Santé, action sanitaire et sociale
le 24/11/2022

L’impact de la montée des prix des matières premières sur les tarifs des ESSMS

Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreux secteurs d’activité subissent la hausse du prix de certaines matières premières, comme le gaz ou le pétrole. Au titre de son activité d’hébergement de publics fragiles, le secteur social et médico-social fait partie des secteurs impactés.

La question se pose de savoir si les organismes gestionnaires d’établissement ou service social ou médico-social (ESSMS) peuvent, du fait de la hausse des prix de certaines matières premières, solliciter une révision des tarifs qu’ils perçoivent.

Différentes dispositions peuvent être mobilisées par les organismes gestionnaires afin de voir leurs tarifs réévalués.

Tout d’abord, le Code de l’action sociale et des familles (CASF) permet de procéder à des ajustements budgétaires en cours d’exercice en cas de « modification importante et imprévisible des conditions économiques de nature à provoquer un accroissement substantiel des charges »[1].

Cet ajustement prend la forme d’une décision budgétaire modificative qui a pour objet de « financer des charges nouvelles ou plus importantes que celles prévues au budget exécutoire par des recettes nouvelles ou plus importantes ».

Si la décision budgétaire modificative suppose une révision du tarif de l’exercice, elle est soumise à l’approbation de l’autorité de tarification (dans le cas contraire, c’est-à-dire lorsque le financement ne fait pas appel aux produits de la tarification, la décision est simplement transmise à l’autorité de tarification). Elle peut être sollicitée jusqu’au 31 octobre de l’exercice auquel elle se rapporte.

Cette possibilité ouverte par le CASF ne s’applique toutefois pas à tous les ESSMS. Notamment, elle ne s’applique pas aux ESSMS qui relèvent d’un état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD), ces ESSMS étant soumis à des dispositions spécifiques[2]. Ces derniers peuvent également demander une décision budgétaire modificative lorsqu’ils constatent une différence importante entre les prévisions initiales validées et l’exécution de l’exercice, notamment lorsqu’une dépense engagée sur un compte éventuellement non doté ou insuffisamment doté au budget approuvé est de nature à bouleverser l’économie générale du budget. La décision modificative qui modifie le montant initial des prévisions budgétaires arrêtées est également soumise à l’approbation de l’autorité de tarification et doit être présentée dans le mois suivant l’approbation de l’EPRD.

Au-delà de la possibilité offerte par le CASF relative aux décisions budgétaires modificatives, d’autres moyens semblent pouvoir être invoqués à l’appui d’une demande de revalorisation des tarifs d’un ESSMS du fait de l’augmentation des prix des matières premières.

Dans l’hypothèse où l’organisme gestionnaire et l’autorité de tarification ont conclu un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM), sa révision, du fait de circonstances imprévisibles ou exceptionnelles, reste une option. A ce sujet, il est intéressant de relever la position retenue par le Conseil d’Etat, en matière de contrats de la commande publique, qui a reconnu la possibilité d’exiger une modification des conditions financières de ces contrats pour faire face aux circonstances imprévisibles liées à la très forte hausse des prix et composants et des difficultés d’approvisionnement pour certaines matières premières[3].

La question pourrait également se poser de savoir si un organisme gestionnaire signataire d’un CPOM pour le ou les établissements ou services qu’il gère ne pourrait pas demander l’obtention d’une indemnité d’imprévision. En effet, si le CPOM peut être qualifié de contrat administratif, il devrait ouvrir le droit d’obtenir une indemnité sur le fondement de la théorie de l’imprévision. Cependant, si l’administration semble considérer que le CPOM est un contrat administratif[4], le juge semble refuser de reconnaitre au CPOM la nature de contrat administratif[5].

Reste l’option contentieuse. L’organisme gestionnaire pourrait en effet contester les arrêtés de tarification qui ont fixé les tarifs de sa structure en raison de leur insuffisance (et en cas de CPOM, au regard des engagements pris dans le CPOM).

En conclusion, plusieurs outils semblent pouvoir permettre aux organismes gestionnaires de demander la revalorisation des tarifs qu’ils perçoivent pour la gestion de leur ESSMS du fait de la hausse des matières premières. Il reviendra aux autorités de tarification d’étudier ces demandes et d’apporter la réponse la plus adaptée afin d’écarter tout risque contentieux.

A noter que l’impact de la hausse des prix sur les organismes responsables d’ESSMS et leur personnel est progressivement pris en compte par les autorités. A titre d’exemple, l’instruction du 8 novembre dernier – venue compléter l’instruction de campagne budgétaire des ESSMS accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées du 12 avril 2022 – a accordé des moyens supplémentaires afin de limiter l’impact du contexte inflationniste sur le renchérissement des achats des ESSMS et de poursuivre le financement des mesures de revalorisations salariales[6]. Par ailleurs, un décret n° 2022-1430 du 14 novembre 2022 est venu étendre le bouclier tarifaire aux EHPAD et structures du handicap avec hébergement à partir du 1er juillet 2022 et jusqu’au 31 décembre 2022.

 

 

[1] Article R. 314-46 du CASF

[2] Articles R. 314-210 à R. 314-244 du CASF et notamment l’article R. 314-229 du CASF pour les décisions budgétaires modificatives.

[3] Avis du Conseil d’État relatif aux possibilités de modification du prix ou des tarifs des contrats de la commande publique et aux conditions d’application de la théorie de l’imprévision, 15 septembre 2022, n° 405540

[4] CIRCULAIRE N° DGCS/SD5C/2013/300 du 25 juillet 2013 relative à la mise en œuvre du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens prévu à l’article L. 313-11 du CASF

[5] TITSS Lyon, 12 mars 2012, n°11-73-6

[6] Instruction n° DGCS/SD5B/DSS/SD1A/CNSA/DFO/2022/237 du 8 novembre 2022