Mobilité et transports
le 07/11/2024
Marion TERRAUX
Laurent BONNARD

La délicate conciliation de l’ouverture à la concurrence ferroviaire et de la desserte du territoire

Compte rendu Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

L’audition du 22 octobre 2024 de M. François Durovray, ministre délégué chargé des Transports, par la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, a été l’occasion pour le ministre et les membres de la commission d’échanger sur la délicate conciliation entre l’ouverture à la concurrence ferroviaire et l’aménagement et la desserte du territoire.

La loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a notamment eu pour objet de consacrer l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire en vue de contribuer « à la recherche d’une meilleure efficacité du système ferroviaire dans son ensemble, en diversifiant l’offre et en introduisant de nouveaux acteurs »[1].

Les modalités de cette ouverture à la concurrence ont été au cœur des débats puisque cette dernière ne peut réussir que si certaines conditions sont réunies. En effet, il est absolument indispensable de s’assurer que l’opérateur historique ne bénéficie pas d’un avantage concurrentiel et que les barrières à l’entrée ne demeurent pas trop importantes. À défaut, l’arrivée de nouveaux opérateurs s’en trouverait compromise et la libéralisation bien qu’autorisée en droit ne serait pas effective de fait.

À cet effet, la législation antérieure a initié la séparation organique ou fonctionnelle entre le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire et l’exploitant ferroviaire historique au sein d’un groupe public unifié. Et, le régulateur national, l’Autorité de régulation des transports, a émis divers avis et recommandations à l’endroit de SNCF Réseau pour garantir un égal accès des opérateurs et plusieurs de ces avis ont été commentés dans nos précédentes lettres d’actualités juridiques.

Toutefois, si ces conditions de l’ouverture à la concurrence ont été largement discutées, ses effets n’ont pas été pleinement appréhendés alors même qu’ils constituent un enjeu de taille notamment en matière d’aménagement et de desserte du territoire. Ainsi, il appartient au législateur de rechercher de potentielles solutions pour pallier le risque de voir une désertification de certaines parties du territoire.

 

La concentration des opérateurs économiques sur les lignes rentables et la fin de la péréquation

L’ouverture à la concurrence se faisant en « open access », c’est-à-dire selon la libre volonté des opérateurs, ces derniers ont concentré leur entrée sur les lignes ferroviaires présentant une forte demande et donc une importante rentabilité. C’est d’ailleurs ce que reflète le récent rapport rendu par la Commission européenne commenté par Julie Oger dans le cadre de la LAJEEM d’octobre 2024. Dans le cadre de ce rapport, la Commission a constaté une diminution du prix des billets, une amélioration de la qualité du service et in fine, une augmentation de la demande mais l’ensemble de ces effets bénéfiques s’est réalisé sur les grandes lignes ferroviaires telles que Lyon-Paris. Et la Commission a abouti aux mêmes conclusions dans d’autres pays membres ; à titre d’exemple, c’est sur la ligne Madrid / Barcelone que les opérateurs ont développé leur offre. Autrement dit, ce phénomène trouve simplement son explication dans les logiques concurrentielles.

Or, si l’on constate un effet bénéfique sur ces principales lignes, la question se pose de savoir comment les lignes non rentables vont pouvoir continuer à être exploitées.

En effet, SNCF Voyageurs poursuit à date la desserte de l’ensemble du territoire français y compris les lignes déficitaires qui représentent à elles seules environ 50 % du territoire national. Jusqu’à l’ouverture à la concurrence, SNCF Voyageurs procédait à une péréquation entre les lignes rentables et non rentables et finançait ainsi les secondes grâce aux marges bénéficiaires dégagées par l’exploitation des premières. Toutefois, l’ouverture à la concurrence signe la fin de son monopole et des difficultés sont donc à présager dans la mise en œuvre de cette péréquation. La tentation pourrait être grande pour SNCF Voyageurs de stopper, ou à tout le moins réduire, l’exploitation des lignes non rentables. Cette tentation pourrait être d’autant plus forte que l’exploitation de ces lignes peut impacter celle des lignes rentables. En effet, la desserte de gares supplémentaires est susceptible d’allonger les délais et d’inciter les usagers à se tourner vers les offres d’opérateurs commerciaux se limitant à desservir les principales gares.

Pour autant, cet enjeu de desserte du territoire n’a été que très peu abordé durant les débats parlementaires sur la loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire en dépit de son importance. Or, des solutions doivent nécessairement être recherchées car si Jean-Pierre Farandou, président du groupe SNCF et président directeur général de la SNCF, estime que cette problématique n’est pas « urgentissime »[2], des complications risquent de survenir d’ici cinq ans en raison de l’entrée toujours plus importante de nouveaux concurrents et le déclin de la péréquation qui en découlera pour SNCF Voyageurs.

 

Une recherche de solutions indispensable pour assurer une desserte de l’ensemble du territoire

En l’état, plusieurs solutions sont envisagées pour pouvoir garantir une desserte de l’ensemble du territoire et éviter un abandon des lignes les moins fréquentées et les moins rentables dans le cadre d’une logique purement concurrentielle.

Une solution pourrait consister en la modulation des péages ferroviaires en fonction de la fréquentation des lignes. En d’autres termes, plus les lignes seraient fréquentées et rentables, plus les péages seraient élevés. Et, à l’inverse, les lignes non rentables se verraient appliquer un péage notablement moins élevé pour améliorer leur attractivité auprès des opérateurs ferroviaires. Toutefois, une telle solution n’est pas exempte de difficultés. En effet, la modulation tarifaire existe déjà et il pourrait être difficile d’augmenter les tarifs des lignes rentables sans prendre le risque de créer des barrières à l’entrée. Par ailleurs, la mise en place d’une modulation tarifaire trop fine en fonction des lignes pourrait emporter une trop grande complexité et là encore décourager les nouveaux entrants.

Une alternative pourrait être la mise en œuvre d’un conventionnement consistant à soumettre l’exploitation des lignes les plus rentables à un engagement des opérateurs ferroviaires de desservir certaines lignes moins rentables. Les détracteurs de cette proposition dénoncent le risque d’une restriction du libre jeu concurrentiel et les difficultés juridiques qui peuvent émerger de ce conventionnement.

Une autre solution consisterait tout simplement à assurer la desserte des lignes non rentables dans le cadre de délégations de service public mais cela impliquerait un financement au moins partiel par les finances publiques. Or, eu égard à la grande difficulté dans laquelle les personnes publiques sont confrontées en matière de finances publiques, cette solution peut s’avérer très délicate à mettre en œuvre.

Ainsi, aucune solution n’apparaît parfaitement adaptée et il conviendra peut-être de combiner ces dernières pour arriver à un juste équilibre. Il apparaît toutefois indispensable que des réflexions soient initiées car il existe un réel enjeu de desserte et de développement du territoire. Faillir à adresser cette problématique risque d’aboutir à une désertification de certaines parties du territoire qui se trouvent déjà isolées.

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[1] M. Jean-Baptiste DJEBBARI, Rapport n° 851 fait au nom de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sur le projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, pour un nouveau pacte ferroviaire.

[2] Cité par C. Selosse, Ferroviaire : l’aménagement du territoire au défi de la concurrence, Contexte, 14 octobre 2024.