Droit de la propriété publique
le 24/11/2022

Petit précis d’expulsion du domaine public à l’encontre de l’occupant indélicat

TA Grenoble, 6 octobre 2022, société du train de la Mure, n° 2205492

« Ceux qui m’aiment prendront le train » : c’est probablement ce qu’a dû se dire l’exploitant d’un restaurant implanté au terminus de la ligne touristique du Petit Train de la Mure, en Isère. En avril 2021, il conclut une convention d’occupation du domaine public d’une durée de 10 ans pour gérer l’établissement.

Cependant, et rapidement, divers manquements sont constatés par la société du Train de la Mure en charge de la gestion du contrat, notamment en lien avec la sécurité des lieux et à leur accès, les conditions d’ouverture, les modalités d’approvisionnement du restaurant, les tarifs ainsi que les prestations servies. Bref, c’est un peu chérot (Chéreau ?) pour ce que c’est.

« L’homme blessé » : mis en demeure, l’exploitant se limite à critiquer la faible cadence des trains. Ceux qui l’aiment n’ont pas pris les rares au départ, visiblement. La convention est résiliée et il est demandé à l’occupant indélicat de quitter les lieux. En vain.

« Persécution » : le Juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative commence par rappeler le principe en matière d’occupant sans titre :

« Lorsque le juge des référés est saisi, sur le fondement de ces dispositions, d’une demande d’expulsion d’un occupant du domaine public, il lui appartient de rechercher si, au jour où il statue, cette demande présente un caractère d’urgence et d’utilité et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. S’agissant de cette dernière condition, dans le cas où la demande d’expulsion fait suite à la décision du gestionnaire du domaine de retirer ou de refuser de renouveler l’acte administratif unilatéral portant autorisation d’occupation privative et où, alors que cette décision exécutoire n’est pas devenue définitive, l’occupant en conteste devant lui la validité, le juge des référés doit rechercher si, compte tenu tant de la nature que du bien-fondé des moyens ainsi soulevés à l’encontre de cette décision, la demande d’expulsion doit être regardée comme se heurtant à une contestation sérieuse. Dans le cas où la demande d’expulsion fait suite à une mesure de résiliation d’une convention d’occupation du domaine public et où cette mesure est contestée, il appartient au juge des référés de rechercher, alors que le juge du contrat a été saisi d’un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation du contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles, si cette demande d’expulsion se heurte, compte tenu de l’ensemble de l’argumentation qui lui est soumise, à une contestation sérieuse. Tel n’est pas le cas si ce recours n’a pas été exercé dans un délai de deux mois à compter de la date à laquelle le cocontractant a été informé de la mesure de résiliation ».

En clair : mieux vaut pour l’occupant engager un recours tendant à la reprise des relations contractuelles[1] s’il souhaite rester dans les lieux – et sur de bons rails. A défaut, il s’expose à une expulsion quasi-inéluctable en l’absence de contestation sérieuse.

« Contre l’oubli » : pour mémoire, cette méthodologie est issue d’une décision du Conseil d’Etat, dégagée en 2012[2].

Certains tribunaux administratifs ont en fait usage, souvent avec succès pour l’administration[3] à l’occasion de l’occupation sans droit ni titre :

  • Du restaurant « le chantier » depuis près de quatre mois, au détriment du département du Val-de-Marne[4];
  • D’un commerce de fleurs sur un emplacement situé dans l’enceinte de la gare de Bécon-les-Bruyères, à Courbevoie, au détriment de SNCF Mobilités[5].

Plus rarement, l’occupant réputé sans droit ni titre parvient à rapporter la preuve d’une contestation sérieuse précisément car il a contesté parallèlement la validité de la mesure de résiliation[6].

En l’espèce, le Juge des référés grenoblois relève que l’exploitant du restaurant situé sur cette ligne ferroviaire touristique ne justifie d’aucun titre et n’a « pas introduit d’action contentieuse dans le délai de deux mois suivant la notification de la résiliation ». En l’absence de contestation sérieuses et afin d’éviter que l’histoire déraille, un délai de huit jours lui est imparti à cette fin, cette injonction étant assortie d’une astreinte de 1.000 euros par jour de retard.

En somme, la voie de droit offerte par l’article L. 521-3 du Code de justice administrative n’est pas à négliger par les personnes publiques qui soumettent leur domaine public à occupation. Elle peut s’avérer très efficace, pourvu qu’il n’existe pas une contestation parallèle de la mesure de résiliation.

 

Thomas MANHES, avocat associé

SEBAN ARMORIQUE

 

[1] CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806.

[2] CE, 8e et 3e ss-sect. réunies, 11 avr. 2012, n° 355356, Lebon T. ; réitéré par CE, 8e ch., 21 mars 2018, n° 414334.

[3] Sauf dans le cas suivant : TA Martinique, 20 mars 2013, n° 1300054, dans lequel la commune de Case-Pilote n’est pas parvenue à rapporter la preuve de sa propriété.

[4] TA Melun, 30 avr. 2013, n° 1302334.

[5] TA Cergy-Pontoise, 16 févr. 2015, n° 1500677.

[6] TA Paris, 4 juill. 2022, n° 2212441 : ici s’agissant d’une emplacement commercial situé dans l’enceinte de la gare de Boulainvilliers dans le 16e arrondissement de Paris, en vue d’y exploiter une activité de « services d’aides aux entreprises notamment coworking et de services de soutiens scolaires ».