Propriété intellectuelle
le 19/12/2025
Audrey LEFEVRE
Sara BEN ABDELADHIM
Lucile MARTIN
Gabrielle LAMBERT
Mathis DUQUESNAY

Petit cadeau dans la hotte du Père Noël : un an de jurisprudence en droit des marques, droit d’auteur et noms de domaine pour les acteurs publics et de l’économie sociale et solidaire (ESS)

En 2025, le contentieux de la propriété intellectuelle impliquant des acteurs publics et de l’ESS a connu une actualité dense, portée par plusieurs décisions emblématiques notamment en matière de marques, de noms de domaine et de droit d’auteur. Cet article revient sur ces décisions marquantes, qui éclairent sur la manière dont les juridictions judiciaires et l’INPI appréhendent la valorisation et la protection du patrimoine immatériel des acteurs publics.

I. Marque :

Nullité d’une cession de la marque éponyme d’une commune à des fins commerciales

TA Orléans, 5ème, 24 septembre 2025, n° 2102661

Le Tribunal administratif d’Orléans s’est prononcé sur la cession de l’usage du nom d’une collectivité territoriale à des fins commerciales. Cette situation fait suite à un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une délibération de 2021 autorisant la cession de la marque de la commune de Vendôme, au profit du groupe LVMH.

Plus précisément, la Commune avait cédé l’utilisation non exclusive de la marque éponyme « Vendôme » visant les produits de joaillerie (classe 14), pour une durée de dix ans, permettant au groupe LVMH de lancer une collection de bijoux sous ce nom, pour un montant forfaitaire de 10.000 €.

Après avoir retenu que la marque « Vendôme » relevait du domaine privé de la Commune, le tribunal a jugé que la cession ne portait pas atteinte au droit sur son nom de fait du caractère non exclusif de la cession, ce qui ne la privait pas de son droit d’utilisation.

Néanmoins, le tribunal, après avoir relevé que bien que le domaine privé relevât d’une libre gestion par la Commune, ajoute que celle-ci se devait de respecter le principe « d’une bonne gestion ». Le tribunal constate ainsi qu’aucun élément ne justifiait les modalités de calcul du montant de la cession l’empêchant d’exercer son contrôle sur le montant fixé. Il a en conséquence jugé que la délibération était entachée d’excès de pouvoir et l’a donc annulée.

Pour plus de détail sur l’affaire, voir notre brève (LAJ #174).

Rejet du dépôt de la marque figurative « Paris » pour atteinte aux droits de la Ville

INPI, 4 juillet 2025, OP 25-0021

Cette décision porte sur une demande d’enregistrement de marque figurative constituée de deux anneaux et du mot « Paris » pour des produits de maroquinerie et de vêtements, à laquelle la Ville de Paris s’est opposée, non seulement sur le fondement de la confusion mais aussi sur le fondement spécifique de l’atteinte à son nom, à son image ou à sa renommée[1].

L’INPI rappelle ici que l’interdiction de déposer un signe utilisant le nom ou l’image d’une collectivité territoriale n’est pas une interdiction générale et ne s’applique en réalité que si le signe est susceptible d’engendrer un risque de confusion dans l’esprit du consommateur. En l’espèce, l’INPI admet que le signe est susceptible de laisser croire que les produits émanent de la Ville de Paris ou sont distribués avec son consentement. De sorte qu’il est fait droit à l’opposition.

Rejet du dépôt de la marque « LA FERME DES ECRINS » pour atteinte à la marque d’un établissement public administratif

INPI, 3 juillet 2025, OP 25-0104

L’INPI rejette le dépôt de la marque « LA FERME DES ECRINS » et retient un risque de confusion avec la marque antérieure « PARC NATIONAL DES ECRINS », de l’Office Français de la Biodiversité.

L’INPI justifie cette décision par le fait que les signes se rapportent tous les deux à l’expression finale “DES ECRINS”, qui caractérise les signes en cause malgré leurs termes d’attaque distincts.

L’INPI en déduit un risque de confusion en raison de la similarité des signes et de l’identité et de la similarité des services en cause (notamment de publicité, d’éducation, de formation et de divertissement).

Le Tribunal de l’UE refuse l’enregistrement pour exploitation indue d’une marque comprenant une AOP

Trib. UE, 25 juin 2025, aff. T-239/23, Comité interprofessionnel du vin de Champagne et INAO/EUIPO – Nero Lifestyle (NERO CHAMPAGNE)

En 2019, une société italienne a présenté, devant l’EUIPO, une demande d’enregistrement au niveau européen pour la marque verbale « NERO CHAMPAGNE », dont le dépôt portait notamment sur des produits et services de « vins conformes au cahier des charges de l’appellation d’origine protégée “Champagne” ».

Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) et l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) ont alors formé opposition, arguant d’une exploitation abusive de la réputation des produits AOP dont la protection vise justement à garantir une certaine qualité de produits aux consommateurs.

L’opposition n’ayant été que partiellement admise par l’EUIPO, les demandeurs ont saisi le Tribunal de l’Union européenne qui a donc eu à se prononcer sur l’interprétation à retenir de l’article 103 du règlement n° 1308/2013 qui interdit toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination protégée pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges ou (et c’est sur ce point que le tribunal s’attarde) « dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation » de la dénomination.

A cette fin, le tribunal rappelle qu’il ne suffit pas qu’une désigne des produits conformes au cahier des charges de l’AOP visé pour considérer qu’elle ne peut pas exploiter la réputation de cette AOP. Ainsi, la décision de l’EUIPO, selon laquelle la réputation de l’AOP ne pouvait pas être exploitée, dès lors que le dépôt visait des produits conformes au cahier des charges, doit être annulée. Le tribunal rejette ainsi la « théorie de la limitation » selon laquelle un signe contenant une AOP pour des produits strictement conformes au cahier des charges échapperait, en principe, aux interdictions de l’article 103.

En l’espèce, le tribunal considère que la marque apparait comme trompeuse avec l’utilisation du terme « Nero » qui ferait référence pour le public italien à la couleur noire et ainsi conduirait à croire qu’il s’agirait d’une variété de champagne noir, ce qui est contraire au cahier des charges de l’AOP (un champagne ne pouvant qu’être blanc ou rosé) et, partant, qui porte atteinte à la réputation de l’AOP et entre donc dans le champ de l’interdiction de l’article 103 susvisé.

De ce fait, le tribunal fait droit à la demande d’opposition portée par le CIVC et l’INAO, avec le soutien de la République française et oriGIn (l’alliance mondiale des indications géographiques).

Pas de contrefaçon de la marque « L’Usine » pour l’usage du signe aux fins d’un service public d’une communauté d’agglomérations

TJ Paris, 3ème, 1ère section, 12 juin 2025, n° 23/03825

Le Tribunal judiciaire de Paris, après confirmation de la validité de la marque « L’Usine », relève l’absence de risque de confusion du signe entre l’usage par une société commerciale et l’usage par une personne publique. En l’absence de confusion, le tribunal rejette le grief de contrefaçon.

En l’espèce, une société, titulaire de marques verbales et figurative « L’Usine » a assigné en contrefaçon la communauté d’agglomération de Tarbes-Lourdes-Pyrénées (CATLP) pour avoir ouvert une salle de sport en utilisant le terme litigieux, notamment via un logo sur les réseaux sociaux et sur internet.

Bien que constatant la similitude entre les signes et l’identité de certains services, ainsi que la distinctivité moyenne du signe pour désigner une salle de sport, les juges écartent le risque de confusion, estimant que l’usage qui en est fait pour désignation d’un bâtiment public et de services d’une personne publique (qui plus est bénéficiant d’une publicité locale) ne peuvent induire le consommateur à l’associer à une entreprise privée.

Le tribunal écarte également le parasitisme car la personne publique « s’est bornée à utiliser l’origine industrielle du lieu qu’elle a réhabilité en complexe sportif » tandis que la société a « développé une image de marque et un positionnement haut-de-gamme pour les salles de sport désignées par ses marques » de telle sorte que la première ne s’est pas placée dans le sillage de la seconde.

Rejet de la demande d’enregistrement de la marque « VTC LIB » pour risque de confusion avec la marque verbale « VELIB » de la ville de Paris.

INPI, 11 juin 2025, OP 25-0026

La ville de Paris a formé opposition à la demande d’enregistrement de la marque « VTC LIB » pour atteinte à sa marque verbale antérieure « VELIB ». L’INPI commence par rappeler sa jurisprudence constante selon laquelle que « le risque de confusion comprend le risque d’association » qui doit être apprécié de manière globale.

En effet, l’INPI relève la proximité visuelle, phonétique et intellectuelle des deux signes, évoquant tous deux la même idée de transport en toute liberté. Par ailleurs la présence d’éléments figuratifs sur le signe contesté n’est pas de nature à affecter le caractère « immédiatement perceptible » des éléments verbaux et n’atténue donc pas la confusion. L’INPI relève également le caractère distinctif important de la marque « VELIB », qui accentue le risque de confusion, étant précisé qu’une partie des services sont identiques ou similaires entre eux.

Ainsi, le signe contesté peut apparaître comme la déclinaison de la marque antérieure de la ville de Paris et ainsi donner lieu à un risque d’association dans l’esprit du public.

L’INPI reconnaît l’opposition justifiée et rejette, pour les services similaires, la demande d’enregistrement.

Rejet du dépôt d’une marque de forme « Vichy » pour plusieurs atteintes aux droits de la ville éponyme

INPI, 15 avril 2025, OP 24-3663

La Ville de Vichy a formé une opposition à l’enregistrement de la marque déposée par un particulier comprenant le célèbre signe de forme octogonale de la pastille de Vichy. L’opposition reposait sur la base des trois marques antérieures de la ville : « VICHY CELESTINS »[2], « PASTILLES DE VICHY »[3] ainsi que de la marque verbale « VICHY »[4].

Tout d’abord, l’INPI relève la similarité des signes notamment avec l’utilisation du terme « VICHY », élément central qui ne fait que mettre en exergue les autres éléments accolés qui sont sans incidence sur la perception des signes. En ce sens, l’INPI considère que le consommateur concerné est susceptible d’opérer un lien entre la marque dont l’enregistrement est demandé et les marques antérieures de la ville. Plus encore, il est retenu que l’image positive des marques antérieures et leur forte renommée faciliteraient la mise sur le marché des produits de la marque contestée et permettraient donc au déposant de bénéficier sans contrepartie des efforts commerciaux déployés par la collectivité opposante en amont et donc en tirer indument profit.

Enfin, l’INPI relève que le dépôt porte « atteinte au nom de la ville de Vichy sur le signe VICHY en ce que ce dépôt prive la collectivité territoriale de la possibilité d’exploiter son propre nom pour identifier ses actions et en contrôler l’usage ».

L’INPI fait donc droit à cette opposition, et rejette en conséquence la demande d’enregistrement, sur le fondement de l’atteinte à la renommée des marques antérieures de la ville mais aussi pour atteinte au nom, à l’image, et à la renommée de la ville en tant que collectivité territoriale.

Rejet du dépôt de la marque « LA PLATEFORME DES SAVOIRS » en raison des droits antérieurs de la Commune de Lyon

INPI, 13 mars 2025, OP 24-3219

L’INPI rejette partiellement la demande d’enregistrement de la marque verbale « LA PLATEFORME DES SAVOIRS » pour atteinte à la marque verbale antérieure « LE GUICHET DU SAVOIR » de la Commune de Lyon en raison du risque de confusion entre les marques.

Plus précisément, l’INPI relève ici que le risque de confusion opéré sur des services identiques et similaires provient de la ressemblance d’ensembles entres les signes résultant de la structure commune, à savoir l’association des termes proches « DES SAVOIRS / DU SAVOIR » avec les éléments d’attaques « LA PLATEFORME / LE GUICHET » liées à la notion d’accès, mais aussi sur l’idée commune de connaissance, d’échange, et transmission. La ressemblance étant ainsi visuelle, phonétique et intellectuelle, l’INPI reconnaît un risque de confusion pour rejeter la demander sur les services similaires ou identiques.

II. Propriété intellectuelle – Droit d’auteur

Pas d’originalité d’une photographie culinaire publiée sur le site d’une ville et défaut de parasitisme

CA Paris, 1er octobre 2025, n° 24/01840

Une société dont l’activité consiste à proposer des photographies culinaires professionnelles via son site internet découvre la publication de l’une de ses photographies, sans son autorisation, sur un site internet édité par ville. La société décide alors d’assigner la ville pour contrefaçon de droit d’auteur, parasitisme et atteinte à son droit de propriété matériel.

Débouté en première instance, la Cour d’appel réexamine, tout d’abord, la question de l’originalité de la photographie et juge que celle-ci n’est pas démontrée, rappelant au passage la règle selon laquelle la charge de la preuve repose sur celui qui revendique la protection au titre du droit d’auteur lorsque l’originalité d’une œuvre de l’esprit est contestée.

En l’espèce, les choix opérés (prise de vue, éclairage, mise en scène des aliments) sont considérés comme « usuels en la matière » et obéissant à des « impératifs techniques issue de la mise en valeur d’un plat culinaire comme de la restitution d’une image fidèle du plat ». Ainsi, aucun choix particulier ne traduit « une démarche personnelle et créatrice qui porterait l’empreinte de la personnalité du photographe ». La Cour considère en outre que le travail préparatoire mis en exergue relève simplement d’un savoir-faire technique.

Concernant les agissements de concurrence déloyale reprochés, la Cour rappelle que le parasitisme requiert un avantage lucratif mais pas nécessairement une relation de concurrence entre les parties au litige. En l’espèce, elle relève qu’il ne peut y avoir parasitisme puisque le but poursuivi était d’intérêt général, dans le cadre d’une action éphémère de sensibilisation à l’écologie permettant l’illustration d’un contenu pédagogique, et non un but lucratif.

La Cour insiste sur le fait que la ville est d’autant moins fautive dès lors que la photo était librement accessible (sur les réseaux sociaux et moteurs de recherche), sans protection, ni mention du nom du photographe et de son appartenance à la société requérante.

Enfin, aucune atteinte au droit de propriété n’est admise par la Cour qui, après avoir discuté du caractère numérique du fichier qui peine à constituer un véritable support matériel au sens de l’article 544 du Code civil, juge qu’il n’y a « ni dépossession, ni suppression ou altération de celui-ci, la commune n’ayant procédé qu’à une reproduction du contenu, dont la protection ne peut être assurée que par les règles spéciales de la propriété intellectuelle », dont la demande a été rejetée.

La société est donc déboutée, rappelant au passage la difficulté quant à l’application du droit d’auteur aux photographies culinaires.

Réaffirmation de la compétence exclusive du juge administratif pour la réinstallation d’une œuvre considérée comme un ouvrage public même en cas d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle

CA Paris, 9 avr. 2025, n° 24/18170

Une œuvre monumentale implantée dans une commune est déplacée, après restauration, au sein d’une autre commune limitrophe, dans le cadre des jeux olympiques. Les ayants droit de l’auteur, après avoir sollicité auprès du maire l’arrêt des opérations de restauration et de déplacement, ont assigné la commune devant le tribunal judiciaire afin de demander la remise en état de l’œuvre et réparation pour atteinte au droit moral de l’artiste. Le tribunal judiciaire s’étant déclaré incompétent, cette question est examinée en appel.

La Cour rappelle ici que si l’œuvre constitue une œuvre de l’esprit conférant à son auteur et à ses ayants droit un droit de propriété incorporelle, il s’agit également d’un ouvrage public ressortissant de la domanialité de la collectivité. En ce sens, la Cour confirme l’incompétence du tribunal judiciaire pour juger des demandes de remises en état de l’œuvre au profit du juge administratif, seul compétent en matière de domanialité publique.

Cette décision rappelle ainsi l’importance de bien ventiler les demandes en ce qui concerne les œuvres monumentales implantée sur l’espace public au vu des compétences exclusives sur des questions liées, entre droit d’auteur au profit du juge judiciaire et domanialité publique au profit du juge administratif.

Absence d’originalité des méthodologies pédagogiques et de leurs transcriptions créées dans le cadre de missions auprès des chambres des métiers

CA Bordeaux, 6 mai 2025, n° 22/04677

Une personne physique ayant développé plusieurs méthodologies pédagogiques, dont l’objet est d’aider le développement des entreprises, dans le cadre de plusieurs collaborations. A l’issue des missions avec les chambres régionales des métiers, celles-ci ont poursuivi l’exploitation desdites méthodologies développées, sans accord ni citation de leur concepteur qui a saisi le tribunal pour contrefaçon et parasitisme.

La Cour recherche en premier lieu à caractériser la paternité de l’œuvre (i.e. les méthodologies), et relève que le concepteur ne parvient pas à justifier de la paternité d’un travail de formalisation écrite des méthodologies qu’il aurait effectué seul, en dehors de ses missions, de sorte qu’il ne peut revendiquer aucune titularité de droits d’auteur.

Par ailleurs, les juges concluent à l’absence d’originalité de l’expression formelle de ces méthodologies via les écrits qui ne constituent qu’une pure retranscription d’étapes nécessaires de la méthodologie, pouvant ainsi découler de contraintes logiques et ne pouvant donc constituer, à elles seules, une œuvre de l’esprit.

Enfin, en ce qui concerne les demandes au titre du parasitisme, si la Cour confirme justement le jugement de première instance qui relevait que le travail, l’investissement du savoir-faire du concepteur ou de son expérience sont susceptibles de constituer une valeur économique protégeable au titre de la concurrence parasitaire. Celui-ci était toutefois rémunéré dans le cadre de ses différents contrats de telle sorte que les chambres des métiers ne peuvent être accusée de bénéficier de son travail sans bourse délier.

Le concepteur est donc débouté de ses demandes. On encouragera tout de même les parties, à l’avenir, à mieux cadrer contractuellement les droits de réutilisation à l’issue de la collaboration.

Pas de cession automatique des droits voisins des artistes interprètes d’un orchestre national au profit de l’Etat

CJUE, 6 mars 2025, aff. C-575/23, FT, AL, ON c/ État belge (ONB)

L’artiste-interprète dispose de droits exclusifs sur son interprétation au titre du droit voisin, qui lui permettent de s’opposer ou d’autoriser (moyennant rémunération) la représentation et la reproduction de son interprétation. En ce sens, le droit de l’Union européenne pose le principe de consentement préalable à toute exploitation de l’interprétation d’un artiste-interprète.

Ce principe était strictement respecté par l’Orchestre National de Belgique (ONB) : l’exploitation des droits voisins des musiciens de l’ONB était négociée pour parvenir à une rémunération équitable, à l’issue de discussions entre les délégations syndicales des musiciens et l’ONB.

Ces négociations n’ayant pas abouti en 2021, l’Etat belge a pris un arrêté royal imposant la cession de l’ensemble des droits des musiciens de l’orchestre pour les prestations qu’ils réaliseraient dans le cadre de leur mission.

En désaccord avec cet arrêté, certains musiciens ont saisi le Conseil d’Etat belge d’un recours en annulation qui a, à son tour, saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de questions préjudicielles visant à déterminer si la cession au profit de l’employeur, par la voie réglementaire, des droits voisins des musiciens d’un orchestre engagés sous un statut de droit administratif, pour les prestations réalisées dans le cadre de leur mission au service de cet employeur, en l’absence de leur consentement préalable, était compatible avec le droit de l’Union.

La Cour juge ici qu’en l’absence de consentement préalable des titulaires des droits à la cession, par la voie réglementaire, des droits exclusifs qui y sont visés, viole le droit de l’Union en la matière, à moins qu’une telle cession ne relève de l’une des exceptions ou limitations prévues par ces directives, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Ainsi, pas de cession automatique sans consentement, même en présence d’une personne publique et même par le pouvoir règlementaire.

Pour plus de détail, voir notre brève dans la LAJ de juin 2025 n° 169

L’agent “chargé d’enseignement vacataire” bénéficie de l’exception à la cession de plein droit des œuvres à l’établissement public

TJ Rennes, 2ème, 13 janvier 2025, n° 23/02804

Dans le cadre de formations réalisées par un chargé d’enseignement au sein de l’Ecole nationale supérieure maritime (ENSM), ce dernier a réalisé trois supports de formation qui ont été diffusés aux étudiants de l’école. A l’issue de sa mission, le chargé d’enseignement découvre l’utilisation de ses supports par d’autres chargés d’enseignement et de leur dépôt auprès de la direction inter-régionale de la mer pour le renouvellement l’agrément de l’école.

Saisie par le chargé d’enseignement pour contrefaçon de ses droits d’auteur et, à titre subsidiaire, parasitisme, le Tribunal judiciaire de Rennes reconnait l’originalité et la protection par le droit d’auteur des supports (qui par ailleurs n’est pas contestée par la partie adverse).

Se posait alors la question de la cession des droits d’auteur à l’établissement. Le chargé d’enseignement ayant conclu un contrat avec l’ENSM, il avait donc le statut d’agent public. De ce fait, l’ENSM arguait disposer légitimement des droits de propriété intellectuelle sur les supports de cours du fait de la cession de plein droit à l’Etat prévue pour les œuvres nécessaires à l’accomplissement d’une mission de service public, en vertu de l’article L. 131-3-1 du Code de la propriété intellectuelle. L’application de cet article posait question puisque, selon l’article L. 111-1 alinéa 4 du même code, la cession de plein droit ne s’applique pas aux agents auteurs d’œuvres dont la divulgation n’est soumise à aucun contrôle préalable de l’autorité hiérarchique.

En l’espèce, le tribunal relève que le statut de l’agent pouvait être compris dans la catégorie de l’article L. 952-2 du Code de l’éducation qui vise les chargés d’enseignement et leur garantie la jouissance d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche. L’agent disposait donc d’une liberté telle que l’exception prévue à l’article L. 111-4 du Code de la propriété intellectuelle trouvait à s’appliquer, permettant ainsi au chargé d’enseignement de revendiquer des droits d’auteur sur les supports de cours.

Ainsi, le tribunal juge que l’ancien chargé d’enseignement a conservé la titularité des droits sur les supports et est bien fondé à revendiquer leur protection au titre du droit d’auteur. L’ENSM a donc commis des actes de contrefaçon en transmettant les supports de cours, l’obligeant à réparer le préjudice subi par l’agent.

III. Nom de domaine

Typosquatting : une surveillance continue menée par l’État

AFNIC 28 avril 2025 n° FR-2025-04275

AFNIC 5 février 2025n° FR-2025-04179

Comme il le fait régulièrement, l’Etat français via le Service d’information du Gouvernement (SIG), a initié deux nouvelles procédures sur la plateforme de résolution de litiges SYRELI pour demander le transfert du nom de domaine « gotv.fr » et la suppression du nom de domaine « dgcs-gouv.fr ».

Dans ce cadre, l’AFNIC a fait droit aux demandes de l’Etat et a reconnu que les deux noms de domaine litigieux précités s’apparentaient à ceux de l’Etat et avaient été déposés sans intérêt légitime ni bonne foi, violant par conséquent les dispositions de l’article L45-2 3° du Code des postes et des communications électroniques[5] (CPCE).

Voici donc encore une illustration du fait que la surveillance des noms de domaine par l’Etat est particulièrement importante afin de protéger notamment les utilisateurs en ligne contre la collecte frauduleuse de leurs données et maintenir le lien de confiance avec l’Etat et ses services.

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[1] Tel que le prévoit l’alinéa 9 de l’article L. 711-3 du Code de la propriété intellectuelle

[2] Enregistrée en classe 32

[3] Enregistrée en classe 5 et 30

[4] Enregistrée en classe 5 ; 30 ; 32 ; 41 ; 44

[5] L’article L45-2 3° du CPCE dispose: “Dans le respect des principes rappelés à l’article L. 45-1, l’enregistrement ou le renouvellement des noms de domaine peut être refusé ou le nom de domaine supprimé lorsque le nom de domaine est : […] 3° Identique ou apparenté à celui de la République française, d’une collectivité territoriale ou d’un groupement de collectivités territoriales ou d’une institution ou service public national ou local, sauf si le demandeur justifie d’un intérêt légitime et agit de bonne foi.”