Contrats publics
le 15/11/2023

Même irrégulière, la notification d’un décompte général empêche la naissance d’un décompte général définitif tacite

CE, 9 novembre 2023, Société Transport tertiaire industrie, n° 469673

Il y a quelques mois, nous avions consacré un article sur les points de vigilance pour l’acheteur et le titulaire sur le décompte général définitif tacite.

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 9 novembre dernier vient ajouter un nouveau point de vigilance sur ce sujet, à l’attention cette fois-ci des titulaires de marchés de travaux.

Pour rappel, aux termes du Cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux (CCAG Travaux), qu’il s’agisse de la version du 8 septembre 2009 modifiée par l’arrêté du 3 mars 2014 ou de celle du 30 mars 2021, l’élaboration du décompte du marché doit suivre plusieurs étapes :

  • Etape 1 : le titulaire doit transmettre au maître d’œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur son projet de décompte final, dans un délai de 30 jours à compter de la décision de réception des travaux ;
  • Etape 2 : le représentant du pouvoir adjudicateur doit notifier au titulaire le décompte général, dont le projet doit avoir été établi par le maître d’œuvre, dans un délai de 30 jours à compter de la réception du projet de décompte final par le maître d’œuvre et le représentant du pouvoir adjudicateur (la date à retenir étant la plus tardive des deux réceptions) ;
  • Etape 3 : deux hypothèses sont à distinguer :
    • Hypothèse 1 : le pouvoir adjudicateur a, de manière normale, effectivement notifié son décompte général dans le délai précité. Le titulaire dispose alors d’un délai de 30 jours à compter de la réception de ce décompte général pour exprimer ses éventuelles réserves au sein d’un mémoire en réclamation. A défaut, le décompte général notifié par le pouvoir adjudicateur est réputé accepté tacitement par le titulaire ;
    • Hypothèse 2 : le pouvoir adjudicateur n’a pas notifié son décompte général dans le délai précité. Le titulaire peut alors notifier au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d’œuvre, son propre projet de décompte général signé. Le pouvoir adjudicateur dispose ensuite d’un délai de 10 jours à compter de la réception de ce décompte pour notifier son propre décompte général au titulaire. A défaut, le décompte général élaboré par le titulaire est réputé accepté tacitement par le pouvoir adjudicateur et acquiert un caractère définitif.

Dans le cadre de cette procédure, il est donc prévu que le décompte général soit notifié au titulaire par le représentant du pouvoir adjudicateur (cf. étape 2).

Mais, que se passe-t-il lorsque ce décompte général n’est pas notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur mais par le maître d’œuvre ?

C’est à cette question que le Conseil d’Etat apporte une réponse par sa décision en date du 9 novembre 2023, laquelle a été rendue dans le cadre d’un contentieux relatif à la fixation du solde d’un marché de travaux pour la réhabilitation d’un poste de livraison attribué par le Centre hospitalier intercommunal de Créteil à la Société Transport tertiaire industrie.

La Société Transport tertiaire industrie avait saisi la juridiction administrative d’une demande tendant à ce que le Centre hospitalier soit condamné lui verser les sommes de 32.596,02 € TTC au titre du solde du marché, ainsi que de 39.488,86 € TTC au titre de la prolongation des travaux ; à titre reconventionnel, le centre hospitalier a, quant à lui, demandé la condamnation de l’entreprise à lui verser une somme de 222.815 € au titre des préjudices causés par sa faute commise durant l’exécution des travaux.

Le 15 juillet 2020, le tribunal administratif de Melun a fixé le solde du marché à la somme négative de 334.441,43 € TTC. Ce jugement a ensuite été confirmé par la Cour administrative d’appel de Paris le 14 octobre 2022, contre lequel l’entreprise a formé un pourvoi en cassation.

Dans le cadre de son argumentation, la Société Transport tertiaire industrie soutenait notamment qu’aucun décompte général ne lui avait été notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur, le seul décompte général qu’elle a reçu lui ayant été notifié par le maître d’œuvre. Elle en concluait qu’un décompte général et définitif tacite était né du silence gardé par le centre hospitalier sur son propre projet de décompte général qu’elle lui avait notifié le 14 avril 2017.

Cependant, le Conseil d’Etat commence par poser le principe suivant (qui justifie la mention de la décision aux tables du Recueil Lebon) :

« 5. Il résulte de ces stipulations que la notification au titulaire du marché d’un décompte général, même irrégulier, fait obstacle à l’établissement d’un décompte général et définitif tacite à l’initiative du titulaire dans les conditions prévues par l’article 13.4.4 de ce cahier ».

Ensuite, faisant application de ce principe au cas d’espèce, le Conseil d’Etat conclut, comme l’avait fait le juge d’appel, que la société ne pouvait se prévaloir d’aucun décompte général et définitif tacite, dès lors qu’un décompte général lui avait été notifié par le maître d’œuvre avant la naissance d’un décompte général et définitif tacite. A cet égard, la circonstance que le pouvoir adjudicateur se soit, par la suite, approprié ce décompte général est sans incidence sur l’effectivité de cette notification.

Ainsi, entre une application rigoureuse des stipulations du CCAG-Travaux et une application protectrice des intérêts de l’acheteur, le Conseil d’Etat a clairement opté pour la seconde option : même si la notification au titulaire du décompte général a été effectuée par la mauvaise personne au regard du CCAG-Travaux (maître d’œuvre au lieu du pouvoir adjudicateur), elle suffit à faire obstacle à la naissance par la suite d’un décompte général définitif tacite établi sur la base du projet du titulaire.