Droit du travail et de la sécurité sociale
le 22/06/2023
Benoît ROSEIRO
Karim DE MEDEIROS

Réforme des retraites : une mise en œuvre au 1er septembre 2023

Dans un contexte de fortes tensions sociales à hauteur de la réforme projetée, la loi prévoyant le nouveau régime des retraites a fini par être promulguée le 14 avril 2023 et publiée au Journal Officiel le 15 avril 2023. Elle est prévue pour entrer en vigueur dès le 1er septembre 2023.[1]

Cette entrée en vigueur fait suite à une décision en date du 14 avril 2023 n° 2023-849, sur laquelle nous reviendrons brièvement, par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, portant notamment réforme des retraites, partiellement conforme au bloc de constitutionnalité (I).[2]

Ce faisant, l’essentiel de la réforme des retraites a été approuvé (II).

L’adoption d’une trentaine de décrets est envisagée pour sa mise en œuvre. Les deux premiers décrets, commentés ci-après, ont été publiés le 3 juin 2023 (III).[3]

I. Retour sur la décision du Conseil constitutionnel validant la Réforme

Le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi dans un contexte tumultueux, a approuvé l’essentiel de la réforme des retraites. Ce faisant, il a rejeté les griefs procéduraux et de fonds que soulevaient les requérants à l’encontre de ce texte.

  • Le rejet des griefs procéduraux

Les opposants à la réforme exposaient tout d’abord, en substance, que le recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour procéder à la réforme des retraites constituait un détournement de procédure, aux fins de bénéficier de la procédure accélérée prévue par l’article 47-1 de la Constitution.

Ils affirmaient, dans le prolongement, qu’une telle réforme devait être examinée selon la procédure législative ordinaire et critiquaient le fait que le Gouvernement avait recouru à plusieurs procédures pour accélérer les débats.

Pour écarter ces arguments, le Conseil constitutionnel a précisé, en substance, que le recours à une loi de financement rectificative pour porter cette réforme ne méconnaissait, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle.

Il a poursuivi en indiquant qu’en tous les cas, il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur le choix du véhicule législatif le plus adapté pour adopter la réforme et que ce dernier s’est seulement borné à utiliser des moyens licites découlant de la Constitution, tel que le recours à l’article 49 alinéa 3.

  • Le rejet de griefs de fond

S’agissant, ensuite, du fond, le Conseil constitutionnel a jugé conformes à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 les dispositions relatives au report progressif de l’âge légal de départ en retraite, de l’allongement de la durée d’assurance et du dispositif de retraite anticipée.

Ce faisant, il a motivé sa décision en précisant que :

  • « Le législateur a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition et, ainsi, en garantir la pérennité. Il a notamment tenu compte de l’allongement de l’espérance de vie ;
  • Le législateur a par ailleurs maintenu ou étendu des possibilités de retraite anticipée au bénéfice des personnes ayant eu des carrières longues, de celles ayant un taux d’incapacité de travail fixé par voie réglementaire ou encore des travailleurs handicapés. Il a en outre maintenu l’âge d’annulation de la décote à soixante-sept ans pour les salariés du secteur privé et institué un âge d’annulation de la décote dans la fonction publique ».

Au reste, le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions à la marge de la réforme, notamment celles relatives à l’index sénior et à la création d’un contrat de travail de fin de carrière (aussi dit « CDI sénior »), en les considérant comme des cavaliers législatifs (i.e. comme des mesures étrangères à l’objet de la loi de financement de sécurité sociale pour 2023), etc.

A la suite de cette décision la loi de financement de la sécurité sociale a été promulguée le 14 avril 2023 et publiée au Journal Officiel le 15 avril 2023. Elle entrera en vigueur dès le 1er septembre 2023. Cependant, l’application de nombreuses mesures reste encore soumise à l’adoption d’une trentaine de décrets d’application.

 

II) L’essentiel de la réforme des retraites

En substance, il convient, ainsi, de retenir que l’essentiel de la loi portant réforme de la retraite a été validé. Elle prévoit, en substance, les principaux points exposés ci-après.

  • La suppression des principaux régimes spéciaux

La réforme supprime les principaux régimes spéciaux (RATP, Banque de France, industries électriques et gazières…). Cette suppression, qui laisse penser à une orientation vers un système Beveridgien, ne concernera que les personnes recrutées à compter du 1er septembre 2023.

  • Un recul de l’âge de départ et une augmentation de la durée de cotisation

Mesure phare de la réforme, la loi prévoit un rehaussement progressif de l’âge légal de la retraite passant de 62 à 64 ans. S’agissant de la durée requise de cotisations pour percevoir une retraite à taux plein, celle-ci augmentera plus vite que prévu pour atteindre 43 annuités dès 2027.

Des majorations de la durée de cotisations pour enfant sont prévues pour les mères de famille, à hauteur d’au moins 2 trimestres d’assurance pour éducation ou adoption. Le parent violent ou maltraitant peut être exclu du bénéfice de ce dispositif. Une assimilation des stages de la formation professionnelle à des périodes de cotisation est également prévue.

  • Un aménagement du dispositif carrière longue et retraites anticipées

En vue de tenir compte du relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite, la réforme prévoit :

  • un aménagement du dispositif permettant aux assurés ayant eu une carrière longue de partir à la retraite de manière anticipée décrit ci-après (V. titre III) ;
  • un aménagement des dispositifs de départ anticipé ouverts aux assurés en situation de handicap ou ayant connu une carrière pénible.

De plus, la réforme instaure un nouveau cas de départ anticipé à la retraite pour les personnes reconnues inaptes au travail.

  • Montant de la pension

La réforme prévoit une revalorisation des petites pensions des retraités (actuels et futurs) à compter de septembre 2023, avec pour objectif de garantir au moins 85 % du Smic net, soit environ 1.173 € mais pour une carrière complète et à temps plein.

Il ne s’agit donc pas d’une pension minimum ouverte à tous comme avez pu laisser croire plusieurs communications du Gouvernement. Outre cette garantie, plusieurs mesures sont prévues, telles que :

  • l’instauration d’une surcote pour les parents avant l’âge légal de départ à la retraite ;
  • l’extension bonification de la pension pour enfants aux avocats et professionnels libéraux.

De plus, les indemnités journalières maternité versées avant 2012 sont incluses dans le salaire de base, pour le calcul de la pension. Une pension d’orphelin est, de plus, créée dans le régime général.

  • Transition entre activité et retraite

Afin d’encourager les seniors à reprendre une activité professionnelle, le cumul emploi-retraite intégral permet la création de nouveaux droits.

A compter du 1er septembre 2023, pour les retraites liquidées à taux plein (sans décote), les cotisations vieillesses prélevées sur le revenu d’activité ouvriront de nouveaux droits pour une nouvelle pension. Cette pension ne pourra pas se voir appliquer la majoration de 1,25 % par trimestre supplémentaire travaillé au-delà de la durée de cotisation et la majoration familiale.

Par ailleurs, les retraités qui assureront une reprise d’activité chez leur employeur devront respecter un délai d’au moins six mois entre le départ à la retraite et leur reprise d’activité. L’accès à la retraite progressive est facilité pour les salariés et le dispositif est étendu à tous les non-salariés.

  • Prévention et réparation de l’usure professionnelle

La pénibilité au travail et la transition entre les métiers demeure l’un des enjeux fort face au recul de l’âge légal de départ à la retraite.

Aussi, la réforme prévoit qu’en matière de prévention des risques professionnels, le compte professionnel de prévention (le C2P) pourra être mobilisé, afin de financer un projet de reconversion professionnelle, qui pourra intervenir à tout moment de la carrière du salarié, notamment sous la forme d’un congé avec maintien de la rémunération. Il est également prévu de faciliter l’accès à un emploi non exposé aux risques professionnels grâce au projet de transition professionnel.

Deux fonds de prévention de l’usure professionnelle sont également créés.

  • Hausse du coût des ruptures conventionnelles

Enfin, la réforme prévoit une mesure qui entraînera une conséquence particulièrement importante sur les ruptures conventionnelles.

Selon une analyse de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) datant de mai 2013, la rupture conventionnelle représentait environ 25 % des fins de contrat à durée indéterminée pour les salariés étant entre deux et trois ans de l’âge légal de la retraite alors qu’il ne représente que 16 % des fins de CDI pour l’ensemble des salariés.

Dès lors, le Gouvernement a estimé que ces ruptures négociées devenaient une forme de pré-retraite où le salarié disposait des allocations chômage un ou deux ans avant la retraite.

Face à une crainte d’une hausse des ruptures conventionnelles pour pallier la hausse de l’âge de la retraite, le législateur a prévu que les indemnités de rupture conventionnelle seront soumises dès le 1er septembre 2023 à un régime social unique, qui pourrait être le rehaussement du forfait social de 20 % à 30 %. Ce régime social unique sera également appliqué aux indemnités de mise à la retraite. Cette hausse des charges pour les employeurs a pour objectif de limiter le recours à ce dispositif de rupture conventionnelle.

 

III. L’apport des premiers décrets publiés

Les deux premiers décrets d’application de la réforme, dont le contenu est exposé ci-après, ont été adoptés ce 3 juin 2023. Ils précisent, en substance, les conditions de relèvement de l’âge légal de départ à la retraite et adaptent les dispositifs de départs anticipés.[4]

  • Le relèvement progressif de l’âge de départ à la retraite

Les décrets précisent, désormais, les conditions du relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite.

En substance, l’âge légal de départ à la retraite demeure fixé à 62 ans pour les assurés nés entre le 1 janvier 1955 et le 31 août 1961. Le décret prévoit qu’il augmentera progressivement par tranche de 3 mois supplémentaires par an, pour les assurés nés après le 31 août 1961.

L’âge de départ sera relevé ainsi (CSS art. D 161-2-1-9) :

Année de naissance Âge d’ouverture des droits à pension
(hors cas de départs anticipés)
de 1955 au 31 août 1961 62 ans
Entre le 1er septembre et le 31 décembre 1961 62 ans et 3 mois
1962 62 ans et 6 mois
1963 62 ans et 9 mois
1964 63 ans
1965 63 ans et 3 mois
1966 63 ans et 6 mois
1967 63 ans et 9 mois
1968 et après 64 ans
  • L’assouplissement du dispositif départ anticipé pour carrière longue

Avant l’adoption du décret n° 2023-436 ci-commenté, il n’était prévu que deux bornes d’âge concernant le dispositif départ anticipé pour carrière longue, à savoir celle :

  • Pour les assurés ayant commencé à travailler avant 16 ans (pour un départ à partir de 58 ans, sous conditions) ;
  • Pour les assurés ayant commencé à travailler avant 20 ans (pour un départ à partir de 60 ans, sous conditions).

Le décret ajoute désormais deux bornes d’âge supplémentaires, ce qui a pour effet de compléter le dispositif ainsi :

  • Pour les assurés ayant commencé à travailler avant 16 ans (pour un départ à partir de 58 ans, sous conditions) ;
  • Pour les assurés ayant commencé à travailler avant 18 ans pour un départ possible à partir de 60 ans (pour un départ à partir de 60 ans, sous conditions) ;
  •  Pour les assurés ayant commencé à travailler avant 20 ans (pour un départ à partir de 62 ans, sous conditions) ;
  • Pour les assurés ayant commencé à travailler avant 21 ans (pour un départ à partir de 63 ans, sous conditions).

Afin de bénéficier du dispositif, le nombre de trimestres cotisés nécessaires équivaut à la durée d’assurance requise pour le taux plein, quels que soient les âges de début d’activité et de départ à la retraite, à savoir : 43 annuités maximum, soit 172 trimestres à partir de 2035. Les trimestres acquis au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer ou des aidants seront pris en compte dans le dispositif dans la limite de 4 trimestres.

Des dispositions spécifiques sont également prévues pour les assurées ayant commencé à travailler avant 20 ans (sur ce point, voir l’article D. 351-1-1, II du Code de la sécurité sociale).

  • L’instauration d’une clause de sauvegarde pour les assurés devenus inéligibles au dispositif départ anticipé

Le relèvement de la durée de cotisation pouvait susciter des inquiétudes chez les assurées qui pouvaient être éligibles au dispositif de retraites anticipée avant l’entrée en vigueur de la réforme des retraites (à savoir, les assurés nés entre le 1er septembre 1961 et le 31 décembre 1963).

Néanmoins, le décret n° 2023-436 a prévu le maintien des dispositions antérieures pour ces derniers, qui continueront à pouvoir en bénéficier comme auparavant.

  • Une évolution du dispositif retraite anticipée pour raison de santé ou de situation de handicap

Les assurés en situation de handicap ayant atteint une certaine durée d’assurance, alors qu’ils étaient frappés d’une incapacité permanente d’au moins 50 %, peuvent partir à la retraite à taux plein avant l’âge légal de départ. La réforme cristallise à 55 ans l’âge minimal de départ anticipé dans un tel cas.

L’entrée dans le dispositif est désormais seulement subordonnée à la seule réunion d’un certain nombre de trimestres cotisés pour les assurés nés à partir du 1er janvier 1973. Le nombre de trimestres requis reste, comme auparavant, fixé à une fraction de la durée d’assurance nécessaire pour le taux plein.

  • Le taux d’incapacité permanente donnant accès à la commission d’examen médical est réduit à 50 %

Les assurés ne bénéficiant pas de la reconnaissance administrative de leur handicap mais ayant atteint une incapacité permanente de 50 %, au lieu de 80 % d’incapacité permanente jusqu’à présent, peuvent saisir une commission médicale de l’organisme de retraite afin de valider 30 % de leur durée d’assurance après examen de leur situation.

  • Un abaissement de l’âge légal de départ à la retraite de 2 ans en cas d’incapacité permanente entre de 10 % à moins de 20%

Le dispositif de retraite anticipée peut également bénéficier aux assurés justifiant d’un taux d’incapacité permanente entre 10 % et mois de 20 % s’ils ont été exposés pendant 17 ans à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels et s’ils établissent un lien direct entre l’incapacité permanente et l’exposition à ces facteurs.

En cas de maladie professionnelle, l’existence d’un lien direct entre l’exposition au facteur de risques et l’incapacité permanente ainsi que la durée d’exposition sont présumées. Ces éléments seront instruits par une commission pluridisciplinaire en cas d’accident du travail. L’instruction des dossiers par la commission pluridisciplinaire est désormais simplifiée par le décret d’application de la réforme.

  • L’inaptitude au travail, nouveau cas de départ anticipé à la retraite 

L’âge de la retraite augmentant avec la réforme, les décrets d’application prévoient désormais que les assurés non reconnus inaptes, mais justifiant d’une incapacité permanente d’au moins 80 % pourront partir à la retraite dès 62 ans.

L’âge d’obtention de l’allocation solidarité personne âgées est par la même occasion fixée à 62 ans et non plus à l’âge légal de départ à la retraite.

  • Des précisions sur les modalités des demandes de pensions présentées avant le 1er septembre 2023

Dans le prolongement de ce qu’a prévu la loi sur la réforme des retraites, les décrets d’application disposent que les assurés ayant demandé leur pension avant le 1er septembre 2023 pour une entrée en jouissance après le 31 août 2023 peuvent bénéficier à leur demande d’une annulation de leur pension ou de leur demande de pension. Pour ce faire, les textes précisent que les salariés doivent adresser une demande aux organismes de sécurité sociale entre le 5 juin et le 31 octobre 2023 inclus.

Enfin, si le salarié n’atteint plus l’âge légal de départ à la retraite au 1er septembre 2023, la caisse devrait lui notifier un refus de la liquidation de sa retraite. Si le salarié n’atteint plus la durée d’assurance requise, il subira soit une décote ou bien il ne pourra plus bénéficier de la surcote qui lui était promise avant la réforme.

 

Benoît ROSEIRO et Karim de MEDEIROS

 

[1] loi 2023-270 du 14-4-2023 : JO 15 LOI n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (1) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

[2] décision no 2023-849 DC du 14 avril 2023 (JO 15) Décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023 | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)

[3] Décret n° 2023-4365du 3 juin 2023 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047625502

Décret n° 2023-436 du 3 juin 2023 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047625782

[4] Décret n° 2023-436 du 3 juin 2023 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047625502

Décret n° 2023-436 du 3 juin 2023 : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047625782