Propriété intellectuelle
le 19/06/2025
Audrey LEFEVRE
Lucile MARTIN
Gabrielle LAMBERT

Réforme du droit des dessins et modèles : le nouveau « Paquet européen Dessins et Modèles » permet la protection des innovations numériques et du patrimoine culturel national

Directive (UE) 2024/2823 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 sur la protection juridique des dessins ou modèles (refonte)

Règlement (UE) 2024/2822 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2024 modifiant le règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil sur les dessins ou modèles communautaires et abrogeant le règlement (CE) n° 2246/2002 de la Commission

Comme tout titre de propriété intellectuelle, le dessin ou modèle confère un droit exclusif à son titulaire, lui permettant d’interdire toute exploitation non autorisée.

Ce levier juridique est particulièrement utile pour les personnes publiques, qui s’en saisissent pour protéger leur patrimoine mobilier : la ville de Paris a déposé les dessins et modèles de ses candélabres, tandis que la ville La Rochelle protège ses bancs et chaises publiques. La protection peut s’étendre à une large gamme d’objets, tels qu’une carte de transport ou une mascotte, comme c’est le cas pour le Département de La Réunion.

Les dessins et modèles, au sens de l’article L. 511-1 du Code de la propriété intellectuelle, protègent l’apparence d’un produit ou d’une partie de produit définie par ses lignes, contours, couleurs, formes, textures ou matériaux. Ce régime, compatible avec d’autres protections de la propriété intellectuelle, comme le droit des marques, est également intéressant car il permet de pallier l’absence d’applicabilité du droit d’auteur lorsque l’objet ne présente pas un degré de créativité suffisant.

Le droit des dessins et modèles a pour source le droit européen dont les textes[1] ont récemment été réformés par le « Paquet Dessins et Modèles » adopté le 23 octobre 2024, comprenant la Directive (UE) 2024/2823, à transposer d’ici décembre 2027, et le Règlement (UE) 2024/2822, applicable dans les Etats membres depuis le 1er mai 2025.

Traditionnellement, la protection des dessins et modèles repose sur deux critères cumulatifs : la nouveauté et le caractère propre. Un dessin ou modèle est considéré comme nouveau lorsqu’aucun modèle identique n’a été divulgué à la date de dépôt[2] – tenant compte du délai de grâce de 12 mois pendant lequel une divulgation par le créateur ne fait pas obstacle à la nouveauté.

Par ailleurs, le caractère propre (ou individuel selon les textes européens) suppose que l’impression visuelle d’ensemble suscitée chez l’observateur averti diffère de celle d’un dessin ou modèle antérieur[3].

  • La réforme européenne de 2024 maintient ces fondements tout en les adaptant aux enjeux contemporains, notamment numériques. Le champ de protection est ainsi élargi aux dessins numériques et immatériels (incluant notamment les interfaces graphiques, objets virtuels, éléments animés ou dynamiques – tels que les effets « pop-up » sur les sites web par exemple).
  • Le texte consacre également une règle jurisprudentielle majeure selon laquelle seules les caractéristiques visibles d’un dessin ou modèle sont protégées.
  • La procédure de dépôt est également simplifiée. Il est désormais possible de déposer plus de 50 dessins en une seule demande, y compris issus de différentes classes de Locarno, sans contrainte de classification homogène (ce qui n’était pas le cas auparavant, où seuls des dessins ou modèles d’une même classe pouvaient être déposés). Les délais sont également harmonisés, avec une publication différée pouvant aller jusqu’à 30 mois, et une procédure d’opposition possible jusqu’à 3 mois avant l’expiration de ce délai.
  • Point particulièrement intéressant pour les personnes publiques : l’article 13 de la directive prévoit, pour les États membres, la faculté d’instaurer des motifs de refus supplémentaires, au visa desquels il pourra être opposé un refus à un dépôt lorsqu’il reproduit des éléments du patrimoine culturel national (monuments, costumes, par exemple) ou utilise abusivement des emblèmes nationaux (armoiries, drapeaux, etc.).
  • Par ailleurs, on la réforme instaure une procédure administrative en nullité, calquée sur celle applicable à la procédure en matière de droit des marques.

L’enjeu principal réside désormais dans la transposition de la directive en droit français, afin d’apprécier les adaptations à venir du Code de la propriété intellectuelle (d’ici décembre 2027). D’ici là, le règlement est pour sa part directement applicable dans tous les États membres de l’Union européenne (UE) et s’impose aux acteurs, tant publics que privés, depuis le 1er mai dernier.

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[1] Directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 et le règlement (CE) n°6/2002 du 12 décembre 2001, intégrés au titre V du Code de la propriété intellectuelle

[2] Article L.511-3 du Code de la propriété intellectuelle : « Un dessin ou modèle est regardé comme nouveau si, à la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou à la date de la priorité revendiquée, aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué. Des dessins ou modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne diffèrent que par des détails insignifiants ».

[3] Article L.511-4 du Code de la propriété intellectuelle : « Un dessin ou modèle a un caractère propre lorsque l’impression visuelle d’ensemble qu’il suscite chez l’observateur averti diffère de celle produite par tout dessin ou modèle divulgué avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de priorité revendiquée. Pour l’appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la réalisation du dessin ou modèle ».