le 05/12/2024
Thomas ROUVEYRAN
Yann-Gaël NICOLAS
Élisa BRUNET

Produire de l’hydrogène renouvelable ou bas carbone : un choix stratégique pour les acheteurs publics et les professionnels du secteur

Les carburants liquides et gazeux renouvelables ou à faible teneur en carbone destinés au secteur des transports, dont l’hydrogène, pourraient jouer un rôle important pour augmenter la décarbonation des secteurs dépendant des carburants liquides et gazeux à long terme, tels que les transports maritime et aérien.

A ce titre, conformément à l’article 27 de la directive 2023/2413 du 18 octobre 2023 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, l’acte délégué 2023/1184 du 10 février 2023 a défini les conditions dans lesquelles l’hydrogène, les carburants à base d’hydrogène ou d’autres vecteurs énergétiques peuvent être considérés comme des carburants renouvelables d’origine non biologique (I).

Restait toutefois à définir les conditions dans lesquelles l’hydrogène peut être considéré comme bas carbone.

En effet, conformément à l’article 9 de la directive (UE) 2024/1788 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz renouvelable, du gaz naturel et de l’hydrogène, afin de veiller à ce que les réductions des émissions de gaz à effet de serre (ci-après « GES ») résultant de l’utilisation de carburants bas carbone soient de 70 % au minimum, la Commission doit adopter des actes délégués afin de préciser la méthode suivie pour évaluer les réductions des émissions de GES réalisées grâce aux carburants à faible teneur en carbone, dont l’hydrogène.

Le 27 septembre 2024, la Commission européenne a publié et soumis à la consultation publique un projet d’acte délégué précisant cette méthode d’évaluation applicable à l’hydrogène bas carbone (II).

Or, cette méthode d’évaluation est très attendue par les Etats membres et les professionnels du secteur afin de déterminer la nature de l’hydrogène – renouvelable ou bas carbone – à privilégier dans leurs investissements, mais également au regard de l’avantage compétitif qu’elle pourrait induire pour certains Etats membres, et en particulier la France.

 

1. L’acte délégué définissant l’hydrogène renouvelable

Pour rappel, l’acte délégué 2023/1184 du 10 février 2023 (dit « RFNBO ») a défini les conditions dans lesquelles l’hydrogène, les carburants à base d’hydrogène ou d’autres vecteurs énergétiques, peuvent être considérés comme des carburants renouvelables d’origine non biologique.

Etant précisé que les carburants liquides et gazeux, d’origine non biologique, dont l’hydrogène, produits à partir d’électricité ne sont considérés comme renouvelables que lorsque l’électricité est elle-même renouvelable.

A ce titre, l’article 3 de l’acte réglementé énumère les critères nécessaires pour comptabiliser comme entièrement renouvelable l’électricité obtenue à partir d’une connexion directe à une installation produisant de l’électricité renouvelable. Ainsi, le producteur d’hydrogène doit apporter la preuve des éléments suivants :

  • les installations produisant de l’électricité renouvelable doivent être reliées par une ligne directe à la station de production d’hydrogène, ou la production d’électricité renouvelable et d’hydrogène doit avoir lieu au sein de la même installation ;
  • les installations produisant de l’électricité renouvelable doivent avoir été mises en service au plus tôt 36 mois avant l’installation produisant de l’hydrogène et, au plus tard, 36 mois après la mise en service de l’installation initiale ;
  • l’installation produisant de l’électricité ne doit pas être raccordée au réseau ou, si elle l’est, un système intelligent de mesure mesurant tous les flux d’électricité en provenance du réseau doit démontrer qu’aucune électricité n’a été prélevée sur le réseau pour produire de l’hydrogène.

De même, si le producteur de carburant utilise également de l’électricité provenant du réseau, il peut la comptabiliser comme entièrement renouvelable s’il respecte les règles qui suivent.

Deux cas de figure peuvent se présenter.

D’une part, l’article 4 de l’acte délégué énumère des cas permettant de comptabiliser comme entièrement renouvelable l’électricité prélevée sur le réseau – autrement dit qui permettent de répondre au critère consistant à réduire de 70 % les émissions GES établi à l’article 25, paragraphe 2, de la directive (UE) 2018/20015.

En premier lieu, l’électricité prélevée sur le réseau peut être considérée comme entièrement renouvelable si – mais pas uniquement – l’installation de production d’hydrogène se trouve dans une zone de dépôt des offres où, au cours de l’année civile précédente, la part moyenne d’électricité produite à partir de sources renouvelables a dépassé 90 % – ce qui semble aujourd’hui illusoire.

En second lieu, il en va pareillement si l’installation de production d’hydrogène se situe dans une zone de dépôt des offres où l’intensité des émissions imputables à l’électricité produite est inférieure à 18 gCO2eq/MJ et si les critères suivants sont satisfaits :

  • un ou plusieurs accords d’achat d’électricité renouvelable (« power purchase agreements », PPA, en anglais) ont été conclus, directement ou par l’intermédiaire de tiers, avec des opérateurs économiques produisant de l’électricité renouvelable dans une ou plusieurs installations, pour une quantité au moins équivalente à celle déclarée comme entièrement renouvelable, cette l’électricité déclarée devant être effectivement produite par ces installations ;
  • les conditions relatives à la corrélation temporelle et géographique décrites ci-après sont remplies.

A ce titre, il a pu être considéré que cette clause a favorisé le mix énergétique de la France dont l’intensité des émissions imputables à l’électricité produite est inférieure à 18 gCO2eq/MJ. En effet, la règle d’additionnalité décrite ci-après ne leur est pas applicable.

D’autre part, si les conditions énoncées ci-avant ne sont pas remplies, l’électricité prélevée sur le réseau peut être comptabilisée comme entièrement renouvelable à condition de satisfaire aux exigences :

  • d’additionnalité qui impose au producteur – à compter du 1er janvier 2038 pour les installations produisant de l’hydrogène mises en service avant le 1er janvier 2028 :
    • de produire dans sa propre installation une quantité d’électricité renouvelable au moins équivalente à la quantité d’électricité déclarée comme entièrement renouvelable ;
    • ou à conclure, directement ou par le biais d’intermédiaires, un ou plusieurs PPA avec des opérateurs économiques produisant de l’électricité renouvelable pour une quantité au moins équivalente à la quantité d’électricité déclarée comme entièrement renouvelable, pour autant que les critères suivants soient remplis :
      • Les installations produisant de l’électricité renouvelable ont été mises en service au plus tôt 36 mois avant l’installation produisant l’hydrogène ;
      • Les installations produisant de l’électricité renouvelable n’ont pas bénéficié d’une aide sous forme de soutien au fonctionnement ou à l’investissement, sous réserve de quelques exclusions énumérées par l’acte délégué.
  • de corrélation temporelle qui, jusqu’au 31 décembre 2029, est réputée respectée si l’hydrogène est produit au cours du même mois civil (puis au cours de la même période d’une heure après le 1er janvier 2030) que l’électricité renouvelable produite :
    • dans le cadre de l’accord d’achat d’électricité renouvelable (PPA) ;
    • ou à partir d’électricité renouvelable provenant d’un nouvel actif de stockage situé derrière le même point de raccordement au réseau que l’électrolyseur ou l’installation produisant de l’électricité renouvelable, et chargé au cours du mois civil pendant lequel l’électricité relevant du PPA a été produite[1].
  • de corrélation géographique qui est réputée remplie si, en dehors des cas d’une zone de dépôt des offres en mer ou interconnectée, l’installation produisant de l’électricité renouvelable dans le cadre du PPA est située, ou était située au moment de sa mise en service, dans la même zone de dépôt des offres que l’électrolyseur.

Il résulte que ces critères particulièrement contraignants « augmenteraient le coût de production de l’hydrogène d’environ 2,40 euros/kg »[2], et pourraient opérer, selon certains Etats membres, une inégalité de traitement dès lors que le principe d’additionnalité ne s’applique pas aux mix énergétiques affichant un niveau d’émission de CO inférieur à 18 gCO2eq/MJ.

Alors que la France avait ainsi obtenu un début de reconnaissance de la spécificité de son mix bas carbone à travers cette définition de l’hydrogène renouvelable, elle projetait ensuite l’obtention d’une égalité de traitement entre l’hydrogène renouvelable et bas carbone (à travers le périmètre des enchères européennes de la banque de l’hydrogène aujourd’hui réservé à l’hydrogène renouvelable, l’encadrement des aides d’Etat, etc.).

Tel n’est toutefois pas le cas au regard du projet d’acte délégué soumis à la consultation publique.

 

2. Le projet d’acte délégué définissant l’hydrogène bas carbone

Si le projet d’acte délégué précisant la méthode d’évaluation des réductions d’émissions de GES réalisées grâce aux carburants à faible teneur en carbone était très attendu des acteurs de la filière afin de garantir une sécurité juridique aux investissements, il divisait par la même occasion les États membres, les cabinets des commissaires européens et les acteurs du secteur.

L’annexe du projet d’acte délégué retient trois méthodes alternatives suivantes à appliquer au cours de chaque année civile pour attribuer, sur l’ensemble du cycle de vie (fourniture d’intrants, transformation, transport et distribution, utilisation finale), des valeurs d’émissions de GES à l’électricité qui ne peut être considérée comme entièrement renouvelable[3] et qui est utilisée pour produire des carburants à faible teneur en carbone.

 

  • Une méthode de calcul de l’hydrogène bas carbone basée sur l’intensité carbone du mix électrique

La première méthode repose sur les valeurs d’émissions de GES attribuées sur la base de l’intensité des émissions de GES de l’électricité. Etant précisé que cette méthode considère comme « bas-carbone » tout hydrogène produit à partir d’un réseau électrique dont l’intensité carbone ne dépasse pas 18 g CO2 eq/MJ (soit 64,8 g CO2 eq/kWh).

A ce titre, l’intensité des émissions de GES de l’électricité est déterminée par référence à des valeurs datant de 2022.

Pour la France, et comme le relève le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, l’intensité carbone de l’électricité française retenue par la Commission – en vertu des données et statistiques de l’AIE (l’Agence Internationale de l’Energie) – apparaît particulièrement élevée (23,8 g CO2 eq/MJ) par rapport à la réalité, le bilan électrique de RTE retenant une intensité carbone de 8,9 g CO2 eq/MJ en 2023. Ceci serait en partie due à la prise en compte par la Commission de valeurs de l’année 2022, lors de laquelle une partie du parc nucléaire était indisponible, et des territoires d’outre-mer, ce qui ne correspondrait pas à une approche par zone de marché. Or, cette approche semble devoir prévaloir pour le calcul de l’intensité carbone de la France métropolitaine, dès lors que ces territoires d’outre-mer ne sont pas interconnectés avec elle de sorte qu’une production d’hydrogène en métropole ne peut pas y entraîner une augmentation de GES.

Néanmoins, il ressort de l’annexe à l’acte délégué que les États membres pourront également recourir aux données d’Eurostat et, lorsque l’intensité des émissions de GES est établie au niveau des zones d’offre, aux données des statistiques nationales officielles, des gestionnaires de réseaux de transport, dont RTE. Ainsi, s’agissant de la France ou la Suède, il serait possible de qualifier de « bas carbone » l’hydrogène produit grâce à l’électricité du réseau de leur zone de dépôt des offres.

Au contraire, inconvénient majeur pour la France, le texte proposé par la Commission ne reconnaît pas comme « bas-carbone » l’hydrogène produit grâce à de l’énergie exclusivement nucléaire, dans le cadre de la conclusion d’un accord d’achat d’électricité (power purchase agreements, PPA, en anglais).

En effet, l’article 3 du projet d’acte prévoit seulement, au plus tard le 1er juillet 2028, une obligation d’évaluer l’impact de l’introduction « d’un approvisionnement à faible teneur en carbone à partir de centrales nucléaires sur la base de critères appropriés et l’introduction d’une option permettant de prendre en compte l’intensité des émissions de gaz à effet de serre de l’électricité sur la base de moyennes horaires ».

Ce report de la prise en compte des PPA nucléaires est d’autant plus critiqué par les acteurs du secteur de l’hydrogène bas carbone – en particulier français (par exemple, France hydrogène, UFE, EDF) – que l’acte délégué 2023/1184 du 10 février 2023 définissant l’hydrogène vert prend en compte, à l’inverse, les PPA dans la définition de l’hydrogène renouvelable. Ils soutiennent que cette exclusion des PPA nucléaires jusqu’en 2028 est de nature à remettre les décisions d’investissements et à créer une inégalité de traitement entre ces deux technologies en rupture avec le principe de neutralité technologique. Ils prônent ainsi la mise en œuvre de critères similaires à l’hydrogène renouvelable (corrélation temporelle au pas horaire et corrélation géographique au niveau de la zone d’appel d’offres).

Ceci est d’autant plus problématique que la méthode proposée par la Commission, excluant les PPA nucléaires, permet de qualifier de « bas carbone » l’hydrogène produit grâce à l’électricité du réseau français, cette méthode ne prend pas en compte le besoin des filières dérivées (par exemple, la sidérurgie ou les e-fuels) qui recourent à l’hydrogène bas carbone dans le cadre d’un autre procédé industriel. En effet, dès lors que les émissions liées à la production d’hydrogène s’additionneront à celles des phases industrielles, la prise en compte d’un hydrogène ayant une valeur d’émission carbone dix fois inférieure à la moyenne du réseau (à hauteur de 2 g CO2 eq/kWh) – grâce à un approvisionnement direct des centrales nucléaires  – apporterait un avantage compétitif majeur par rapport à un approvisionnement en hydrogène renouvelable qui repose sur la conclusion de PPA encore rares, particulièrement onéreux et soumis à l’intermittence.

Bien au contraire, certains Etats membres s’opposent à la prise en compte des « PPA nucléaire » et regrettent que les émissions prises en compte pour la production d’hydrogène soient en réalité une moyenne de celles du réseau d’un pays. Dans sa note de position informelle sur le projet d’acte délégué, l’Allemagne propose notamment de « considérer les émissions moyennes horaires » de l’électricité utilisée dans la production d’hydrogène.

De plus, l’Allemagne, tout comme les ONG et professionnels de l’hydrogène vert, contestent l’écart entre les règles encadrant l’hydrogène renouvelable et celles relatives à l’hydrogène bas carbone, bien moins contraignants, et craignent que cette définition de l’hydrogène bas carbone rende plus facile l’installation de projets d’hydrogène bas carbone, notamment d’origine fossile, réduisant considérablement l’ambition de la décarbonisation.

 

  • Les deux autres méthodes d’évaluation

La deuxième méthode, consiste pour les producteurs d’hydrogène à faire coïncider leur production avec les périodes où les renouvelables ou le nucléaire fixent le prix de l’électricité.

Plus précisément, cette méthode prend en compte les valeurs d’émissions de GES qui sont attribuées en fonction du nombre d’heures de pleine charge pendant lesquelles l’installation produisant des combustibles à faible teneur en carbone fonctionne. Lorsque le nombre d’heures de pleine charge est égal ou inférieur au nombre d’heures pendant lesquelles le prix marginal de l’électricité a été fixé par les installations produisant de l’électricité renouvelable ou les centrales nucléaires au cours de l’année civile précédente pour laquelle des données fiables sont disponibles, l’électricité du réseau utilisée dans le processus de production de carburants à faible teneur en carbone se voit attribuer une valeur d’émission de GES de 0 g CO2eq/MJ.

A l’inverse, lorsque ce nombre d’heures de pleine charge est dépassé, l’électricité du réseau utilisée dans le processus de production de carburants à faible teneur en carbone se voit attribuer une valeur d’émission de GES de 183 g CO2eq/MJ.

Cette méthode assure que la production d’hydrogène a lieu pendant les heures où l’apport d’énergie renouvelable est élevé.

Toutefois, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives a relevé que cette valeur par défaut est significativement inférieure aux émissions de centrales à charbon et comparable aux émissions de turbines à gaz.

La troisième méthode consiste à prendre en compte la valeur des émissions de GES de l’unité marginale de production d’électricité au moment de la production des carburants à faible teneur en carbone dans la zone de l’offre peut être utilisée si cette information a été rendue publique par le gestionnaire du réseau de transport national. Autrement dit, cette méthode se fonde sur l’intensité exacte en carbone du réseau électrique régional, à condition que les opérateurs de réseau offrent un niveau d’information suffisant.

Cependant, selon les professionnels du secteur, cette solution – comme la deuxième – n’est pas crédible dans la mesure où les gestionnaires de réseaux de transport ne sont pas en capacité d’informer le producteur à chaque instant sur le type de centrale marginale appelée.

 

  • Le rôle de la Direction générale de la concurrence

Outre l’identification de la méthode d’évaluation des réductions d’émissions de GES la plus appropriée, les professionnels du secteur et les Etats membres ont vivement critiqué le fait que la direction générale de la concurrence (DG Competition) sera habilitée à exiger « des garanties supplémentaires » pour s’assurer que les aides d’Etats en faveur des carburants à faible teneur en carbone (comme l’hydrogène bas carbone) soient compatibles avec le marché intérieur et ne faussent donc pas indûment la concurrence.

En effet, il en ressort que, lorsque la DG Competition évaluera un projet bas carbone, elle pourra définir des critères additionnels, ce qui est de nature à réduire la sécurité juridique des investissements aujourd’hui envisagés et à limiter ainsi leur nombre.

 

  • La production d’hydrogène bleu/turquoise

Bien que non listée explicitement, la production d’hydrogène fossile produit à partir d’une technologie de captage, stockage et utilisation du CO2 est également visée par l’acte délégué dans le respect d’une émission maximum de 3,38 kg d’équivalent CO2 par kg d’hydrogène produit sur l’ensemble du cycle de vie.

A ce titre, les techniques de production d’hydrogène par vaporeformage de méthane associées aux technologies de captage, stockage et utilisation du CO2, par gazéification ou par pyrolyse sont ainsi prises en compte.

La méthodologie reconnaît ainsi le captage et le stockage des émissions comme une réduction des émissions lorsque celles-ci sont stockées de manière permanente dans un site de stockage géologique, y compris lorsque des émissions ayant lieu dans des pays tiers sont stockées en dehors de l’Union, pour autant que la législation nationale applicable garantisse la détection et la réparation des fuites conformément aux dispositions légales applicables dans l’UE, et que les fuites soient prises en compte afin qu’elles ne soient pas créditées en tant que réductions.

Toutefois, la méthodologie proposée a fait l’objet de vives critiques des ONG – ou de l’Allemagne – en retenant qu’en l’absence d’une méthodologie européenne permettant pour l’instant de comptabiliser les émissions de méthane, conformément à l’article 12 du règlement (UE) n° 2024/1787, l’intensité de méthane est calculée en appliquant une valeur par défaut. Il en va pareillement des fuites d’hydrogène.

En effet, l’utilisation de valeurs standard risque d’entraîner des émissions réelles beaucoup plus élevées que ces dernières, et une qualification à tort de l’hydrogène de « faible teneur en carbone ». D’autant que les émissions en amont du gaz naturel varient fortement entre les pays producteurs respectifs, et peuvent également varier fortement entre les producteurs d’un même pays (comme aux États-Unis). En outre, la valeur standard ne prendrait pas en compte l’augmentation des importations de gaz naturel liquéfié à forte intensité de carbone, dont les valeurs sont dominées par les émissions de CO2 liées à l’énergie pour la liquéfaction, la purification et le transport.

En somme, cela pourrait désavantager les producteurs, notamment d’hydrogène vert dont les critères apparaissent très contraignants, dont les émissions de GES sont très faibles sur leurs sites de production, au profit de projets d’hydrogène bas carbone, notamment d’origine fossile.

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A la suite de la consultation publique qui s’est clôturée le 25 octobre dernier, la Commission européenne prépare la version finale de l’acte délégué pour la définition de l’hydrogène bas carbone qui ne sera probablement pas envoyée pour examen (d’une durée de deux mois, renouvelable) au Conseil et aux eurodéputés avant début 2025 – en particulier si les nouveaux cabinets de la nouvelle Commission demandent des modifications à son égard.

Ce projet pourrait être rejeté par une majorité qualifiée d’États membres de l’Union européenne ou par une simple majorité du Parlement européen. Toutefois, le report de sa publication définitive, s’il est compréhensible au regard des enjeux stratégiques qu’emporte la définition de l’hydrogène bas carbone pour les Etats membres, à travers l’avantage compétitif qu’elle pourrait leur procurer, ne serait pas sans conséquence sur la décision des professionnels du secteur d’engager de nombreux projets, dans l’attente d’une meilleure sécurisation juridique et économique de leurs investissements.

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[1] Il en va de même dans le cas où l’électrolyseur utilise de l’électricité à des moments où les prix de l’électricité sont si bas (inférieurs à 20 euros par MWh ou à 0,36 fois le prix d’un quota d’émission d’une tonne d’équivalent CO2) que la production d’électricité d’origine fossile n’est pas économiquement viable et que, par conséquent, la demande supplémentaire d’électricité entraîne une augmentation de la production d’électricité renouvelable et non une augmentation de la production d’électricité d’origine fossile.

[2] Lettre du ministre fédéral de l’Économie et de la Protection du climat en date du 16 septembre 2024 proposant ainsi à la Commission que l’additionnalité ne s’applique qu’aux centrales construites après 2035 – au lieu de 2028 – et de reculer d’un an l’entrée en vigueur de l’obligation de justifier chaque heure que l’électrolyseur produisant l’hydrogène est alimenté par des ENR.

[3] Etant rappelé que l’électricité qui peut être entièrement considérée comme renouvelable conformément à l’article 27, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la directive (UE) 2018/2001 se voit attribuer des émissions de GES nulles.