Ces dernières années, la jurisprudence a considérablement précisé le corpus juridique encadrant la protection fonctionnelle. A ce titre, elle a à la fois largement étendu la catégorie des bénéficiaires tout en précisant les infractions qui ouvrent le droit à une telle protection. Le point d’orgue de l’évolution du régime résidant dans la loi du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux[1] qui a largement fait évoluer les modalités d’octroi de la protection fonctionnelle en distinguant selon la qualité de l’élu, auteur présumé ou victime.
Comment obtenir la protection fonctionnelle ?
Depuis la loi du 21 mars 2024, on distingue deux situations pour octroyer la protection fonctionnelle. D’une part, celle dans laquelle l’élu fait l’objet de poursuites pénales[2]. Dans cette situation, les modalités d’octroi de la protection fonctionnelle restent inchangées. Ainsi, son octroi n’est pas explicitement assujetti à une demande préalable de l’élu intéressé par les textes. Néanmoins, l’élu concerné ne pourra se prévaloir d’un quelconque refus de la collectivité s’il n’a pas formulé de demande en ce sens, de sorte que cette demande s’impose généralement en pratique, ne serait-ce que pour définir le champ précis de la demande de protection. Partant, un courrier sera adressé au Maire par l’élu poursuivi ou, si le Maire est poursuivi pénalement, à l’élu le suppléant.
Cette demande doit conduire à l’inscription à l’ordre du jour de la plus prochaine séance du conseil municipal de l’octroi de la protection fonctionnelle sollicitée. La protection ne peut être accordée à un élu que par délibération de l’organe délibérant de la collectivité[3]. Il en va de même pour le refus de la protection fonctionnelle : le juge administratif censure ainsi le refus opposé par un maire à l’octroi de la protection fonctionnelle d’un ancien élu, au motif qu’il n’était pas compétent pour prendre une telle décision[4]. Notons encore que la Cour administrative d’appel de Versailles a, à cette occasion, précisé que le maire ne peut faire obstacle à l’inscription à l’ordre du jour de la demande de protection fonctionnelle[5]. Toutefois, en pratique, on voit difficilement comment contraindre le maire à une telle inscription sauf à ce que le préfet ou le tiers des membres du conseil municipal lui en fasse la demande expresse. L’on précisera, enfin, que l’élu concerné par la demande de protection fonctionnelle ne peut participer au conseil délibérant sur sa demande, ce qui non seulement entache la décision d’illégalité, mais expose également l’intéressé à un risque de conflit d’intérêt et à des poursuites pour prise illégale d’intérêt[6].
D’autre part, les modalités d’octroi de la protection fonctionnelle dans la situation où l’élu est victime ont été considérablement refondues par la loi du 21 mars 2024[7]. Auparavant, le conseil municipal était aussi seul compétent pour octroyer la protection fonctionnelle. Désormais, le 3ème alinéa de l’article L. 2123-35 du Code général des collectivités territoriales prévoit que l’élu en question doit formaliser une demande au maire ou, s’il s’agit du maire, à l’élu le suppléant. Ainsi, il apparait que le législateur remet en cause la jurisprudence selon laquelle il n’était pas nécessaire qu’une demande écrite formalisée soit adressée[8]. Bien plus, un accusé de réception de cette demande doit être remis à l’expéditeur. Cet accusé de réception est d’autant plus nécessaire qu’il marque le point de départ du délai de 5 jours au terme duquel l’élu sera réputé bénéficier de la protection fonctionnelle à la condition que le maire ou l’élu le suppléant ait accompli deux diligences dans ce laps de temps. Il s’agit, d’une part, de transmettre la demande au préfet de département, à travers une télétransmission dans des conditions identiques à celles mises en œuvre dans le cadre du contrôle de légalité[9] et, d’autre part, d’informer les membres du conseil municipal. S’agissant de cette information, le législateur n’a apporté aucune précision sur les modalités selon lesquelles elle devrait être faite. De sorte que le maire ou l’élu le suppléant semble jouir d’une totale marge de manœuvre. On pourrait notamment penser, afin de se ménager la preuve de la délivrance d’une telle information, à l’utilisation de la plateforme sécurisée de communication des documents aux élus préalablement aux séances du conseil municipal. A défaut de réaliser ces diligences dans le délai de 5 jours à compter de l’accusé de réception de la demande, l’élu est réputé bénéficier de la protection fonctionnelle dès lors que la télétransmission et l’information ont été réalisées. Il semble donc que si ces diligences ne sont pas réalisées dans un même temps, seule la réalisation de la seconde diligence ouvre le droit à la protection fonctionnelle.
L’information des élus est ensuite portée à l’ordre du jour de la séance suivante du conseil municipal qui peut alors décider de l’abroger ou de la retirer. Cette abrogation ou ce retrait peut même intervenir plus tardivement dès lors que le délai de 4 mois à compter de son octroi est respecté[10]. Dans ce délai de 4 mois à compter de l’octroi de la protection fonctionnelle, le maire est tenu de convoquer tout conseil municipal à la demande d’un seul de ses membres. L’aléa du retrait ou de l’abrogation pèse donc lourdement sur l’élu bénéficiaire pendant 4 mois.
Si l’article L. 2123-35 du CGCT a été présenté comme l’avancée majeure de la réforme de la protection fonctionnelle en promettant de faciliter son octroi via une attribution automatique, relevons néanmoins que, en pratique, sa mise en œuvre peut sembler complexe et implique l’intervention des élus à de multiples niveaux.
Notons enfin que, dans l’attente d’un positionnement définitif du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Versailles a récemment admis une extension du bénéfice de la protection fonctionnelle à tous les conseillers municipaux, même ceux n’ayant pas reçu de délégation du maire et n’exerçant en conséquence pas de fonction exécutive[11]. Cet arrêt entre en contrariété avec un arrêt plus ancien de la Cour administrative d’appel de Nancy qui avait lui refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle aux élus qui n’exerçaient aucune fonction exécutive[12]. Ces décisions invitent donc pour le moment à la prudence.
A quelles conditions ?
La protection fonctionnelle à l’élu victime consiste pour la Collectivité à « protéger » l’élu « contre les violences, menaces ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion ou du fait de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté »[13].
Il est important de relever que ces dispositions applicables aux élus ne visent que trois qualifications pénales, les violences, les menaces et les outrages, alors que l’article L. 134-5 du Code général de la fonction publique offre au bénéfice des agents publics une énumération beaucoup plus complète des infractions susceptibles d’être couvertes par la protection fonctionnelle[14]. Toutefois, le juge administratif considère que la protection fonctionnelle n’est pas limitée aux cas énumérés par les textes, et qu’elle peut être accordée « à raison de toutes menaces ou attaques dont ces élus feraient l’objet à l’occasion ou du fait de leurs fonctions » ; pour un exemple en matière de diffamation[15].
Notons bien que le juge administratif se réfère à sa propre notion de « menaces ou d’attaques » plutôt qu’à la qualification pénale exacte des faits dénoncés par la victime. Du reste, le juge administratif s’est toujours positionné dans une démarche d’unification des régimes de protection fonctionnelle entre celui des agents publics et celui des élus. Les atteintes volontaires à l’intégrité physique et le harcèlement peuvent donc relever du champ d’application de la protection fonctionnelle des élus.
A l’inverse, dans la mesure où aucun texte ne renvoie à des qualifications pénales non-intentionnelles, le juge administratif considère que des faits qualifiables pénalement de blessures involontaires ne peuvent relever du champ d’application de la protection[16]. Un élu communal victime d’une bousculade non intentionnelle ne sera donc pas, en l’état du droit, éligible à la protection fonctionnelle. Il pourra en revanche, dans une certaine mesure, bénéficier de l’article L.2123-31 du CGCT.
Enfin, le contrôle du juge administratif s’opère sur le lien avec les fonctions ; ainsi l’élu qui subirait « des attaques ou des menaces » pour des raisons personnelles et non liées à ses fonctions ne serait pas non plus éligible à la protection.
La protection fonctionnelle à l’élu auteur d’infraction[17] est par essence différente de la première, puisque l’élu n’est plus victime d’une infraction mais son auteur supposé. La condition est que les faits ne doivent pas avoir le « caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ».
A ce titre, le Tribunal des Conflits et le juge administratif ont élaboré depuis des décennies une jurisprudence abondante mais clairvoyante sur le sujet, dont la principale clé de voutes est qu’une infraction pénale (y compris intentionnelle[18]) n’est pas nécessairement – ipso facto – une faute détachable[19], sauf s’il s’agit d’un crime[20] ; ils n’ont depuis pas varié.
La Cour de cassation, dans sa formation pénale, partageait initialement cet état d’esprit jurisprudentiel : « Attendu qu’en l’état de ces seules énonciations procédant de ses constatations souveraines et abstraction faite d’un motif surabondant voire erroné selon lequel la faute pénale serait nécessairement une faute personnelle détachable des fonctions, la cour d’appel a justifié sa décision »[21].
Un arrêt récent semblerait démontrer que la Cour de cassation ne souhaite désormais plus adhérer à ce pacte jurisprudentiel, à tout le moins en matière d’infraction d’atteinte à la probité. L’arrêt du 8 mars 2023 indique que : « En effet, d’une part, les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur »[22]. Il vient donc considérer que le fait de prise illégale d’intérêts constitue nécessairement une faute personnelle et détachable, sans utiliser les critères traditionnellement dégagés par les deux ordres juridictionnels. Avouons que l’on perd en nuance, car il y a des situations de conflit d’intérêts pénal où l’auteur du délit, au sens de la jurisprudence administrative, n’a pas recherché une préoccupation d’ordre privé, un intérêt de lucre, ou encore dans des conditions de particulière gravité, mais sera tout de même pénalement sanctionné.
Du reste, prenons garde : la protection s’étend aux frais de procédure, et aux condamnations civiles[23]. L’amende n’est pas garantie, car il s’agit d’une sanction pénale soumise au principe de la personnalité de la peine. Depuis la loi du 21 mars 2024, l’élu victime, comme l’agent public, voit pris en charge l’assistance psychologique et les coûts qui résultent de l’obligation de protection.
Enfin, s’agissant des infractions financières (passibles d’une procédure contentieuse devant la Cour des comptes au titre de la responsabilité financières des gestionnaires publics)[24], une ordonnance du juge des référés du Tribunal administratif de Paris considère que la protection fonctionnelle peut être accordée[25].
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Finalement, une vigilance accrue doit être portée quant aux modalités et aux conditions d’octroi de la protection fonctionnelle au regard de la réforme légale récente et de la jurisprudence foisonnante en la matière. La vigilance est d’autant plus de mise qu’une erreur d’octroi de la protection fonctionnelle peut conduire à une qualification d’infraction pénale.
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[1] Loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux
[2] Article L. 2123-34 du CGCT
[3] CAA Lyon, 25 novembre 2008, n° 06LY01776.
[4] CAA Versailles, 20 décembre 2012, n° 11VE02556
[5] CAA Versailles, 20 décembre 2022, n° 11VE02556
[6] CAA Douai, 24 mai 2017, n° 15DA00805
[7] Article L. 2123-35 du CGCT
[8] CE, 8 juillet 2020, n°427002
[9] II de l’article L2131-2 du CGCT
[10] Article L. 242-1 du Code des relations entre le public et l’administration et suivants.
[11] CAA Versailles, 9 février 2024, n° 22VE01436
[12] CAA Nancy, 12 décembre 2019, n° 18NC02134
[13] Articles L.2123-35, L.3123-29, L.4135-29 et L.5214-8 du CGCT
[14] « Les atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages ».
[15] CAA Marseille, 3 février 2011, n°09MA01028
[16] CAA Lyon 8 sept. 2020 n°18LY01220
[17] Articles L.2123-34, L.3123-28, L.4135-28 et L.5214-8 du CGCT
[18] Pour des illustrations : « présentent le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité ; qu’en revanche ni la qualification retenue par le juge pénal ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l’intéressé ne suffisent par eux-mêmes à regarder une faute comme étant détachable des fonctions » (CE, 30 décembre 2015, n°391798 : à propos d’un Maire poursuivi pour détournement de fonds publics) ; « Les appréciations critiques formulées ne sauraient, à les supposer fautives, être regardées comme détachables des fonctions, dès lors qu’en l’absence d’autres éléments de preuve (…), elles ne suffisent à démontrer que l’attitude de cet élu local procédait d’une intention malveillante ou de la volonté de satisfaire un intérêt personnel étranger au service public » (Tribunal des conflits 25 janvier 1993 Préfet du Finistère, Association « Vivre la rue » et Mme Cann c/ Maloisel, n°02848 Recueil Lebon).
[19] Tribunal des conflits, 14 janvier 1935 Thépaz, Rec. 224 et GAJA
[20] Tribunal des conflits, 19 mai 1954, Veuve Rezsetin : Rec. CE 1954, p. 704
[21] Crim., 4 juin 2002, n°01-81.280
[22] Crim., 8 mars 2023, n°22-82.229
[23] CE, 5 mai 1971, GILLET, n°79494
[24] Les élus ne sont en principe pas redevables, sauf pour certaines qualifications.
[25] Tribunal administratif de Paris, 14 mars 2024 / n°2403460