Mobilité et transports
le 15/06/2023
Marion TERRAUX
Sylvain BOUEYRE

Proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains, vers une révolution au quotidien ?

Proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains, déposée le 25 avril 2023, n° 1166

Cette proposition de loi part d’un constat simple : les transports dans les métropoles sont congestionnés et la demande d’alternatives aux déplacements individuels augmente, il s’agit de donner la priorité à l’investissement dans l’usage du transport ferroviaire dans les déplacements du quotidien.

En 2020, à la demande du Gouvernement, SNCF Réseau a élaboré un schéma directeur des étoiles ferroviaires et services express métropolitains. Ce rapport concluait à l’insuffisance de l’offre ferroviaire urbaine en termes capacitaires, principalement composée de TER, et à la nécessité de développer une nouvelle offre de services express métropolitains.

Le 24 février 2023, la Première ministre avait annoncé que le déploiement des RER métropolitains doit viser à « construire des réseaux de transport complets pour les Français », permettant « de se rapprocher d’une gare ou développer les transports en commun là où ils sont absents » puisque « c’est lorsque nos concitoyens pourront trouver un transport en commun régulier, facilement accessible et fiable, qu’ils pourront réduire leur usage de la voiture »[1].

C’est l’objet de la proposition de loi n° 1166 relative aux services express régionaux métropolitains, déposée le 25 avril 2023 et actuellement en cours de discussion à l’Assemblée nationale. Elle doit être discutée en séance le vendredi 16 juin prochain.

 

1. Notion de Services Express Régionaux Métropolitains et objectifs

La proposition de loi affiche donc un objectif ambitieux : doubler la part du transport ferroviaire dans les déplacements du quotidien, désenclaver les territoires insuffisamment reliés aux centres urbains et augmenter la fréquence de passage et les amplitudes horaires.

Et pour ce faire, la proposition de loi créer un nouveau service, le « service express régionaux métropolitains » ou « SERM ».

Le « service express régionaux métropolitains » (SERM) est défini par la proposition de loi, telle que modifiée en commission[2], comme une « offre multimodale de services de transports collectifs publics qui s’appuie sur un renforcement de la desserte ferroviaire et intègre, le cas échéant, la mise en place de services de transport routier à haut niveau de service ainsi que la création ou l’adaptation de gares ou de pôles d’échanges multimodaux ».

Bien entendu, le déploiement de ces SERM passe en premier lieu par le déploiement d’infrastructures de transport ferroviaires, étant précisé que le déploiement de ces infrastructures devra être coordonné avec les autres politiques publiques d’aménagement du territoire, en particulier la maîtrise de l’urbanisation et la consommation d’espace.

Mais au-delà, la multimodalité tient également une place importante, voire déterminante, dans le dispositif. Ainsi, il s’agit d’intégrer les services de transport routier à haut niveau de service (« cars express ») ainsi que la création / adaptation de gares ou pôles d’échanges multimodaux. Et cette multimodalité doit être pensée dès le stade de la conception des réseaux de transport.

L’offre multimodale de services devra intégrer, le cas échéant, la mise en place de services de transport fluvial, de transports guidés (métros, tramways sur fer ou sur pneus, téléphériques…) et les gares et les pôles d’échanges multimodaux des SERM devront comprendre des aménagements permettant l’accès et le stationnement sécurisés des véhicules de covoiturage, des autres moyens de mobilité partagée et des vélos.

Au total, il s’agit de « créer un choc d’offre de services » de transports. La qualité de services étant la priorité affichée par les parlementaires, le réseau n’étant que le support des services.

 

2. Comment le label « SERM » sera-t-il obtenu ?

Le statut de SERM sera arrêté par le Ministre en charge des transports sur la base d’une proposition conjointe de la région et des autorités compétentes pour l’organisation de la mobilité concernées.

Le projet devra donc être concerté avec l’État et, le cas échéant, avec les gestionnaires d’autoroutes et de voies routières express du périmètre intéressé. En effet, le projet devra comprendre, sur chacun des axes routiers concernés, une trajectoire de réduction du trafic routier cohérente avec les objectifs de décarbonation[3].

L’obtention du statut de SERM devra être intégré au contrat opérationnel de mobilité déjà prévu à l’article L. 1215‑2 du Code des transports[4]. Ce contrat, qui existe déjà et qui est conclu entre la Région et les AOM, devra organiser les modalités de coordination entre la région et les autorités compétentes pour l’organisation de la mobilité dans la mise en œuvre des services de transport proposés par le SERM.

Un amendement déposé en commission propose d’afficher un objectif de création d’au moins 10 SERM dans un délai de 10 ans.

 

3. Le rôle déterminant de la Société du Grand Paris, renommée « Société des grands projets »

Dans un cadre plus global d’aménagement du territoire et pour profiter de son expertise en matière d’infrastructures de transports collectifs, la Société du Grand Paris se voit assigner un rôle central dans la conception et la réalisation des infrastructures nécessaires aux services express régionaux métropolitains.

Pour rappel, l’article 1er de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris définit le Grand Paris Express (GPE) comme « un projet urbain, social et économique d’intérêt national qui unit les grands territoires stratégiques de la région d’Île-de-France ». Les lignes du GPE ont vocation à renforcer le maillage de transport public en petite et moyenne couronne, ainsi que dans le sud-est et le nord-ouest de la région francilienne. Le GPE doit permettre de désengorger les lignes de métro en offrant des trajectoires périphériques de banlieue à banlieue.

Jusque-là, la SGP est principalement compétente en matière de « réalisation et gestion du réseau de transport public du Grand Paris ». Mais elle peut également participer aux projets d’infrastructures d’autres réseaux de transport public de voyageurs en Île-de-France.

La proposition de loi propose d’étendre les missions de la SGP pour lui permettre de contribuer à la conception, à la réalisation et au financement des SERM.

Cette extension du champ de compétences de la SGP exige d’abord de renommer l’établissement public pour lui permettre d’intervenir sur l’ensemble du territoire national. La « Société du Grand Paris » deviendrait la « SGP »[5].

La SGP ou ses filiales :

  • pourront participer à la conception des infrastructures nécessaires à la mise en œuvre des SERM ;
  • pourront être désignées, par arrêté du ministre chargé des transports, maîtres d’ouvrage d’infrastructures nouvelles du réseau ferré national incluses dans le périmètre des SERM[6]. Les ouvrages seront incorporés au réseau ferré national ;
  • pourront être désignés par les collectivités territoriales et leurs groupements, maîtres d’ouvrage de projets de création ou d’extension d’infrastructures de transport public urbain ou périurbain de personnes ou de marchandises[7].

En revanche, le monopole de SNCF Réseau n’est pas remis en cause car la nouvelle compétence étendue de la SGP n’inclut pas les infrastructures et les installations de service déjà en exploitation.

L’établissement public SGP pourra intervenir, le cas échéant, en créant des filiales ou en prenant des participations dans des sociétés, groupements ou organismes concourant à la réalisation des SERM. Elle pourra même exercer un rôle de coordination selon des modalités définies par convention avec l’État, les collectivités territoriales et leurs groupements, SNCF Réseau et les autres maîtres d’ouvrage.

 

La proposition de loi prévoit également que la SGP conclue une convention avec SNCF Réseau, le cas échéant avec SNCF Gares & Connexions, lorsque le Ministre des transports lui confie la maîtrise d’ouvrage pour une infrastructure ferroviaire nouvelle du réseau ferré national incluse dans un SERM.

Dans un tel cas, il est en effet nécessaire de prévoir les relations entre SNCF Réseau et la SGP, SNCF Réseau restant attributaire du réseau ferré national pour le compte de l’État.

La convention devra prévoir le programme et l’étendue des opérations à réaliser, la liste des ouvrages et les modalités de leur remise à SNCF Réseau ou à SNCF Gares & Connexions, les spécifications techniques et les modalités de coordination des différents maîtres d’ouvrage.

 

4. Le financement des SERM

Le plan de développement du ferroviaire, annoncé par la Première Ministre le 23 février dernier, est doté de 100 milliards d’euros d’ici 2040.

Ce montant s’ajoute aux 13,4 milliards d’euros d’investissement prévus par la LOM (loi d’orientation des mobilités) pour la période 2017-2022.

Le financement des SERM pendra principalement la forme de dotations supplémentaires de l’État aux collectivités territoriales et / ou à leurs groupements. Afin d’optimiser le mode de financement des projets de SERM, la proposition de loi étend et adapte les règles de financement des missions confiées à la SGP[8].

La SGP pourra contracter des emprunts et le produit de ces emprunts sera affecté aux dépenses relatives à l’exécution de ses missions.

Depuis la loi de finances pour 2019 (art. 167), avant le 1er octobre de chaque année, le Gouvernement doit présenter au Parlement un rapport relatif à l’évolution des dépenses et des ressources de la SGP. Le contenu du rapport est précisé par la proposition de loi, afin d’y intégrer les engagements de la SGP relatifs aux projets de SERM.

Pour chaque SERM, le rapport devra rendre compte de l’exposition financière de la SGP et du respect de l’horizon de remboursement des éventuels emprunts consentis par la SGP ou ses filiales au plus tard cinquante ans après leur mise en service, compte tenu des recettes et produits supplémentaires correspondants.

Le plafond d’endettement de 35 milliards d’euros ne s’applique qu’au projet du Grand Paris. Concernant les SERM, ce plafond est remplacé par une durée d’amortissement de chaque projet de cinquante ans maximum.

Enfin, la proposition de loi impose le cloisonnement des financements affectés au Grand Paris Express et à chaque SERM.

 

5. État des lieux des SERM

Dans un rapport de décembre 2022[9], le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) a identifié quinze projets majeurs de SERM et d’autres projets plus émergents ou locaux.

Trois SERM sont déjà partiellement opérationnels :

  • le « Léman Express » incluant la liaison ferroviaire franco-suisse Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse, avec deux branches se déployant en France ;
  • à Strasbourg, un SERM est en service depuis le 12 décembre 2022, incluant 800 trains supplémentaires par semaine ;
  • le SERM de Bordeaux est opérationnel depuis 2018. Il augmente progressivement les fréquences de son réseau depuis 2020 et a créé en 2019 une ligne complémentaire de cars express.

Selon le COI, douze autres projets importants sont en cours d’étude ou de déploiement par phases.

Au total, donc, ce serait une erreur de cantonner les SERM à un seul développement de l’offre de transport ferroviaire de proximité. Ce projet va bien au-delà. Il impliquera en effet une réflexion d’ensemble des régions et des autorités organisatrices de la mobilité sur le développement quantitatif et qualitatif des déplacements du quotidien dans une logique multimodale.

Autrement dit, ce nouvel acronyme que constitue les SERM vient de faire son entrée dans notre quotidien, nous n’avons pas fini d’en entendre parler.

Le Ministère des Transports, qui vient de publier une offre d’emploi pour « piloter l’action du Ministère sur les SERM » en est manifestement convaincu.

Nous ne manquerons pas de vous tenir informés de l’issue de la séance de l’Assemblée nationale de vendredi 16 juin, et des suites !

 

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[1] Présentation du Plan d’avenir pour les transports par la Première Ministre, le 23 février 2023, Matignon 

[2] Rapport n° 1290, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2023 

[3] Ajouté en commission de développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale.

[4] Ajouté en commission de développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale.

[5] La Société du Grand Paris a été renommée « SGP » par la proposition de loi initiale, puis « Société des grands projets » par la commission de développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale.

[6] Les ouvrages portant sur les infrastructures et les installations de service en exploitation sont exclus.

[7] Dans la proposition de loi initiale, il était prévu que l’État puisse également désigner la SGP ou ses filiales maîtres d’ouvrage de projets de création ou d’extension d’infrastructures de transport public urbain ou périurbain. Un amendement en commission a supprimé cette possibilité pour l’État.

[8] Ces règles figurent aujourd’hui à l’article 167 de la loi de finances pour 2019.

[9] Rapport « Investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leurs transitions », établi à la demande du ministre délégué chargé des transports, Clément Beaune