Energie
le 09/06/2022
Yann-Gaël NICOLAS
Mathis RUOCCO-NARDO

Les textes d’application de la loi Climat-Résilience sur la prise en compte des installations de production d’énergie photovoltaïque dans la lutte contre l’artificialisation des sols : bilan de la concertation

Projet de décret définissant les modalités de prise en compte des installations de production d’énergie photovoltaïque au sol dans le calcul de la consommation d’espaces au titre du 5° du III de l’article 194 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets

Projet d’arrêté définissant les caractéristiques techniques des installations de production d’énergie photovoltaïque exemptées de prise en compte dans le calcul de la consommation d’espace naturels, agricoles et forestiers (NOR : LOGL2211878A)

 

En matière de lutte contre l’artificialisation des sols, l’article 191 de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite « loi Climat-Résilience ») a fixé au sein de l’article L. 101-2 du Code de l’urbanisme un « objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 » au moyen d’une réduction du rythme de l’artificialisation par tranches de dix années.

Le III de l’article 194 de ce même texte a ainsi introduit « un objectif de réduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers » (« NAF ») par rapport à la consommation réelle de ces espaces observée au cours des dix années précédentes, à inscrire et à décliner dans les documents de planification régionaux et les documents d’urbanisme.

Dans cette perspective, cet article a également instauré une dérogation à la nouvelle adaptation des règles régissant l’élaboration des documents d’urbanisme, en prévoyant qu’un espace naturel ou agricole occupé par une installation de production d’énergie photovoltaïque ne sera pas comptabilisé dans le calcul de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour la première tranche de dix années de l’objectif de réduction du rythme de l’artificialisation des sols, si deux conditions s’avèrent réunies :

 

) les modalités de cette installation permettent qu’elle n’affecte pas durablement les fonctions écologiques du sol, ainsi que son potentiel agronomique ;

) l’installation n’est pas incompatible avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale sur le terrain sur lequel elle est implantée, si la vocation de celui-ci est agricole.

C’est ainsi qu’a été établi par le ministère de la transition écologique et solidaire un projet de décret soumis à consultation publique du 4 mai au 25 mai 2022 visant à préciser les conditions d’implantation des projets photovoltaïques dans un espace à vocation naturelle ou agricole, qui conduiraient à ne pas les comptabiliser dans la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers.

En premier lieu, le projet de décret a traduit la première condition précitée du 5° du III l’article 194 de la loi Climat par la prise en compte de deux critères.

D’une part, cette condition se décline par le maintien, sur toute la durée de l’exploitation, au droit de l’installation :

  • d’un couvert végétal adapté à la nature du sol ;
  • des éventuels habitats naturels préexistants sur le site d’implantation ;
  • de la perméabilité du sol au niveau des voies d’accès.

Dès lors que ce critère s’applique sur toute la durée de l’exploitation, le ministère a précisé, dans sa présentation du projet de décret, qu’il doit être respecté non seulement lors de la délivrance de l’autorisation d’urbanisme ou à l’achèvement des travaux, mais également tout au long de l’exploitation de l’installation.

D’autre part, cette première condition se traduit également par « la réversibilité de l’installation » de telle sorte que les caractéristiques de l’installation doivent ainsi permettre son démantèlement à terme.

En deuxième lieu, concernant la seconde condition relative à la comptabilité de l’installation avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale sur le terrain sur lequel elle est implantée, le projet de décret a repris l’interprétation jurisprudentielle de la notion de « compatibilité avec l’exercice d’une activité agricole ou pastorale » (CE, 8 février 2017, Société Photosol, n° 395464).

Ainsi, les caractéristiques techniques des installations de production d’électricité photovoltaïque doivent permettre « le maintien, sur les espaces à vocation agricole, d’une activité agricole ou pastorale significative, sur le terrain sur lequel elles sont implantées, en tenant compte de l’impact du projet sur les activités qui y sont effectivement exercées ou, en l’absence d’activité agricole ou pastorale effective, qui auraient vocation à s’y développer ».

En troisième lieu, le projet d’arrêté, également soumis à consultation, a précisé la liste des caractéristiques techniques que les installations de production d’énergie photovoltaïque mentionnées doivent respecter afin d’être exemptées du calcul de la consommation d’espace naturels, agricoles et forestiers, ainsi que, pour chacune d’entre elles, les valeurs ou seuils d’exemption de ce calcul.

Ces caractéristiques portent sur la hauteur des modules, sur la densité des panneaux ou le taux de recouvrement du sol par les panneaux, sur le type d’ancrages au sol (lesquels ne doivent pas être imperméabilisants et garantir une réversibilité des installations), sur le type de clôtures autour de l’installation ainsi que sur le revêtement des voies d’accès à l’installation.

Si les dispositions du décret et de l’arrêté devraient entrer en vigueur le 1er octobre 2022, la notice de présentation du projet de décret précise qu’il s’inscrit dans un plus large corpus doctrinal, réglementaire, voire législatif, en cours d’élaboration concernant les installations solaires au sol.

En dernier lieu, il ressort des consultations que les projets de textes ont fait l’objet d’avis plutôt défavorables.

Il en va notamment ainsi de la plupart des associations qui ont pour objet la promotion et la défense de l’environnement dans la mesure où elles semblent contester l’exemption législative elle-même.

A cet égard, France Nature Environnement a notamment critiqué l’insuffisante prise en compte des effets des installations photovoltaïques « sur les sols, les milieux naturels, la biodiversité et les connectivités écologiques ».

De même, les professionnels du secteur ont quant à eux parfois souligné l’imprécision des critères évoqués par le projet de décret soumis à consultation et ont proposé divers amendements.

Par exemple, ENGIE et Enerplan – Syndicat des professionnels du Solaire – ont demandé que les projets solaires développés sur les espaces forestiers qui ont bénéficié d’une autorisation de défrichement – accordée sous condition de compensation – soient également exemptés du calcul de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers.

De même, ce syndicat a critiqué le contrôle du respect du premier critère « durant toute la durée d’exploitation ». Selon lui, il est nécessaire « qu’un projet respectant les critères du décret et de l’arrêté ne puisse voir sa qualité de non artificialisant remise en cause dans le temps ».

En outre, de nombreux acteurs ont demandé que les projets agrivoltaïques soient considérés par défaut comme répondant aux critères énoncés dans le projet de décret dès lors qu’ils assureraient dans leur conception même une compatibilité entre exploitation agricole et production solaire.

 

 

Yann-Gaël NICOLAS et Mathis