Contrats publics
le 15/11/2023
Laurent BONNARD
Philippe GUELLIER

L’opposition de l’entrepreneur principal prohibe le paiement direct du sous-traitant

CE, 17 octobre 2023, Société NGE Infranet, n° 469071

Par un arrêt en date du 17 octobre 2023, le Conseil d’État apporte d’utiles précisions quant aux modalités de mise en œuvre du droit au paiement direct du sous-traitant. Plus précisément, le Conseil d’État a tranché la question tendant à savoir s’il appartient au pouvoir adjudicateur de contrôler le refus motivé du titulaire du marché à la demande de paiement direct formulé par son sous-traitant ou s’il peut se borner à constater l’opposition du titulaire sans porter sur elle aucune appréciation quant à son bienfondé.

En l’espèce, Le SIEL Territoire d’énergie Loire (ci-après, le « Syndicat »), a confié les lots nos 16 et 17 d’un marché public de travaux portant sur le réseau de desserte en fibre optique (ci-après, le « Marché ») à un groupement d’entreprises solidaires. Un des membres du groupement, la société SERP (ci-après, le « Titulaire ») a sous-traité une partie des prestations à la société NGE Infranet (ci-après, le « Sous-traitant ») laquelle a été agrée et a vu ses conditions de paiement accepté par le Syndicat.

Au cours de l’exécution du marché, le Sous-traitant a adressé au Syndicat une demande de paiement direct au titre des prestations qu’il avait réalisées. Le Titulaire a manifesté son opposition expresse et motivée à ce paiement. Le SIEL a donc refusé de faire droit à cette demande de paiement direct au seul motif de cette opposition formulée par le Titulaire. Le Sous-traitant a intenté un recours devant le Tribunal administratif de Lyon pour obtenir le paiement des prestations réalisées sur le fondement de son droit au paiement direct mais s’est vu débouté de sa demande par un jugement du 9 juillet 2020. La Cour administrative d’appel de Lyon a en revanche fait partiellement droit à sa demande dans un arrêt du 22 septembre 2022 au motif que la circonstance que l’opposition formulée par le Titulaire en raison de son insatisfaction de la qualité des prestations réalisées par le Sous-traitant n’était pas de nature à justifier le refus de paiement direct des prestations réalisées ce dernier.

Le Syndicat s’est pourvu en cassation contre cet arrêt et il revenait donc au Conseil d’État de se prononcer sur la question tendant à savoir s’il appartient au pouvoir adjudicateur de contrôler le bien-fondé de l’opposition au paiement direct formulé par l’entrepreneur principal ou s’il peut se fonder sur cette seule opposition pour refuser de procéder au paiement du sous-traitant.

Le Conseil d’État expose tout d’abord qu’il résulte des dispositions de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et de l’article 116 du Code des marchés publics (Code applicable au cas d’espèce mais dont les dispositions sont désormais reprises aux articles R. 2193-10 et suivants du Code de la commande publique) que « pour obtenir le paiement direct par le maître d’ouvrage de tout ou partie des prestations qu’il a exécutées dans le cadre de son contrat de sous-traitance, le sous-traitant régulièrement agréé doit adresser sa demande de paiement direct à l’entrepreneur principal, titulaire du marché. Il appartient ensuite au titulaire du marché de donner son accord à la demande de paiement direct ou de signifier son refus dans un délai de quinze jours à compter de la réception de cette demande. Le titulaire du marché est réputé avoir accepté cette demande s’il garde le silence pendant plus de quinze jours à compter de sa réception. A l’issue de cette procédure, le maître d’ouvrage procède au paiement direct du sous-traitant régulièrement agréé si le titulaire du marché a donné son accord ou s’il est réputé avoir accepté la demande de paiement direct. Cette procédure a pour objet de permettre au titulaire du marché d’exercer un contrôle sur les pièces transmises par le sous-traitant et de s’opposer, le cas échéant, au paiement direct. Sa méconnaissance par le sous-traitant fait ainsi obstacle à ce qu’il puisse se prévaloir, auprès du maître d’ouvrage, d’un droit à ce paiement ». Et, le Conseil d’État indique notamment que « le refus motivé du titulaire du marché d’accepter la demande de paiement direct du sous-traitant, notifié dans le délai de quinze jours à compter de sa réception, fait également obstacle à ce que le sous-traitant puisse se prévaloir, auprès du maître d’ouvrage, d’un droit à ce paiement ».

En l’espèce, le Conseil d’État constate que le Titulaire avait notifié son refus motivé d’accepter la demande de paiement direct formée par la société NGE Infranet dans le délai de quinze jours qui lui était imparti et conclut logiquement que le Syndicat « était, par suite, fondé, pour ce seul motif, qu’il avait d’ailleurs opposé à la société NGE Infranet dès son courrier du 24 mai 2018 rejetant sa demande de paiement direct, à refuser de procéder à ce paiement ».

Le Conseil d’État a ainsi suivi les conclusions de son rapporteur public lequel a parfaitement synthétisé le contrôle à opérer par l’acheteur puisqu’il écrivait que « le maître d’ouvrage […] n’a pas à contrôler le bienfondé de l’opposition du titulaire, mais il doit en revanche de contrôler son caractère motivé ». Lorsque le refus de l’entrepreneur principal est motivé, il « suffit à fonder le refus du maître d’ouvrage, qui peut se borner à constater l’opposition du titulaire sans porter sur elle aucune appréciation ».

Il résulte ainsi expressément de cet arrêt que le pouvoir adjudicateur n’a pas à porter une appréciation sur le bien-fondé de l’opposition au paiement direct formulé par l’entrepreneur principal, il lui revient uniquement de s’assurer de l’existence d’un tel motif et, le cas échéant, d’opposer un refus à la demande de paiement direct du sous-traitant.