Numérique et télécom
le 16/10/2025
Audrey LEFEVRE
Lucile MARTIN
Gabrielle LAMBERT
Mathis DUQUESNAY

Focus en droit du numérique et des nouvelles technologies : Bilan annuel des dernières actualités et décisions

Le dernier trimestre de l’année 2025 déjà entamé, il est temps de dresser notre panorama annuel des décisions et actualités en droit du numérique et des nouvelles technologies. L’actualité juridique de l’année écoulée en matière de contrats et marchés informatiques, de logiciels (protection, valorisation), de plateformes numériques et d’intelligence artificielle a été particulièrement dense et structurante. Cette actualité ne concerne pas uniquement les acteurs privés : elle impacte également, et de manière croissante, les acteurs publics ainsi que ceux de l’économie sociale et solidaire (ESS), à tous les niveaux. Entre renforcement des exigences contractuelles, encadrement des usages et obligations en matière de responsabilité et de transparence, elle est l’occasion de rappeler qu’une vigilance accrue et une adaptation constante des pratiques est nécessaire pour sécuriser les projets numériques tout en favorisant l’innovation. Ce nouveau focus s’inscrit dans la lignée de nos focus des années précédentes : LAJ d’octobre 2024 (numéro #161)  LAJ de septembre 2023 (numéro #149) LAJ septembre 2022 (numéro #136), LAJ de septembre 2021 (numéro #124), LAJ de septembre 2020 (numéro #112) et LAJ d’octobre 2019 (numéro #101).

 

1. Actualités en droit des contrats et marchés informatiques

Résiliation pour faute de la commune cliente a défaut d’une gravite jugée suffisante

CAA Paris, 19 mars 2025, n° 19PA02468

Une commune a passé un marché pour commander du matériel auprès d’un prestataire informatique puis pour assurer la maintenance tant du matériel que des systèmes d’informations déployés. Avançant de nombreux manquements, la commune a résilié unilatéralement le contrat pour faute. Les juges administratifs d’appel, après avoir ordonné une expertise informatique visant à apprécier la conformité des prestations réalisées, ont confirmé le jugement de première instance qui avait condamné la commune.

Plus particulièrement, la Cour administrative d’appel relève, afin de justifier sa décision, que le matériel a bien été livré et les systèmes d’exploitation des serveurs mis à jour, des antivirus ont été mis en place et des sauvegardes réalisées suffisamment régulièrement, qu’aucune faille n’a été constatée en ce qui concerne la confidentialité des données, ou encore que le système proposé été adapté aux besoins de la commune tels que décrits dans le marché.

Point intéressant en ce qui concerne la documentation devant accompagner les livrables : la commune opposait le fait que la remise du matériel aurait dû être accompagnée d’une documentation permettant d’identifier les propriétés. La Cour administrative d’appel pour sa part relève, sans examiner si une telle absence été avérée, que « une telle absence ne saurait engager la responsabilité contractuelle du prestataire ».

A l’inverse : résiliation pour faute du prestataire informatique pour manquement à son obligation de délivrance conforme

CA Versailles, 5 mars 2025, n° 22/06503

Dans le cadre d’un contrat de services informatiques comprenant la refonte d’un site internet, la société cliente rapporte de nombreux dysfonctionnements qu’elle impute à son prestataire. Après un débat sur l’applicabilité de la garantie contractuelle de 3 ans ayant abouti à un désaccord entre les parties, le client souhaitait récupérer les codes sources du site internet. Il a réalisé un rapport d’audit relevant les manquements qu’il attribuait à son prestataire et l’a assigné pour résolution du contrat et remboursement des sommes versées.

Après une condamnation en première instance du prestataire, ce dernier a fait appel estimant n’avoir commis aucune faute, arguant avoir fourni une prestation conforme au cahier des charges de son client.

Dans ce contexte, la Cour d’appel de Versailles, au visa des articles 1217 et 1218 du Code civil, retient que la non-conformité du site internet développé et les anomalies jugées bloquantes pour le commerce de la société cliente (démontrées par l’analyse des codes sources et par une note technique réalisée dans le cadre d’une expertise amiable) caractérisent le manquement fautif à l’obligation de délivrance conforme du prestataire.

Point intéressant : la Cour relève que la signature par le client d’un procès-verbal de réception du site internet n’est pas suffisant pour prouver l’absence des défaillances et donc exonérer la responsabilité de l’éditeur.

Indemnisation du préjudice de désorganisation d’un client de prestataire informatique malgré l’absence de faute grave

CA Paris, 31 janv. 2025, n° 22/13233

Un contrat de licence sur un logiciel RH a été signé entre son éditeur et un client qui, se plaignant de nombreux dysfonctionnements, a engagé une action en résolution du contrat et sollicité le remboursement des sommes versées. L’éditeur a contesté cette résolution et la demande d’indemnisation au motif du défaut d’expression des besoins reproché à son client, moyen de défense souvent avancé dans ce type de contentieux.

Si la Cour relève que, bien qu’ayant remédié à certains dysfonctionnements, cela a été souvent opéré avec retard, et que l’éditeur n’a pas su s’adapter aux besoins du client, ni faire évoluer la solution en conséquence, elle confirme le jugement de première instance qui a retenu que les manquements de l’éditeur n’étaient pas suffisamment graves pour justifier de la résolution du contrat et du remboursement des sommes versées.

Malgré cela, la Cour reconnait que la société cliente n’a pas gagné le temps espéré avec l’utilisation du logiciel et relève plus précisément que « Si la prise en main d’un nouveau logiciel dans une entreprise nécessite un temps certain, celui consacré à la résolution des problèmes a excédé une durée raisonnable et perturbé l’organisation de l’entreprise » et condamne l’éditeur en réparation du préjudice subi à ce titre.

Ainsi, l’obtention d’une indemnisation pour préjudice de désorganisation de l’entreprise n’implique pas nécessairement l’existence d’une faute qualifiée de “grave”.

Il est ici intéressant de relever que la Cour opère une compensation des créances car le client devait payer des factures dues.

Indemnisation du préjudice salarial

CA Lyon, 26 septembre 2024, n° 23/02861

Une société ayant conclu un contrat avec un éditeur avait mis fin aux relations contractuelles pour cause de défaillances de l’éditeur.

Jugé responsable, la Cour d’appel a dû se prononcer uniquement sur la détermination du préjudice.

La solution est intéressante en ce qu’elle précise notamment la méthode retenue pour le calcul du préjudice salarial. Elle précise tout d’abord que la période à prendre en compte ne peut qu’être celle durant laquelle la qualité des prestations de l’éditeur peut être reprochée, les dépenses salariales étant considérées comme une simple conséquence du devoir de coopération du client.

Les juges recherchent un lien direct entre le préjudice subi et les défaillances de l’éditeur.

En ce sens, et plus classiquement, les dépenses liées à un employé recruté en contrat à durée déterminée et dont les missions sont directement rattachables à la mise en œuvre du logiciel peuvent être indemnisées.

CA Lyon, 21 novembre 2024, n° 21/00925

Dans le même sens : CA Lyon, 30 janvier 2025, n° 21/00620

A l’inverse de l’arrêt précédent, la Cour d’appel de Lyon a jugé, à deux reprises, que le préjudice salarial subi par le client d’un éditeur défaillant ne pouvait pas être indemnisé si celui-ci ne parvenait pas à démontrer que l’embauche de personnel supplémentaire était liée à la réalisation du projet informatique, ou que l’intervention du personnel relevait d’une sollicitation anormale, n’entrant pas dans les fonctions habituellement exercées.

2. Actualités en droit des logiciels

Application de l’exception de reproduction du logiciel dans le cadre d’une utilisation via une interface tierce

Cass. Civ., 1ère, 14 mai 2025, n° 23-20.217

La société Optima concept a conçu et vendu, par l’intermédiaire de sociétés telles que la société Kuhn Blanchard, des matériaux électroniques à destination d’engins agricoles, sous forme de boîtiers reliés entre eux par un câblage de type CAN « controler area network », constitutif d’un protocole de communication électronique permettant de limiter les raccordements filaires et pouvant servir, notamment, à la commande d’un système de pulvérisation (« logiciel 1 »).

La société 2GA a développé des logiciels liés à l’utilisation d’un système GPS par un engin agricole permettant l’automatisation de certaines tâches comme l’épandage et, avec la société Innov GPS ont commercialisé des interfaces permettant de relier des systèmes de guidage (« logiciel 2 ») au logiciel 1. La société Optima a alors assigné les sociétés Innov GPS et 2GA et leur dirigeant en contrefaçon de logiciel et atteinte à un système automatisé de traitement de données.

Sur la contrefaçon, la Cour de cassation rappelle l’exception de l’article L. 122-6-1 1° du Code de la propriété intellectuelle aux termes duquel il est prévu que les reproductions provisoires d’un logiciel en tout ou partie par tout moyen ou sous toute forme ne sont pas soumises à l’autorisation de l’auteur lorsqu’elles sont nécessaires pour permettre l’utilisation du logiciel conformément à sa destination par la personne ayant le droit de l’utiliser.

Partant, les actes de contrefaçon ont été rejetés, la Cour de cassation retenant que les actes de reproduction étaient inhérents au fonctionnement des pulvérisateurs contenant le premier logiciel.

Par ailleurs, la Cour se prononce également sur l’atteinte au système automatisé de traitement de données. Elle confirme qu’une condamnation peut intervenir sur le fondement des articles 323-1 et 323-3 du Code pénal en cas d’introduction frauduleuse de données dans un système tiers, sauf si la personne qui introduit ces données bénéficie du droit d’accès et de modification des données. La Cour retient que cette exception s’applique en l’espèce et que la société titulaire du second logiciel, relié par l’interface, était autorisé à introduire des données dans le premier logiciel car elle disposait d’un droit d’accès et de modification des données.

Compétences concurrentes du Tribunal judiciaire et du Tribunal de commerce en matière de cession de droits de propriété intellectuelle

CA Paris, 23 mai 2025, n° 24/11160

Deux sociétés concluent un contrat de cession de droits de propriété intellectuelle sur un dispositif de désinfection dénommé « Kubbick ». Plus exactement la cession porte sur la marque, sur la propriété du matériel en stock, ainsi que sur “l’intégralité des droits d’auteur sur tous les biens cédés, dès lors qu’ils existent, et notamment sur les dessins, formes, visuels, contenus rédactionnels, code et/ou firmeware intégrés aux dispositifs, à titre exclusif et sans réserve”.

Le cessionnaire refuse de payer le solde du prix avançant un manquement de la société cédante à son obligation de conformité et son refus de transmettre les codes du logiciel.

Le cédant agit en justice pour obtenir le paiement du prix et se voit opposer ces arguments par le cessionnaire pour justifier son refus de s’acquitter de ce prix.

Un débat est né sur la nature du tribunal compétent. D’un côté, le cédant estimait que le tribunal compétent était le tribunal de commerce, de l’autre, le cessionnaire avançait la compétence du juge judiciaire.

Si la Cour d’appel rappelle que le juge judiciaire dispose d’une compétence exclusive pour les demandes relatives à la propriété intellectuelle, cette compétence est justifiée, en cas d’action fondée sur la responsabilité contractuelle de droit commun, que s’il est nécessaire de statuer sur des questions impliquant des règles spécifiques du droit de la propriété intellectuelle.

La Cour rappelle qu’en l’espèce, le litige porte sur l’interprétation d’une clause contractuelle et sur la délimitation des obligations notamment en matière de fourniture de codes sources, ce qui relève du droit commun des contrats. Elle relève en outre qu’aucune règle en matière de droit d’auteur n’est invoquée par les parties ni nécessaire à la solution.

Ainsi, le litige ne relève pas de la compétence exclusive du tribunal judiciaire mais du tribunal de commerce, s’agissant d’un litige sur des contestations d’engagement entre commerçants.

Le logiciel open source est protégeable au titre des droits d’auteur

CA Bordeaux, 27 janv. 2025, n° 20/03220

La société Aliasource, spécialisée dans le logiciel libre et l’intégration de logiciel, a développé un logiciel de messagerie collective (logiciel OBM) intégrant deux modules de logiciels libres (OBM-SYNC et O-PUSH).

Cette société a été absorbée par la société Linagora, spécialisée dans l’édition de logiciel.

Les droits sur le logiciel OBM de la société absorbée ont été transmis à la société absorbante, qui a également embauché certains salariés de la société absorbée. Les dirigeants de la société absorbée sont devenus actionnaires de la société absorbante.

Certains de ces dirigeants et salariés ont finalement quitté la société absorbante afin de créer une nouvelle société et d’exploiter un logiciel libre de messagerie collaborative similaire, composé de deux modules (BM CORE et EAS).

La société Linagora a assigné en justice cette nouvelle société pour contrefaçon des modules OBM-SYNC et O-PUSH, concurrence déloyale, débauchage de salariés et détournement de clientèle.

Concernant le module O-PUSH, la problématique a porté sur la titularité des droits d’auteur puisque l’un des anciens salariés de la société Linagora, désormais salarié de la nouvelle société, a contesté le jugement de première instance en ce qu’il avait retenu que la société Linagora était titulaire des droits sur ce logiciel sur le fondement de l’article L. 113-9 du Code de la propriété intellectuelle qui institue une dévolution de plein droit au profit de l’employeur, et soutenu qu’il avait créé ce module, alors qu’il était salarié de Linagora, à titre strictement personnel et en dehors de son contrat de travail.

La Cour a suivi ce raisonnement et reconnu qu’il était en effet seul titulaire de l’ensemble des droits d’auteur, puisque “la société Linagora a, en connaissance de cause, laissé son salarié placer le logiciel en litige sous sa forge personnelle et le divulguer alors en accès libre sous son nom”. Aucune dévolution de plein droit des droits patrimoniaux à l’employeur ne pouvait donc intervenir,

S’agissant du module OBM-SYNC, et contrairement aux juges de première instance, la Cour d’appel retient l’originalité de ce module “basée sur des choix effectués à contre-courant de la logique informatique automatique ou contraignante, traduisant la personnalité de son auteur et les efforts intellectuels opérés”. Plus précisément, la Cour se fonde sur le rapport de l’Expert qui évoque des « méthodes de programmation propres à la société Linagora » et le fait « que si une autre équipe de programmateurs venait développer OBM-SYNC […] » indépendamment « le programme qui en résulterait serait totalement différent ».

L’originalité établie, la Cour retient que le non-respect des termes du contrat de licence, même pour un logiciel libre, entraine la contrefaçon.

Enfin, si la Cour confirme la décision des juges de première instance retenant des faits de concurrence déloyale par débauchage de salariés, elle ne retient pas le parasitisme.

3. Actualités en droit des plateformes

Il est possible de prévoir une obligation contractuelle de surveillance pesant sur un hébergeur (distinctement de l’obligation prévue par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN))

Cass. com., 15 janvier 2025, n° 23-14.625

Dans cette affaire, une banque et un hébergeur ont conclu un contrat monétique portant sur un service de paiement à distance. La banque, après avoir constaté des manquements de l’hébergeur à ses obligations contractuelles en raison de la présence sur son site de contenus illicites au regard du droit de propriété intellectuelle, a notifié à ce dernier sa décision de résilier le contrat sur le fondement de l’article 1.4 dudit contrat, au motif que l’hébergeur avait manqué à ses obligations contractuelles et plus particulièrement à une clause du contrat stipulant que l’hébergeur était tenu à une obligation de surveillance des informations qu’il stocke ou publie. La banque a décidé de résilier le contrat pour manquement contractuel.

L’hébergeur a, pour sa part, soutenu que la résiliation était abusive au motif que la LCEN (la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique) dispose qu’un hébergeur ne commet de faute que s’il ne supprime pas promptement le contenu illicite après en avoir connaissance (article 6, I, de la LCEN dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014).

La Cour de cassation a pour sa part retenu que l’article susvisé n’avait ni pour objet ni pour effet de priver les signataires d’un contrat monétique auquel est partie un hébergeur, de la faculté de stipuler que celui-ci est tenu à une obligation de surveillance des informations qu’il stocke ou publie, et de sanctionner la méconnaissance de cette obligation par une résiliation du contrat.

Blocage de plateformes de streaming musical hébergées par OVH pour manipulation d’écoutes en ligne

TJ de Paris, 2 octobre 2025, n° 24/10705

Dans cette affaire, le SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique) a sollicité la cessation des activités illicites de la manipulation d’écoutes et de vues en ligne (achat de streams) par plusieurs plateformes de streaming hébergées notamment par OVH.

Dans sa décision en date du 2 octobre 2025, le Président du Tribunal judiciaire de Paris ordonne à OVH de cesser d’héberger deux sites de « fraude aux streams », tout en refusant de lui imposer une surveillance généralisée selon le raisonnement suivant.

Il reconnait que ces manipulations d’écoutes et de vues portent préjudice à l’ensemble des membres du SNEP (producteurs phonographiques) et à l’intérêt général de la profession.

Il rejette la demande de blocage de tout site internet ayant un contenu identique aux sites litigieux puisque cela ferait peser une obligation générale de surveillance sur les défendeurs, ce qui contreviendrait à l’article 8 du Règlement 2022/2065 sur les services numériques (DSA) et à l’article 6 de la LCEN.

Il fait toutefois injonction aux hébergeurs de ces sites de prendre des mesures de blocage (ciblées, proportionnées, limité dans le temps) de l’accès, par le moyen technique de leur choix, pour faire cesser le dommage, sans donner lieu à une interdiction de tout hébergement futur de sites identiques.

Il prononce également la communication des éléments d’identification des éditeurs aux hébergeur directs (MKO) et non aux hébergeurs indirects (OVH).

Injonction de blocage faite aux fournisseurs de VPN en tant qu’intermédiaires techniques au sens du régime de responsabilité posé par le Digital Services Act (DSA)

TJ Paris,15 mai 2025, n° 24/15054

Dans cette affaire, la Ligue de Football Professionnel (LFP) et sa filiale assignent divers fournisseurs de réseaux privés virtuels (Cyberghost, Nordvpn et Proton) et sollicitent le blocage à l’accès à certains sites diffusant illégalement des compétitions sportives.

Par une décision rendue le 15 mai 2025, les juges ont qualifié, pour la première fois, les fournisseurs de VPN d’intermédiaires techniques, au sens du régime de responsabilité posée par le Digital Services Act (« DSA », Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE), et donc susceptibles de remédier aux atteintes des titulaires de droits, et ont ordonné à ces fournisseurs de prendre les mesures de blocages nécessaires pour faire cesser l’atteinte par le moyen de leur choix.

Selon eux, les VPN remplissent une fonction de transport puisqu’ils servent de tunnels permettant l’accès aux sites. De surcroît, la mesure de blocage demandée n’est pas disproportionnée puisqu’elle est ciblée à certains sites spécifiques, limitée dans le temps et l’espace.

4. Actualités en intelligence artificielle

Mise en œuvre progressive de l’IA Act

Règlement (UE) 2024/1689 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle

Au cours des derniers mois, l’actualité en matière d’intelligence artificielle (IA) a été particulièrement dense, du fait de la mise en œuvre progressive du Règlement européen sur l’IA (RIA) qui s’est poursuivie, notamment pour les systèmes d’IA à risque inacceptable et les modèles d’IA à usage général, dont les premières dispositions sont désormais effectives (voir notre LAJ du 12/02/2025’). En parallèle, l’on retiendra la publication de documents clés tels que le Code de bonnes pratiques pour les intelligences artificielles à usage général, (voir notre LAJ du 09/04/2025) au niveau de la Commission européenne, et le résultat de recherches mises en œuvre par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) français, dont celui consacré au « résumé suffisamment détaillé » des données d’entraînement des modèles d’IA à usage général  tel que prévu par le RIA (voir notre LAJ du 12/12/2024), ainsi qu’un autre rapport sur l’interopérabilité, publié en fin d’année dernière.

Outre cette actualité, les décisions judiciaires rendues en matière d’IA, en France et à l’étranger, méritent d’être évoquées ici.

Aux États-Unis, confirmation de la nécessite d’intervention humaine pour générer des droits d’auteur sur une œuvre « créée » par IA

USCO, 30 janvier 2025, Invoke IA

US Court of Appeals, D. Columbia Circuit, 18 mars 2025, n° 23-5233

L’US Copyright Office et les juridictions américaines ont eu l’occasion de réaffirmer leur position selon laquelle une image générée par IA ne peut être protégée par le droit d’auteur que si elle a reçu une intervention humaine « directe », à l’exclusion de toute image générée par l’IA de manière autonome. Les juges américains soulignent l’importance de la preuve de cette intervention humaine dans le processus créatif.

En ce sens, l’US Copyright Office (USCO) a pu accorder, en janvier 2025, l’enregistrement d’un copyright à la composition graphique digitale « A Single Piece of American Cheese », en raison d’une intervention humaine démontrée et suffisante dans le processus de création de l’œuvre (l’artiste a notamment apporté comme preuve une vidéo en accéléré de la création de l’image et une explication de son intervention).

Dans une autre affaire, le créateur de l’IA générative « Creativity Machine », Stephen Thaler, avait déposé une demande d’enregistrement au titre de droit d’auteur dans laquelle il était explicitement précisé que l’IA était la seule « autrice » de l’œuvre, et que Monsieur Thaler en était uniquement le propriétaire.

L’USCO a rejeté la demande sur le fondement de l’exigence de la paternité humaine de l’œuvre sur le fondement du Copyright Act de 1976 selon lequel l’œuvre doit être réalisée en premier lieu par un être humain pour être éligible à l’enregistrement des droits d’auteur, et ce même si la personne humaine intervient dans le processus (notamment en donnant des instructions à l’IA).

Le requérant défendait sa position en arguant que l’image avait été réalisée sur commande et que donc, selon le concept de « work made for hire » qui permet de transférer la qualité d’auteur et les droits d’auteur y afférent à une personne physique ou morale dans certains cas précis (il peut s’agir de l’employeur ou de toute personne dans le cadre d’un contrat de commande spécifique), il était titulaire des droits sur l’image générée. L’USCO a rejeté l’argument selon lequel le droit d’auteur était transféré à Monsieur Thaler, puisqu’aucun droit d’auteur n’avait pu être généré par l’IA.

Voir sur ce point notre brève dans la LAJ du 09/04/2025

Aux Etats-Unis, non application de l’exception du fair use à l’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur pour l’entrainement des IA

US District Court, N.D. California, 25 juin 2025, RICHARD KADREY, et al., v. META PLATFORMS, INC. Case No. 23-cv-03417-VC

US District Court, N.D. California, 23 juin 2025, Bartz et al. v. Anthropic PBC, n° C 24-05417

En 2025, les juridictions américaines ont eu à traiter de la question très attendue de l’utilisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur pour l’entrainement des IA et de l’applicabilité de l’exception au droit d’auteur dite de « fair use »  qui permet de limiter la protection du droit d’auteur si l’utilisation qui en est faite est « loyale » ; c’est-à-dire justifiée par l’objectif de l’utilisation qui est faite des éléments protégés, la nature de l’œuvre utilisée, la quantité de l’œuvre protégée utilisée et les effets d’une telle utilisation.

Dans le litige opposant META à plusieurs auteurs, ces derniers dénonçaient l’utilisation de leurs œuvres pour entrainer les modèles d’IA génératives LLaMA et LLaMA 2, et donc les délits de reproduction, création d’œuvres dérivées et exploitation commerciale non autorisées.

De son côté, META y opposait son « usage loyal » (« fair use »).

Pour ces œuvres littéraires, contenant un haut degré de créativité, les juges ont relevé que les œuvres étaient reproduites dans leur intégralité, dans le but de développer des IA. Ils ont en outre retenu que les auteurs n’ayant pas rapporté la preuve de leur préjudice, leurs demandes devaient être rejetées.

Cette décision, favorable aux acteurs de l’IA, ne peut cependant pas être interprétée comme une reconnaissance du fair use pour détourner le droit d’auteur au profit de l’IA, qui dépendra d’une analyse au cas par cas.

Il est intéressant de relever que l’usage, n’étant ici pas effectué directement à titre commercial (puisqu’il s’agit de l’entrainement de l’IA et non de sa mise à disposition par les utilisateurs), rappelle l’exception européenne de fouille de données prévues par la DAMUN (la directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique) qui s’applique à des fins de recherches scientifiques, et qui est souvent évoquée au sein de l’Union Européenne comme exception à la protection du droit d’auteur dans le cadre de l’IA (voir sur ce sujet la décision du Tribunal de Hambourg du 27 septembre 2024 commentée dans notre LAJ du 14/11/2024).

Pour des faits similaires, on retiendra également la décision du même tribunal américain après l’opposition de plusieurs écrivains à la réutilisation de leurs œuvres pour entrainer une IA du type chatbot dénommée « Claude » (créée par la société Anthropic). Il a ici été jugé que le fair use pouvait s’appliquer à condition que les œuvres utilisées aient été acquises légalement, posant ainsi une condition essentielle à l’application de cette exception.

En France, encadrement de l’implémentation d’outils IA au sein des entreprises

TJ Nanterre, 14 février 2025, n° 24/01457

TJ Créteil, référé, 15 juillet 2025, n° 25/00851

En France, deux décisions ont révélé l’importance de l’introduction des outils IA au sein des entreprises, et de leur nécessaire encadrement.

Le Tribunal judiciaire de Nanterre a eu l’occasion de se prononcer sur la question du déploiement par une société de 5 nouveaux outils IA destinés à un usage interne. Plus précisément, le CSE a introduit une action en référé afin de voir suspendre les opérations de déploiement des outils alors que sa consultation n’était pas achevée. En se fondant sur l’article L. 2312-8 du Code de travail, le tribunal a relevé que le CSE devait effectivement être contacté en cas d’« introduction de nouvelles technologies, tout aménagement important modifiant […] conditions de travail », qualifiant au passage les outils IA de mesures affectant les conditions de travail des salariés. Ainsi, le CSE devait être saisi dès la phase pilote qui concernait un nombre significatif de salariés.

Sur le même sujet, le Juge des référés du Tribunal de Créteil a, sur le fondement de l’article L. 2312-8 du Code de travail précité, réaffirmé la nécessité de consulter le CSE en cas d’introduction d’outils IA affectant les conditions de travail des salariés.