- Droit de l'urbanisme
le 17/10/2024
Camille TREHEUX
Nicolas  MACHET

Sursis à statuer dans les communes sous tension : l’appel court-circuité

CAA Paris, 26 septembre 2024, Commune de Livry-Gargan, n° 24PA02736

Par un arrêt du 26 septembre 2024 (classé en C+), la Cour administrative d’appel de Paris est venue préciser le champ d’application de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative, dans sa rédaction issue du décret n° 2022-929 du 24 juin 2022.

De ce texte, il faut retenir que dans certains cas, les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur des recours liés à des projets d’urbanisme. Cela signifie qu’ils sont la seule instance à examiner ces recours, sans possibilité d’appel. Seul le Conseil d’Etat peut ensuite être saisi en cassation. Mais comment traiter les sursis à statuer au prisme de ces dispositions ?

Les cas connus de suppression du double degré de juridiction en urbanisme

Rappelons que l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative s’applique à toutes les communes au sein desquelles est perçue la taxe annuelle sur les logements vacants, communes dites sous tension, où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements. Les communes concernées sont listées en annexe du décret n° 2013-392 du 10 mai 2013.

Afin de réduire les délais de jugement et répondre plus rapidement aux besoins en construction de logements de ces communes, le 1° de cet article supprime dans ces communes le double degré de juridiction pour un certain nombre de décisions en matière d’occupation des sols.

Ainsi, ne peuvent faire l’objet d’un appel les jugements relatifs aux permis de construire ou de démolir un bâtiment comportant plus de deux logements, les permis d’aménager un lotissement, les décisions de non-opposition à une déclaration préalable autorisant un lotissement ainsi qu’aux décisions portant refus de ces autorisations ou opposition à déclaration préalable.

Dans la même perspective, le 2° de ce même article supprime l’appel contre les jugements relatifs aux actes de création ou de modification des zones d’aménagement concerté visées par l’article L. 311-1 du Code de l’urbanisme, et à l’acte approuvant le programme des équipements publics mentionné à l’article R. 311-8 du même Code, lorsque la zone d’aménagement concerté à laquelle ils se rapportent porte principalement sur la réalisation de logements et qu’elle est située en tout ou partie sur le territoire d’une commune sous tension.

Dans un autre registre, on trouve également une suppression du double degré de juridiction en matière d’éoliennes terrestres. L’article R. 311-5 du Code de justice administrative instaure une compétence de premier et dernier ressort au profit des cours administratives d’appel pour toutes les décisions environnementales et d’urbanisme afférentes aux éoliennes terrestres, dans l’objectif de ne pas ralentir le déploiement des énergies renouvelables sur le territoire national. Il en va de même en matière d’urbanisme commercial.

Vers la suppression de l’appel pour les sursis à statuer opposés dans les communes sous tension ?

Rappelons tout d’abord que l’autorité compétente doit se prononcer sur les demandes de permis de construire ou de déclaration préalable. Toutefois, dans certains cas visés à l’article L. 424-1 du Code de l’urbanisme, il peut être décidé de suspendre l’examen de la demande pour éviter que le projet entre en conflit avec d’autres projets urbains : PLU en cours d’élaboration, opération d’aménagement, etc. Ce sursis à statuer peut durer jusqu’à deux ans, mais il doit être justifié et ne peut pas être renouvelé pour les mêmes raisons.

Dans l’affaire dont a eu à connaître la Cour administrative d’appel de Paris, était en jeu le champ d’application du 1° de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative et, plus précisément, les décisions de refus des autorisations qu’il vise.

Après l’annulation par le Tribunal administratif de Montreuil du sursis à statuer qu’elle avait opposé à une demande de permis de construire un immeuble de 56 logements sur le fondement du 2ème alinéa de l’article L. 424-1 du Code de l’urbanisme, la commune de Livry-Gargan, qui figure sur la liste des communes sous tension, a décidé d’interjeter appel de ce jugement.

Selon elle, l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative ne visant pas les décisions de sursis à statuer, il n’avait pas vocation à s’appliquer en l’espèce.

Quelques mois plus tôt, dans un jugement n° 2004260 du 9 octobre 2023 le Tribunal administratif de Grenoble (commentaire ici[1]), avait eu à se prononcer, dans une configuration différente, sur la nature du sursis à statuer vis-à-vis d’un refus d’autorisation d’urbanisme.

En considérant que le « sursis à statuer constitue une décision administrative d’une nature juridique différente d’un refus de permis de construire », le Tribunal administratif de Grenoble avait refusé qu’au motif initialement opposé par la commune pour refuser une autorisation d’urbanisme soit substitué un sursis à statuer pour tenir compte d’un plan local d’urbanisme intercommunal en cours d’élaboration.

À rebours de ce jugement, la Cour administrative d’appel de Paris estime dans l’arrêt ici commenté qu’une décision de sursis à statuer, « doit être assimilée à un refus, pour application de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative, dès lors qu’elle fait obstacle, au moins temporairement, à la construction [de] logements ». Elle en conclut que « le jugement attaqué doit être regardé comme ayant été rendu en premier et dernier ressort » et transmet la requête, requalifiée en pourvoi en cassation, au Conseil d’Etat.

Si, de prime abord, ces positions peuvent sembler contradictoires, soulignons que la question de l’assimilation du sursis à statuer à un refus d’autorisation s’est posée de façon totalement différente.

Là où le Tribunal administratif de Grenoble s’est davantage fondé sur la nature juridique distincte du sursis à statuer et du refus d’autorisation d’urbanisme pour refuser que l’une soit transformée en l’autre en cours d’instance, la Cour administrative d’appel de Paris prend la précaution de cantonner la portée de son analyse à la stricte application de l’article R. 811-1-1 du Code de justice administrative, assimilant ces deux décisions seulement au regard de l’effet semblable qu’elles produisent, à savoir le blocage du projet.

Favorable aux porteurs de projets, la solution de la Cour s’avère donc parfaitement fidèle à la tendance à l’œuvre depuis une décennie consistant à accélérer le contentieux de l’urbanisme dans les zones tendues, afin de ne pas retarder considérablement des projets de construction dans des communes confrontées à une tension marquée entre l’offre et la demande de logements.

Reste à savoir si le Conseil d’Etat, désormais saisi, suivra l’analyse de la Cour administrative d’appel de Paris.

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[1] https://www.seban-associes.avocat.fr/refus-de-permis-de-construire-le-sursis-a-statuer-est-exclu-du-mecanisme-de-la-substitution-de-motifs/