Vie des acteurs publics
le 11/04/2024
Agathe DELESCLUSE
Juliette HURET

Précisions sur la mise à disposition à titre gratuit d’un local affecté à un service public communal pour l’exercice d’un culte

CE, 18 mars 2024, commune de Nice, n° 471061

Par une décision en date du 18 mars 2024 publiée au Recueil Lebon, le Conseil d’État a précisé que la mise à disposition à titre gratuit d’un local affecté à un service public communal pour l’exercice d’un culte ne constitue pas nécessairement une libéralité consentie par la commune à l’association bénéficiaire.

Pour rappel, la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État garantit le libre exercice des cultes. Néanmoins, des restrictions y sont apportées dans l’intérêt de l’ordre public. L’article 2 de la loi de 1905 dispose en effet que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». Ce même article précise que toutes les dépenses relatives à l’exercice des cultes sont supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes. L’article 19 de cette même loi interdit aux associations formées pour subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice d’un culte, de recevoir des subventions de l’État, des départements ou des communes, à l’exception des sommes allouées pour les réparations des édifices cultuels, classés ou non monuments historiques.

Reprenant sa précédente décision : commune de Valbonne en date du 7 mars 2019 (CE, 7 mars 2019, n° 417629), le Conseil d’État indique que l’article L. 2144-3 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) permet à une commune, en tenant compte des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public « d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation, par une association pour l’exercice d’un culte, d’un local communal […], à l’exclusion de toute mise à disposition exclusive et pérenne, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte. Une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte. ».

C’est ainsi que, lorsqu’il y a une mise à disposition d’un local communal pour l’exercice d’un culte, le conseil municipal doit déterminer le montant d’une contribution que lui doit l’association à raison de l’utilisation de ce local dans le respect du principe d’égalité, de telle façon qu’il ne soit pas constitutif d’une libéralité. Or le Conseil d’État précise, dans sa décision du 18 mars 2024, que l’existence d’une libéralité ne saurait résulter du simple fait que le local est mis à disposition gratuitement, mais est appréciée « compte tenu de la durée et des conditions d’utilisation du local communal, de l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti et, le cas échéant, des motifs d’intérêt général justifiant la décision de la commune ».

Ainsi, la gratuité n’est pas nécessairement constitutive d’une libéralité, prohibée par la loi du 9 décembre 1905, celle-ci devant s’apprécier au regard des critères fixés par la Haute juridiction, à savoir la durée, les conditions d’utilisation du local, l’ampleur de l’avantage éventuellement consenti, les motifs d’intérêt général justifiant cette décision le cas échéant. Le Conseil d’État a, dans cette affaire, annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille (CAA Marseille, 19 décembre 2022, n° 21MA01455) qui avait annulé l’arrêté du 13 juin 2018 pris par le maire de Nice autorisant une association à occuper à titre gratuit un théâtre municipal le vendredi 15 juin 2018 pendant quatre heures pour y célébrer une fête musulmane.

La Cour administrative d’appel de Marseille avait considéré l’arrêté illégal en se fondant sur les dispositions de l’article L. 2125-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) aux termes desquelles :

« Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 donne lieu au paiement d’une redevance. […] l’autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un intérêt général ».

Elle avait plus précisément estimé que l’association ne pouvait être regardée comme concourant à la satisfaction d’un intérêt général visé à cet article, condition d’une autorisation d’occupation ou d’utilisation du domaine public délivrée à titre gratuit aux associations à but non lucratif. Or le Conseil d’État a jugé que le seul fondement applicable était celui de l’article L. 2144-3 du CGCT, précisant que cet article dérogeait aux dispositions, générales, de l’article L. 2125-1 précitées du CGPPP. Il a ajouté que la Cour ne pouvait pas déduire, du seul fait que le local communal avait été mis à sa disposition gratuitement, que la commune aurait consenti une libéralité en faveur d’un culte, prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. Il a ainsi annulé l’arrêt et renvoyé l’affaire devant la Cour, à qui il reviendra donc d’appliquer les critères fixés dans la décision commentée, afin de déterminer si, en l’espèce, la mise à disposition à titre gratuit était ou non constitutive d’une libéralité.

Les précisions jurisprudentielles à venir sur l’application de ces critères seront les bienvenues afin de permettre aux communes d’apprécier, à l’avenir, la légalité d’une mise à disposition gratuite de leurs locaux affectés aux services publics, visés à l’article L. 2144-3 du CGCT.