Le Conseil d’Etat, dans sa décision n° 494180 en date du 4 février 2025 précise que si une demande de pièces complémentaires pour l’instruction d’un permis comporte des pièces non exigibles, mais également des pièces exigibles, il y a lieu de considérer qu’elle est légale. La décision est également l’occasion de faire le point sur d’autres règles en droit de l’urbanisme.
En l’espèce, deux propriétaires d’une maison située à Contes, dans les Alpes-Maritimes avaient procédé à une extension de 57 mètres carrés d’emprise au sol totale de leur maison sans autorisation.
Plusieurs années plus tard, ils ont déposé une demande de permis de construire en vue de régulariser cette extension illégale.
Cette demande de permis ainsi que le recours gracieux formé ont été rejetés par le Maire de Contes.
Les propriétaires ont alors saisi le juge des référés d’une requête en référé suspension, qui a abouti. En effet, le Juge des référés du Tribunal administratif de Nice a suspendu l’exécution de l’arrêté de refus de permis et enjoint au maire de réexaminer la demande de permis dans un délai de six semaines.
La commune a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance.
La décision rendue par le Conseil d’Etat le 4 février 2025 apporte une précision et rappelle différents principes en droit de l’urbanisme :
1) Sur les pièces exigibles par le service instructeur à l’appui d’une demande d’autorisation ou d’une déclaration préalable, le Conseil d’Etat apporte quelques précisions.
Le Conseil d’Etat rappelle qu’à expiration du délai d’instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d’aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite et que le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande illégale de pièces non exigibles au dossier de permis. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans que la demande illégale puisse y faire obstacle[1].
Le Juge des référés du Tribunal administratif de Nice avait estimé que certaines demandes de pièces étaient illégales : en l’occurrence, d’une part, la production d’une copie de la lettre du préfet relative au défrichement des parcelles du pétitionnaire et, d’autre part, la superficie exacte située en zone UD de ces parcelles. Il en avait déduit qu’elles n’avaient donc pas pu interrompre ou suspendre le délai d’instruction. Il avait estimé que dès lors, le refus devait être analysé comme un retrait illégal du permis tacite né à l’expiration du délai d’instruction.
Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement en ces termes :
« […] Toutefois, si la demande relative à la superficie exacte située en zone UD des parcelles ne porte pas sur une des pièces mentionnées au livre IV de la partie réglementaire du Code de l’urbanisme, la lettre du préfet relative au défrichement des parcelles du pétitionnaire est mentionnée à l’article R. 431-19 du Code de l’urbanisme et fait ainsi partie des pièces qui peuvent être exigées en application du livre IV de la partie réglementaire de ce code. La demande relative à cette lettre faisait donc obstacle en l’espèce à la naissance d’un permis tacite à l’expiration du délai d’instruction et à ce que la décision de refus de permis de construire en litige soit regardée comme procédant illégalement au retrait d’un tel permis tacite. Par suite, le juge des référés a, en jugeant le contraire, commis une erreur de droit. ».
Il faut en déduire que si une demande de pièces complémentaires pour l’instruction d’un permis comporte des pièces non exigibles, mais également des pièces exigibles, il y a lieu de considérer qu’elle est légale, quand bien même la pièce exigible n’était pas utile. Pour faire simple, la légalité l’emporte sur l’illégalité.
2) Sur un tout autre point, à savoir la motivation des décisions de rejet de demandes de permis ou d’opposition à déclaration préalable, l’arrêt commenté mérite également notre attention.
En l’occurrence, la commune avait fait valoir, en cours d’instance, que le refus de permis pouvait également être fondé sur un autre motif, à savoir la méconnaissance des règles de hauteur.
Le juge des référés en avait déduit que, l’absence de mention de ce motif dans l’arrêté de refus et alors qu’il n’était invoqué qu’en cours d’instance traduisait une insuffisance de motivation de l’arrêté.
Le Conseil d’Etat censure ce raisonnement. Il rappelle l’obligation de motivation intégrale résultant des dispositions de l’article L. 424-3 du Code de l’urbanisme tout en réaffirmant que l’administration peut, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, faire valoir en cours d’instance que cette décision est légalement justifiée par un autre motif que ceux qui y sont énoncés[2]. Mais en déduisant de ce motif supplémentaire au contentieux, l’insuffisance de motivation dans l’arrêté, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.
3) Enfin, sur l’appréciation de l’urgence en référé-suspension contre un refus de permis, le Conseil d’Etat décline ici le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ».
Le Conseil d’Etat rappelle comment doit être appréciée l’urgence en cas de refus d’autorisation d’urbanisme :
« Il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi d’une demande de suspension d’un refus de permis de construire sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 de ce code, citées au point 1, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets du refus de permis litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence s’apprécie objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce, en tenant compte, notamment, des conséquences qui seraient susceptibles de résulter, pour les divers intérêts en présence, de la délivrance d’un permis de construire provisoire à l’issue d’un réexamen de la demande ordonné par le juge des référés. »[3].
Or, en l’espèce, le Conseil d’Etat rejette la requête pour défaut d’urgence. En effet, il estime que la demande de permis avait pour objet de régulariser une construction illégale, de sorte que la situation d’urgence résultait de l’absence de respect des règles d’urbanisme, autrement dit du comportement fautif du requérant.
En outre, le Conseil d’Etat estime que l’urgence n’est pas non plus établie car il n’est pas du tout certain que la délivrance d’un permis de construire provisoire permette aux requérants de vendre leur bien à bref délai, en dépit de l’irrégularité de la construction édifiée. D’où l’importance de ne pas construire sans autorisation.
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[1] Voir notre article sur la décision de principe CE Sect. 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain n° 454521.
[2] Sur ce point, v. CE, avis, 25 mai 2018, Préfet des Yvelines et autres, n° 417350, p. 240.
[3] Principe dégagé dans CE Sect. 7 octobre 2016, n° 395211.