Le Conseil d’Etat apporte des précisions importantes concernant la possibilité de refuser un permis de construire lorsque les réserves d’eau sont insuffisantes sur le territoire d’une commune.
Le Conseil d’État avait déjà rendu une décision en 2004 précisant que les risques visés par l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme concernent non seulement les atteintes à la sécurité auxquelles peuvent être exposés les occupants de la construction pour laquelle le permis est demandé, mais également celles que le projet lui-même peut faire peser sur les tiers[1].
Par une décision en date du 1ᵉʳ décembre 2025, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi formé contre le jugement du 23 février 2024 du Tribunal administratif de Toulon, lequel avait confirmé le refus opposé par le Maire de Fayence à une demande de permis de construire portant sur un immeuble de cinq logements.
En effet, le Tribunal administratif de Toulon a reconnu que l’insuffisance de la ressource en eau pouvait constituer, à elle seule, un risque pour la santé et la salubrité publique au sens de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme. Les premiers juges ont estimé que la perspective d’une pénurie à court terme était suffisamment établie, notamment au regard d’une étude réalisée par un bureau spécialisé à la demande de la communauté de communes, et qu’elle faisait peser un risque non seulement sur les futurs occupants du projet, mais également sur l’ensemble des usagers du service de distribution d’eau. Ils ont en outre jugé que le maire ne pouvait légalement délivrer le permis de construire en l’assortissant de prescriptions particulières, faute pour de telles mesures de permettre de pallier la carence identifiée, ce qui justifiait pleinement la décision de refus[2].
La Haute juridiction apporte une précision importante : l’insuffisance de la quantité de la ressource en eau potable dont dispose une commune peut constituer un motif légal de refus de permis de construire au titre de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme, dès lors qu’un tel projet est susceptible de porter atteinte à la salubrité publique, confirmant ainsi le jugement du Tribunal administratif de Toulon.
L’instruction du dossier avait mis en évidence une situation particulièrement dégradée de la ressource hydraulique locale : deux forages étaient déjà asséchés, un troisième présentait un niveau très faible, des restrictions d’usage de l’eau potable avaient été imposées durant l’été 2022, et la commune avait dû recourir à des approvisionnements par camion-citerne. Le Conseil d’État a estimé que le tribunal administratif avait porté sur ces faits une appréciation souveraine, dépourvue de dénaturation.
Ainsi, l’anticipation d’une pénurie d’eau potable devient un élément pertinent pour apprécier la légalité d’un projet de construction, la disponibilité de la ressource en eau constituant désormais un critère déterminant dans l’équilibre entre développement urbain et exigences de sécurité et de salubrité publique.
Il importe toutefois de souligner que ce motif de refus ne peut être utilisé qu’en présence d’éléments factuels suffisamment solides. Le refus doit reposer sur des données objectives, telles qu’une étude hydrologique, un constat d’assèchement ou une perspective réelle de tension hydrique, et non sur de simples conjectures.
C’est d’ailleurs ce qui ressort d’une jurisprudence très récente de la Cour administrative de Lyon qui a jugé qu’une commune qui se borne à invoquer les constats qui figurent dans le rapport de présentation du PLUi d’une situation déficitaire en eau potable de la commune en période de pointe, ainsi que les réserves émises à ce sujet par le certificat d’urbanisme opérationnel ne sont pas de nature à démontrer l’existence d’un risque pour la sécurité ou la salubrité publique en application des dispositions de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme[3].
En somme, la décision commentée consacre l’intégration de la contrainte hydrique dans l’examen de la légalité des permis de construire. Elle offre aux collectivités un fondement juridique solide leur permettant d’adapter l’urbanisation à la capacité réelle du territoire à assurer l’accès à l’eau potable, dans le respect des exigences de santé et de salubrité publiques, sous réserve toutefois qu’elles établissent de manière suffisamment probante l’insuffisance de la ressource en eau et la condition relative aux prescriptions sociales.
_____
[1] Conseil d’Etat, 9èmes et 10èmes sous-sections réunies, du 1 mars 2004, 209942, publié au recueil Lebon
[2] TA Toulon, 23 février 2024, n°2302433
[3] CAA de LYON, 1ère chambre, 12 novembre 2025, 24LY01069, Inédit au recueil Lebon