Contrats publics
le 17/12/2020
Guillaume GAUCH
Romain MILLARD

Promulgation de la loi ASAP : impacts sur la commande publique

Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique

Le 7 décembre dernier est entrée en vigueur la loi n° 2020-1525 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite « loi ASAP », à la suite d’une procédure législative accélérée et d’une décision de conformité partielle à la Constitution rendue par le Conseil constitutionnel le 5 décembre 2020.

Cette loi comprend des dispositions relatives à la suppression de commissions administratives (titre Ier), à la déconcentration de décisions administratives individuelles (titre II), à la simplification des procédures applicables aux entreprises (titre III), diverses dispositions de simplification (titre IV) et des dispositions portant surtransposition de directives européennes en droit français et diverses autres dispositions (titre V).

Au sein des titres IV et V figurent plusieurs mesures qui concernent directement la commande publique.

 

1 – Un nouveau livre relatif aux règles applicables en cas de « circonstances exceptionnelles »

En conséquence de la crise sanitaire, la loi ASAP insère dans le Code de la commande publique (CCP) un nouveau livre relatif aux « règles applicables en cas de circonstances exceptionnelles » précisant les mesures que les acheteurs pourront ou devront mettre en œuvre, en phase de passation et en phase d’exécution de marchés publics ou de contrats de concession, pour faire face aux difficultés liées à la survenance de circonstances exceptionnelles :

  • la possibilité d’apporter aux documents de la consultation les adaptations nécessaires à la poursuite de la procédure, dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats (article L. 2711-2 pour les marchés, L. 3411-3 pour les concessions)  ;

  • la possibilité de prolonger les délais de réception des candidatures et des offres pour les procédures en cours d’une durée suffisante pour permettre aux opérateurs économiques de présenter leur candidature ou de soumissionner, sauf lorsque les prestations ne peuvent souffrir aucun retard (article L. 2711-3 pour les marchés, L. 3411-4 pour les concessions) ;

  • la possibilité de prolonger des contrats en cours lorsque l’organisation d’une procédure de mise en concurrence ne peut être mise en œuvre pour une durée ne pouvant excéder la période de circonstances exceptionnelles, augmentée de la durée nécessaire à la remise en concurrence à l’issue de l’expiration de cette période (article L. 2711-4 pour les marchés, L. 3411-5 pour les concessions) ;

  • lorsque le titulaire ne peut pas respecter un délai d’exécution ou que son respect nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive, ce délai doit être prolongé d’une durée équivalente à la période de non-respect du délai d’exécution résultant directement des circonstances exceptionnelles, à la demande du titulaire présentée avant l’expiration du délai contractuel et avant l’expiration de la période de circonstances exceptionnelles (article L. 2711-7 pour les marchés, L. 3411-7 pour les concessions) ;

  • s’agissant des marchés publics, lorsque le titulaire est dans l’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un bon de commande ou d’un contrat, notamment lorsqu’il démontre qu’il ne dispose pas des moyens suffisants ou que leur mobilisation ferait peser sur lui une charge manifestement excessive, le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer les pénalités contractuelles, ni voir sa responsabilité contractuelle engagée pour ce motif ; en parallèle, l’acheteur peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ceux de ses besoins qui ne peuvent souffrir aucun retard, nonobstant toute clause d’exclusivité et sans que le titulaire du marché initial puisse engager, pour ce motif, la responsabilité contractuelle de l’acheteur, l’exécution du marché de substitution ne pouvant alors être effectuée aux frais et risques du titulaire initial (article L. 2711-8).

 

Il s’agit donc, pour l’essentiel, d’une codification des dispositifs qui avaient déjà été institués lors du premier état d’urgence sanitaire (12 mars 2020 – 10 juillet 2020).

La constitutionnalité de ces dispositions a été critiquée par les députés de l’opposition ayant saisi les Sages, aux motifs, d’une part, qu’elles n’auraient pas leur place dans cette loi et auraient été introduites en première lecture selon une procédure de « cavalier législatif » contraire à l’article 45 de la Constitution, d’autre part, que le législateur aurait méconnu le principe de clarté de la loi ainsi que l’étendue de sa compétence compte tenu du caractère indéfini de l’expression « circonstances exceptionnelles ».

Toutefois, le Conseil constitutionnel a écarté ces critiques en considérant, premièrement, que ces dispositions n’étaient pas dépourvues de lien avec le projet de loi initial et, secondement, que les mots « circonstances exceptionnelles » n’étaient ni inintelligibles ni entachés d’incompétence négative.

 

2 – La possibilité de justifier le recours à une procédure de passation sans publicité ni mise en concurrence pour « un motif d’intérêt général »

L’article 131 de la loi ASAP insère dans le CCP la possibilité pour les acheteurs de conclure des marchés publics sans publicité ni mise en concurrence « pour un motif d’intérêt général », selon des modalités devant être définies par décret.

Sur ce point particulièrement emblématique, les députés ayant saisi le Conseil constitutionnel soutenaient que, faute de déterminer les motifs d’intérêt général permettant une telle dérogation aux règles de la commande publique, cette disposition était entachée d’incompétence négative.

Cependant, le Conseil constitutionnel a, là encore, écarté ce moyen, considérant que le législateur n’avait pas méconnu l’étendue de sa compétence. Par ailleurs, le Conseil a rappelé que ces dispositions n’exonéraient pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics.

Pour autant, une incertitude demeure sur la conformité de cette nouvelle disposition avec la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 relative aux marchés publics, dans la mesure où son article 26 interdit aux Etats membres d’autoriser le recours à des procédures sans publicité ni mise en concurrence hors des cas limitativement prévus en son article 32 et au sein duquel le « motif d’intérêt général » ne figure pas.

 

3 – Un seuil de publicité et de mise en concurrence pour les marchés de travaux fixé à 100.000 € HT jusqu’au 31 décembre 2022

Troisièmement, l’article 142 de la loi ASAP relève le seuil de publicité et de mise en concurrence, actuellement fixé à 40.000 € HT, à 100.000 € HT jusqu’au 31 décembre 2022, pour les seuls marchés de travaux. Ces dispositions sont applicables aux lots qui portent sur des travaux et dont le montant est inférieur à 100 000 € HT, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.

Il est néanmoins expressément rappelé que les acheteurs doivent veiller à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin.

Ce relèvement des seuils s’applique aux marchés publics de travaux pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter de la publication de la loi.

Là encore, les députés ayant saisi les Sages demandaient la censure de cette disposition, aux motifs, d’une part, qu’elle favoriserait excessivement les grandes entreprises au détriment des PME, d’autre part, qu’elle ne serait pas justifiée par l’existence de difficultés d’accès à la commande publique résultant des procédures de publicité et de mise en concurrence et, enfin, qu’elle renforcerait le risque de corruption.

Néanmoins, le Conseil constitutionnel a écarté ces griefs, relevant que, par cette mesure, le législateur a entendu alléger le formalisme des procédures applicables afin de contribuer à la reprise de l’activité dans le secteur des chantiers publics, touché par la crise économique consécutive à la crise sanitaire causée par l’épidémie de covid-19, qu’il a limité la durée de cette dispense à la période estimée nécessaire à cette reprise d’activité et qu’il a rappelé que cette dispense n’exonérait pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics.

 

4 – Possibilité de passer des marchés de services juridiques sans publicité ni mise en concurrence

 L’article 140 de la loi ASAP extrait du droit commun les services juridiques d’avocat en lien avec des procédures juridictionnelles (représentation juridique dans le cadre d’une procédure juridictionnelle et services de consultation juridique en vue de la préparation d’une telle procédure) et les intègre au sein des « autres marchés » listés à l’article L. 2512-5 du CCP.

Ainsi, les acheteurs soumis au CCP pourront désormais conclure de tels marchés sans publicité ni mise en concurrence préalable, et ce quel qu’en soit leur montant.

 

5 – La fin de l’exclusion de plein droit des procédures de passation des sociétés en redressement judiciaire bénéficiant d’un plan de redressement

L’article 131 de la loi ASAP clarifie la rédaction des dispositions du CCP instituant une exclusion de plein droit des procédures de passation de contrats de la commande publique applicable aux sociétés admises à la procédure de redressement judiciaire et ne justifiant pas avoir été habilitées à poursuivre leurs activités pendant la durée prévisible d’exécution du marché, afin qu’il en ressorte plus clairement que cette exclusion ne s’applique pas aux entreprises bénéficiant d’un plan de redressement.

 

6 – La fin du pouvoir de résiliation d’un contrat au seul motif que le titulaire fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire

Par l’effet de l’article 131 de la loi ASAP, qui a modifié les articles L. 2195-4 (marchés) et L. 3136-4 (concessions) du CCP, les acheteurs ne pourront plus prononcer la résiliation d’un contrat au seul motif que l’opérateur économique fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire en application de l’article L. 631-1 du Code de commerce, sous réserve des hypothèses de résiliation de plein droit prévues au III de l’article L. 622-13 du même code (mise en demeure de prendre parti sur la poursuite du contrat adressée par le cocontractant à l’administrateur et restée plus d’un mois sans réponse, défaut de paiement et d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles).

Cette disposition ne sera toutefois applicable qu’aux marchés et aux concessions pour lesquels une consultation aura été engagée ou un avis d’appel à la concurrence envoyé à la publication à compter de la publication de la loi.

 

7 – Marchés globaux : renforcement de l’accès des PME et élargissement des possibilités de recours pour l’Etat et la Société du Grand Paris

Les acheteurs devront obliger les titulaires de marchés globaux à réserver une part de leur exécution à des PME (article L. 2171-8 du CCP) et, dans cette logique, prévoir au stade de la procédure de passation un critère tenant compte des engagements des candidats sur cette réservation (article L. 2152-9 du CCP).

Par ailleurs, l’article 143 de la loi ASAP modifie l’article L. 2171-4 du CCP afin d’y introduire la possibilité pour l’Etat de recourir à ce type de marché pour la conception, la construction, l’aménagement, l’exploitation, la maintenance ou l’entretien de ses infrastructures linéaires de transport.

Dans une logique analogue, l’article 144 de la loi ASAP modifie l’article L. 2171-6 du CCP afin d’autoriser la Société du Grand Paris, dans le cadre de la construction du Grand Paris Express, à passer des marchés globaux portant sur la construction et à la valorisation des immeubles connexes aux gares.

 

8 – Possibilité de réserver un même marché aux opérateurs employant des travailleurs handicapés et à ceux employant des travailleurs défavorisés

Auparavant, un acheteur ne pouvait réserver un marché ou un lot d’un marché aux opérateurs économiques répondant à la fois aux conditions de l’article L. 2113-12 (entreprises adaptées et services d’aide par le travail employant des travailleurs handicapés) et à ceux répondant aux conditions de l’article L. 2113-13 (structures d’insertion par l’activité économique employant des travailleurs défavorisés).

L’article 141 de la loi ASAP met fin à cette interdiction, autorisant ainsi les acheteurs à réserver un même marché ou un même lot à ces deux catégories d’opérateurs.

 

9 – Soumission des modifications de tous les marchés publics au CCP, quelle que soit la date de leur conclusion

Jusqu’à présent, la détermination du droit applicable aux avenants différait selon le type de contrat. En effet, si tous les avenants à des contrats de concession entraient dans le champ d’application du CCP, quelle que soit la date du conclusion du contrat, les avenants portant sur des marchés publics n’entraient en revanche dans le champ d’application du CCP que si le contrat lui-même avait été conclu postérieurement au 1er avril 2016.

Désormais, les modifications des marchés publics conclus avant le 1er avril 2016 seront également régies par les dispositions du CCP et non plus par les textes antérieurs, ce qui écartera ainsi toute difficulté sur l’identification du droit applicable.

 

Par Guillaume Gauch et Romain Millard