Urbanisme, aménagement et foncier
le 18/01/2024

Préemption des espaces naturels sensibles : le retour des périmètres sensibles

Décret n° 2023-1174 du 12 décembre 2023 définissant les modalités d'exercice du droit de préemption dans les espaces naturels sensibles à l'intérieur des zones mentionnées à l'article L. 215-4-1 du code de l'urbanisme - Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Décision n° 2023-1071 QPC du 24 novembre 2023 | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)

Le droit de préemption des espaces naturels sensibles a connu une actualité fournie ces dernières semaines visant principalement à pallier les effets de l’abrogation de l’ancien article L. 142-12 du Code de l’urbanisme.

Cette disposition permettait aux titulaires du droit de préemption au titre des espaces naturels sensibles (départements et titulaires par substitution, parmi lesquels figure le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres) de préempter des biens dans les « périmètres sensibles » définis par l’Etat en application de l’article L. 142-1 du Code de l’urbanisme, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985.

En effet, avant le transfert de compétence vers l’échelon départemental pour la préemption des espaces naturels sensibles, l’Etat avait défini des « périmètres sensibles » au sein desquels un droit de préemption était applicable. Si le périmètre de ces « périmètres sensibles » n’étaient pas repris au sein du périmètre des nouveaux espaces naturels sensibles départementaux, l’ancien article L. 142-12 du Code de l’urbanisme permettait toutefois aux titulaires du droit de préemption d’exercer leur droit dans le périmètre de ces zones.

De l’abrogation au rétablissement du droit de préemption au sein des « périmètres sensibles »

Néanmoins, par une ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l’urbanisme, l’article L. 142-12 du Code de l’urbanisme a été abrogé à compter du 1er janvier 2016. Résolvant cette difficulté faisant peser un risque sur les décisions de préemption des titulaires du droit de préemption au titre des ENS, le législateur a réintroduit un article L. 215-4-1 au sein du Code de l’urbanisme issu de la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021.

Cet article L. 215-4-1 réinstaure ainsi le droit de préemption « à l’intérieur des zones fixées par l’autorité administrative en application de l’article L. 142-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’aménagement, et des textes pris pour son application et qui n’ont pas été intégrées dans les zones de préemption pouvant être instituées par délibération du conseil départemental au titre des espaces naturels sensibles ».

Le décret daté du 12 décembre et publié le 14 décembre 2023 au JORF prévoit que la mise en œuvre du droit de préemption dans les zones dites de « périmètres sensibles » s’exerce dans les mêmes conditions que le droit de préemption exercé par l’échelon départemental dans les espaces naturels sensibles. Le droit de préemption au sein des « périmètres sensibles » est donc rétabli, pour l’avenir seulement, la validation législative des décisions de préemption intervenue depuis le 1er janvier 2016 ayant été déclarée inconstitutionnelle.

L’inconstitutionnalité de la validation législative des décisions de préemption prises sur le fondement de l’article L. 142-12 du Code de l’urbanisme, abrogé depuis le 1er janvier 2016

Afin de sécuriser les décisions de préemption prises pour des biens situés dans ces anciens « périmètres sensibles », le législateur avait introduit un deuxième paragraphe à l’article 233 de la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » qui validait, sous réserve de l’autorité de la chose jugée, « les décisions de préemption prises entre le 1er janvier 2016 et l’entrée en vigueur du présent article, en tant que leur légalité est ou serait contestée par un moyen tiré de l’abrogation de l’article L. 142-12 du code de l’urbanisme par l’ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l’urbanisme ».

Saisi par le biais d’une QPC introduite par des exploitants agricoles représentés par un groupement foncier agricole, le Conseil Constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle cette disposition au terme d’une décision n° 2023-1071 QPC du 24 novembre 2023.

La validation législative de la légalité d’un acte administratif doit répondre à certaines conditions rappelées par le Conseil Constitutionnel. Elle doit être clairement définie et respecter le principe de l’autorité de la chose jugée et celui de non-rétroactivité des peines et sanctions. Par ailleurs, l’atteinte aux droits des personnes résultant de cette validation doit être justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. Enfin, aucun principe de valeur constitutionnelle ne doit être méconnu du fait de cette validation, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général soit lui-même d’intérêt général. Or, en l’espèce, le Conseil Constitutionnel a jugé qu’aucun motif impérieux d’intérêt général ne justifiait qu’il soit porté atteinte au droit des justiciables de se prévaloir de l’abrogation de ces dispositions.

D’une part, il a été relevé que le nombre de décisions de préemption non-définitives qui font ou seraient susceptibles de faire l’objet d’un contentieux n’est pas significatif si bien que le risque de contentieux important ne serait pas établi.

D’autre part, si la responsabilité du titulaire du droit de préemption peut être recherchée à la suite de l’annulation d’une décision de préemption illégale, il n’est pas démontré l’existence d’un risque financier important pour les personnes publiques concernées. Tel est d’autant plus le cas, comme le relève le Conseil Constitutionnel, que le juge administratif doit s’assurer que le rétablissement de la situation préalable à la décision de préemption ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général attaché à la préservation des sites remarquables.

Pour ces raisons, aucun motif impérieux d’intérêt général ne justifie, pour le Conseil Constitutionnel, que les effets de l’abrogation de l’article L. 142-12 du Code de l’urbanisme soient neutralisés par validation législative. Le deuxième paragraphe de l’article 233 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » est donc déclaré inconstitutionnel à compter de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel et applicable à toutes les affaires non-jugées définitivement à cette date.