Contrats publics
le 24/11/2022

Pour exclure un candidat, l’acheteur ne peut se fonder sur une décision de justice frappée d’un appel suspensif

CE, 2 novembre 2022, Ministre des armées, n° 464479

Les articles L. 2141-1 à L. 2141-6 du Code de la commande publique (CCP) listent de manière exhaustive les motifs pour lesquels la candidature d’un opérateur économique doit être exclue de plein de droit des procédures de passation des marchés publics.

Ainsi, aux termes de l’article L. 2141-1 du CCP, sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive pour l’une des infractions prévues aux articles 222-34 à 222-40, 225-4-1, 225-4-7, 313-1,313-3, 314-1,  324-1,324-5,324-6,421-1 à 421-2-4,421-5,432-10,432-11,432-12 à 432-16, 433-1,433-2, 434-9, 434-9-1, 435-3, 435-4, 435-9, 435-10, 441-1 à 441-7, 441-9,445-1 à 445-2-1 ou 450-1 du Code pénal, aux articles 1741 à 1743,1746 ou 1747 du Code général des impôts, ou pour recel de telles infractions, ainsi que pour les infractions équivalentes prévues par la législation d’un autre Etat membre de l’Union européenne.

Il est à noter que cet article précise que la condamnation doit être définitive.

A l’inverse, le 3° de l’article L. 2141-4 du CCP – qui dispose que sont exclues les personnes qui « ont été condamnées au titre du 5° de l’article 131-39 du Code pénal ou sont des personnes physiques condamnées à une peine d’exclusion des marchés – ne dispose pas expressément que ladite condamnation doit être définitive.

Une telle différence de rédaction entre les deux articles pouvait s’interpréter de deux façons opposées :

  • Soit l’omission des termes « condamnation définitive» au sein du 3° de l’article L. 2141-4 du CCP était volontaire et le souhait du législateur était donc d’obliger les acheteurs à exclure des procédures de passation les candidats frappés d’une condamnation d’exclusion des marchés, même lorsque celle-ci fait l’objet d’un appel, ce qui revenait à déroger au caractère suspensif de l’appel en matière pénale ;
  • Soit l’omission des termes « condamnation définitive» au sein du 3° de l’article L. 2141-4 du CCP était involontaire et, par voie de conséquence, l’acheteur ne peut exclure un candidat sur ce fondement dès lors que celui-ci a fait appel de la décision l’ayant condamné à l’exclusion des marchés.

Dans sa décision en date du 2 novembre 2022, le Conseil d’Etat fait prévaloir la seconde interprétation, ce qui n’est guère surprenant, compte tenu du fait que la directive 2024/24/UE du 24 février 2014 sur les marchés publics mentionne expressément, pour sa part, « un jugement définitif [d’exclusion] de la participation à des procédures de passation de marché ou d’attribution de concession » (cf. article 57, paragraphe 6).

Cette décision a été rendue à l’occasion d’un litige portant sur la passation par le Ministre des armées d’un accord-cadre de défense et de sécurité ayant pour objet l’acquisition d’heures de vol, sans équipage, sur hélicoptère civil H225, au profit des équipages de l’armée de l’air et de l’espace. La Société Icare, condamnée par un jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 29 juin 2021 à une peine d’exclusion des marchés publics, a été exclue de la procédure sur le fondement du 3° de de l’article L. 2141-4 du CCP, ce qui l’a incitée à saisir le Juge des référés précontractuels du Tribunal administratif de Paris. Celui-ci a, par une ordonnance en date du 17 mai 2022, donné satisfaction à la requérante en enjoignant au Ministre, s’il entendait poursuivre la passation du marché en litige, de reprendre la procédure au stade de l’examen des candidatures.

Saisi par le Ministre d’un pourvoi contre cette ordonnance, le Conseil d’Etat commence par écarter un premier moyen tiré d’une erreur de droit puis vise, d’une part, les dispositions du 3° de l’article L. 2141-4 du CCP (rendu applicable aux marchés de défense et de sécurité par l’article L. 2341-2) et, d’autre part, celles de l’article 506 du Code de procédure pénale qui disposent que, pendant les délais d’appel et durant l’instance d’appel, il est sursis à l’exécution du jugement, sous réserve des dispositions des articles 464 (deuxième et troisième alinéas), 464-1, 464-2, 471, 507, 508 et 708 du même Code.

Le Conseil d’Etat déduit de la combinaison de ces dispositions le considérant de principe suivant, qui vaut à la décision d’être mentionnée aux tables du recueil Lebon :

« Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu’une personne dont le jugement l’ayant condamnée à une peine d’exclusion des marchés n’est pas exécutoire en raison de l’appel formé à son encontre ne peut être exclue, pour ce motif, de la procédure de passation du marché ».

Faisant application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat rejette le pourvoi, considérant que le Juge des référés n’avait pas commis d’erreur de droit en jugeant que la Ministre des armées n’avait pu légalement se fonder sur la condamnation prononcée à l’encontre de la Société ICARE, qui faisait l’objet d’un appel, pour exclure sa candidature.