Urbanisme, aménagement et foncier
le 16/06/2022

Lutte contre l’érosion du littoral : mise en œuvre d’un nouveau droit de préemption

Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021

Introduction

En l’état actuel du droit, aucune indemnisation spécifique et aucun régime de prise en charge n’étaient prévus pour les personnes touchées par l’inhabilité de leur domicile du fait du recul du trait de côte, et ceci pour deux raisons principales :

  • En premier lieu, le législateur n’a pas explicitement classé l’érosion dunaire parmi les risques pouvant être financés par le fonds Barnier. D’un point de vue assurantiel, le recul du trait de côte est considéré comme un événement inexorable et donc certain, au contraire du risque qui est marqué par un degré d’incertitude quant à sa survenance ;
  • En second lieu, l’une des conditions d’éligibilité au fonds Barnier, consistant en l’existence d’une « menace grave à la vie humaine », n’est pas remplie.

Or, environ 20 % des côtes françaises reculent sous l’effet de l’érosion et 64 % de celles-ci sont exposées à un risque de submersion marine.

Les territoires littoraux étant plus denses que la moyenne, le nombre de biens et de personnes concernés par des variations territoriales, même faibles, est considérable. Selon les estimations fournies par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), qui demeurent à ce jour imprécises, le nombre de biens concernés d’ici 2100 s’élèvera à entre 5 000 et 50 000 logements pour une valeur estimée entre 0,8 et 8 milliards d’euros (Md€).

Pour faire face à cette situation et faciliter la maîtrise foncière des biens menacés d’érosion côtière, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, publiée au journal officiel de la République française le 24 août 2021, a instauré un droit de préemption spécifique et prioritaire pour les biens exposés à l’érosion littorale dans les zones exposées au recul du trait de côte, afin de permettre aux communes d’acquérir les biens situés sur les terrains qui ont vocation à disparaître.

Cette loi a prévu, en outre, de compléter ce dispositif par une habilitation à légiférer par ordonnance. Ainsi, l’ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte définit une méthode d’évaluation de la valeur de ces biens acquis par voie de préemption à privilégier, à horizon de 30 ans. Cette méthode s’appliquera dans le cadre de la procédure du nouveau droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte mais également à l’occasion de la détermination des indemnités en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique.

Ce nouveau droit prévaut sur les autres droits de préemption, hormis le droit de préemption relatif aux espaces naturels sensibles. Dans les zones où il s’applique, ni le droit de préemption urbain, ni le droit de préemption dans les zones d’aménagement différé, ni le droit de préemption des communes sur les fonds artisanaux et les fonds de commerce ne peuvent s’appliquer.

Le recul du trait de côte est défini comme un déplacement vers l’intérieur de la limite entre les domaines maritime et terrestre pouvant être lié à deux facteurs indépendants :

  • L’érosion côtière (phénomène constant de perte ou de déplacement de terre, de sédiments et de roches le long du trait de côte, du fait de l’action des vagues, des courants, des marées et des impacts de tempêtes) ;
  • L’élévation du niveau de la mer (phénomène daté du début du XXe siècle, dû à la dilatation thermique de l’eau de mer et à la fonte de glaciers et des inlandsis [immenses glaciers des régions polaires], qui contribue à amplifier l’érosion côtière).

Ceci étant rappelé, ce nouveau droit de préemption sera présenté dans ses conditions de mises en œuvre (1), son champ d’application (2), ses particularismes (3) et ses effets (4).

1. Les conditions de mise en œuvre de cette prérogative

Les communes concernées par ce nouveau droit de préemption sont les suivantes :

  • 1°) D’une part, celles qui sont incluses dans la liste fixée par décret dont l’action en matière d’urbanisme et la politique d’aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydro sédimentaires entraînant l’érosion du littoral [1]. Cette liste est révisée au moins tous les neuf ans ;

ET

  • 2°) D’autre part, celles figurant au document graphique du règlement du plan local d’urbanisme ou du document en tenant lieu :
    • Dans la zone exposée au recul du trait de côte définie à l’horizon de trente ans;
    • Dans la zone exposée au recul du trait de côte à un horizon compris entre trente et cent ans, si le droit de préemption est instauré sur tout ou partie de ladite zone par délibération par la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale compétent pour instaurer ce droit de préemption.

2. Les aliénations soumises à ce droit de préemption

Les aliénations soumises au droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte sont celles concernant :

  • 1° Les immeubles ou ensembles de droits sociaux donnant vocation à l’attribution en propriété ou en jouissance d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble, bâti ou non bâti, lorsqu’ils sont aliénés, à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit ;
  • 2° Les cessions de droits indivis portant sur un immeuble ou une partie d’immeuble, bâti ou non bâti, sauf lorsqu’elles sont consenties à l’un des coindivisaires, et les cessions de tantièmes contre remise de locaux à construire ;
  • 3° Les cessions de la majorité des parts d’une société civile immobilière ou les cessions conduisant un acquéreur à détenir la majorité des parts de ladite société, lorsque le patrimoine de cette société est constitué par une unité foncière, bâtie ou non bâtie, dont la cession serait soumise au droit de préemption, sauf pour les sociétés civiles immobilières constituées exclusivement entre parents et alliés jusqu’au quatrième degré inclus ;
  • 4° Les immeubles construits ou acquis par les organismes d’habitation à loyer modéré ;
  • 5° Les immeubles ou ensembles de droits sociaux donnant vocation à l’attribution en propriété ou en jouissance d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble, bâti ou non bâti, de quelque nature que ce soit, lorsqu’ils font l’objet d’une donation entre vifs (sauf cadre familial [2]) ;
  • 6° Les immeubles ou ensembles de droits sociaux donnant vocation à l’attribution en propriété ou en jouissance d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble, bâti ou non bâti, de quelque nature que ce soit, lorsqu’ils constituent un apport en nature au sein d’une société civile immobilière ;
  • 7° En cas d’adjudication, lorsque cette procédure est autorisée ou ordonnée par un juge (sauf si la vente met fin à une indivision créée volontairement, à moins que celle-ci ne résulte d’une donation-partage) ;
  • 8° En cas de contrat de location-accession régi par la loi n°84-595 du 12 juillet 1984 précitée.

En revanche, sont exclus du champ d’application de ce droit de préemption :

  • 1° Les immeubles qui sont compris dans un plan de cession d’entreprises en difficulté ;
  • 2° Les immeubles faisant l’objet d’une mise en demeure d’acquérir (ZAC, emplacements réservés, sursis à statuer sur une autorisation d’urbanisme, expropriation) ;
  • 3° Les biens acquis par un établissement public foncier lorsque celui-ci agit à la demande expresse de la collectivité titulaire du droit de préemption ou, encore, certains transferts d’immeubles appartenant à l’État ou à ses établissements publics.

 

3. Les particularismes de ce dispositif par rapport aux autres droits de préemption

  • 3.1 Quant au destinataire de la déclaration d’intention d’aliéner

A peine de nullité de l’aliénation, une déclaration d’intention d’aliéner (DIA) doit être adressée par le propriétaire à la commune où est situé le bien.

Mais surtout, la particularité de ce droit de préemption tient à ce que ledit propriétaire doit transmettre une copie de cette DIA au directeur départemental ou régional des finances publiques.

Cette obligation s’expliquerait par le souci d’informer le plus largement possible les services de l’État sur ces transactions [3].

  • 3.2 Quant à la demande de communication unique de documents et la demande de visite du bien

Le titulaire du droit de préemption peut adresser une demande unique de communication des documents permettant d’apprécier la consistance et l’état de l’immeuble ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière, suivant une liste de documents fixée limitativement par décret en Conseil d’Etat. Cette demande suspend le délai de deux mois pour préempter à compter de sa réception. Ledit délai recommence à courir à compter de la réception des documents demandés par le titulaire du droit de préemption.

Si le délai restant à courir est inférieur à un mois, le titulaire dispose d’un mois pour notifier sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption.

Le titulaire du droit de préemption peut aussi adresser une demande de visite du bien dans des conditions fixées par décret.

En revanche, la particularité de ce droit de préemption tient à ce que cette demande de visite ne suspend pas le délai de préemption [4].

  • 3.3 Quant à la publicité de la décision de préemption et l’indication de l’estimation par les services fiscaux

Comme pour les autres droits de préemption, la décision de préemption est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à l’acquéreur potentiel mentionné dans la déclaration d’intention d’aliéner.

En revanche, sa spécificité tient à ce qu’elle fait également l’objet d’une publication et qu’elle indique l’estimation du bien par les services fiscaux [5].

  • 3.3 Quant à la fixation du prix du bien et les règles d’évaluation

En l’absence d’accord amiable sur le prix d’acquisition du bien, celui-ci est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation.

La valeur vénale retenue « tient compte de l’exposition du bien au recul du trait de côte » [6].

Cela supposerait de tenir compte de « l’espérance de vie réduite d’un bien voué à entrer dans le domaine public maritime naturel » et de « minorer le coût d’acquisition afin de faire en sorte que lesdites acquisition restent soutenables financièrement pour la collectivité et acceptables pour les contribuables amenés à les financer » [7].

L’ordonnance précitée n° 2022-489 en date du 6 avril 2022 prévoit en son articlier 1er que le prix du bien préempté est fixé par priorité par référence à des mutations et accords amiables portant sur des biens de même qualification et avec un niveau d’exposition similaire situés dans la même zone [8].

A défaut ou en cas d’insuffisances de ces mutations et accords amiables, le prix du bien est fixé en priorité par référence à des mutations et accords amiables portant sur des biens de même qualification situés hors de la zone exposée au recul du trait de côte dans laquelle il se situe. Dans ce cas, pour tenir compte de la durée limitée restant à courir avant la disparition du bien, un abattement est pratiqué sur la valeur de ces références. Cet abattement peut, notamment, être déterminé par application d’une décote calculée en fonction du temps écoulé depuis la première délimitation de la zone dans laquelle se situe le bien, rapporté à la durée totale prévisionnelle avant la disparition du bien à compter de cette première délimitation [9].

Il est encore prévu que si le prix du bien préempté est envisagé sous la forme d’une vente avec constitution de rente viagère, les conditions de paiement proposées par le vendeur restent inchangées, mais le juge de l’expropriation dispose de la possibilité de réviser le montant de la rente et le capital éventuel [10].

4. Les effets du droit de préemption

  • 4.1 Quant au droit de délaissement

Le propriétaire du bien soumis à ce nouveau droit de préemption peut spontanément proposer au titulaire de ce droit l’acquisition dudit bien, en en indiquant le prix qu’il en demande.

Le titulaire du droit de préemption doit se prononcer dans un délai de deux mois à compter de ladite proposition. Et, à défaut d’accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation, en tenant compte de l’exposition du bien au recul du trait de côte.

En cas de refus ou à défaut de réponse du titulaire du droit de préemption dans le délai de deux mois précité, le propriétaire peut réaliser la vente de son bien au prix indiqué dans sa déclaration d’intention d’aliéner révisé, s’il y a lieu, en fonction des variations du coût de la construction constatées par l’Institut national de la statistique et des études économiques depuis la date de cette déclaration [11].

Et si le propriétaire n’a pas réalisé la vente de son bien sous forme authentique dans le délai de trois ans à compter de la renonciation au droit de préemption, il doit déposer une nouvelle déclaration d’intention d’aliéner [12].

  • 4.2 Quant à l’utilisation des biens acquis

Le titulaire du droit de préemption qui devient propriétaire du bien exposé au recul du trait de côte en assure la gestion au regard de l’évolution prévisible du trait de côte et procède à sa renaturation. Il peut éventuellement en confier la gestion à une personne publique ou privée y ayant vocation [13].

Avant sa renaturation, ledit bien peut – de façon transitoire – faire l’objet d’une convention ou d’un bail en vue d’occuper, d’exploiter, d’aménager, de construire ou de réhabiliter des installations, ouvrages ou bâtiments en tenant compte de l’évolution prévisible du trait de côte [14].

Il doit, néanmoins, être souligné que la loi n’a pas prévu de droit de rétrocession au profit des propriétaires préemptés permettant de faire constater que le bien n’a pas été ou n’est plus affecté à la destination prévue par la loi.

Il n’est pas plus prévu de droit de priorité au profit du propriétaire ou de l’acquéreur évincé en cas d’aliénation du bien pour tout autre objet que ceux prévus par la loi.

Ces circonstances peuvent naturellement s’expliquer par le fait que le bien objet de la préemption est voué – à un moment ou un autre – à être rattrapé par les eaux. Pour autant, il peut être regretté qu’aucune mesure de suivi n’ait été mise en place.

Finalement, le droit de préemption pour l’adaptation des territoires au recul du trait de côte contribuera à soulager ceux dont les propriétés sont soumises au risque d’érosion côtière et participera, par la renaturation du littoral, à faire face aux effets du dérèglement climatique sur les communes littorales. Il reviendra donc à l’autorité publique d’assurer la bonne gestion de ces territoires vulnérables pour protéger la population.

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[1] Article L. 321-15 du Code de l’environnement : Cette liste est élaborée en tenant compte de la particulière vulnérabilité de leur territoire au recul du trait de côte, déterminée en fonction de l’état des connaissances scientifiques résultant notamment de l’indicateur national de l’érosion littorale mentionné à l’article L. 321-13 et de la connaissance des biens et activités exposés à ce phénomène. Elle est établie après consultation des conseils municipaux des communes qu’il est envisagé d’y faire figurer et avis du Conseil national de la mer et des littoraux et du comité national du trait de côte.

[2] 1° Entre ascendants et descendants ; 2° Entre collatéraux jusqu’au sixième degré ; 3° Entre époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité ; 4° Entre une personne et les descendants de son conjoint ou de son partenaire de pacte civil de solidarité, ou entre ces descendants.

[3] Le droit de préemption après la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 – Jean-François Struillou, Directeur de recherche au CNRS – RDI 2021 p.530.

[4] L’article L. 219-6 du Code de l’urbanisme ne prévoit pas de suspension du délai pour préempter dans le cas d’une demande de visite du bien.

[5] Article L. 219-6 du Code de l’urbanisme

[6] Article L. 219-7 du Code de l’urbanisme

[7] Le droit de préemption après la loi « climat et résilience » du 22 août 2021 – Jean-François Struillou, Directeur de recherche au CNRS – RDI 2021 p.530.

[8] Article L. 219-7 du Code de l’urbanisme

[9] Idem

[10] Article L. 219-7-1 du Code de l’urbanisme

[11] Article L. 213-8, al.1 du Code de l’urbanisme

[12] Article L. 213-8, al.2 du Code de l’urbanisme

[13] Article L. 219-11, al.1 du Code de l’urbanisme

[14] Article L. 219-11, al.2 du Code de l’urbanisme