Environnement, eau et déchet
le 09/03/2023

Transposition de la Directive « Eau potable » : nouveaux enjeux pour les producteurs et les distributeurs d’eau

Les Etats membres avaient jusqu’au 12 janvier 2023 pour transposer la Directive (UE) n° 2020/2184 du 16/12/20 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. La France s’y est employé à la fin de l’année 2022 en adoptant l’ordonnance n° 2022-1611 du 22 décembre 2022 relative à l’accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine ainsi que deux décrets d’application n° 2022-1720 et 2022-1721 du 29 décembre suivants et les 15 arrêtés adoptés entre fin décembre 2022 et début janvier 2023. Cette nouvelle réglementation a vocation à renforcer les mesures pour garantir, d’une part, l’accès des personnes aux eaux destinées à la consommation humaine et, d’autre part, la salubrité et la propreté de celles-ci.

Les nouvelles mesures issues de cette ordonnance et intégrées dans le Code de la santé publique (CSP), le Code l’environnement (C. env.) et le Code général des collectivités territoriales (CGCT) visent en particulier les collectivités territoriales dont l’intervention dans le petit cycle de l’eau se trouve encore renforcée. Ces mesures suivent les objectifs évoqués ci-dessus et imposent désormais aux collectivités compétentes d’assurer aux usager un accès à l’eau (I) ainsi que la qualité de l’eau (II) et leur ouvre la possibilité d’agir sur la protection de la ressource (III).

 

I. Le droit d’accès à l’eau destinée à la consommation humaine

A. Principe et définition

L’article L. 1321-1 A du CSP pose le principe selon lequel toute personne a droit à « un accès au moins quotidien à son domicile, dans son lieu de vie ou, à défaut, à proximité de ces derniers » mais également « à une quantité d’eau destinée à la consommation humaine suffisante pour répondre à ses besoins en boisson, en préparation et cuisson des aliments, en hygiène corporelle, en hygiène générale ainsi que pour assurer la propreté de son domicile ou de son lieu de vie », cette quantité étant fixée à cinquante à cent litres d’eau par personne et par jour (art. R. 1321-1 A du CSP).

La notion d’« eau destinée à la consommation humaine » est par ailleurs définie. Il s’agit d’« une eau propre et salubre qui, seule, convient aux usages liés à la boisson, à la préparation et à la cuisson des aliments, à l’hygiène corporelle, à l’hygiène générale et à la propreté, aux autres usages domestiques dans les lieux publics et privés, ainsi qu’à la préparation des denrées et marchandises destinées à l’alimentation humaine dans les entreprises du secteur alimentaire ». Les critères sanitaires qui doivent être respectés sont ensuite précisés par le décret n° 2022-1721 ainsi que ses arrêtés d’application.

B. Les modalités d’intervention de collectivités pour garantir l’accès à l’eau

Le nouvel article L. 1321-1 B du CSP impose aux communes et leurs « établissements publics de coopération » (notion impropre juridiquement mais qui semble renvoyer aux groupements de communes à fiscalité propre ou non) de prendre, « en tenant compte des particularités de la situation locale », les mesures pour améliorer ou préserver l’accès à l’eau destinée à la consommation humaine pour les personnes raccordées ou non au réseau public de distribution (art. L. 1321-1 B du CSP).

C’est par le biais d’un nouvel outil issu de l’ordonnance que le communes et EPCI pourront intervenir, le diagnostic territorial, élaboré par les collectivités, qui devra identifier les personnes n’ayant pas accès, ou un accès insuffisant, à l’eau potable ainsi que les raisons qui expliquent cette situation (art L. 2224-7-2 du CGCT). Ce diagnostic doit porter sur la totalité de la population et « n’exclut aucun site sur le fondement de la légalité de son occupation et aucune personne au regard de sa situation administrative » (art. R. 2224-5-4 du CGCT). Il doit être actualisé au moins tous les six ans, et permettre :

  • de dénombrer et de localiser les personnes présentes sur le territoire n’ayant pas un accès suffisant à l’eau destinée à la consommation humaine. Sur ce point, on notera toutefois que, pour les gens du voyage, les obligations des collectivités sont réputées satisfaites lorsqu’elles répondent aux conditions énoncées à l’article 2 de la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage ;
  • d’établir un état des lieux des modalités d’accès à l’eau, des usages et des pratiques ;
  • de formuler des recommandations d’actions ou de solutions destinées à améliorer les conditions d’accès à l’eau ;
  • de proposer, le cas échéant, des mesures d’accompagnement des acteurs intervenant pour améliorer les conditions d’accès à l’eau ;
  • de préconiser les modalités adaptées d’information des populations sur les solutions retenues.

Dans le cadre de ce diagnostic, il s’agit d’identifier et évaluer les possibilités d’améliorer l’accès à l’eau pour les personnes identifiées comme n’ayant pas l’accès à l’eau ou de manière insuffisante ; de mettre en œuvre, dans un délai de trois ans après la réalisation du diagnostic, les mesures nécessaires dès lors qu’elles sont techniquement réalisables et proportionnées à l’urgence de la situation ; d’informer les personnes dans le besoin des possibilités de connexion à un réseau de distribution ou des accès alternatifs à leur disposition ; et de mettre en place l’entretien des fontaines d’eau potable et des autres équipements permettant d’accéder dans les lieux publics à l’eau destinée à la consommation humaine.

Selon l’article R. 2224-5-5 du CGCT les solutions susceptibles d’être mises en œuvre par les collectivités peuvent être pérenne ou provisoire. Elles ne peuvent avoir pour effet d’engendrer des risques pour la santé et la sécurité de la population et peuvent consister, en fonction de la nature des insuffisances d’accès à l’eau identifiées, en :

  • un raccordement de la zone sans accès à l’eau à un réseau d’eau destinée à la consommation humaine ;
  • la mise à disposition d’équipements tels que des fontaines publiques d’eau potable, des rampes d’eau ou encore des bornes fontaines ;
  • la mise en œuvre d’actions correctives sur les fontaines et autres équipements de distribution d’eau potable ;
  • la mobilisation des dispositifs de la politique sociale de l’eau, tels que la tarification sociale de l’eau ou les aides forfaitaires ;
  • un accompagnement des personnes disposant d’un accès insuffisant à l’eau vers l’utilisation de ressources alternatives telles que des eaux de puits ou de forage, consistant, au minimum, en une information adaptée. A défaut de ressources alternatives, des dispositifs d’approvisionnement mobiles en eau peuvent être mis en œuvre.

On relèvera par ailleurs que l’ordonnance déroge ici au principe de gestion financière des services publics industriels et commerciaux (SPIC) qui régit la gestion du service d’eau potable. En effet, alors que ce dernier doit respecter le principe selon lequel il doit s’autofinancer et ne peut obtenir de financement de la part de la collectivité que dans des cas expressément prévus à l’article L. 2224-2 du CGCT, ces règles n’ont pas vocation à s’appliquer aux dépenses engagées pour la réalisation du diagnostic ou sa mise en œuvre. Plus encore, la loi prévoit la possibilité pour la collectivité compétente de solliciter le département ou le Préfet ainsi que les organisations civiles.

II. Les nouvelles mesures visant à garantir la qualité de l’eau

Ainsi que cela existait déjà, les personnes publiques ou privées assurant la protection ou la distribution de l’eau doivent se soumettre à un certain nombre d’obligations pour garantir la qualité de cette dernière. C’est ainsi qu’elles doivent surveiller la qualité de l’eau qu’elles produisent ou distribuent, se soumettre à un contrôle sanitaire, prendre les mesures correctives qui s’imposent le cas échéant, etc.

Les obligations des collectivités assurant la protection ou la distribution en matière de surveillance de la qualité de l’eau sont renforcées dès lors que les textes insistent désormais sur les critères de propreté et de salubrité qui devront être respectées par l’eau destinée à la consommation humaine. Ces critères sont définis par le décret n° 2022-1720 relatif à la sécurité sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine et par ses arrêtés d’application.

La nouvelle mesure principale issue de l’ordonnance qui s’impose aux personnes productrices ou distributrices d’eau potable (à l’exclusion de cette qui fournissent moins de dix mètres cubes par jour en moyenne ou approvisionnant moins de cinquante personnes dans l’exercice d’une activité commerciale ou publique) réside dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de gestion de la sécurité sanitaire de l’eau « sur toute partie de la chaîne de production et de distribution de l’eau destinée à la consommation humaine dont elle est responsable ou, pour les personnes responsables de la distribution intérieure de locaux ou établissements où l’eau est fournie au public, une évaluation des risques liés aux installations intérieures de distribution d’eau » (art L. 1321-4 du CSP). Ce plan de gestion doit couvrir un périmètre allant « de la zone de captage jusqu’en amont des installations privées de distribution » (art. Art. R. 1321-22-1 du CSP).

 

III. La contribution possible des collectivités à la préservation de la ressource

Toute personne publique responsable de la production d’eau qui assure tout ou partie du prélèvement peut désormais contribuer à la gestion et à la préservation de la ressource en eau à condition de faire part de cette décision par délibération (art. R. 2224-5-2 du CGCT). Il s’agit en revanche d’une obligation (et donc aucune délibération ne doit être adoptée en ce sens) lorsque la production de l’eau est en tout ou partie réalisée à partir d’un point de prélèvement dit « sensible », au sens de l’article L. 211-11-1 du Code de l’environnement (art. L. 2224-7-6 du CGCT).

Dans ce cadre, les collectivités élaborent et mettent en œuvre un plan d’action visant à contribuer au maintien ou à l’amélioration de la qualité de la part de la ressource utilisée pour la production d’eau destinée à la consommation humaine. Ce plan constitue le volet relatif à la maîtrise des risques liés aux pollutions du plan de gestion de la sécurité sanitaire de l’eau. Il s’applique sur tout ou partie de l’aire d’alimentation des captages pendant la durée qu’il détermine.

L’objectif de ce plan est d’« éviter, réduire ou supprimer les pollutions de toute nature ou à limiter leur transfert vers la ressource en eau », sans que remettre en cause les prescriptions arrêtées par le préfet dans les périmètres de protection de la ressource (immédiate, rapprochée ou éloignée) définis à l’article L. 1321-2 du CSP. Les mesures susceptibles d’être prises dans ce cadre sont définies à l’article  R. 2224-5-3 : sensibiliser, informer et mobiliser les acteurs du territoire pour préserver la qualité de la ressource en eau et les accompagner dans la mise en œuvre d’actions contribuant à cet objectif ; réaliser toute étude nécessaire pour mettre en œuvre, compléter ou actualiser le plan d’action ; suivre la qualité de la ressource en eau ; soutenir et favoriser la transition agro-écologique ; assurer la maîtrise foncière pour la mise en œuvre d’actions destinées à protéger ou restaurer la ressource en eau ; mettre en place des aménagements limitant le transfert de pollutions vers la ressource en eau ; signer des conventions d’engagement avec les partenaires du plan ; suivre et évaluer l’efficacité de la démarche.

En conclusion, alors que les derniers textes nationaux en matière d’eau potable avaient surtout pour objectif de réorganiser la gouvernance de la gestion du service public en dotant les EPCI à fiscalité propre d’une compétence obligatoire en la matière, l’organisation devra, désormais être appréhendée avec ces nouvelles obligations. Ces dernières seront notamment un enjeu particulier pour les communautés de communes qui se mettent en ordre de marche pour une prise de la compétence au 1er janvier 2026 au plus tard.

 

Clémence DU ROSTU