

  • « la volonté de supprimer un service public » du fait de « l’inutilité de l’intervention publique dans le déploiement des réseaux très haut débit, compte tenu du développement d’une initiative privée rendant envisageable un déploiement sans financement public intégral des infrastructures» ;
  • « le défaut des cofinancements publics » résultant de « la décision du Gouvernement, intervenue au cours de l’année 2017, de suspendre le financement des réseaux d’initiative publique par le Fonds national pour la Société numérique (FSN) géré par la Caisse des dépôts et consignations, en privilégiant le recours à des opérateurs privés dans le cadre d’appels à manifestation d’intérêts» ;
  • et « la volonté du syndicat mixte d’économiser des fonds publics en cédant le réseau existant à un opérateur privé» ;

______

[1] CE, Sect., 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806.

[2] TA de Marseille, 3e ch., 27 avril 2023, n° 1906318.

Proposition de loi visant à prioriser les travailleurs dans l’attribution de logements sociaux

Défenseur des droits, 28 janvier 2025, avis n° 25-01

Une proposition de loi a été déposée par Thierry BAZIN le 3 décembre 2024 à l’Assemblée nationale pour inscrire parmi les publics prioritaires pour l’accès à un logement social les personnes titulaires d’un emploi.

Par un avis du 28 janvier 2025 (avis 25-01), la Défenseure des droits a rappelé que les travailleurs en situation de précarité sont déjà pris en compte dans le droit en vigueur, dans la mesure où l’article L. 441-1 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) modifié par la proposition de loi, inclut les publics confrontés à des difficultés spécifiques pour accéder à un logement, ce qui englobe les travailleurs en situation de précarité. En outre, depuis la loi « 3DS » du 21 février 2022, des dispositions existent pour faciliter l’accès au logement des travailleurs dits « essentiels » résidant loin de leur lieu de travail.

Pour la Défenseure des droits, la modification ainsi proposée est « susceptible d’engendrer des pratiques discriminatoires. Cette priorisation pourrait conduire à défavoriser les personnes sans emploi accentuant ainsi les inégalités d’accès au logement social. »

La Défenseure des droits insiste également sur le fait que la proposition de loi dans sa version initiale propose de prioriser l’ensemble des « personnes en activité professionnelle » et ne cible pas seulement des travailleurs précaires ou des actifs aux revenus modestes, estimant dès lors que, dans un contexte de saturation du parc social, « cette réforme ne garantit pas, contrairement à son objectif affiché, que les travailleurs en situation de précarité verront leur situation améliorée ».

Après examen en première lecture, la Commission des affaires économiques a adopté le 29 janvier 2025 un amendement réécrivant globalement l’article unique de la proposition de loi, en procédant à une refonte de l’ensemble des critères de priorité pour l’obtention d’un logement social et en supprimant le caractère prioritaire des personnes en activité professionnelle.

Dans le texte objet des travaux parlementaires, sont prioritaires pour l’attribution d’un logement locatif social les personnes suivantes :

« a) Personnes dépourvues de logement, y compris celles qui sont hébergées par des tiers ou dans des structures d’hébergement temporaire, ou en instance d’expulsion sans relogement ;

  1. b) Personnes dont le logement est indigne, indécent ou insalubre ;
  2. c) Personnes en situation de handicap ou ayant à leur charge un enfant en situation de handicap ;
  3. d) Personnes vulnérables, y compris les mineurs émancipés ou les majeurs âgés de moins de vingt et un ans pris en charge avant leur majorité par le service de l’aide sociale à l’enfance, victimes de violences ou susceptibles d’être victimes de violences et bénéficiant d’une ordonnance de protection.

Pour les personnes mentionnées aux a à d du présent article, il est tenu compte prioritairement des personnes ayant à leur charge un enfant mineur. »

Les travaux parlementaires sont toujours en cours.

Arrêté du 17 janvier 2025 modifiant l’instruction comptable applicable aux organismes HLM (Habitations à Loyer Modéré), SEM (Sociétés d’économie mixte) agréées logement social et sociétés faitières

Par un arrêté du 17 janvier 2025, les documents annuels et états financiers applicables aux organismes HLM (arrêté du 7 octobre 2015 – NOR ETLL1513275A) et aux SEM agréées pour la construction et la gestion de logements sociaux (arrêté du 7 octobre 2015 – NOR : ETLL1513294A) ont été actualisés.

Ont notamment été actualisés les documents annuels et états financiers relatifs aux comptes combinés des sociétés de coordination ainsi que, à partir des comptes ouverts à compter du 1er janvier 2024, aux comptes consolidés des structures faîtières des groupes d’organismes de logement social.

Concernant les structures faîtières des groupes d’organismes de logement social, l’arrêté du 17 janvier 2025 vise à leur appliquer les documents annuels et états financiers suivants :

  • leurs comptes sociaux sont concernés par l’annexe 2 (parties 1 à 4 seulement) de l’arrêté qui constitue les documents annuels et états financiers relatifs aux comptes sociaux des OPH, sociétés d’HLM et SEM agréées en application de l’article L. 481-1 du CCH ;
  • leurs comptes consolidés sont concernés par l’annexe 4 de l’arrêté qui constitue également les documents annuels et états financiers relatifs aux comptes combinés des sociétés de coordination.

L’arrêté du 17 janvier 2025 est entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 23 janvier 2025.

Nullité d’une marque pour mauvaise foi : cas de l’appropriation du symbole de la ville de Vérone

Une société privée de droit italien ayant enregistré une marque figurative représentant un motif emblématique de la ville de Vérone a fait l’objet d’une action en nullité à l’encontre de celle-ci par la municipalité sur le fondement de la mauvaise foi.

Le droit de l’Union européenne prévoit en effet la nullité d’une marque en cas de mauvaise foi de son titulaire lors du dépôt de la demande de marque [1]. Bien que cette notion ne soit pas définie clairement dans les textes européens, la jurisprudence a pu en préciser les contours. La mauvaise foi implique ainsi un comportement qui s’écarte des principes reconnus comme caractérisant un comportement éthique ou des pratiques loyales en matière industrielle ou commerciale[2].

Plus particulièrement, la décision commentée reprend les critères dégagés par la jurisprudence précédente, notamment :

  • Le fait que le titulaire de la marque litigieuse ait eu connaissance de l’utilisation par un tiers d’un signe susceptible d’être confondu avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;
  • L’intention du titulaire d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser ledit signe au moyen de sa marque ;
  • Le degré de protection juridique du signe précédemment utilisé par le tiers (que ce soit via un titre de propriété intellectuelle, ou par la renommée du signe qui est acquise depuis un certain laps de temps du fait de l’utilisation qui en est faite)[3].

La jurisprudence a en outre posé le principe selon lequel la bonne foi du titulaire de la marque est présumée, la preuve contraire est donc à la charge de celui qui agit en nullité.

Dans cette affaire, la chambre de recours de la CJUE a considéré que :

  • le signe de la marque contestée était identique avec un signe devenu un symbole emblématique de la ville de Vérone, hautement reconnaissable ;
  • l’intention du titulaire de la marque litigieuse était de créer un monopole injuste sur le signe de la ville afin d’empêcher quiconque de pouvoir l’exploiter (ce qui comprenait notamment le club de foot de Vérone) ;

Pour ces raisons, la chambre de recours a annulé la marque contestée sur le fondement de la mauvaise foi du déposant.

En France, une collectivité pourra invoquer cette décision en fondant son action sur l’article L. 711-2 11 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit, au niveau national, la nullité d’une marque si le dépôt a été effectué de mauvaise foi par le demandeur.

______

[1] Article 59, §1, b) du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (RMUE) ; voir aussi en droit français à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle

[2] 13/12/2012, T-136/11, Pelikan, UE:T:2012:689, § 57

[3] 11/06/2009, C-529/07, Lindt Goldhase, EU:C:2009:361, § 47 et 53

Actualités IA : application des premières dispositions du Règlement européen sur l’IA (intelligence artificielle) et publication par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de ses nouvelles recommandations pour accompagner une innovation responsable en matière d’IA

Quelques jours avant le Sommet pour l’action sur l’IA qui s’est tenu lundi 10 et ce mardi 11 février au Grand Palais, une étape cruciale a été franchie pour la règlementation européenne en matière d’intelligence artificielle avec la mise en application, le 2 février 2025, des premières dispositions du règlement européen sur l’IA (le « règlement IA » ou « IA Act »).

Entré en vigueur le 1er août 2024, le règlement IA prévoit une application échelonnée de ses différentes mesures. Les premières obligations portant sur les systèmes d’IA à risques inacceptables s’appliquent depuis le 2 février 2025. Les systèmes d’IA considérés comme présentant un risque inacceptable sont strictement interdits au sein de l’Union européenne.

Ces interdictions concernent notamment les systèmes d’IA relatifs à la notation sociale, l’exploitation de la vulnérabilité des personnes, le recours à des techniques subliminales, la police prédictive ciblant les individus, reconnaissance des émotions sur le lieu de travail et dans les établissements d’enseignement. En outre, si l’utilisation par les services répressifs de l’identification biométrique à distance en temps réel dans des espaces accessibles au public est en principe interdite, des exceptions strictement encadrées sont prévues afin de permettre l’utilisation de tels systèmes dans les cas les plus graves (notamment pour la recherche de personnes disparues, victimes d’enlèvements ou de traite d’humains, pour la prévention d’une menace grave et imminente pour la vie ou d’un attentat terroriste prévisible, et sous réserve d’autorisation judiciaire préalable).

D’autres dispositions, telles que les règles prévues pour les modèles d’IA à usage général et la nomination des autorités compétentes au niveau des États membres, entreront en vigueur le 2 août 2025. L’application complète du règlement IA est prévue pour le 2 août 2026.

Les acteurs de l’IA doivent se conformer dès maintenant à ces nouvelles règles. Pour plus de renseignements, l’équipe Droit de la propriété intellectuelle et du numérique de Seban & Associés a mis en ligne une   Voir également sur ce sujet la LAJ n° 164 de janvier 2025.

Une autre conséquence du développement de l’IA dans le fonctionnement des organisations : la mise en œuvre de l’IA au sein nécessite aussi une conformité au RGPD.

Pour aider les organisations dans la mise en œuvre de cette conformité, la CNIL a publié  relatives, pour la 1ère, à l’information des personnes concernées par des données utilisées à des fins d’entraînement d’IA et, pour la 2ème, à la gestion des demandes d’exercice de droits émanant de ces personnes.

Ces règlementations et recommandations, qui tendent à encadrer le recours à l’IA, s’inscrivent pleinement dans les discussions menées lors du Sommet pour l’action sur l’IA notamment pour une IA au service de l’intérêt général.

Protection fonctionnelle et Cour des comptes

Par une décision en date du 29 janvier 2025, le Conseil d’Etat a précisé le champ de la protection fonctionnelle et a exclu de son périmètre, à cette occasion, les poursuites devant la Cour des comptes, au titre de la responsabilité financière des gestionnaires publics, telle qu’elle est désormais instituée dans le cadre de l’ordonnance du 23 mars 2022.

En l’espèce, par une note de service en date du 2 avril 2024 relative au nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics et à la protection fonctionnelle, la Secrétaire Générale du Gouvernement (SGG) rappelait aux secrétaires généraux et directeurs des affaires juridiques des ministères que le bénéfice de la protection fonctionnelle ne pouvait leur être accordé à l’occasion de poursuites engagées par la chambre du contentieux de la Cour des comptes. La SGG indiquait, à cet effet, que cette juridiction ne relève d’aucune des catégories pour lesquelles la protection fonctionnelle est légalement instituée et que ces poursuites ne sont pas davantage couvertes par le principe général du droit à une telle protection.

A l’appui de leur demande, les requérants ont tout d’abord soulevé une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur la méconnaissance du principe d’égalité, rejetée d’un trait de plume par le Conseil d’Etat faute de caractère nouveau et sérieux. Aucune différence de traitement injustifiée entre les salariés de droit privé et les agents de droit public ne saurait être retenue, puisqu’aucune disposition législative n’impose à un employeur d’assurer une protection au salarié poursuivi devant la Cour des comptes.

Sur le fond, les requérants invoquaient ensuite la méconnaissance, d’une part, du champ et de la portée des dispositions législatives instituant la protection fonctionnelle et, d’autre part, du principe général du droit à cette protection.

Le Conseil d’Etat a confirmé l’interprétation de la Secrétaire Générale du Gouvernement.

Après avoir rappelé que les amendes infligées par la Cour des comptes n’avaient pas le caractère de sanction pénale et n’étaient, dès lors, pas de nature à ouvrir droit au bénéfice de la protection fonctionnelle sur le fondement des dispositions législatives, le Conseil d’Etat a précisé que « lorsqu’un agent public est mis en cause devant la chambre du contentieux de la Cour des comptes dans le cadre du régime de responsabilité des gestionnaires publics prévu aux articles L. 131-1 et suivants du Code des juridictions financières, s’il est toujours loisible à l’administration de lui apporter un soutien, notamment par un appui juridique, technique ou humain dans la préparation de sa défense, ce principe n’impose pas à la collectivité publique de lui accorder une protection ».

Le Conseil d’Etat balaya enfin le moyen tenant à la méconnaissance du droit à un procès équitable, la note litigieuse ne faisant nullement obstacle à ce que les agents poursuivis se fassent représenter par un avocat dans le cadre de cette procédure.

Si la jurisprudence s’est montrée, ces dernières années, plutôt favorable à un élargissement du champ matériel de la protection fonctionnelle, le Conseil d’Etat pose donc aujourd’hui une limite.

Il exclut ainsi le régime de responsabilité financière des gestionnaires publics du champ de cette protection, quand certaines juridictions étaient enclines à l’y intégrer. Le Tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 14 mars 2024, avait par exemple suspendu un refus d’octroi de la protection fonctionnelle dans ce cas, estimant que le moyen tenant à la méconnaissance du champ d’application du principe général du droit à cette protection était de nature à créer un doute sérieux.

Limites à la mise en œuvre d’une compensation légale par l’administration

Par une décision en date du 30 décembre dernier, le Conseil d’Etat vient préciser les conditions de mise en œuvre d’une compensation légale d’une créance détenue par une personne publique.

Après avoir obtenu le versement d’une subvention pour financer l’agrandissement de ses locaux, une société de négoce de vin est rendue destinataire d’un titre de recette visant à obtenir le reversement de la totalité de l’aide accordée, soit un montant de 514.359,48 euros. Un recours contentieux est introduit en 2016 à l’encontre de ce titre ; la société privée en obtient l’annulation et se voit décharger de l’obligation de rembourser la totalité de la somme réclamée (Conseil d’Etat, 15 novembre 2022, n° 451758.)

En février 2023, la société de négoce de vin a demandé au juge administratif de prendre des mesures d’exécution de sa décision en date du 15 novembre 2022 portant sur l’annulation du titre de perception. Au moment de la notification de cette décision, la société privée s’était, en effet, déjà acquittée d’une somme de 350.607,12 euros auprès de l’administration, visant à rembourser la moitié de la subvention initialement attribuée. A la suite de l’annulation du titre exécutoire correspondant, la société privée a donc sollicité le reversement de la somme de 350.607,12 euros auprès de l’autorité administrative.

L’autorité administrative n’a pas donné suite à cette demande considérant s’être acquittée de son obligation de reverser cette somme en exécution de la décision en date du 15 novembre 2022, en procédant à une compensation légale avec une autre créance qu’elle estimait détenir sur la société de négoce de vin depuis 2018, d’un montant de 889.398,30 euros et qui fait également l’objet d’une contestation par la société devant la juridiction administrative. En pratique, l’autorité administrative a donc diminué cette dernière créance du montant de 350.607,12 euros en exigeant la somme de 711.518,64 euros.

L’autorité administrative se fonde sur les termes de l’article 1347 du Code civil qui prévoient que la compensation permet l’extinction simultanée d’obligations réciproques de deux personnes. En outre, l’article 1347-1 du même code précise que la compensation ne peut avoir lieu qu’entre deux obligations fongibles, certaines, liquides et exigibles. Le juge administratif considère que ces dispositions du Code civil sont applicables, en l’absence de dispositions particulières, à une personne publique lorsqu’elle entend procéder à une compensation légale. Toutefois, si la créance en cause demeure litigieuse, celle-ci est privée de caractère certain et ne peut donc donner lieu à une compensation.

En l’espèce, la créance de 2018 demeurant litigieuse, le juge administratif a considéré que l’autorité administrative ne pouvait mettre en œuvre le mécanisme de compensation prévue à l’article 1347 du Code civil pour compenser sa dette de 350.607,12 euros à l’égard de la société de négoce de vin, résultant de la décision du Conseil d’Etat de novembre 2022 qui déchargeait cette société de l’obligation de verser les sommes mises à sa charge par le titre de recette de 2016.

L’administration ne peut donc pas valablement procéder à une compensation légale dans ces conditions et la société privée est fondée à solliciter le remboursement de la somme qu’elle avait versée.

Enfin, on précisera que le juge administratif rappelle que la décision par laquelle il prononce la décharge de l’obligation de payer une somme établie par un titre de recette implique nécessairement la restitution, au bénéficiaire de cette décision, de toutes sommes qu’il aurait préalablement acquittées en exécution de ce titre.

Examen par l’Assemblée nationale de la proposition de loi visant à permettre l’élection du maire d’une commune nouvelle en cas de conseil municipal incomplet

Ce lundi 10 février à 16 heures, l’Assemblée nationale examine, en première lecture, la proposition de loi visant à permettre l’élection du maire d’une commune nouvelle en cas de conseil municipal incomplet. Cette proposition de loi, déjà adoptée par le Sénat, tend à assouplir le régime juridique applicable aux modalités d’élection du maire et des adjoints dans les communes nouvelles, en cas de conseil municipal incomplet.

 

1. Les communes nouvelles exposées plus que les autres communes au renouvellement intégral de leur conseil municipal en cas de vacance du maire ou d’un ou de plusieurs adjoints

A titre liminaire, on rappellera que l’article L. 2122-8 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) pose un principe de complétude du conseil municipal : pour procéder à l’élection du maire et des adjoints, le conseil municipal doit être complet au moment de l’élection, sous peine d’annulation par le juge administratif[1].

Or, en l’état, en cas de vacance du maire nouvellement élu dans la période qui suit la création d’une commune nouvelle, les règles en vigueur conduisent généralement au renouvellement intégral du conseil municipal de la commune.

Plus précisément, si les principes généraux qui régissent l’élection du maire et de ses adjoints dans les communes sont également applicables aux communes nouvelles, ces dernières sont néanmoins confrontées à deux difficultés particulières en cas de vacance du maire ou d’un ou plusieurs adjoints.

D’une part, il n’est pas possible de faire appel aux « suivants de liste » dans les communes nouvelles de plus de 1 000 habitants pendant la période allant de la création de la commune nouvelle au premier renouvellement du conseil municipal suivant cette création, ainsi que l’a très clairement jugé le Conseil d’État[2].

D’autre part, il n’est pas non plus possible de procéder à des élections complémentaires pour remplacer les conseillers élus dans les communes historiques de moins de 1 000 habitants. Comme a pu le souligner une sénatrice, « cela conduirait à organiser un scrutin sur une partie seulement du territoire communal, comme s’il s’agissait d’une section électorale »[3].

Les communes nouvelles sont donc plus susceptibles que les autres communes de devoir procéder à un renouvellement intégral de leur conseil municipal en cas de vacance du maire ou d’un ou de plusieurs adjoints.

2. Les conséquences préjudiciables d’un renouvellement intégral prématuré du conseil municipal d’une commune nouvelle

Surtout, dans les communes nouvelles qui ont été constituées récemment, le fait de devoir procéder à un tel renouvellement du conseil municipal a des conséquences particulièrement importantes sur l’effectif de ce conseil municipal.

En effet, le terme de « renouvellement », employé par les articles L. 2113-7 et L. 2113-8 du CGCT pour renvoyer au premier renouvellement qui suit la création de la commune nouvelle, fait référence à tout renouvellement du conseil municipal, quelle qu’en soit la cause.

Pour rappel, ces dispositions précisent les règles applicables à la composition du conseil municipal d’une commune nouvelle après sa création et les modalités d’évolution du nombre de ses membres dans le temps. Très concrètement, il s’agit d’un régime transitoire qui prévoit une diminution progressive de l’effectif du conseil municipal des communes nouvelles, au gré des renouvellements.

Or, le tout premier renouvellement du conseil municipal, qu’il s’agisse d’élections partielles ou générales, entraîne l’application des articles L. 2113-7 et L. 2113-8 du CGCT, et conduit donc mécaniquement à une baisse immédiate du nombre de conseillers municipaux au sein du conseil municipal.

Et cette baisse peut elle-même conduire à un renouvellement important au sein de l’équipe d’élus, voire à écarter rapidement les élus des anciennes communes qui ont pourtant porté le projet de création de la commune nouvelle.

3. Une proposition pragmatique s’inscrivant dans la continuité d’une exception récemment introduite

Afin d’éviter une baisse trop rapide du nombre de conseillers municipaux dans les communes nouvelles tout juste créées, une loi du 1er août 2019[4] avait déjà introduit une exception au principe de complétude du conseil municipal, lorsque la vacance d’un ou de plusieurs conseillers municipaux se produit juste après la création d’une commune nouvelle.

Plus précisément, l’article L. 2113-8-1 A du CGCT, issu de cette loi, permet au conseil municipal de la commune nouvelle de procéder à l’élection du maire et des adjoints nonobstant la circonstance que le siège d’un ou plusieurs conseillers municipaux soit devenu vacant entre la date de publication de l’arrêté du préfet prononçant la création de la commune nouvelle et la première réunion du conseil municipal (à moins qu’un tiers des sièges ou plus soit vacant).

 

Si l’introduction de cette dérogation a pu être saluée, force est de constater qu’elle demeurait limitée à la courte période qui s’étend de la création de la commune nouvelle à la première réunion de son conseil municipal. Et comme l’a justement relevé la rapporteure de cette nouvelle proposition de loi, cette dérogation ne permet pas de résoudre toutes les difficultés liées à la diminution progressive de l’effectif du conseil municipal des communes nouvelles. En effet, « des difficultés subsistent notamment dans le cas où une vacance survient peu de temps après la première réunion du conseil municipal »[5]. Dans cette situation, si une élection du maire ou d’adjoints au maire devait être organisée, il serait nécessaire de procéder à un renouvellement intégral du conseil municipal, impliquant ainsi une baisse du nombre de conseillers municipaux.

A l’instar du rapporteur en commission des lois à l’Assemblée nationale, on soulignera que cette hypothèse n’est pas théorique : elle correspond très exactement à la situation dans laquelle s’est trouvée la commune nouvelle de Rives-du-Fougerais, dans le département de la Vendée, à la suite du décès du maire nouvellement élu, quelques mois après la création de la commune nouvelle.

En conséquence, de manière pragmatique, l’article unique de la proposition de loi propose d’étendre la dérogation prévue à l’article L. 2113-8-1 A du CGCT précité. Le I permet de procéder à l’élection du maire d’une commune nouvelle et de ses adjoints par un conseil municipal incomplet, et ce jusqu’au premier renouvellement général des conseils municipaux suivant la création de la commune nouvelle (et non plus jusqu’à la première réunion du conseil municipal comme c’est le cas actuellement), à moins qu’un tiers des sièges ou plus soit vacant. Il complète pour cela l’article L. 2113-8-1 A du CGCT précité. Le II prévoit que le I n’est applicable qu’aux communes nouvelles dont le conseil municipal n’a pas fait l’objet d’un renouvellement à la date de publication de la présente loi, sous réserve des décisions de justice ayant force de chose jugée.

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[1] CE, 9 janvier 2007, Élection des adjoints au Maire de Maurepas, n° 289431.

[2] CE, 24 avril 2019, n° 426468, point 5.

[3] Rapport de Mme Agnès Canayer fait au nom de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi visant à adapter l’organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires, 5 décembre 2018, n° 179 (2018-2019).

[4] Loi n° 2019-809 du 1er août 2019 visant à adapter l’organisation des communes nouvelles à la diversité des territoires.

[5] Rapport de Mme Nadine BELLUROT fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale sur la proposition de loi visant à permettre l’élection du maire d’une commune nouvelle en cas de conseil municipal incomplet, 5 juin 2024, n° 661(2023-2024).

Publication d’un avis du Comité européen de la protection des données (Avis 28/2024) sur la protection des données concernant le déploiement des modèles d’intelligence artificielle

Le Comité européen de la protection des données (CEPD) a publié, le 18 décembre 2024, son Avis 28/2024, apportant des clarifications essentielles sur l’application du Règlement général sur la protection des données (RGPD) aux technologies d’intelligence artificielle (IA).

Dans un contexte où les IA sont de plus en plus présentes et utilisées dans de nombreux domaines, il était impératif de préciser et de fixer de manière claire les modalités d’application du RGPD à cette technologie.

C’est dans ce cadre que le CEPD rappelle que les principes fondamentaux du RGPD s’appliquent aux technologies d’IA utilisant des données personnelles.

L’avis du CEPD met ainsi en exergue plusieurs exigences garantissant la conformité d’un système d’IA à la réglementation relative à la protection des données personnelles, et notamment au RGPD :

  • Identification d’une base légale adaptée : Le CEPD souligne la nécessité d’identifier une base légale justifiant l’activité de traitement des données. À cet effet, et reconnaissant l’inadaptation du consentement pour des traitements à si large échelle, il admet la possibilité d’invoquer l’intérêt légitime, sous réserve notamment d’une mise en balance entre les bénéfices pour le responsable de traitement et les droits des personnes concernées.
  • Respect des droits des personnes concernées : L’avis insiste sur l’obligation de garantir les droits des personnes concernées (droit d’accès, de rectification, d’effacement et d’opposition). Ainsi, les responsables de traitement doivent développer des mécanismes adaptés pour faciliter l’exercice de ces droits, afin de répondre aux exigences du RGPD et de maintenir la confiance des utilisateurs. De plus, afin de pallier les difficultés de transparence et d’explicabilité inhérentes à la complexité des systèmes d’IA, le CEPD insiste sur la nécessité de rendre ces systèmes compréhensibles pour les personnes concernées, afin qu’elles puissent exercer leurs droits de manière effective.
  • Vigilance sur l’anonymisation des données : Le CEPD met en garde sur l’importance de garantir une anonymisation effective des données, conforme aux normes permettant d’éliminer les risques de ré-identification. Il insiste sur la nécessité d’adopter des méthodes d’anonymisation robustes et documentées (agrégation, masquage, etc.).
  • Conséquences des traitements illicites : Un point majeur de l’avis concerne les effets des traitements illicites lors de l’entraînement des modèles d’IA. Le CEPD souligne que l’entraînement d’une IA de manière non conforme au RGPD est susceptible d’entraîner l’illégalité de l’ensemble du modèle, affectant ainsi son déploiement et son utilisation.

Cet avis appelle donc à une vigilance accrue dans le déploiement de ces modèles et incite à une stricte application du principe de privacy by design (intégration de la protection des données dès la conception du projet). Il recommande également la réalisation d’analyses d’impact sur la protection des données (AIPD) afin d’évaluer les risques liés aux traitements avant leur déploiement.

L’avis du CEPD constitue désormais une référence incontournable pour les responsables de traitement confrontés aux défis de la protection des données dans le cadre de l’IA.

Enfin, il convient de noter qu’en parallèle de cet avis, la CNIL poursuit ses travaux afin de proposer des recommandations sur les systèmes d’IA, en cohérence avec les orientations du CEPD.

Délégations de gestion des services publics locaux : les points clefs du rapport de la Cour des comptes

Le rapport public thématique de la Cour des comptes sur les délégations de gestion des services publics locaux publié au mois de décembre 2024 ne formule pas seulement des recommandations, mais identifie également des leviers d’action à destination des collectivités territoriales et leurs groupements. Plus globalement, ce rapport permet de dresser un panorama des points de vigilance qui doivent pris en considération lorsqu’une qu’une collectivité territoriale décide de déléguer la gestion d’un service public local et de lancer une procédure de passation à cette fin. Il met en particulier en lumière l’importance du suivi et du contrôle par l’autorité concédante de l’exécution de ce type de contrat.

Ce que l’on peut retenir du rapport :

 

1. Veiller à la pertinence du choix du mode de gestion en amont du lancement de la procédure

Après avoir rappelé la diversité des modes de gestion des services publics possibles et présenté les grandes caractéristiques et avantages des contrats de délégation de service public (bénéfice de l’expertise métier des entreprises privées, optimisation de la gestion, financement des investissements sans emprunt, transfert du risque lié à l’exploitation d’un service), la Cour consacre une partie de son rapport à la nécessité pour les collectivités de mieux préparer le choix du mode de gestion, le manque d’approfondissement de ces études préalables pouvant avoir des conséquences défavorables pour les collectivités.

En outre, il convient de rappeler que la réalisation d’études préalables approfondies permet non seulement de sécuriser le choix du mode de gestion, mais également de déterminer les principales caractéristiques du futur contrat et de faciliter l’établissement du règlement de consultation et du projet de contrat.

En conséquence, les collectivités ne disposant pas des compétences en interne ne doivent pas hésiter à se faire accompagner par un assistant à maîtrise d’ouvrage, dont le rôle est qualifié de « déterminant » par la Cour, tout en veillant néanmoins à ce que celui-ci ne soit pas en situation de conflit d’intérêts avec les entreprises du secteur.

 

2. Veiller à la régularité de la procédure de passation et à ne pas restreindre la concurrence

Dans son rapport, la Cour relève un certain nombre d’irrégularités commises durant la procédure de passation d’une délégation de service public (incohérences dans les formalités de l’appel à concurrence, divulgation d’éléments des offres des entreprises concurrentes) et de pratiques ayant pour effet de restreindre la concurrence.

Sur ce dernier point, l’on peut notamment relever le constat de l’absence d’allotissement, qui, s’il n’est pas obligatoire en concession, reste possible, et permet dans certains cas à l’autorité concédante de stimuler la concurrence.

Mais, l’allotissement n’est pas le seul levier permettant à l’autorité concédante d’optimiser les chances de recevoir davantage d’offres : elle doit également veiller à lancer son appel d’offre durant une période adaptée (en évitant par exemple les périodes de congés annuels), et laisser aux opérateurs des délais suffisants pour la remise de leur candidature et de leur offre.

 

3. Veiller à l’équilibre de l’économie du contrat tant au stade de la passation que de l’exécution du contrat

Pour rappel, l’article L. 1121-1 du Code de la commande publique prévoit que le contrat de concession doit transférer un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service au cocontractant de l’autorité concédante. Plus précisément « la part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, qu’il a supportés ».

Or, dans son rapport, la Cour constate que certains contrats de délégation de service public ne mettent pas de risque significatif à la charge du titulaire ce qui, rappelons-le, expose le contrat à un risque de requalification par le Juge administratif en marché public, et peut donc conduire à l’annulation du contrat au motif de la méconnaissance des règles applicables aux marchés publics.

La collectivité doit donc veiller à bien transférer suffisamment de risque à son cocontractant au moment de la passation du contrat, ainsi qu’à son maintien au cours de l’exécution du contrat.

Au stade de la passation, la collectivité doit notamment s’assurer que la durée initiale du contrat n’est pas excessive et introduire une clause garantissant un retour financier lorsque les résultats dépassent significativement les prévisions initiales (il s’agit d’ailleurs de l’un des leviers identifiés par la Cour au terme de son rapport).

Aussi, l’autorité concédante doit s’assurer que le contrat ne prévoit pas une rentabilité excessive pour le délégataire, en exigeant la remise par les candidats d’un compte d’exploitation prévisionnel complet et détaillé, ainsi qu’une liste prévisionnelle des investissements programmés.

Il est également recommandé à l’autorité concédante de fixer des objectifs à son cocontractant en ce qui concerne la qualité du service délégué.

Au stade de l’exécution, l’autorité concédante doit également veiller à préserver l’équilibre de l’économie du contrat, notamment lors de la conclusion des avenants.

A titre d’exemple, la Cour relève que les collectivités « acceptent souvent d’aider, par des avenants, les entreprises délégataires à faire face à des aléas économiques prévisibles ». Il convient donc de rappeler l’importance de veiller systématiquement à ce que les conditions de la théorie de l’imprévision soient bien remplies avant d’accéder à la demande du titulaire.

Par ailleurs, la Cour insiste sur la nécessité pour les collectivités de négocier étroitement le niveau de rentabilité de la délégation, y compris après déduction des frais de siège et des achats de biens et de services facturés par des sociétés de l’entreprise au-delà des prix observables sur les marchés concernés[1].

Pour ce faire, l’autorité concédante doit bien veiller, lors de la conclusion d’un avenant, à demander systématiquement la mise à jour du compte d’exploitation prévisionnel et de la liste des investissements programmés.

 

4. Veiller à prévoir des indicateurs permettant d’évaluer la qualité du service produit par le délégataire

Outre les objectifs liés à la qualité du service, le contrat doit prévoir des indicateurs détaillés et chiffré, et la collectivité doit être en mesure de les suivre, à l’aide éventuellement de certains outils informatiques (système de gestion intégré par exemple).

A titre d’exemple, en matière de distribution d’eau potable, ces indicateurs peuvent porter sur la qualité de l’eau, la disponibilité de la ressource, les services proposés et leur accessibilité.

Dans son rapport, la Cour insiste également sur l’importance d’évaluer les impacts de toute nature des délégations, notamment pour l’usager et l’environnement.

 

5. Veiller à exercer un contrôle « plein et entier » et « opérationnel et financier » sur le délégataire

Dans le cadre d’une délégation de service public – qui implique un fort degré d’externalisation de la gestion du service – la qualité et le degré de contrôle opérationnel et financier par l’autorité concédante sur le délégataire dépend nécessairement de la capacité de celle-ci à accéder aux données de gestion collectées et produites par le délégataire au cours de l’exécution du contrat. A cet égard, la Cour regrette « un manque de transparence des contrats pouvant favoriser des situations de rente ».

Ainsi, la Cour préconise l’évolution de la législation en ce qui concerne l’accès à ces données. Mais, elle appelle également les collectivités territoriales et leurs groupements à bien veiller à fixer, au sein du contrat, la liste exhaustive des données financières et de gestion nécessaires à l’exercice de leur contrôle des conditions et des résultats de toute nature de la délégation (nature, source et périodicité de la transmission des données et des bases de données collectées ou produites à l’occasion de l’exploitation du service public, dont l’article L. 3131-2 du Code de la commande publique prévoit la communication à l’autorité délégante).

L’on peut également noter que la création par le titulaire d’une société dédiée à la gestion du service dotée d’un compte de résultat et d’un bilan distincts de ceux de l’entreprise ayant remporté le contrat de délégation présente l’avantage de faciliter le contrôle financier de l’autorité délégante, en ce sens que ses comptes retracent alors l’intégralité des flux financiers de la délégation[2].

 

6. Veiller à prévoir et à appliquer les pénalités

Dans son rapport, la Cour rappelle l’importance de prévoir, au sein du contrat, des pénalités en cas d’absence d’atteinte des objectifs fixés en matière de qualité de service, et en ce qui concerne la transmission des documents permettant à la collectivité de suivre et contrôler le fonctionnement de la délégation. Sur ce dernier point, l’on pense notamment au rapport annuel prévu par l’article L. 3131-5 du Code de la commande publique, qui prévoit la production par l’entreprise délégataire d’un rapport qui doit permettre à l’autorité délégante d’apprécier les conditions d’exécution du service public[3].

Pour la Cour, les pénalités contractuelles constituent un levier important permettant d’inciter les délégataires à la bonne exécution des contrats. Dans son rapport, la Cour invite ainsi les collectivités territoriales, non seulement à bien prévoir ces pénalités dans le contrat, mais également à les appliquer le cas échéant.

 

7. Veiller à préserver ses intérêts patrimoniaux

Le contrat doit identifier la liste et les modalités de tenue d’un inventaire précis des différentes catégories de biens immatériels[4] et matériels (biens de retour, biens de reprise, et biens propres).

En effet, la réalisation d’un inventaire détaillé des différentes catégories de biens apparaît primordiale afin d’éviter les aléas dans le calcul des éventuelles indemnités de fin de contrat, l’amoindrissement du patrimoine de la collectivité, ou encore d’écarter tout risque dans la continuité du service public.

 

8. Anticiper la fin du contrat

La dernière partie du rapport de la Cour des comptes porte sur l’élargissement des possibilités de choix du nouveau délégataire et du mode de gestion.

A ce titre, la collectivité doit notamment anticiper les conséquences financières et matérielles d’une résiliation avant le terme du contrat, particulièrement lorsque cette dernière est justifiée par un motif d’intérêt général, puisque dans cette hypothèse les parties peuvent limiter l’indemnisation du titulaire. Cela doit donc être anticipé dès la négociation du contrat initial.

Par ailleurs, la Cour préconise de conclure un protocole de fin de contrat suffisamment tôt (une à deux années avant le terme du contrat), afin de sécuriser le bon fonctionnement du service public jusqu’au terme de la délégation et la transmission des données nécessaires à la continuité du service.

En conclusion, les collectivités territoriales et leurs groupements doivent être particulièrement vigilants dans le cadre d’une gestion déléguée et, afin que la délégation n’entraîne pas leur déresponsabilisation, il leur revient d’anticiper un certain nombre de situations dès le stade de l’élaboration du contrat et des négociations, moment où ils bénéficient d’un rapport plus favorable avec les entreprises. Il leur incombe également d’exercer un contrôle plein et entier sur leur délégataire.

Dans le cadre de l’accompagnement de ses clients, le Cabinet SEBAN & Associés veille depuis de nombreuses années déjà à mettre en œuvre, tant au stade de la passation que durant l’exécution des contrats de délégation de service public, les préconisations proposées par la Cour.

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[1] S’agissant des frais de siège, la Cour relève que ceux-ci sont parfois très élevés sans que leur montant soit justifié. S’agissant des achats de biens et de services facturés par des sociétés de l’entreprise délégataire, la Cour souligne qu’il existe un risque que ces prestations soient surfacturées voire, dans certains cas, inexistantes.

[2] Attention, l’autorité concédante souhaitant la création d’une société dédiée doit en informer les candidats dès l’avis d’appel public à la concurrence, et préciser les principales caractéristiques de la société à constituer. En outre, il convient aussi alors d’intégrer des clauses spécifiques dans le contrat (clause de garantie de la société mère notamment).

[3] Ce rapport doit être produit chaque année avant le 1er juin et doit contenir un certain nombre de données prévues dans la partie réglementaire du Code. Pourtant, la Cour souligne que les juridictions financières relèvent des situations d’incomplétude des données fournies, voire d’absence dudit rapport.

[4] L’inventaire doit également porter sur les biens immatériels tels que les droits de propriété intellectuelle, systèmes de gestion, etc.).

La carence fautive du maire dans la mise en œuvre du plan communal de sauvegarde et de ses pouvoirs de police face au risque d’inondation

Le Tribunal administratif de Nice a condamné la commune de Biot le 15 janvier 2025 à réparer les préjudices causés par des inondations en raison de la carence de la maire dans la mise en œuvre du plan communal de sauvegarde et de ses pouvoirs de police.

Dans les faits, le 3 octobre 2015, une vague est entrée dans une maison de retraite, inondant le rez-de-chaussée du bâtiment et entraînant le décès par noyade d’une résidente. Sa petite-fille, le conjoint de cette dernière et leurs deux filles ont alors saisi le tribunal administratif d’une demande en réparation au titre du préjudice moral résultant des souffrances subies par la résidente lors de la prise de conscience de sa mort imminente et au titre de leur propre préjudice moral résultant du décès de la victime.

La commune de Biot est dotée d’un plan communal de sauvegarde (PCS) en raison du risque important d’inondations présent sur son territoire. De plus, sur le fondement des articles L. 2212‑2 et L. 2212‑4 du Code général des collectivités territoriales, le maire est tenu de prendre des mesures pour prévenir les inondations. Le tribunal a jugé que la responsabilité du maire pouvait être engagée sur ce dernier fondement lorsque, en raison de la gravité du péril résultant d’une situation particulièrement dangereuse pour le bon ordre, la sécurité ou la salubrité publiques, cette autorité, n’a pas ordonné les mesures indispensables pour faire cesser ce péril grave.

Il ressort par ailleurs du jugement que, dans la matinée du 3 octobre 2015, le département des Alpes-Maritimes a été placé en vigilance orange « Orages » par les services de Météo-France et la Préfecture a alors alerté les responsables des communes du département des volumes d’eau annoncés.

Le juge a retenu qu’au regard de ces volumes d’eau, l’alerte justifiait la mise en œuvre par la Maire de Biot du PCS prévoyant notamment la mise en alerte des foyers implantés dans les zones inondables avec message de vigilance, dont l’EHPAD faisait partie.

Or, selon le juge, aucune mesure de prévention et de sécurité adaptée aux circonstances n’a été mise en œuvre par la maire. Notamment, aucune alerte à l’EHPAD n’a été faite au cours de la journée. Ce n’est qu’à 21h30, soit presque 10 heures après l’alerte de la Préfecture et au moment où la vague est entrée dans la maison de retraite, que la maire a déclenché le plan communal de sauvegarde et a réuni la cellule de crise.

Par conséquent, le tribunal a considéré que la maire avait commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune en s’abstenant de prendre les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité des usagers de l’EHPAD, en méconnaissance des pouvoirs de police lui incombant.

De plus, cette faute ayant fait perdre une chance sérieuse à la défunte de ne pas être victime de l’inondation, les requérants avaient droit à l’indemnisation intégrale des préjudices certains en résultant.