Environnement, eau et déchet
le 08/09/2022

Sécheresse : quelles évolutions du cadre règlementaire sur la gestion quantitative de l’eau ?

Feuille de route 2022 du Gouvernement face aux risques de sécheresse

Décret n° 2022-1078 du 29 juillet 2022 relatif à la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux

Conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, 1er février 2022

Rapport des offices parlementaires établi au nom de l’office, sur les aspects scientifiques et technologiques de la gestion quantitative de l’eau, n° 5187, 17 mars 2022

Arrêté du 28 juillet 2022 relatif au dossier de demande d’autorisation d’utilisation des eaux usées traitées

Commission européenne, Lignes directrices visant à soutenir l’application du règlement (UE) relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau (2022/C 298/01), 5 août 2022

Communiqué de presse de l’Association Nationale des Elus en charge du Sport (ANDES), Face à l’urgence climatique et la sécheresse actuelle, l’ANDES demande la suspension immédiate de l’obligation des vidanges annuelles des piscines, du 25 août 2022

Intercommunalités de France, Note technique Anticiper et faire face aux sécheresses : le rôle des intercommunalités, août 2022

 

Elle a fait, et fait toujours, les titres des actualités depuis plusieurs mois : la sécheresse a frappé l’ensemble du territoire et, au 30 août 2022, 93 départements demeurent concernés « par une restriction au-delà de la vigilance, sur au moins une partie du territoire : 3 en alerte, 12 en alerte renforcée et 78 en crise » selon les informations publiées par le Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

La sécheresse a d’importantes répercussions sur les différents usages de l’eau, et l’on est alors en droit de se demander quelles sont les mesures de gestion prévues par les textes, à la fois pour prévenir et pour gérer ces phénomènes dont la fréquence et la gravité seront nécessairement aggravées par les changements climatiques.

L’année dernière, le cadre règlementaire en matière de sécheresse avait été renforcé par le décret n° 2021-795 du 23 juin 2021 relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau et à la gestion des situations de crise liées à la sécheresse, ou « décret sécheresse », ce qui avait été présenté dans une précédente brève. Ce décret avait notamment harmonisé les quatre niveaux de gravité des situations de sécheresse (vigilance, alerte, alerte renforcée et crise) et renforcé le rôle du préfet coordonnateur de bassin ainsi que les prérogatives des préfets en la matière.

Au cours des derniers mois, plusieurs mesures ont également été adoptées ou évoquées s’agissant de la gestion quantitative de l’eau.

1 – Présentation des pratiques existantes, au niveau de l’Etat et au niveau intercommunal :

a – Interventions de l’Etat : Publication d’une feuille de route par le Gouvernement

Tout d’abord s’agissant des actions mises en œuvre à ce jour, on relèvera que le Ministère de la transition écologique a publié, au mois de juin, une feuille de route 2022 pour la gestion de la sécheresse, qui présente les cinq principales actions menées par l’Etat :

  1. La surveillance de la ressource, et plus particulièrement du niveau des eaux souterraines et des débits des cours d’eaux, qui est assurée notamment au moyen de plusieurs milliers de stations de suivi et de mesure et grâce à l’intervention du Ministère, du Bureau de recherches géologiques et minières, de l’Office français de la biodiversité, Voies navigables de France ou encore EDF ;
  2. La mise en place de restrictions d’usage de l’eau, décidées par les préfets selon les quatre niveaux de gravité de la situation susmentionnés : vigilance, alerte, alerte renforcée et crise. Le préfet peut à cet égard adopter des arrêtés de restriction temporaire des usages de l’eau ;
  3. L’appel à la sobriété des usages de l’eau, l’Etat indiquant encourager les bonnes pratiques. La feuille de route révèle à cette occasion que « le secteur agricole représente 45 % de la consommation d’eau, le refroidissement des centrales électriques 31 %, l’eau potable 21 % et les usages industriels 3 % » ;
  4. Organisation de campagnes de contrôles des mesures de restriction des usages de l’eau (contrôle du respect des mesures de restriction dans les zones d’alerte sécheresse et contrôle des volumes prélevés par les ouvrages de prélèvements). Il est indiqué que sur les 6.912 contrôles effectués en 2021, 14,5 % ont révélé une non-conformité ;
  5. Feuille de route 2022 du Gouvernement face aux risques de sécheresse. Il est indiqué au titre de cet item que le Gouvernement a augmenté le plafond des dépenses des agences de l’eau à hauteur de 100 millions d’euros. Il est également mentionné qu’il s’agit de « soutenir les collectivités territoriales dans leurs initiatives visant à économiser l’eau et éviter toute pénurie d’eau potable : action contre les fuites dans les réseaux, interconnexions de sécurité».

Mais cette feuille de route ne mentionne pas, outre le recensement des actions aujourd’hui menées par l’Etat, de nouvelles pistes qui seraient envisagées ni ne définit d’objectifs en matière d’économie de la ressource ou de gestion quantitative de l’eau.

b – Les retours d’expériences des intercommunalités

Durant le mois d’août, Intercommunalités de France a publié une note technique intitulée « Anticiper et faire face aux sécheresses : le rôle des intercommunalités », présentant notamment des actions ayant été menées par des structures intercommunales. Certaines des actions présentées consistent en des investissements dans les réseaux et installations, se rattachent à l’amélioration de la connaissance sur la ressource ou encore concernent l’accompagnement des différents acteurs dans la réduction des prélèvements et des impacts environnementaux de leurs activités.

2 – Evolutions du cadre règlementaire durant l’été

a – Adoption du décret relatif à la gestion de l’eau hors période de basses eaux

L’actualité juridique en matière de gestion quantitative de l’eau provient surtout de l’adoption du clivant décret n° 2022-1078 du 29 juillet 2022 relatif à la gestion quantitative de la ressource en dehors de la période de basses eaux, qui vise à compléter le dénommé « décret sécheresse » qui avait été adopté en juin 2021.

Ce décret :

  • Crée au sein du Code de l’environnement un article R. 211-21-3, lequel prévoit que l’autorité administrative peut définir en dehors des périodes de basses eaux, en tenant compte du régime hydrologique et dans le respect du bon fonctionnement des milieux aquatiques, des conditions de prélèvement en volumes ou débits ou « des volumes pouvant être disponibles pour les usages anthropiques ». En cela, le décret du 29 juillet 2022 prévoit donc la possibilité, hors période de basses eaux, de stocker des volumes d’eau en prévision des périodes d’étiage ;
  • Complète l’article R. 213-14 du Code de l’environnement en indiquant que le préfet coordonnateur de bassin pourra piloter et coordonner une stratégie sur l’opportunité de mener « des évaluations des volumes pouvant être disponibles pour les usages anthropiques hors période de basses eaux, au regard du régime hydrologique et dans le respect du bon fonctionnement des milieux aquatiques, des équilibres naturels et des objectifs du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux» sur certains sous-bassins sensibles (c’est-à-dire situés en zone de répartition des eaux ou en situation de déséquilibre ou d’équilibre fragile entre la ressource et les prélèvements). Le Préfet devra donc examiner l’opportunité de procéder à de telles évaluations et il a été précisé dans les motifs du décret que ces évaluations résulteront d’un choix du préfet, « le Gouvernement [n’ayant] pas souhaité rendre obligatoire la définition d’une stratégie pour les volumes hors périodes de basses eaux » ;
  • Enfin, le décret énonce également que le pétitionnaire d’une demande d’autorisation unique de prélèvement peut joindre à son dossier le programme de retour à l’équilibre, même si la concertation territoriale n’est pas finalisée.

En ce qu’il renforce les prérogatives du préfet coordonnateur de bassin, ce décret s’inscrit donc dans la continuité du décret sécheresse de 2021, mais c’est la rupture avec le texte de juin 2021 en terme de gestion de la ressource en eau retenue qui créé des divisions. En effet, le décret permet de définir une logique de stockage de la ressource durant la période hors basses eaux, logique qui a été favorablement accueillie par les acteurs du monde agricole. Notamment, la Chambre de l’agriculture du Calvados avait ainsi indiqué lors de la procédure de consultation du public que « nous considérons que le stockage d’une partie des excès d’eau durant les périodes hors basses eaux pour les utiliser à l’étiage afin de soutenir les milieux et les usages représente une solution à développer et à promouvoir » et la FRSEA des Hauts-de-France considérait dans le même sens que « pour le secteur agricole, le stockage de l’eau hors période d’étiage constitue un levier d’anticipation au changement climatique et une garantie pour l’irrigation tout en préservant les milieux à l’étiage ».

Cette logique est toutefois critiquée par des associations de protection de l’environnement ou encore la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), cette dernière ayant indiqué que « durant le « Varenne agricole de l’eau et du changement climatique » les contributions scientifiques complémentaires à celles des assises de l’eau ont plutôt renforcé l’idée que si les retenues d’eau n’étaient pas à exclure, c’était prioritairement vers la transition agroécologique, les solutions fondées sur la nature, les économies d’eau que se trouvaient les pistes de résilience de l’agriculture […]. Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas créer de retenues d’eau (ni encore moins ne jamais irriguer), mais les prélèvements à des fins d’irrigation ne doivent pas être destinées à faire perdurer sur un territoire des cultures inadaptées aux conditions locales présentes et à venir ».

La FNCCR critiquait également au sein de sa contribution à la procédure de participation du public l’absence de définitions précises des notions utilisées par le texte (comme celle de « volumes pouvant être hydrologiquement disponibles pour les usages anthropiques ») ainsi que le caractère « lacunaire » des données disponibles sur le fondement desquelles les volumes prélevés seront calculés.

On précisera que ce décret répond à un engagement de l’Etat de « Consolider le rôle du préfet coordonnateur de bassin dans la détermination du volume prélevable en hiver, par un complément au décret de juin 2021 », engagement pris lors du Varenne agricole de l’eau et du changement climatique, dont les conclusions ont été publiées le 1er février 2022.

b – Mise en place du recours aux eaux usées traitées

Par ailleurs, concernant de manière certes plus indirecte la gestion quantitative de l’eau, on soulignera qu’a également été adopté durant l’été l’arrêté du 28 juillet 2022 relatif au dossier de demande d’autorisation d’utilisation des eaux usées traitées. L’utilisation des eaux usées traitées permet en effet de diminuer la pression sur la ressource, et un rapport parlementaire du 17 mars 2022 indiquait à cet égard qu’« après utilisation pour des activités humaines, les eaux sont dites « usées » et traitées dans des stations d’épuration chargées de les dépolluer. En général, elles sont ensuite rejetées dans le milieu naturel. Pourtant, les eaux usées traitées constituent une ressource stable en quantité et en qualité, susceptible d’être valorisée (principalement pour l’irrigation de cultures ou d’espaces verts) ». En ce sens, l’article L. 211-9 du Code de l’environnement prévoit depuis l’adoption de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire qu’un décret doit être adopté pour définir « les usages et les conditions dans lesquelles les eaux usées traitées peuvent être réutilisées ».

L’arrêté ici présenté du 28 juillet 2022 a donc été pris en application du décret n° 2022-336 en date du 10 mars 2022 relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées, et détermine le contenu du dossier de demande pour la délivrance d’une autorisation d’utilisation des eaux usées traitées. Ce dossier devra comporter de nombreux éléments techniques dont, notamment :

  • La description détaillée du projet d’utilisation des eaux, ce qui inclut entre autres un schéma conceptuel du projet d’utilisation, les caractéristiques des eaux usées brutes (origines, qualités et volumes) et du réseau de collecte (unitaire, séparatif), les autorisations et les conventions de raccordement des activités raccordées au réseau, les caractéristiques de l’installation de traitement existante ou requise, la justification que les boues respectent les qualités exigées, la liste exhaustive des usages prévus des eaux usées traitées, le calendrier d’utilisation de ces eaux et les volumes qui seront utilisés en fonction des usages, etc. ;
  • L’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, ce qui comprend notamment l’identification des populations susceptibles d’être exposées, de leur nombre et des voies d’exposition, ainsi que la caractérisation des situations d’exposition et l’identification des évènements dangereux. ;
  • La description détaillée des installations impliquées, ce qui inclut notamment les protocoles d’échantillonnage et d’analyses ainsi que leur calendrier, le descriptif des modes de détection et de gestion des dysfonctionnements ainsi que la liste des acteurs impliqués et leurs responsabilités ;

Ce dossier de demande devra être adressé au préfet de département, sous format papier et électronique.

On indiquera que, l’arrêté précisant le contenu de l’arrêté d’autorisation d’utilisation des eaux usées traitées n’ayant pas encore été adopté, ce dispositif ne peut actuellement être mis en œuvre.

On soulignera par ailleurs que la Commission européenne a publié, le 5 août 2022, des lignes directrices visant à soutenir l’application du règlement relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau. Le règlement (UE) 2020/741 du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 2020 relatif aux exigences minimales applicables à la réutilisation de l’eau sera en effet applicable à compter du 26 juin 2023 et vise à permettre une réutilisation des eaux urbaines résiduaires traitées pour l’irrigation agricole, et fixe à cet égard des exigences minimales de qualité et de surveillance de l’eau et des dispositions en matière de gestion des risques (cf. notre précédente brève sur ce règlement).

3 – De nouvelles évolutions à envisager pour les collectivités ?

D’autres mesures pourraient en outre être envisagées pour permettre de diminuer la pression sur la ressource, en agissant notamment au niveau local.

Notamment, Intercommunalités de France a fait plusieurs propositions dans le cadre de sa note technique susmentionnée, lesquelles consistent à :

  • Soutenir l’élaboration d’une politique globale et transversale de l’eau. Il s’agirait ici notamment de mener des réflexions sur les pratiques agricoles, et donc examiner les usages agricoles de l’eau, de mener des actions de réduction à la source des pollutions, de clarifier les compétences et responsabilités intercommunales en matière de cycle de l’eau ;
  • Faciliter la prise de décision locale, ce qui inclurait notamment la formation sur les métiers de l’eau et les achats innovants ou encore la simplification des démarches sur les utilisations des eaux usées traitées et des eaux de pluie ;
  • Élaborer un modèle économique pérenne pour le cycle de l’eau, ce qui comprend l’organisation d’une concertation sur un mécanisme de financement de la compétence de gestion des eaux pluviales urbaines, d’agir sur les financements des agences de l’eau ou encore de faciliter la mise en œuvre d’une politique sociale de l’eau.

Enfin et pour être complet, on mentionnera que l’association nationale des élus en charge du sport (ANDES) a publié le 25 août 2022 un communiqué de presse sollicitant la suspension de l’obligation de vidange annuelle des piscines.