Projets immobiliers publics privés
le 22/09/2022

Précisions de la Cour de cassation sur la durée d’un bail dérogatoire

Cass. Civ., 3eme, 11 mai 2022, n° 21-15.389

Le bail dérogatoire, initialement conçu par le législateur pour être un « bail à l’essai » permet au bailleur mais également au preneur de ne pas s’engager à long terme tout en leur permettant d’apprécier conjointement l’opportunité de conclure un bail commercial dont la durée minimum de neuf années peut se révéler être une contrainte.

Ainsi, et surtout pour éviter les fraudes à la loi, l’article L.145-5 alinéa 1er du Code du commerce enferme la faculté de conclure un bail dérogatoire dans des limites précises. Ce texte prévoit en effet que la durée totale du bail dérogatoire ou des baux successifs ne peut être supérieure à trois ans. Dès lors, le bail dérogatoire est un bail à durée déterminée qui cesse de plein droit à l’arrivée du terme, sans qu’il soit nécessaire de donner congé.

Néanmoins, le même article L.145-5 du Code de commerce prévoit que si le preneur est laissé en possession des lieux un mois après l’expiration du bail dérogatoire, il s’opère un nouveau bail soumis aux dispositions et statut des baux commerciaux. Ce changement de statut a fait l’objet de nombreuses jurisprudences et nourrit régulièrement l’actualité en droit des baux commerciaux. Le preneur étant particulièrement protégé par le statut des baux commerciaux, il peut être tentant pour lui de vouloir se prévaloir de ces dispositions. L’arrêt de la Cour de cassation en date du 11 mai 2022 (pourvoi n° 21-15.389) est venu rappeler les contours de ce bail dérogatoire.

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En l’espèce, les bailleurs avaient consenti un bail dérogatoire pour une durée d’un an à compter du 1er juillet 2015, renouvelable tacitement pour la même durée dans la limite de trois années au total.

Les bailleurs avaient alors signifié au preneur, le 28 juin 2017, un congé à effet au 30 juin 2017, puis l’ont assigné en libération des lieux et en paiement d’une indemnité d’occupation.

Le preneur quant à lui considérait que le bail dérogatoire ayant été consenti à compter du 1er juillet 2015, son maintien dans les lieux postérieur au 31 juillet 2016, soit un mois après ce qu’il considérait comme le terme du bail dérogatoire conclu à compter du 1er juillet 2015, était depuis lors un bail commercial soumis aux dispositions de l’article L. 145-1 et suivants du Code de commerce.

Par conséquent, le preneur estimait que le congé délivré le 28 juin 2017 par les bailleurs ne respectait pas les conditions de l’article L.145-9 du Code de commerce à savoir la délivrance d’un congé six mois à l’avance. Cette analyse audacieuse de l’article L.145-5 du Code de commerce n’a cependant pas convaincu les juges du fond.

En effet, la Cour d’appel a déclaré le preneur occupant sans droit ni titre depuis le terme du bail à savoir le 30 juin 2017 et a ordonné sous astreinte la libération des locaux occupés au besoin par voie d’expulsion. Le preneur s’est pourvu en cassation.  La Cour de cassation a rejeté le pourvoi faisant fi de l’analyse du preneur. Dans son arrêt publié au Bulletin, les juges ont rappelé qu’un congé, délivré antérieurement au terme du dernier des baux dérogatoires successifs, dont la durée cumulée ne dépasse pas la durée légale et qui manifeste la volonté des bailleurs de ne pas laisser le locataire se maintenir dans les lieux, le prive de tout titre d’occupation à l’échéance de ce bail.

Ainsi, la Cour de cassation valide l’analyse des juges du fond qui ont rappelé qu’il était convenu et accepté que le bail serait renouvelé tacitement à l’issue de la première année et ainsi chaque année, sans dépasser une durée maximum de trois ans.

De plus, aucun délai de prévenance, hormis l’antériorité du congé au regard de la date d’expiration du bail n’était imposé au bailleur. Le preneur ne pouvait ainsi se prévaloir des dispositions relatives aux baux commerciaux dans la mesure où le bail dérogatoire prévoyant la tacite reconduction dans la limite des trois ans légalement prévus, il ne pouvait y avoir place à une interprétation du preneur quant à un éventuel changement de statut du bail.

Cet arrêt permet de rappeler une fois encore que le bail dérogatoire est strictement encadré par les textes et les interprétations partisanes de l’article L.145-5 ne sauraient ainsi être retenues.