Environnement, eau et déchet
le 07/03/2024
Julie CAZOU
Eloïse GUILLERMIC

Référé-suspension et environnement : quand la suspension est-elle urgente ?

CE, 16 février 2024, Société Solucane, n° 479822, 480616

CE, 16 février 2024, SA Les Mines de Potasse d’Alsace, n° 489591, 489601

Par deux ordonnances en date du 16 février 2024, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur la caractérisation de la condition d’urgence lorsqu’il est demandé au juge de suspendre des décisions en matière environnementale, en l’occurrence une autorisation environnementale et une autorisation de stockage souterrain, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (CJA).

1°) Dans une première décision n° 479822 en date du 16 février 2024, le Conseil d’État a précisé quels paramètres devaient être pris en compte, ou plutôt ne pas être pris en compte, pour apprécier s’il existe une urgence à suspendre une autorisation environnementale dans le cadre d’un référé-suspension (article L. 521-1 du CJA).

En l’espèce, le préfet de la Moselle avait délivré à la société Solucane un arrêté d’autorisation pour l’exploitation d’une plateforme de transit de déchets sur le territoire de la commune de Phalsbourg. Les requérants avaient alors demandé au juge des référés d’ordonner la suspension de l’exécution de cet arrêté. Par une ordonnance du 25 juillet 2023, le Tribunal administratif avait fait droit à leur demande en jugeant notamment qu’il existait une urgence à suspendre l’autorisation environnementale attaquée en raison des risques pour la sécurité et les atteintes à la commodité du voisinage susceptibles d’être causés par les travaux de construction, autorisés par un permis de construire en date du 27 janvier 2023.

Saisi de la contestation de cette ordonnance, le Conseil d’Etat a toutefois infirmé ce raisonnement et jugé que les effets qui s’attachent à l’exécution de l’autorisation environnementale sont distincts de ceux du permis de construire portant sur les équipements nécessaires à l’exploitation autorisée. Ainsi, même si la mise en œuvre du permis de construire dépend de l’autorisation environnementale, les risques et nuisances liés aux travaux de construction ne peuvent être utilement invoqués pour justifier de l’urgence à suspendre l’exécution de l’autorisation environnementale.

Il annule ainsi l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg du 25 juillet 2023, considérant que les risques et nuisances susceptibles de résulter des travaux de construction de la plateforme de transit de déchets sont sans incidence sur l’appréciation de l’urgence à suspendre l’exécution de l’arrêté d’autorisation environnementale.

2°) Dans une seconde décision n° 489591 du même jour, le Conseil d’Etat a également dû se prononcer sur la condition d’urgence à suspendre l’autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux non radioactifs.

En effet, le préfet du Haut Rhin avait autorisé la prolongation pour une durée illimitée de l’autorisation de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux non radioactifs. Contesté par plusieurs requérants l’exécution de cet arrêté a été suspendue par le juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg, qui avait considéré que la condition d’urgence était remplie dès lors que le préfet ne démontrait pas que les travaux ainsi prolongés n’auraient pu être effectués auparavant.

Amené à se prononcer sur la condition d’urgence, le Conseil d’État a estimé que le juge des référés avait commis une erreur de droit dès lors qu’il n’avait pas procédé à une appréciation globale et concrète de la situation et prenant en compte les intérêts en jeu.

Procédant à cette appréciation, le Conseil d’Etat estime que la condition d’urgence n’est pas remplie dès lors que :

  • Il n’est pas démontré que le démarrage des travaux de confinement des déchets sur le site en cause présenterait un danger immédiat pour l’environnement et la santé des populations ;
  • La décision d’autoriser pour une durée illimitée le stockage des déchets sur le site en cause constituerait aujourd’hui la solution la plus susceptible de préserver l’environnement des atteintes portées par le site en cause ;
  • La réalisation des travaux est urgente car seule leur réalisation dans les meilleurs délais permettrait d’assurer les intérêts publics liés à la préservation des risques d’atteinte à l’environnement et à la sécurité des agents chargés de ces travaux.

Dès lors, le Conseil d’État prononce l’annulation de l’ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Strasbourg.