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le 24/01/2023

Police administrative : l’enlèvement de la statue de la Vierge à l’Ile de Ré procède d’une application plus que centenaire de la loi de 1905

CAA Bordeaux, 1re ch., 12 janvier 2023, commune de la Flotte : n° 22BX01113

A défaut de laver l’affront que semble avoir subi certains priant sur le miracle juridique, l’ondée vendéenne (plus humide qu’en Bretagne) ne glissera bientôt plus la statue de la Vierge Marie érigée sur la commune de La Flotte, rue Gustave Dechézeaux, sur l’Ile de Ré.

Par un arrêt en date du 12 janvier 2023, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a ainsi confirmé le jugement du Tribunal administratif de Poitiers ayant enjoint au Maire de procéder à l’enlèvement de la statue dans un délai de six mois.

 

1. La loi de 1905

Petit rappel précautionneux : l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat dispose :

« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».

Décortiquons :

  • A l’avenir: seuls les emblèmes apposés après 1905 sont concernés, préservant les signes et emblèmes religieux existant à cette date ainsi que la possibilité d’en assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement[1] ;
  • Signe ou emblème religieux : incluant statues, crucifix[2], œuvres d’art, crèches de Noël[3], notamment ;
  • Monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit : y compris sur le domaine privé[4], exception faite des cimetières[5], des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.

Dans ce cadre, le sort réservé aux statues à caractère religieux érigées après 1905 est invariable, pour ne citer que quelques exemples :

  • La statue de l’archange Saint-Michel aux Sables d’Olonne[6];
  • La statue de la Vierge Marie et de Saint-Maur à Cogolin[7];
  • La croix surmontant la statue de Jean-Paul II, à Poërmel[8].

Leur enlèvement est ordonné par les juridictions dans la mesure où il s’agit d’emblèmes religieux, implanté après 1905, sur l’espace public. Ces dispositions plus que centenaire ont ainsi été revisitées par le Conseil d’Etat pour consacrer rétrospectivement le principe de neutralité de l’espace public[9], et son corollaire, la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes[10].

 

2. La statue de l’Ile de Ré, un cas à part ?

La situation vendéenne tient sa particularité à la double circonstance que la statue était initialement située dans le périmètre d’une propriété privée, d’une part, et d’autre part, qu’elle était pensée par ses commanditaires comme un vœu de Guerre exprimé pendant la Seconde guerre mondiale.

D’abord installée sur un terrain appartenant au diocèse, la commune a décidé de la déplacer sur son emplacement actuel, à la suite de travaux de déviation d’une route, en 1986 et sur un terrain privé. Ce n’est qu’en 2006 que la statue a été cédée à la commune en même temps que la voirie. Endommagée après un accident de la circulation intervenu en 2020, la commune en a fait réaliser une copie qu’elle a réinstallée sur son promontoire, la même année.

Précision doit ici être faite que saisie dans un premier temps dans le cadre d’un sursis à exécution[11], la Cour avait sursis à exécution du jugement en estimant que « le maintien de la statue de la Vierge Marie dont il s’agit à l’emplacement choisi en 1986 ne peut être regardé comme manifestant de la part de la commune une intention de reconnaître un culte ou de marquer une préférence religieuse. »[12]. Statuant à trois juges, La Cour jugeant au fond n’a pas suivi le juge unique chargé d’étudier le sursis.

 En premier lieu, s’agissant du caractère religieux de l’emblème, la Cour souligne qu’« il est indéniable que la figure de la Vierge Marie est un personnage important de la religion chrétienne, en particulier catholique, et présente par elle-même un caractère religieux. Par ailleurs, la statue en cause présente des dimensions importantes, la rendant particulièrement visible, tandis que l’inscription ʺVœux de guerreʺ sur son promontoire a un impact visuel beaucoup moins important ». La fonction supposément commémorative est donc relayée au second plan. La Cour conforte sa motivation sur ce point en précisant plus loin que « contrairement à ce que soutient la commune, ce monument, qui n’est pas dédié à la commémoration des morts, ne peut être regardé comme un monument funéraire »[13].

En second lieu, s’agissant de l’implantation de la statue sur l’espace public, la Cour se fait plus discrète, moins explicite, alors qu’il s’agit probablement du nœud du litige : quel sort réserver à un emblème qu’une personne publique reçoit, malgré elle, par l’effet d’une mutation foncière ? A lire la Cour, elle doit l’enlever puisque « la réinstallation en décembre 2020 d’une copie de la statue de la Vierge Marie sur un emplacement devenu public depuis 2006, autre que ceux prévus par l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 précité, méconnaît les dispositions de cet article, alors même que la commune n’avait pas l’intention d’exprimer, par cette réinstallation, une préférence religieuse ». C’est donc à raison de son installation sur une propriété devenue publique en 2006 – et non de sa substitution par une copie en 2020 – que le Maire est tenu de déposer Marie.

Autrement dit, l’exception tirée de la possibilité d’assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement de l’emblème ne peut être évoquée ici. De même, l’association intimée pouvait en réalité agir dès 2006. La solution dégagée par la Cour n’est donc pas un cas à part. Plutôt logiquement, elle précise qu’une personne publique est tenue d’enlever un emblème lorsqu’elle en devient propriétaire par l’effet d’une acquisition du fonds qui le supporte. Une application plus que centenaire et littérale de la loi de 1905, en somme, et qui ne saurait souffrir de marge d’interprétation vu la clarté du texte. Rien de plus que ce qui est demandé au juge.

C’était mieux avant ? Les contempteurs trancheront. Ce qui est certain, c’est qu’on rédigeait mieux la loi, avant.

 

Thomas MANHES, Avocat associé – SEBAN ARMORIQUE

 

[1] CE, 10e – 9e ch. réunies, 28 juill. 2017 : n° 408920.

[2] CAA Nantes, 3e ch., 4 févr. 1999 : n° 98NT00207.

[3] CE, ass., 9 nov. 2016 : n° 395223, Lebon.

[4] CE, 8e – 3e réun., 11 mars 2022 : n° 454076.

[5] Voir toutefois la rédaction de l’article L. 2223-19 du Code général des collectivités territoriales laissant à la charge des seuls ayants-droits du défunt le soin d’apporter plaques funéraires emblèmes religieux sur la sépulture.

[6] CAA Nantes, 4e ch., 16 sept. 2022, n° 22NT00333.

[7] CAA Marseille, 5e ch., 18 juill. 2022, n° 21MA03245.

[8] CE, 8ème – 3e ch. réunies, 25 octobre 2017, n°396990.

[9] Ce qui ne saurait empêcher des processions religieuses. Par exemple : TA Montpellier, 3 novembre 2020 : n°1804799, s’agissant des fêtes de Saint Roch, dont une partie des festivités est financée par la commune de Montpellier.

[10] CE, 4e et 1re ch. réunies, 22 févr. 2019, n° 423702.

[11] Art. R.811-15 du Code de justice administrative : « Lorsqu’il est fait appel d’un jugement de tribunal administratif prononçant l’annulation d’une décision administrative, la juridiction d’appel peut, à la demande de l’appelant, ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l’appelant paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d’annulation accueillies par ce jugement ».

[12] CAA Bordeaux, 1re ch. (juge unique), 1er juill. 2022, n° 22BX01365.

[13] Pour une belle et littéraire définition de ce que peut être un monument aux morts : Pierre Lemaitre, Au revoir là-haut, Paris, Albin Michel, 2013, 566 p.