Fusion entre associations : une décision récente en droit des sociétés semble confirmer un transfert de responsabilité pénale à la charge de l’association absorbante

L’article 121-1 du Code pénal disposant que « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait », a fait l’objet d’une interprétation stricte jusqu’en 2020.

Dans sa décision en date du 25 novembre 2020[1], la chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence, reconnaissant la responsabilité de la société absorbante pour des faits constitutifs d’une infraction commise par l’absorbée avant l’opération de fusion-absorption. Ce raisonnement appliqué par la Cour, concernait (i) les sociétés de capitaux (ii) dans le cadre d’opérations postérieures à la décision de 2020.

C’est dans la continuité de cette décision que la chambre criminelle de la Cour de cassation a récemment, dans un arrêt du 22 mai 2024, appliqué ce raisonnement à une SARL.

En effet, l’activité économique exercée par la société absorbée se poursuivant par l’absorbante, cette continuité économique et fonctionnelle [par la transmission universelle de patrimoine, la société absorbée étant dissoute mais pas liquidée] permet de considérer qu’il n’y a qu’une seule et même entité permettant de retenir la condamnation de l’absorbante en raison d’infractions commises par l’absorbée. Dès lors, le principe de personnalité des peines ne peut s’appliquer en l’espèce.

A l’inverse de sa décision de 2020, la Cour retient une application rétroactive, pour les fusions-absorptions conclues postérieurement au 25 novembre 2020 et non pas une application à compter de sa décision en date du 22 mai 2024. En effet, elle considère que « sa doctrine était raisonnablement prévisible depuis l’arrêt [du 25 novembre 2020] ayant appliqué pour la première fois aux sociétés anonymes ».

Cette ouverture à d’autres sociétés que les sociétés de capitaux laisse entendre que cette position de Cour de cassation pourrait également s’appliquer aux fusions entre associations. La vigilance est donc de mise.

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[1] Crim. 25 nov. 2020, pourvoi n° 18-86.955

Droit d’auteur et photographie électorale : la difficulté de prouver l’originalité en matière de portrait

Un photographe a réalisé le portrait d’un candidat qui conduisait à l’époque la liste Front National (FN) pour l’Ile-de-France, afin d’illustrer sa campagne.

Un contrat de cession de droits accompagnant le règlement des prestations du photographe a été conclu, prévoyant l’exploitation du portait (plus précisément, de 5 photographies) sous forme d’affiches et de tracts.

En 2020, le photographe s’est aperçu que lesdites photographies été réutilisées par le candidat en vue des élections municipales du mois de mars.

La SAIF[1], organisme de gestion collective à qui le photographie a confié la gestion de ses droits de photographe pour toute exploitation audiovisuelle et numérique, après une mise en demeure de l’association du parti politique de s’acquitter d’une facture complémentaire pour cette nouvelle exploitation demeurée infructueuse, l’a assignée devant le Tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de ses droits d’auteur.

Les juges du fond ont d’abord examiné l’originalité des photographies litigieuses rappelant « L’originalité de l’œuvre, qu’il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu’elle soit issue d’un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur » afin d’appliquer le régime de protection légale posé par le Code de la propriété intellectuelle.

Alors que la SAIF a argumenté sur le travail du photographe en invoquant les choix opérés par ce dernier lors de la phase préparatoire et lors de sa prise de vue, les juges de la 3e chambre ont pour leur part retenu que « ces choix sont ceux opérés dans le cadre de la réalisation d’un portrait classique ». Plus spécifiquement, ils ont relevé que la mise en scène adoptée était « minimale » et relevait du « fonds commun de la photographie », que « le cadrage (dans les normes du portrait institutionnel), l’angle de vue (légère plongée) ou la lumière (éclairage naturel) » ne présentaient pas « dans le cas d’espèce, de caractère original ». Les juges en ont déduit à l’absence de protection par le droit d’auteur et, par voie de conséquence, l’absence de contrefaçon.

Cette décision rappelle la difficulté des photographes à prouver l’originalité de leur travail, d’autant plus en matière de portraits réalisés dans le cadre professionnel, ou électoral. En effet, si un photographe de portrait peut théoriquement faire valoir un droit d’auteur sur son travail, la preuve de choix libres et créatifs fait en pratique souvent défaut[2]. La jurisprudence reste donc particulièrement stricte en ce qui concerne les portraits.

En outre, sur le terrain de la faute contractuelle, le tribunal a rappelé que la cession de droits de 2015 prévoyant une cession « pour utilisation sur le matériel de campagne électorale », sans aucune précision quant à une campagne en particulier, le parti n’avait pas commis de faute en réutilisant la photographie pour une autre campagne.

Notons ici que l’association du FN n’a même pas pris la peine de se constituer.

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[1] La société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe organisme de gestion collectif compétent dans le domaine des arts visuels

[2] A titre d’exemple, voir aussi une décision rendue par le Cour d’appel de Versailles du 25 octobre 2022 (n° 21/01681) dans laquelle il a été confirmé que des photographies de portrait d’un acteur n’étaient pas protégeables par le droit d’auteur, rappelant ainsi que « le critère des choix, pour libres ou arbitraires qu’ils soient, ne suffit pas à octroyer la protection du droit d’auteur. Ces choix doivent en outre révéler l’empreinte de la personnalité de l’auteur. »

Airbnb, c’est fini ?

La loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale dite loi Le Meur a été publiée au Journal Officiel du 20 novembre 2024 et instaure une série de mesures, dont certaines sont entrées en vigueur dès le 21 novembre, afin de restreindre la location de type Airbnb au profit de locations de longue durée.

Présentation des principales mesures, lesquelles sont de trois ordres : règlementaire (I), matériel (II) et fiscal (III).

 

I. Sur le plan règlementaire d’abord, rappelons en premier lieu qu’il existe deux régimes distincts :

  • Celui de la déclaration préalable des meublés de tourisme prévu aux articles L. 324-1 et suivants du Code du tourisme (A),
  • Celui de l’autorisation préalable au changement d’usage prévu aux articles L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation (B).

A. S’agissant de la déclaration des meublés de tourisme, la procédure avec enregistrement préalable par le biais du téléservice national dédié – en cours de mise en place – s’appliquera à toutes les locations de meublés touristiques, y compris des résidences principales, au plus tard au 20 mai 2026 (article L. 324-1-1 du Code du tourisme).

En outre, à compter du 1er janvier 2025, le nombre maximal de jours de location pourra, sur délibération motivée de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI), être réduit à 90 jours (article L. 324-1-1 V du Code du tourisme).

Enfin, le nouvel article L. 324-1-1 III bis du Code du tourisme offre la possibilité au maire de suspendre la validité d’un numéro de déclaration et émettre une injonction aux plateformes numériques de location de courte durée de retirer le logement de la location si les pièces justificatives ou informations fournies dans le cadre de l’enregistrement sont erronées ou incomplètes ou lorsque le logement est visé par un arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité pris en application des articles L. 511-11 ou L. 511-19 du Code de la construction et de l’habitation (CCH), étant précisé que dans ces derniers cas il pourra désactiver l’accès au référencement d’une annonce. Des sanctions financières pouvant aller jusqu’à 50.000 € sont également prévues à l’article L. 324-1-1 V du Code du tourisme.

Les sanctions existantes sont, elles, durcies :

  • L’amende sanctionnant le non-respect de la procédure de déclaration préalable soumise à enregistrement, jusqu’à présent de 5.000 €, sera de 10.000 €, et ce à compter au plus tard du 20 mai 2026 (article L. 324-1-1, V du Code du tourisme).
  • L’amende sanctionnant la fausse déclaration ou l’utilisation d’un faux numéro de déclaration sera de 20.000 €, et ce à compter au plus tard du 20 mai 2026 (article L. 324-1-1, V du Code du tourisme).

B. S’agissant de l’autorisation préalable pour changer l’usage d’habitation, des modifications ont été apportées au dispositif de l’autorisation permanente (1) et temporaire (2).

  1. Modifications apportées au dispositif de l’autorisation permanente du changement d’usage

Le dispositif de l’autorisation permanente du changement d’usage est adopté par délibération du conseil municipal ou de l’organe délibérant de l’EPCI compétent en matière de plan local d’urbanisme.

L’article L. 631-9 du CCH dispose désormais qu’une telle délibération doit être motivée par « un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant. »

L’article L. 631-7 du CCH relatif au changement d’usage « permanent » précise désormais que ce dispositif peut être mis en place, non plus dans les communes de plus de 200.000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, mais dans les communes « dont la liste est fixée par le décret mentionné au I de l’article 232 du Code général des impôts ». Une telle liste est relative aux zones tendues.

Rappelons que précédemment, l’extension du dispositif du changement d’usage aux zones tendues autres que l’Ile-de-France supposait une décision du préfet (article L. 631-9 du CCH dans son ancienne version).

En outre, la dualité des régimes de déclaration préalable d’un meublé de tourisme et autorisation préalable au changement d’usage pouvait être source de confusion. Il convient à cet égard de rappeler l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation a très récemment eu l’occasion de préciser que la décision de classement en meublé de tourisme prévue par l’article L. 324-1 du Code du tourisme ne pouvait se substituer à l’autorisation de changement d’usage prévue par l’article L. 631-7 du CCH (Cass. Civ. 3ème, 27 juin 2024 (n° 23-13.131).

La loi Le Meur harmonise toutefois la notion de logement touristique meublé de ces deux régimes, puisqu’est abandonnée la définition propre que donnait le dernier alinéa de l’article L. 631-7 du CCH du changement d’usage propre au régime de l’autorisation préalable – « la location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » au profit de la « location d’un local meublé à usage d’habitation en tant que meublé de tourisme au sens de l’article L. 324-1-1 I du Code du tourisme. », cet article définissant le meublé de tourisme comme « des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois. »

Ce faisant, est abandonné l’exigence de répétition de la location. Certes, la jurisprudence considérait que la répétition était caractérisée dès deux locations de ce type.

Toutefois, avec la nouvelle définition du changement d’usage, ce changement sera constitué dès la première location.

Notons enfin que la notion de location « pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » est maintenue à l’article L. 631-7-1 A du CCH relatif à l’autorisation temporaire de changement d’usage.

La définition de locaux à usage d’habitation contenue à l’alinéa 2 de l’article L. 631-7 du CCH n’est pas modifiée mais un nouvel alinéa précise désormais que « l’usage d’habitation s’entend de tout local habité ou ayant vocation à l’être même s’il n’est pas occupé effectivement, notamment en cas de vacance ou lorsqu’il a fait l’objet d’un arrêté pris sur le fondement du livre V du présent code ».

Compte-tenu de la difficulté pratique de rapporter de l’usage d’habitation des locaux au 1er janvier comme l’exigeait l’article L. 631-7 du CCH dans sa précédent rédaction, la loi Le Meur assouplit la démonstration d’un tel usage en ces termes en élargissant la temporalité de la preuve : la période de cet usage doit désormais être soit comprise entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976 inclus, soit à n’importe quel moment au cours des trente dernières années précédant la demande d’autorisation préalable au changement d’usage ou la contestation de l’usage dans le cadre des procédures prévues au présent livre, et sauf autorisation ultérieure mentionnée au quatrième alinéa du présent article.

Un tel assouplissement rendra assurément plus efficaces les actions engagées par les communes, ou désormais par les établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’urbanisme (article L. 651-2 alinéa 2 du CCH) pour voir sanctionner le changement d’usage irrégulier.

Et ce d’autant plus que l’amende civile prévue dans un tel cas à l’article L. 651-2 du CCH est portée à 100.000 € contre 50.000 € précédemment.

Cette sanction qui s’applique également désormais à toute personne qui se livre ou prête son concours à la commission de l’infraction prévue à l’article L. 651-2, contre rémunération ou à titre gratuit, par une activité d’entremise ou de négociation ou par la mise à disposition de services (article L. 651-2-1 du CCH), est en outre étendue au non-respect du dispositif de l’autorisation préalable temporaire de changement d’usage (article L. 651-2 du CCH).

  1. Modifications apportées au dispositif de l’autorisation temporaire de changement d’usage

S’agissant de l’autorisation temporaire du changement d’usage, qui était jusqu’à présent limitée aux seules personnes physiques, s’étend désormais aux personnes morales.

Cette autorisation temporaire doit par ailleurs être conforme le cas échéant au règlement de copropriété, ce dont le demandeur doit justifier par une attestation sur l’honneur.

L’article L. 631-7-1 A CCH ainsi modifié encadre également les conditions d’octroi de l’autorisation temporaire :

  • La délibération instaurant le dispositif de l’autorisation temporaire peut, sur tout ou partie du territoire de la commune, dans une ou plusieurs zones géographiques qu’elle délimite, fixer le nombre maximal d’autorisations temporaires qui peuvent être délivrées ou la part maximale de locaux à usage d’habitation pouvant faire l’objet d’une autorisation temporaire de changement d’usage ;
  • La délibération fixe la procédure de sélection des candidats, en prévoyant des garanties de publicité et de transparence, qu’il s’agisse de l’autorisation initiale ou de celle renouvelée ;
  • Toutes les autorisations temporaires accordées le sont pour une durée identique, inférieure à 5 ans.

Les copropriétés ne sont pas en reste puisqu’elles peuvent, pour celles comportant dans leur règlement une clause d’habitation bourgeoise, interdire la location en meublé de tourisme par décision de l’assemblée des copropriétaires adoptée à la majorité simple (2/3) et non plus à l’unanimité (article 26 d) de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965).

En outre, tout nouveau règlement de copropriété établi à partir du 21 novembre 2024 doit préciser si la location de meublés de tourisme est autorisée ou interdite (article 98-1-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965).

Enfin, le syndic doit être informé de la transformation du logement en meublé de tourisme par le copropriétaire ou le locataire (article 9-2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965).

 

II. Sur le plan matériel ensuite, l’article 3 de la loi Le Meur rétablit l’article L. 631-10 du CCH lequel prévoit que la location touristique meublée, soumise à autorisation permanente (article L. 631-7 du CCH) ou temporaire (article L. 631-7-1 A du CCH) requiert un classement énergétique du logement concerné, lorsqu’il est situé en France métropolitaine, entre les classes A et E.

A compter du 1er janvier 2034, le diagnostic de performance énergétique devra être classé entre A et D.

S’agissant des meublés de tourisme, ils doivent, s’ils ne constituent pas la résidence principale du loueur, respecter les niveaux de performance énergétique d’un logement décent au sens de l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 (article L. 324-2-2 du Code de tourisme alinéa 1er).

A cet effet, les propriétaires doivent transmettre dans un délai de 2 mois au maire qui en fait la demande, un DPE en cours de validité, sous peine d’astreinte administrative de 100 € par jour (article L. 324-2-2 du Code de tourisme alinéa 2).

Enfin, les propriétaires qui louent ou maintiennent en location un meublé de tourisme ne respectant les niveaux de performance énergétiques exigés sont passibles d’une amende ne pouvant excéder 5.000 € (article L. 324-2-2 du Code de tourisme alinéa 3).

 

III. Sur le plan fiscal enfin, la location de meublés de tourisme est imposée au titre des micro-BIC (bénéfices industriels et commerciaux).

L’abattement fiscal forfaitaire pour tenir compte de toutes les charges est réduit sur les revenus locatifs perçus à compter du 1er janvier 2025 comme suit :

  • De 71 % (dans la limite de 188.700 euros) à 50 % pour les meublés classés et chambres d’hôtes dans la limite de 77.700 euros de revenus locatifs annuels ;
  • De 50 % (dans la limite de 77.700 euros) à 30 % pour les meublés non classés dans la limite de 15.000 euros de revenus locatifs annuels.

Ces nouvelles mesures visant à réguler les locations meublées touristiques permettront sans doute de remettre de nombreux logements dans le giron de la location de longue durée.

Le très attendu rapport de la mission du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) sur la mise en œuvre du règlement l’IA

Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), instance chargée de conseiller la ministre de la Culture en matière de propriété littéraire et artistique, a lancé une mission relative à la mise en œuvre du règlement européen établissement des règles harmonisées sur l’intelligence artificielle[1] (« règlement IA »)[2].

Il a été annoncé que la mission, présidée par Madame Alexandra Bensamoun, devait soumettre à l’approbation du CSPLA (en plénière) son projet de rapport provisoire le 9 décembre.

Très attendu, ce rapport, pour l’heure à l’état de projet, doit délivrer un état des lieux sur la question épineuse de l’entrainement des systèmes d’IA (« SIA ») à usage général[3], qui comprennent notamment les SIA génératifs tels que Chat GPT, à partir de données protégées par le droit d’auteur. Il doit se positionner sur l’établissement d’un premier modèle du « résumé », l’outil prévu dans le règlement IA pour contrôler le respect de la législation en matière de droit d’auteur par les fournisseurs de SIA.

Le règlement IA (article 53) a créé une obligation de transparence pour les fournisseurs de SIA à usage général qui leur impose de mettre en place une politique visant à se conformer à la législation de l’Union européenne en matière de droit d’auteur et de droit voisin[4], et notamment de la DAMUN (la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique[5]) qui prévoit notamment le mécanisme de l’opt-out[6], très discuté en matière d’intelligence artificielle[7].

Concrètement, cette obligation se concrétise par la mise à disposition du public d’un « résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour entrainer le modèle d’IA à usage général »[8], dont un modèle devra être fourni par le Bureau de l’IA (instance de régulation de la Commission européenne créée par le règlement IA).

Le rapport de la mission du CSPLA est donc très attendu car il fera état de la position de la France, dans la perspective des prochains débats européens, sur le contenu du résumé à établir.

On retrouve donc dans ce document des recommandations sur la mise en place de cet outil de transparence inédit, outil déterminant dans l’établissement de la preuve en cas de contentieux entre les titulaires de droits et les fournisseurs d’IA.

A ce stade du projet de rapport, la mission du CSPLA propose de retenir un type de résumé se fondant sur une approche par type de contenus récupérés pour l’entrainement des IA, avec « un degré de détail croissant en fonction de leur sensibilité au droit »[9] : les contenus libres de droit pourraient se contenter d’informations génériques, du fait du faible enjeux en matière contentieuse ; en revanche pour les autres données protégées, le rapport énonce comme essentielles certaines précisions telles que les URLs des sites internet dans lesquels les données ont été récupérées ainsi que la date de ces opérations de récupération. Les bases d’entrainements devraient aussi être suffisamment documentées (notamment sur les identifiants uniques) et le résumé contenir des informations pratiques telles que le contact de référence ou l’existence d’accord commerciaux le cas échéant.

Certaines informations plus poussées seraient en revanche couvertes par le secret des affaires, mais le rapport provisoire insiste sur la nécessité de rendre ces informations protégées accessibles « en cas de réclamation ou d’action judiciaire pour rendre au droit son effectivité »[10].

En outre, le rapport provisoire encourage de manière plus générale un dialogue direct entre les titulaires de droits et les fournisseurs de SIA et propose de déléguer à une autorité nationale la mission de traiter les réclamations qui découleront de ce mécanisme (qui pour l’instant revient au Bureau de l’IA[11]).

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[1] Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle

[2] La ministre de la Culture Rachida Dati souhaite que le CSPLA expertise la portée de l’obligation de transparence prévue par le règlement européen et établisse la liste des informations paraissant devoir nécessairement être communiquées, selon les secteurs culturels concernés, pour permettre aux auteurs et aux titulaires de droits voisins d’exercer leurs droits.

[3] Selon la CNIL, un SIA à usage général est un SIA qui peut être utilisé et adapté à un large éventail d’applications pour lesquelles il n’a pas été conçu intentionnellement et spécifiquement ; il est destiné à exécuter des fonctions génériques telles que la reconnaissance d’images et de paroles, la génération d’images audio et vidéo, la détection de formes, la réponse à des questions, la traduction, etc, ce qui comprends les IA génératives.

[4] Article 53,1,d du règlement IA

[5] Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique

[6] La DAMUN a introduit deux exceptions au droit d’auteur : l’article 3 permet la reproduction et l’extraction de données sur des œuvres protégées par le droit d’auteur, accessibles de manière licite par des organismes de recherches et des institutions du patrimoine culturel, dans un but circonscrit à la recherche scientifique; l’article 4 permet quant à lui une telle reproduction pour tout bénéficiaire, sans restriction concernant l’objet des activités réalisées, mais en introduisant une limite par la possibilité donnée aux titulaires de droits de s’y opposer (mécanisme d’ opt-out).

[7] Article 3 et 4 de la DAMUN : sur ce point, voir notre dernière brève dans la LAJ du 14 novembre 2024 n° 162  « Intelligence artificielle et exception de fouille de textes et de données : une première décision rendue en Europe »

[8] Article 53,1,c du règlement IA

[9] Page 6 du rapport provisoire commenté

[10] Page 27 du rapport provisoire commenté

[11] Voir notre dernière brève dans la LAJ du 29 août 2024 n° 159  « Les codes de bonnes pratiques pour les intelligences artificielles à usage général, un outil nécessaire à la mise en œuvre du récent règlement européen sur l’intelligence artificielle »

Les Présidents de syndicats toujours privés du remboursement des frais de représentation

Pour rappel, l’article L. 2123-19 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoit que « le conseil municipal peut voter, sur les ressources ordinaires, des indemnités au maire pour frais de représentation. ». Ces frais correspondent à une allocation destinée à couvrir les dépenses engagées par le maire, à l’occasion de l’exercice de ses fonctions dans l’intérêt des affaires de la commune (Rep min, Question écrite n° 22023, publiée dans le JO Sénat du 2 mars 2017, page 897).

Et cette disposition est, conformément, aux articles L. 5216-4, L. 5215-16 et L. 5217-7 du CGCT, applicable aux communautés d’agglomération, aux communautés urbaines et aux métropoles.

Dit autrement les Présidents des communautés de communes et des EPCI dépourvus de fiscalité propre, soit les syndicats de communes et les syndicats mixtes, ne peuvent se voir rembourser des frais de représentation. Et il semble que cette situation n’émeuve pas le législateur qui, s’il envisage, dans le cadre de la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, de permettre la prise en charge des frais de représentation des présidents des conseils départementaux, des conseils régionaux, de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la collectivité territoriale de Guyane et de la collectivité territoriale Martinique, laisse les exécutifs des communautés de communes et des EPCI sans fiscalité propre de côté .

Le projet de texte a été transmis à l’Assemblée nationale le 23 juillet 2024 pour une première lecture de sorte qu’une mobilisation des associations d’élus pourraient permettre de l’amender utilement en étendant le remboursement des frais de représentation aux Présidents des communautés de communes et des syndicats de communes et des syndicats mixtes.

Responsabilité pour faute de l’administration fiscale à l’égard des collectivités

Par une décision en date du 18 octobre 2024, le Conseil d’Etat a été amené à se positionner encore une fois sur des erreurs commises par l’administration fiscale envers une collectivité.

Au cas présent, il s’agissait de la Communauté de communes Ardenne Rives de Meuse (CCARM), établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, qui percevait jusqu’en 2009 le produit de la taxe professionnelle.

Pour mémoire, la taxe professionnelle a été supprimée par l’article 2 de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 pour être remplacée par la contribution économique territoriale, qui est composée, d’une part, de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et, d’autre part, de la cotisation foncière des entreprises (CFE).

Afin de compenser les pertes de recettes subies par les collectivités territoriales et leurs EPCI à la suite de cette réforme, un nouveau schéma de financement a été mis en place à partir de 2011, assorti d’un dispositif transitoire pour l’année 2010.

Ainsi, l’article 2 de la loi de finances pour 2010 a introduit un article 1640 B dans le Code général des impôts (CGI) instituant une « compensation-relais » devant être perçue par les collectivités territoriales et leurs EPCI au titre de l’année 2010, dont le montant devait être au moins équivalent au montant du produit de la taxe professionnelle perçu au titre de l’année 2009.

Par ailleurs, l’article 78 de la même loi avait prévu un système complexe destiné à compenser intégralement les pertes de recettes des collectivités territoriales et de leurs EPCI, induites par la suppression de la taxe professionnelle, pour 2011 et les années postérieures.

Ce système repose sur deux dispositifs distincts, destinés à maintenir un plancher de ressources pour chaque collectivité ou EPCI et à compenser intégralement leurs éventuelles pertes de recettes :

  • d’une part, les fonds nationaux de garantie individuelle des ressources (FNGIR) ;
  • d’autre part, la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP).

Ainsi, depuis 2011, les ressources fiscales des communes et de leurs EPCI sont augmentées d’un reversement ou diminuées d’un prélèvement au profit du fonds concerné.

La CCARM ne fait pas partie des EPCI dits « bénéficiaires » de la réforme, de sorte qu’elle reçoit un reversement depuis l’année 2011, provenant du FNGIR, puisque ses recettes perçues avant réforme étaient supérieures à celles perçues après réforme.

Ces montants sont déterminés en tenant compte notamment du montant de la « compensation-relais ».

Or, au cas présent, des erreurs ont été commises par l’administration fiscale dans le cadre du calcul de la taxe professionnelle. Plus précisément, le Conseil d’Etat a annulé les états de la participation de la Communauté de communes, au titre des années 2007 à 2010, au financement des dégrèvements consécutifs au plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée et a enjoint l’administration fiscale à procéder à un nouveau calcul de cette participation (CE, 22 décembre 2017, n° 396157).

Ces erreurs ont conduit à une sous-estimation du montant de sa « compensation-relais » pour l’année 2010 ainsi que de la DCRTP et du versement du FNGIR pour les années suivantes.

Et à la suite de la notification de l’arrêt du 22 décembre 217, la Communauté de communes a donc contesté le montant de ce versement et a assorti sa demande de conclusions indemnitaires.

Si le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a pour partie fait droit à ses demandes, par un jugement du 6 octobre 2020, la Cour administrative d’appel de Nancy a, quant à elle, annulé ce jugement et considéré que la Communauté de communes devait être déboutée de ses demandes dès lors notamment qu’elle n’avait pas fait connaitre à l’administration fiscale avant le 30 juin 2012 les erreurs qui entachaient le calcul du montant de la DCRTP et du versement FNGIR en application des dispositions de l’article 78 de la loi du 30 décembre 2009 précitée.

Le Conseil d’Etat, dans sa décision en date du 18 octobre dernier, s’il a confirmé que la Communauté de communes ne pouvait pas obtenir l’annulation des états de versement qui lui avaient été adressé dès lors qu’elle n’a pas fait connaitre à l’administration fiscale les erreurs entachant le calcul du montant de la DCRTP et du versement FNGIR avant le 30 juin 2012, il a, néanmoins, annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 9 juin 2022 en tant qu’il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par la Communauté de communes au titre des années 2011 à 2019.

En effet, il a considéré qu’en jugeant que les conclusions indemnitaires de la Communauté de communes n’avaient d’autre fondement que la prétendue illégalité des états de versement des sommes dues au titre de la DCRTP et du FNGIR pour les années 2011 à 2019, la Cour a méconnu la portée des écritures de la CCARM et commis une erreur de droit.

Il convenait, ainsi, de distinguer l’action aux fins d’annulation des états de versement erronés et l’action aux fins de réparation de la perte subie à raison de ces erreurs. L’action en responsabilité n’était donc pas fondée pour le Conseil d’Etat sur l’illégalité des états financiers adressés à la Communauté de communes mais sur les fautes commises par l’administration dans le calcul de la taxe professionnelle de la Communauté de communes et qui a conduit à une minoration de ses bases en matière de DCRTP et de FNGIR.

Données chiffrées de la lutte contre les violences faites aux femmes : un phénomène d’ampleur face au faible taux de poursuites pénales

À l’occasion de la 25ème journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, un rapport ministériel a permis de mesurer l’ampleur de ce phénomène () qui doit être confronté au faible taux de poursuites pénales (II°).

1. Le constat d’une violence structurelle et d’ampleur …

Depuis plusieurs années, le rapport d’enquête dite de « victimisation » nommé « Vécu et ressenti en matière de sécurité » établi par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) permet d’appréhender, à partir d’un échantillon de plus de 100.000 personnes, les infractions dont celles-ci ont été victimes au cours de leur vie.

Concernant les violences faites aux personnes, il est à souligner une forte sous-judiciarisation des violences sexistes et sexuelles, et, dans une moindre mesure, des violences conjugales, dont l’écrasante majorité des victimes est constituée de femmes[1].

Ainsi, dans le dernier rapport publié le 14 novembre dernier, il est mis en évidence qu’en 2022, 3 % des personnes âgées de 18 ans et plus déclarent avoir été victimes de violences sexuelles, dont 85 % sont des femmes[2].

Plus précisément, il ressort de cette étude que la population âgée de 18 à 24 ans a une probabilité 3 fois supérieure de déclarer avoir subi une violence sexuelle non physique[3], voire 5 fois supérieure concernant les violences sexuelles physiques[4], que le reste de la population.

Or, parmi ces victimes, seules 3 % ont déposé plainte auprès de la police ou de la gendarmerie.

Les principales raisons évoquées pour expliquer l’absence de dépôt de plainte sont les suivantes :

  • les victimes ne voient pas l’utilité d’une telle démarche (23 %) ;
  • elles considèrent que l’atteinte subie n’était pas assez grave (23 %) ;
  • elles pensent que leurs déclarations n’auraient pas été prises au sérieux par les forces de sécurité intérieure (15 %).

Le SSMSI a estimé, dans la population française métropolitaine, que :

  • 242.000 et 298.000 personnes ont été victime de violences sexuelles physiques [5];
  • 364.000 et 1.482.000 personnes ont été victime de violences sexuelles non physiques [6];
  • 445.000 et 524.000 personnes ont été victime de violences conjugales [7].

2. … face aux chiffres extrêmement bas des poursuites

En avril dernier, une note de l’Institut des Politiques Publiques (IPP) avait mis en lumière le sort des plaintes déposées à la suite de violences conjugales ou de violences sexuelles[8].

Cette note avait été rédigée à partir des données issues du logiciel Cassiopée, logiciel utilisé par les magistrats permettant le recensement des procédures pénales.

Concernant les violences sexuelles, 86 % des affaires traitées entre 2012 et 2021 ont donné lieu à un classement sans suite contre 14 % qui ont entraîné des poursuites.

S’agissant des violences conjugales, 72 % des affaires ont été classées sans suite ; pour 28 % de poursuites.

Dans les deux cas, un des principaux obstacles aux poursuites est le manque de preuve pour caractériser l’infraction poursuivie, en particulier s’agissant des violences sexuelles.

En complément de ces éléments chiffrés, il est nécessaire d’indiquer que le Service statistique ministériel de la justice avait souligné, dans une note de novembre 2023, qu’entre 2017 et 2022, 6.300 condamnations en moyenne par an ont été prononcées concernant des violences sexuelles, principalement pour agression sexuelle (76 %). 

Les condamnés sont quasi-exclusivement des hommes, puisqu’ils représentent 99 % de l’échantillon.

Les difficultés recensées au niveau du signalement, comme du traitement judiciaire réservé aux violences faites aux femmes, ont alimenté les récentes réformes ayant contribué à la mise en place des pôles spécialisés dans la lutte contre les violences intrafamiliales, depuis le 1er janvier 2024, ainsi que la reconnaissance de la notion de contrôle coercitif dans plusieurs arrêts rendus par la Cour d’appel de Poitiers[9].

Certaines problématiques demeurent d’actualité et constituent d’ailleurs l’un des points de départ de la réflexion en cours concernant l’introduction de la notion de consentement dans la définition du viol en droit français, thème d’un colloque récent au Sénat [10].

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[1] Respectivement 85 % des victimes de violences sexuelles physiques, 86 % des victimes de violences sexuelles non physiques et 77 % des victimes de violences conjugales

[2] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Rapport-d-enquete-Vecu-et-ressenti-en-matiere-de-securite-2023-victimation-delinquance-et-sentiment-d-insecurite (p.13/37)

[3] Harcèlement sexuel, exhibition sexuelle ou envoi d’images à caractère sexuel et non sollicitées

[4] Viol, tentative de viol et agression sexuelle

[5] https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Rapport-d-enquete-Vecu-et-ressenti-en-matiere-de-securite-2023-victimation-delinquance-et-sentiment-d-insecurite (p.31/37)

[6] Ibid. p.31

[7] Ibid. p.31

[8] https://www.ipp.eu/publication/le-traitement-judiciaire-des-violences-sexuelles-et-conjugales-en-france/

[9] CA Poitiers, 31 janvier 2024, 28 août 2024 et 6 novembre 2024 : Concept de science sociale qui a été repris à son compte par la Cour d’appel pour motiver des décisions de condamnation en matière de violence intra-familiale : il s’agit de l’ensemble des techniques qui « visent à contraindre, minorer, isoler, dévaloriser, capter, fatiguer, dénigrer (…) elles relèvent d’une stratégie de l’agresseur, fondée sur la micro-régulation du quotidien ».
https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2024/12/CA-Poitiers-6-novembre-2024.pdf
https://www.seban-associes.avocat.fr/wp-content/uploads/2024/12/CA-Poitiers-28-aout-2024.pdf

[10]https://www.senat.fr/travaux-parlementaires/office-et-delegations/delegation-aux-droits-des-femmes-et-a-legalite-des-chances/colloque-le-consentement-et-la-definition-penale-du-viol.html

Validation du critère de la proximité géographique des candidats dans une concession de dépannage, remorquage de véhicules justifié par des impératifs de sécurité et de rapidité

Par principe, le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l’avantage économique global pour l’autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l’objet du contrat de concession ou à ses conditions d’exécution[1]. Ainsi, pour attribuer le contrat de concession, l’autorité concédante doit se fonder sur une pluralité de critères non discriminatoires[2].

Dans ce cadre, l’acheteur ne peut pas utiliser un critère de proximité géographique si ce dernier porte atteinte aux principes fondamentaux applicables à la commande publique. Et le juge administratif contrôle, à l’occasion de l’analyse des critères d’attribution, que ces derniers ne comportent aucun critère géographique interdit[3].

Dans la présente affaire, le préfet de l’Essonne avait lancé, en 2019, un appel à candidature en vue de l’attribution de concessions pour confier des missions de dépannage, remorquage et mise en fourrière de véhicules sur les routes et autoroutes du département. La société Eurautos, qui ne s’est pas vue attribuée de concession, en demandait l’annulation en estimant, notamment, que la mise en œuvre du critère géographique était illégale.

En l’occurrence, le Préfet s’était fondé sur quatre critères dont celui de la « localisation géographique du ou des installations du candidat au regard de la nécessité d’une intervention rapide en tous points du secteur » pour apprécier les offres.

La société requérante estimait que ce critère, apprécié en tenant compte de la distance entre cinq points de référence avait été choisis discrétionnairement par l’administration et que, ce faisant, était discriminatoire et sans lien avec l’objet du contrat ou à ses conditions d’exécution. Selon la requérante, il ne permettait donc pas de juger de la rapidité de l’intervention des concessionnaires qui dépendait des conditions de circulation et de l’organisation mise en œuvre par l’entreprise pour garantir un départ immédiat du véhicule d’enlèvement.

Or, pour la Cour administrative d’appel de Versailles (« la Cour »), ce critère était en lien avec l’objet du marché et les conditions d’exécution du marché en ce qu’il imposait au concessionnaire « pour des raisons de sécurité, des interventions rapides limitées à trente minutes pour l’enlèvement des véhicules légers en panne ou accidentés sur des axes très fréquentés que sont notamment l’autoroute A6 ou les routes nationales n° 6 et 14. Les points de référence ont par ailleurs été définis par le pouvoir adjudicateur lors de réunions préparatoires en présence des forces de l’ordre, du gestionnaire de voirie et des organisations professionnelles de dépanneurs et fouriéristes et couvrent l’ensemble du secteur concerné de façon homogène ».

Ainsi, pour la Cour, ces points ont certes été choisis de manière discrétionnaire, mais pas arbitraire pour autant.

Elle ajoute que « si un tel critère ne tient pas compte des conditions de circulation, celles-ci dépendent toutefois de facteurs multiples indépendants des candidats et ne pouvaient qu’être difficilement appréhendées par des mesures objectives au stade de la passation du contrat ».

Là encore, la Cour fait preuve de pragmatisme en estimant que l’acheteur a essayé d’être le plus objectif possible en appliquant la méthode de notation la moins subjective[4].

Enfin, la société critiquait le fait qu’en cas de pluralité de sites d’intervention des candidats, seule la moyenne des distances d’éloignement de tous les sites du candidat était prise en compte.

Or pour la Cour, « cette méthodologie a conduit à tenir compte, pour l’analyse des offres, de distances supérieures à celles constatées en cas de départ du dépôt le plus proche. Par suite, celle-ci n’a pas pu conduire à favoriser les sociétés attributaires, disposant toutes de deux sites, contrairement à la société requérante. Par ailleurs, la multiplicité des sites d’exploitation est de nature à favoriser une plus grande rapidité d’intervention en tout point du secteur ».

En conclusion, la Cour valide donc ici le critère de proximité géographique, estimant qu’il est justifié par les impératifs de sécurité et de rapidité exigés par le marché[5].

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[1] Article L. 3124-5 du code de la commande publique

[2] Article R. 3124-4 du code de la commande publique

[3] Julie Oger, « Le verdissement de la commande publique au secours du critère géographique », La Gazette de l’IDPA, n° 55, avril 2024

[4] Justine Lauer, « Feu vert pour le critère géographique ? », Achat Solutions, octobre 2024

[5] Etienne Ducluseau, « Quand le juge administratif valide un critère géographique », Achatpublic, décembre 2024

 

Harcèlement moral institutionnel : une consolidation jurisprudentielle pour les managers publics

Une pratique managériale génératrice de souffrance au travail ne saurait à elle seule, caractériser le délit de harcèlement moral. ; tel est l’apport principal de l’arrêt du 25 juin 2024 aux termes duquel la Cour de cassation confirme sa jurisprudence en matière de harcèlement moral institutionnel et apporte des précisions sur l’action civile.

Par arrêt du 3 mai 2023, une directrice d’un centre public hospitalier avait été déclarée coupable du chef de harcèlement moral, les juges du fond ayant retenu une dureté de son management ayant généré une souffrance au travail au préjudice de quatre agents de son service ; sur l’action civile, la cour d’appel s’était déclarée matériellement compétente.

La directrice évoquait plusieurs moyens au soutien de son pourvoi :

  • L’évocation d’un exercice normal de son pouvoir de direction justifié par l’intérêt du service– cause exclusive de responsabilité :

La chambre criminelle a rejeté ce moyen validant le raisonnement de la Cour d’appel qui avait considéré : « si le délit de harcèlement moral doit être distingué d’un management qui crée de la souffrance au travail, pour autant, les éléments de contexte ne peuvent être ignorés dans l’appréciation de la culpabilité de [la prévenue] à l’endroit de chacun des agents concernés, s’agissant notamment du caractère intentionnel des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ».

Cette motivation s’inscrit dans la lignée de celle retenue dans le secteur privé et notamment rappelé dans un arrêt du 19 octobre 2021.

  • Le défaut d’élément intentionnel: La Chambre criminelle a rappelé que la seule conscience de la dégradation des conditions de travail engendrée par des méthodes de management suffit à caractériser l’élément moral.

En l’espèce, cet élément moral a été déduit de la connaissance par la directrice des souffrances générées sur les agents par son management, celle-ci ayant notamment été alertée par l’Inspection du travail.

  • L’incompétence du juge judiciaire sur l’action civile: la cassation est intervenue sur ce moyen, la Chambre criminelle ayant considéré que les juges du fond ne pouvaient se déclarer compétents sans avoir recherché si les fautes imputées présentaient un caractère personnel détachable du service.

Sur le fond, cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation qui rappelle la nécessité de caractériser, pour chaque agent, les agissements susceptibles de relever du harcèlement moral, et non de procéder à une approche globale en confondant le management ferme et le harcèlement moral.

Elle semble toutefois évoluer vers une plus grande considération du contexte managérial défaillant à l’origine des faits constitutifs du délit de harcèlement moral.

Saisies pénales et travail dissimulé : la Cour de cassation élargit sa définition du produit de l’infraction

Par une décision en date du 16 octobre 2024, la chambre criminelle a précisé sa définition du produit de l’infraction de travail dissimulé en revenant sur ce qu’inclut la notion d’ « économie réalisée par la fraude ».

En l’espèce, plusieurs sociétés étaient mises en causes du chef de travail dissimulé. Parmi elles, il était reproché à une société de droit roumain de ne déclarer ni établissement ni salariés en France alors même que son activité de transport se déroulait exclusivement sur l’hexagone. En outre, la totalité de l’activité était gérée à partir de comptes bancaires français, ceux-ci alimentant un compte roumain pour payer les salaires et les charges fiscales et sociales.

Une enquête pénale était diligentée à la suite d’un signalement par la DREAL au procureur de la République. Dans ce cadre, deux saisies pénales étaient ordonnées sur le fondement des articles 706-153 et 706-154 du Code de procédure pénale, correspondant à deux régimes de saisie distincts.

Plus précisément, l’ordonnance contestée par les prévenus avait été rendue par le juge des libertés et de la détention et portait sur la saisie pénale d’une somme détenue en fonds de garantie d’un compte d’affacturage, pour un montant communiqué lors de l’échéance du terme.

A l’issue de l’appel interjeté par les sociétés et leur gérant, la chambre de l’instruction avait confirmé l’ordonnance, rappelant d’abord que l’article L. 8224-5 du Code du travail prévoit la peine de confiscation à l’endroit des personnes morales en matière de travail dissimulé. Par ailleurs, les juges du fond estimaient que le produit de l’infraction résultait du gain tiré de la différence de salaire entre les salariés roumains et français et de la durée de travail supérieure du salarié roumain sur le salarié français hors charge.

La chambre criminelle a rejeté le pourvoi formé par le gérant et les sociétés et confirmé l’ordonnance de saisie pénale, indiquant que « le produit de l’infraction est également constitué par le gain tiré de la différence de salaire entre salariés français et roumains établie sur le salaire moyen mensuel français des chauffeurs routiers et le salaire moyen versé aux chauffeurs roumains, et le gain tiré de la durée de travail supérieure du salarié roumain sur le salarié français hors charge ».

La Cour de cassation a, à cette occasion, élargit la notion « d’économie réalisée par la fraude », estimant que celle-ci comprend, outre le montant des cotisations sociales ou des droits éludés, le gain obtenu en rémunérant des salariés à un salaire inférieur au salaire français et en les faisant travailler selon une durée de travail supérieure à la durée légale du travail en France.

Cette décision, qui revient sur l’appréhension du produit de l’infraction de travail dissimulé, s’inscrit dans une construction jurisprudentielle prenant son point de départ en 2016 lorsque l’expression d’ « économie réalisée par la fraude » a été employée par les magistrats de la Cour de cassation pour la première fois[1]. Depuis, la chambre criminelle a régulièrement confirmé cette solution.

In fine, l’extension de la notion de produit de l’infraction de travail dissimulé conduit de manière concomitante à l’élargissement de l’assiette des saisies et confiscations pénales pouvant être autorisées.

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[1] Cass. Crim., 29 juin 2016, n° 15-81.426

La défenseure des droits publie un rapport sur la garantie des droits des usagers de services publics face aux algorithmes et aux systèmes d’IA (intelligence artificielle), et formule des recommandations pour les renforcer.

Le 13 novembre 2024, la défenseure des droits a publié un rapport intitulé « Algorithmes, systèmes d’IA et services publics : quels droits pour les usagers ? » , dans lequel elle analyse la garantie des droits des usagers des services publics face à l’utilisation des algorithmes et des systèmes d’IA.

Dans une perspective d’automatisation, d’amélioration et d’accélération de certaines procédures, de plus en plus de décisions administratives individuelles sont prises par le biais d’algorithmes ou de systèmes d’IA.

C’est dans ce contexte que la défenseure des droits a souhaité attirer l’attention sur deux points nécessitant une particulière vigilance, et formuler des recommandations pour garantir le respect des droits et libertés.

Le premier élément d’importance sur lequel la défenseure des droits attire l’attention, est l’importance de l’effectivité de la participation d’un agent dans le processus pour qu’il ne soit qualifié que de « partiellement automatisé ».

Pour cause, l’intervention humaine dans le processus de décision ne peut pas se contenter d’être symbolique, sans quoi la prise de décision serait intégralement automatisée et ne serait plus soumise aux mêmes règles.

Ainsi il est indispensable que l’intervention de l’agent se caractérise par un acte positif et effectif. L’humain doit avoir un réel impact sur le processus de décision.

Au regard de ces considérations, la Défenseure des droits recommande :

« Dans les cas où la décision administrative individuelle prise sur le fondement du résultat d’un algorithme ou d’un système d’IA est qualifiée de décision partiellement automatisée : d’édicter des critères et des modes opératoires obligatoires, alternativement ou cumulativement, pour qualifier plus précisément « l’intervention humaine ».

Deuxièmement, l’article 47 de la loi « Informatique et Libertés » dispose que l’information des usagers ayant fait l’objet de décisions administratives automatisées constitue une condition de validité de ces décisions, et place donc la transparence comme le second élément indispensable à considérer dans le cadre des prises de décision partiellement automatisées.

Afin que cette disposition consacrant l’information des personnes soit au mieux respectée, la défenseure des droits recommande notamment :

  • De se concentrer sur le respect des réglementations déjà en vigueur qui imposent des principes clairs garantissant la transparence via l’information des personnes (RGPD, CRPA)
  • De consacrer un droit à l’explication des décisions administratives individuelles entièrement ou partiellement automatisées ;
  • De travailler, en parallèle du développement des systèmes automatisés, sur les moyens et les outils adéquats pour expliquer les prises de décision issues de ces systèmes.

Cybermalveillance.gouv publie sa 3ème édition du baromètre sur la maturité cyber des collectivités

À l’occasion du Salon des Maires et des Collectivités locales, le 19 novembre 2024, Cybermalveillance.gouv a présenté la troisième édition de son étude sur la maturité cyber des collectivités territoriales.

Cette étude met notamment en lumière une prise en compte encore insuffisante des risques cyber par les collectivités.

Pour mémoire, et en référence à notre précédente brève sur le sujet, Cybermalveillance.gouv est un groupement d’intérêt public ayant vocation, d’une part, à assister les victimes de cyber malveillance, et, d’autre part, à les informer sur les menaces numériques ainsi que sur les moyens de s’en protéger.

Au sein de sa dernière étude, Cybermalveillance.gouv a dressé les constats qui suivent.

  • Les collectivités, qu’elles soient petites ou grandes, restent des cibles phares pour les cyberattaquants.

Une collectivité sur dix déclare avoir été victime d’une ou plusieurs cyberattaques au cours des douze derniers mois.

L’hameçonnage, ou phishing en anglais, continue de constituer la principale cyberattaque dont sont victimes les collectivités, suivi de près par la consultation d’un site infesté et le téléchargement d’un virus.

L’étude précise alors les conséquences déplorables de ces cyberattaques pour les collectivités, qui peuvent se matérialiser par :

  • Une interruption d’activité et de service ;
  • Une destruction ou un vol de données ;
  • Une perte financière ;
  • Une atteinte à leur réputation.

  • La prise en compte des risques cyber par les collectivités demeure insuffisante.

Certains chiffres révèlent un manque de prise en compte du risque cyber de la part des collectivités.

En effet, 44 % d’entre elles s’estiment être faiblement exposées aux risques cyber (soit 6 % de plus qu’en 2023).

53 % des collectivités considèrent bénéficier d’un bon niveau de protection, malgré un faible taux d’équipement en dispositifs de sécurité.

Cette confiance s’avère pourtant trompeuse, puisque seul 14 % des collectivités se sentent réellement préparées à faire face à une cyberattaque. Parmi elles, près de 80 % ne disposent pas — ou ignorent si elles disposent — d’une procédure de réaction en cas de violation de données.

Selon Laurent Verdier, Directeur de la sensibilisation de Cybermalveillance.gouv, cette situation résulte d’une subjectivisation des risques et d’une mauvaise interprétation du risque cyber.

Il insiste sur l’urgence de sensibiliser davantage les élus et les agents à une menace réelle et croissante.

  • Le manque de budget, de compétences et d’accompagnement constituent les principaux freins à la maîtrise du risque cyber.

L’étude de Cybermalveillance.gouv met en lumière les principaux obstacles rencontrés par les collectivités dans la gestion du risque cyber, à savoir un manque de connaissances (47 %), de compétences (36 %) et de budget (36 %).

Il est tout d’abord mis en exergue le manque d’accompagnement et de sensibilisation, empêchant une préparation sérieuse au risque cyber.

70 % des collectivités interrogées considèrent ne pas être en mesure d’évaluer si les solutions de cybersécurité proposées aujourd’hui sont adaptées à leurs besoins.

Les collectivités appellent alors à une meilleure formation des élus et de leurs agents.

En outre, Cybermalveillance.gouv révèle le faible budget alloué à l’informatique et à la sécurité des systèmes en 2024.

A ce titre, en 2024, 73 % des petites et moyennes collectivités disposaient d’un budget informatique annuel de moins de 5 000 euros, et 66 % n’envisagent pourtant pas d’évolution à la hausse pour l’année à venir, et ce, même pour les collectivités qui considèrent être fortement exposées aux risques.

Concernant les budgets spécifiquement dédiés à la cybersécurité, seules 10 % des collectivités prévoient une augmentation en 2024.

En conclusion, la troisième édition du baromètre de Cybermalveillance.gouv souligne des lacunes préoccupantes face à une menace cyber en constante progression. L’augmentation des budgets, ainsi qu’un effort accru de sensibilisation et de formation des élus et agents, s’imposent comme des axes prioritaires pour renforcer la protection des collectivités.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) clarifie le cadre juridique de l’indemnisation des préjudices résultant de la violation de données personnelles

Dans un arrêt rendu le 14 décembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) répond à plusieurs questions préjudicielles posées par la Cour administrative suprême de Bulgarie, et apporte ainsi des précisions sur le régime d’indemnisation applicable en cas de violation de données.

Plus précisément, la CJUE clarifie, d’une part, l’étendue de l’obligation de sécurité qui incombe au responsable du traitement, et, d’autre part, la manière dont doit être appréciée la notion de « dommage moral » pouvant résulter d’une violation de données.

Les questions qui ont été portées à la CJUE sont les suivantes.

  • Les articles 24 et 32 du RGPD permettent-ils de considérer qu’une divulgation non autorisée de données personnelles ou un accès non autorisé à de telles données par des tiers suffit à pouvoir considérer que les mesures de sécurité déployées par le responsable de traitement n’étaient pas appropriées ?

A titre liminaire, notons que les articles 24 et 32 du RGPD imposent au responsable du traitement de mettre en œuvre les mesures techniques et organisationnelles appropriées pour s’assurer, et être en mesure de démontrer, que le traitement est effectué conformément au RGPD.

La CJUE répond par la négative à cette première question, en considérant que ces dispositions se bornent à imposer au responsable du traitement d’adopter les mesures de sécurité destinées à éviter, dans la mesure du possible, toute violation de données à caractère personnel.

Ces dispositions du RGPD laissent en outre la possibilité au responsable de traitement de démontrer qu’il a mis en œuvre de telles mesures.

La Cour rappelle que le caractère approprié de ces mesures doit être apprécié de manière concrète.

Partant, les articles 24 et 32 du RGPD ne sauraient être compris en ce sens qu’une divulgation non autorisée de données à caractère personnel ou un accès non autorisé à de telles données par un tiers suffisent pour conclure que les mesures adoptées par le responsable du traitement concerné n’étaient pas appropriées.

 

  • Le caractère approprié des mesures techniques et organisationnelles mises en œuvre par le responsable de traitement doit-il être apprécié par les juridictions nationales de manière concrète, notamment en tenant compte des risques liés au traitement concerné ?

La CJUE répond par la positive, en précisant que la juridiction nationale doit se livrer à un examen de ces mesures sur le fond, au regard des circonstances propres au cas d’espèce et des risques liés au traitement concerné.

Elle précise qu’un tel examen nécessite de « procéder à une analyse concrète à la fois de la nature et de la teneur des mesures qui ont été mises en œuvre par le responsable du traitement, de la manière dont ces mesures ont été appliquées et de leurs effets pratiques sur le niveau de sécurité que celui-ci était tenu de garantir, eu égard aux risques inhérents à ce traitement. »

 

  • Dans le cadre d’une action en réparation fondée sur l’article 82 du RGPD, le responsable de traitement doit-il rapporter la preuve du caractère approprié des mesures de sécurité qu’il a mis en œuvre ?

Notons que l’article 82 du RGPD permet à toute personne ayant subi un dommage matériel ou moral du fait d’une violation du RGPD d’obtenir du responsable de traitement, ou du sous-traitant, la réparation du préjudice subi.

Pour répondre à la question qui lui est posée, la CJUE rappelle le principe de responsabilité posé par l’article 5 du RPGD, en vertu duquel le responsable de traitement est responsable du respect des principes liés au traitement des données personnelles qu’il met en œuvre. Ce même article prévoit que ledit responsable de traitement doit être en mesure de démontrer que ces principes sont respectés.

La CJUE répond à cette troisième question par la positive et affirme que le responsable de traitement doit prouver le caractère approprié des mesures de sécurité qu’il a mises en œuvre au titre de l’article 32 dudit règlement.

Elle précise à ce titre qu’une expertise judiciaire ne saurait constituer un moyen de preuve systématiquement nécessaire et suffisant.

  • Le responsable de traitement peut-il être exonéré de son obligation de réparer le dommage subi par une personne au titre de l’article 82 du RGPD du seul fait que ce dommage résulte d’une divulgation non autorisée de données personnelles ou d’un accès non autorisé à de telles données par des tiers ?

La CJUE répond par la négative, en rappelant qu’il revient au responsable de traitement de démontrer que le fait qui a provoqué le dommage concerné ne lui est nullement imputable.

  • La crainte d’un potentiel usage abusif de ses données personnelles par des tiers qu’une personne concernée éprouve à la suite d’une violation de données peut-elle constituer un dommage moral ?

La CJUE répond par la positive, en se fondant notamment sur le considérant 146 du RGPD qui prévoit que la notion de « dommage moral » doit être interprété au sens large.

Elle précise toutefois que la juridiction nationale saisie doit vérifier que cette crainte peut être considérée comme étant fondée, dans les circonstances spécifiques en cause et au regard de la personne concernée.

Cet arrêt offre ainsi des clarifications essentielles, permettant d’éclaircir certains principes posés par le RGPD, tout en soulignant l’importance d’une approche concrète et contextualisée en matière de protection des données.

Droit au silence et licenciement pour insuffisance professionnelle

Par une décision en date du 22 novembre 2024, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a précisé que le licenciement pour insuffisance professionnelle ne revêtait pas le caractère d’une sanction, et que même si une telle décision avait été prise à l’issue d’une procédure de forme disciplinaire, l’agent n’avait pas à être informé de son droit de garder le silence.

En l’espèce, le maire d’une commune a, par arrêté, licencié un brigadier-chef principal pour insuffisance professionnelle.

Dans sa requête en annulation, l’agent invoquait un vice de procédure tiré du fait de ne pas avoir été informé de son droit de garder le silence au cours de la procédure disciplinaire à l’issue de laquelle son licenciement pour insuffisance professionnelle avait été décidé.

Toutefois, le tribunal juge qu’un tel moyen est inopérant, en estimant que « M. B fait valoir qu’il n’a pas été informé de son droit de garder le silence au cours de la procédure disciplinaire à l’issue de laquelle a été décidé son licenciement pour insuffisance professionnelle. Toutefois, le licenciement pour insuffisance professionnelle ne revêt pas le caractère d’une sanction. Dès lors et quand bien même cette décision doit être prononcée après observation de la procédure disciplinaire, M. B n’avait pas à être informé de son droit à se taire au cours de la procédure à l’issue de laquelle le maire de la commune l’a licencié pour insuffisance professionnelle. Par suite, le vice de procédure tiré du défaut d’information tenant au droit de se taire est inopérant et ne peut, pour ce motif, qu’être écarté. »

Par cette décision, le tribunal refuse d’appliquer l’obligation d’information du droit de se taire à la procédure préalable aux licenciements pour insuffisance professionnelle et opère ainsi une distinction entre la procédure à suivre pour licencier un agent pour insuffisance professionnelle et celle pour le sanctionner, alors même que l’article L. 553-2 du Code général de la fonction publique indique que « le licenciement d’un fonctionnaire pour insuffisance professionnelle est prononcé après observation de la procédure prévue en matière disciplinaire ».

En effet, si l’autorité administrative est tenue de suivre la procédure disciplinaire pour licencier un agent pour insuffisance professionnelle, le licenciement pour ce motif ne peut être fondé que sur des éléments révélant l’inaptitude de l’agent à exercer normalement les fonctions pour lesquels il a été engagé[1], et même si le juge administratif a admis que certains des faits susceptibles de de démontrer une telle insuffisance pouvaient également recevoir une qualification disciplinaire, sans pour autant remettre en cause l’insuffisance professionnelle de l’agent[2], un tel licenciement ne vise pas à sanctionner le comportement répréhensible d’un agent ayant manqué à ses obligations professionnelles.

La notification de l’obligation de se taire dans la procédure disciplinaire des fonctionnaires étant fondée sur le respect de la présomption d’innocence prévue à l’article 9 de la Déclaration des droits et de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et au caractère punitif de la mesure pouvant être prononcée à l’issue de la procédure disciplinaire[3], son respect n’est donc pas requis dans le cadre d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, dénué de tout caractère répressif.

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[1] CE, 9 juin 2020, n° 425620.

[2] CAA de VERSAILLES, 26 janvier 2016, 14VE00916.

[3] Décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024

Le courrier d’avocat n’est pas une décision administrative : nouvelle illustration

Par un jugement en date du 20 juin 2024, le Tribunal administratif de Versailles a rappelé qu’un courrier d’avocat ne constitue pas une décision administrative.

Dans cette affaire, une vacataire, Mme A, a sollicité auprès de son administration la requalification de sa situation de vacataire en agent non titulaire, et la régularisation subséquente de sa situation, en particulier la reconstitution de ses droits et l’indemnisation des préjudices subis.

Par un courrier en réponse, le conseil de son employeur l’informait du rejet de ses demandes.

C’est dans ces conditions que l’intéressée s’est tournée vers le Tribunal administratif de Versailles afin d’obtenir l’annulation de cette décision.

Saisi de cette affaire, le tribunal a énoncé, reprenant le considérant de principe en la matière (voir CE, 9 mai 2012, n° 355665, publié au Recueil sous le code A) que si les dispositions applicables (à savoir l’article R. 421-1 du Code de justice administrative et les articles 4 et 6 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) « autorisent les personnes publiques à se faire représenter par des avocats dans leurs relations avec les autres personnes publiques ou avec les personnes privées, aucune décision administrative ne saurait toutefois résulter des seules correspondances de ces derniers, en l’absence de transmission, à l’appui de ces correspondances, de la décision prise par la personne publique qu’ils représentent ».

Il a relevé qu’en l’espèce, le courrier en litige portant rejet des demandes de l’intéressée n’était accompagné d’aucune décision prise par l’administration, et a considéré par conséquent que les conclusions dirigées contre ce courrier étaient irrecevables.

Précisons que cette solution ne prive pas l’agent de tout recours, celui-ci pouvant en l’absence de décision expresse de l’administration, former un recours contre la décision implicite de rejet. Il reste néanmoins toujours préférable, pour l’administration qui entend rejeter une demande formulée par l’un de ses agents d’édicter en son nom la décision de rejet, qu’elle pourra ensuite notifier directement à l’agent ou par l’intermédiaire de son conseil si tel est son souhait.

N’est pas imputable au service le syndrome anxio-dépressif d’un agent responsable des relations difficiles dont il se plaint

Par un arrêt du 16 octobre 2024, la cour administrative de Douai a recherché si le comportement d’une agente a été de nature à rompre le lien entre sa pathologie et le service.

En l’espèce, la cour était saisie d’une demande de réformation du jugement rendu par le Tribunal administratif de Lille. Celui-ci avait refusé d’annuler la décision du maire d’une commune de ne pas reconnaître imputable au service le syndrome anxio-dépressif d’une agente et par conséquent de ne pas lui octroyer un congé pour invalidité temporaire imputable au service.

On le rappelle, le syndrome anxio-dépressif n’est pas inscrit au tableau des maladies professionnelles. Cela implique que, pour être reconnu imputable au service, il doit, d’une part, être « essentiellement et directement causé par l’exercice des fonctions » et, d’autre part, être susceptible d’entraîner une incapacité permanente de 25 %[1].

Aussi, pour être reconnue imputable au service, la pathologie doit avoir un lien direct avec le service mais il n’est pas nécessaire que ce lien soit exclusif[2], ni certain ou déterminant[3].

La Cour relève ici que la pathologie de l’agente est survenue dans un climat professionnel conflictuel dont elle était à l’origine, du fait de son comportement. Elle estime ainsi que le syndrome anxio-dépressif dont elle souffre résulte de son fait personnel ce qui a pour effet de détacher la survenance de cette maladie du service, le lien ne saurait alors être direct et ce quand bien même l’ambiance dégradée du service est à l’origine de sa pathologie.

La Cour fait ainsi application de la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle il appartient au juge de déterminer « si une faute ou un fait de l’agent a contribué à sa maladie et, si c’est le cas, d’examiner s’il est exorbitant du service. » pour déterminer le caractère direct du lien entre la pathologie et le service[4].

Dans ces conditions, en l’absence d’imputabilité au service de la pathologie dont elle souffre, l’agente ne peut bénéficier du congé pour invalidité temporaire imputable au service et son arrêt de travail devra nécessairement prendre la forme d’un congé de maladie ordinaire, de longue maladie ou de longue durée[5].

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[1] Article L. 822-20 du Code général de la fonction publique et R. 461-8 du code de la sécurité sociale ;

[2] CE, 23 septembre 2013, n° 353093, aux tables ;

[3] CE, 8 mars 2023, n° 451972

[4] Ccls Laurent Cytermann sous CE, 13 mars 2019, n°s 407199 407795, au rec ;

[5] Articles L. 822-1, L. 822-6 et L. 822-12 du CGFP.

Promulgation de la loi « Airbnb » : point sur les aspects urbanisme

Outre des questions de copropriété, des sujets fiscaux, la loi dite « Airbnb » promulguée le 20 novembre dernier, prévoit divers dispositifs qui touchent au Code de l’urbanisme ou encore au Code de la construction et de l’habitation.

  • La délimitation de zone réservées aux résidences principales: l’article 5 de la loi institue une sorte de servitude de résidence principale dans les zones urbaines ou à urbaniser que peut instaurer le document local d’urbanisme quand :
  • Dans le périmètre du règlement, la taxe annuelle sur les logements vacants mentionnée à l’article 232 du Code général des impôts est applicable ;
  • Les résidences secondaires représentent plus de 20 % du nombre total d’immeubles à usage d’habitation.

L’instauration d’une telle servitude peut être engagée sous la forme d’une procédure de modification simplifiée du PLU prévue aux articles L. 153-45 à L. 153-48 du Code de l’urbanisme.

Toute promesse de vente devra faire mention de cette servitude, et ce mécanisme et assortis de sanctions financières, et d’un mécanisme de résiliation de plein droit du bail.

  • La généralisation de la déclaration préalable pour la location d’un meublé de tourisme: l’article 1er de la loi du 19 novembre 2024 prévoit que toute mise en location d’un meublé de tourisme, qu’il porte sur une résidence secondaire ou bien principale, doit faire l’objet d’une déclaration avec enregistrement auprès d’un téléservice national (qui sera mis en place au plus tard le 1er janvier 2026). Un décret devra préciser les pièces nécessaires à cette déclaration.
  • La possibilité d’abaisser de 120 à 90 jours le nombre de jours de location : l’article 4 prévoit la faculté pour les communes de décider d’abaisser, par délibération, de 120 à 90 jours par an le nombre maximum de jours de mise en location d’une résidence principale en qualité de meublé de tourisme.
  • Généralisation du DPE obligatoire: même pour les meublés de tourisme, ces derniers devront, à compter du 1er janvier 2034 respecter les niveaux de performance énergétique d’un logement décent (article 3).
  • Une adaptation du régime du changement d’usage: le périmètre territorial du changement d’usage est étendu, la charge de la preuve de l’usage d’habitation d’un local est modifiée pour répondre aux difficultés des communes pour établir cet usage. Les communes pourront aussi délimiter des zones dans lesquelles elles instaureront un nombre maximal d’autorisations temporaires dont la durée ne pourra pas excéder cinq ans. Dans ces zones, toute autorisation de changement d’usage permanent d’habitation à meublé de tourisme devra être compensé.

Un acte trois du zéro artificialisation nette (ZAN) ?

C’est ce qu’envisagent les sénateurs qui ont déposé une proposition de loi sénatoriale, l’exposé des motifs jugeant que « Le ZAN est devenu un sigle désespérant pour de nombreux élus locaux, synonyme de trajectoires de sobriété foncière imposées aux collectivités sans tenir compte des spécificités et des dynamiques territoriales ».

  • Un report des délais de traduction dans les documents locaux: Tout d’abord, la proposition de loi opère un nouveau report de traduction de la baisse des possibilités d’artificialisation dans les documents locaux. Si la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 avait déjà reporté ces dates au mois de février 2027 pour les SCOT, et au mois de février 2028 pour les PLU, la proposition de loi suggère de les reporter à 2031 pour les SCOT, et à 2036 pour les PLUi et cartes communales.

Par ailleurs, les documents régionaux pourraient être de nouveau modifiés pour tenir compte de la faculté donnée par le projet de loi à ces documents de fixer des objectifs propres d’artificialisation, tel qu’exposé ci-après.

  • Une suppression de l’objectif législatif de réduction de la consommation d’ENAF: L’un des points marquant de cette proposition de loi est celui de l’article 2, abrogeant l’objectif intermédiaire de réduction de moitié de l’artificialisation à l’échelle nationale sur la décennie 2021 – 2031 par rapport à la décennie précédente. En réalité, des objectifs limites de consommation pourraient être fixés par les documents locaux régionaux, tels que le SRADDET, le SAR, le SDRIF-E, etc., sans se fier donc à un objectif national prédéfinit (50 %) de sobriété foncière.

Cet article fait référence au rapport du Sénat sur le ZAN remis en octobre 2024, selon lequel « déterminer une enveloppe globale d’artificialisation pour l’avenir, uniquement par référence aux dynamiques passées, ne permet pas de répondre aux besoins ».

  • Exclusion et non-mutualisation des projets d’envergure nationale et européenne (PENE): le projet de loi acte de l’exclusion de la non-mutualisation de ces PENE fixés par la loi des enveloppes régionales de la consommation d’ENAF. La première liste des PENE publiée en juin 2024 représente un peu moins de 12.000 hectares.
  • Un nouveau nom, une nouvelle composition et de nouvelles compétences pour la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l’artificialisation des sols: ce nouveau nom serait « conférence régionale de gouvernance de la sobriété foncière ». La présence des communes et EPCI compétents en matière d’élaboration des documents d’urbanisme, et disposant d’un tel document ou ayant engagé l’élaboration d’un tel document notamment, serait renforcée au sein de cette conférences.

Outre ses compétences actuelles de participation à la désignation des PENE, de suivi de la consommation à l’échelle régionale et de proposition de mesures relative à la lutte contre la consommation des ENAF, la conférence régionale participerait à la répartition de l’enveloppe de consommation d’ENAF entre les différentes collectivités.

Nous suivrons attentivement l’évolution de ce projet dans son traditionnel travail de navette parlementaire.

Expropriation et date d’appréciation de la charge et du coût des mesures de dépollution d’un terrain

Par un arrêt en date du 7 novembre 2024, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation rappelle les règles applicables en matière de moins-value pour dépollution d’un terrain exproprié.

Au cas présent, le bien litigieux concernait une parcelle se trouvant en zone 3NA du plan d’occupation des sols (POS) de la commune, correspondant à une réserve foncière destinée à moyen terme à l’accueil de l’habitat en cas notamment de création d’une zone d’aménagement concerté.

Selon les expropriés, qui contestaient l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse, la juridiction de l’expropriation, chargée de fixer les indemnités d’expropriation, devait vérifier si la présence de pollution dont elle avait constaté l’existence n’était pas incompatible avec l’urbanisation future qu’impliquait un tel classement et si cette pollution ne rendait pas impossible la construction de logements.

La Cour de cassation les déboute et énonce que le bien est estimé au jour du transfert de propriété, selon son usage effectif à la date de référence, sous réserve de sa conformité avec les documents d’urbanisme en vigueur, de telle sorte que la charge et le coût des mesures de dépollution à entreprendre ne sont pas appréciés au regard de l’usage futur du bien résultant du projet de l’expropriant mais de celui qu’en faisait l’exproprié à la date de référence.

Constatant qu’à la date de référence, le bien litigieux est une parcelle à usage de friche, conforme à la définition de la zone 3NA du POS de la commune, zone naturelle inconstructible, elle pose que c’est, sans être tenue à des recherches non demandées ou à des constatations rendues inopérantes, que la Cour d’appel de Toulouse en a déduit que la demande des expropriés de déduire l’indemnité d’expropriation d’une moins-value pour dépollution ne pouvait être accueillie.

Caractère exécutoire d’une délibération instituant le droit de préemption urbain dès sa publication ou son affichage et sa transmission au préfet

Par une décision en date du 18 novembre 2024, le Conseil d’Etat considère que le caractère exécutoire d’une délibération instituant le droit de préemption urbain résulte désormais du seul respect des formalités de publicité prévues par l’article L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales.

Par une délibération du 19 janvier 2017, le conseil communautaire de la communauté de communes Cœur Haute Lande a institué le droit de préemption urbain sur le territoire de la commune de Garein. Puis, par un arrêté du 29 janvier 2020, le président de la communauté de communes a exercé ce droit de préemption urbain sur une parcelle située sur le territoire de la commune.

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir par l’acquéreur évincé, le Tribunal administratif de Pau a annulé cet arrêté. Par un arrêt du 4 juillet 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel formé par la communauté de communes au motif qu’en l’absence de caractère exécutoire de la délibération instituant le droit de préemption urbain, l’arrêté du 29 janvier 2020 était dépourvu de base légale.

La communauté de communes s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

Afin de déterminer le caractère exécutoire ou non de la délibération, le Conseil d’Etat s’est fondé uniquement sur les dispositions de l’article L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales qui prévoient qu’un acte, autre qu’individuel, est exécutoire lorsqu’il a été procédé à sa publication ou son affichage et à sa transmission au préfet.

Le Conseil d’Etat opère ainsi un revirement de jurisprudence puisqu’il considérait jusqu’ici que les formalités de l’article R. 211-2 du Code de l’urbanisme, à savoir l’affichage de la délibération en mairie pendant un mois et l’insertion d’une mention dans deux journaux diffusés dans le département, étaient nécessaires à l’entrée en vigueur des actes instituant le droit de préemption urbain (voir not. CE, 19 juin 2017, n° 407826 et CE, 8 décembre 2022, n° 466081).

Cette solution résultait d’une lecture stricte du second alinéa de l’article R. 211-2 du Code de l’urbanisme qui prévoit que les effets juridiques attachés à la délibération instituant le droit de préemption urbain ont pour point de départ l’exécution de l’ensemble des formalités de publicité prévues par ledit article.

C’est dans cette ligne jurisprudentielle que s’était inscrite la Cour administrative d’appel de Bordeaux pour en déduire que la délibération instituant le droit de préemption urbain n’était pas devenue exécutoire en l’absence de respect de l’obligation d’information par voie de presse.

Au regard de sa nouvelle position jurisprudentielle, le Conseil d’Etat annule donc l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux pour erreur de droit et lui renvoie l’affaire. Il pose que le respect de la durée d’affichage et celui de l’obligation d’information par voie de presse prévue par l’article R. 211-2 du Code de l’urbanisme sont sans incidence sur la détermination de la date à laquelle la délibération devient exécutoire.

La solution apportée par le Conseil d’Etat est alignée avec celle qu’il a adoptée à l’égard de l’entrée en vigueur de la délibération approuvant, révisant, abrogeant ou modifiant un plan local d’urbanisme lorsque la commune est couverte par un schéma de cohérence territoriale. En effet, celle-ci est exécutoire à compter de la date la plus tardive entre la date de publication et la date de transmission au représentant de l’Etat alors même que cette délibération doit, par ailleurs, faire l’objet d’un affichage pendant un mois et d’une mention apparente dans un journal diffusé dans le département et que ces dernières diligences sont sans incidence sur le caractère exécutoire de ladite délibération (voir not. CE, 02 avril 2021, n° 427736).