Contrats publics
le 19/04/2022
Romain MILLARD
Alice LARMET

Les préconisations du Premier Ministre sur l’exécution des contrats dans le contexte de hausse des prix

Circulaire n° 6338/SG du 30 mars 2022 relative à l'exécution des contrats de la commande publique dans le contexte actuel de hausse des prix de certaines matières premières

Depuis le début de la guerre en Ukraine, de nombreux secteurs d’activité pâtissent d’une hausse conséquente du prix de certaines matières premières, comme le gaz, le pétrole, ou encore l’acier.

Dans ce contexte, par une circulaire n° 6338/SG en date du 30 mars 2022, le Premier ministre a formulé certaines consignes ayant pour objectif d’assurer la pérennité des entreprises et de l’emploi et, par voie de conséquence, la pérennité des services publics. Si ces consignes s’adressent avant tout aux ministres, elle concerne également les préfets, qui sont chargés d’inciter les collectivités territoriales et leurs établissements publics à suivre ces directives d’effet immédiat.

Pour l’essentiel, il s’agit d’un rappel – classique mais néanmoins utile – des trois outils juridiques déjà à la disposition des acheteurs soumis au droit de la commande publique pour adapter leurs contrats à cette évolution brutale de la conjoncture économique (modification pour circonstances imprévues, indemnité d’imprévision, gel des pénalités).

La modification « pour circonstances imprévues » telle que prévue par le Code de la commande publique

En premier lieu, la circulaire rappelle aux acheteurs publics que, dans les cas où la pénurie des matières premières ou la hausse des prix sont susceptibles d’avoir des conséquences sur les conditions techniques d’exécution des contrats, il leur est possible d’en modifier les stipulations (substituer un matériau à celui initialement prévu et devenu introuvable ou trop

cher, modifier les quantités ou le périmètre des prestations à fournir, aménager les conditions et délais de réalisation des prestations).

Pour ce faire, ils peuvent recourir aux différentes hypothèses de modification des contrats en cours prévues par la réglementation en vigueur, et plus particulièrement aux articles R. 2194-5 (pour les marchés publics) et R. 3135-5 (pour les concessions) du Code de la commande publique (CCP).

Ces dispositions permettent une modification du contrat en cours d’exécution, lorsqu’elle est rendue nécessaire « par des circonstances qu’un acheteur diligent ne pouvait pas prévoir », étant rappelé que l’incidence financière de telles modifications ne peut représenter plus de 50 % du montant initial du contrat, ce plafond n’étant toutefois pas applicable aux contrats des entités adjudicatrices intervenant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports, et des services postaux.

Pour autant, ainsi que le rappelle la circulaire, « l‘acheteur ne doit pas utiliser ces dispositions pour modifier par voie d’avenant les clauses fixant le prix lorsque cette modification du prix n’est pas liée à une modification du périmètre, des spécifications ou des conditions d’exécution du contrat ». En d’autres termes, il doit y avoir un lien de nécessité suffisamment direct entre les circonstances imprévues qui sont invoquées pour justifier les modifications et le contenu de celles-ci.

L’indemnisation du titulaire sur le fondement de la théorie de l’imprévision

En deuxième lieu, l’exécutif détaille longuement les conditions dans lesquelles les acheteurs publics peuvent faire application, au cas par cas, de la théorie de l’imprévision, d’origine jurisprudentielle et désormais prévue à l’article L. 6 du CCP, pour indemniser leurs cocontractants au titre de charges supplémentaires dues à la survenance d’un évènement extérieur aux parties et imprévisible, entraînant un bouleversement temporaire de l’équilibre du contrat.

Dans le cas présent, la circulaire acte que la hausse exceptionnelle du prix du gaz et du pétrole constatée depuis le dernier trimestre 2021, dont l’ampleur est accentuée par la crise en Ukraine, ainsi que la flambée du prix de certaines matières, sont « sans conteste » imprévisibles et extérieures aux parties.

Pour autant, la condition tenant au bouleversement temporaire de l’équilibre du contrat doit être vérifiée au cas par cas, en tenant compte du secteur économique et des justifications apportées par le titulaire, ainsi que de l’application d’éventuelles clauses de révision de prix prévues par le contrat. Il est ainsi rappelé que pour que l’imprévision soit reconnue, « le bouleversement doit entraîner dans le cadre de l’exécution du contrat un déficit réellement important et non un simple manque à gagner ». Selon la jurisprudence, cette condition est remplie lorsque les charges extracontractuelles atteignent environ 1/11e du montant initial HT du marché ou de la tranche (CAA Marseille, 17 janvier 2008, Société Altagna, n° 05MA00492).

S’agissant du montant de l’indemnité, lorsque celle-ci est due, la circulaire insiste sur le fait que ce montant doit être déterminé au cas par cas afin de ne couvrir que le montant des charges extracontractuelles, en tenant compte des diligences mises en œuvre par l’entreprise pour se couvrir (l’analyse de ces diligences devant varier selon la taille de l’entreprise), et en laissant à la charge de celle-ci une part d’aléa (entre 5 et 25 %).

A cet égard, la circulaire apporte une importante clarification quant à la période sur laquelle doit être évalué le montant des charges extracontractuelles : en principe, ce montant doit être évalué « sur l’ensemble du contrat, et donc à la fin de l’exécution de celui-ci », et non pas sur la seule période au cours duquel l’évènement à l’origine de l’imprévision se déroule.

Néanmoins, conscient que le versement de l’indemnité d’imprévision ne peut, dans la plupart des cas, attendre la fin du contrat, l’exécutif prescrit que l’indemnité soit versée « au moins pour partie […] de façon aussi proche que possible du moment où le bouleversement temporaire de l’économie du contrat en affecte l’exécution », sous la forme de provisions à valoir sur l’indemnité globale d’imprévision dont le montant définitif ne pourra être déterminé qu’ultérieurement. La circulaire rappelle par ailleurs que de telles provisions ne peuvent être versées qu’aux titulaires qui en font la demande et que le montant de ces provisions doit être fixé « en tenant compte des données de chaque espèce et notamment de la situation du titulaire ».

Enfin, la circulaire souligne utilement que le support juridique d’une indemnité d’imprévision ne peut, en principe, être un avenant, dès lors que cette indemnité n’a pas pour vocation de modifier le contrat mais au contraire de restaurer son équilibre économique en compensant temporairement des charges extracontractuelles imprévues. L’indemnisation doit donc être formalisée dans le cadre d’une « convention liée au contrat applicable pendant la situation d’imprévision et qui pourra comprendre une clause de rendez-vous à l’issue du contrat de manière à fixer le montant définitif de l’indemnité ».  

Accessoirement, la circulaire rappelle que, pour ce qui concerne les contrats de droit privé conclus depuis le 1er octobre 2016, l’article 1195 du Code civil prévoit également une obligation de principe de tirer les conséquences du bouleversement de l’équilibre économique du contrat par une renégociation du contrat entre les parties ou par une modification ou une résiliation par le juge. Et, si une clause du contrat aménage ou écarte l’application de cette disposition, qui n’est pas d’ordre public, les parties peuvent convenir de l’écarter, compte tenu des circonstances exceptionnelles actuelles.

La suspension des pénalités contractuelles

En troisième lieu, dans une logique analogue à celle qui ressortait de l’ordonnance du 25 mars 2020 prise lors du premier confinement, le Premier ministre exprime le souhait que l’exécution des clauses des contrats prévoyant des pénalités de retard ou l’exécution des prestations aux frais et risques du titulaire soit suspendue tant que celui-ci est dans l’impossibilité de s’approvisionner dans des conditions normales.

Pour autant, l’exécutif ne préconise pas un tel gel des pénalités contractuelles de manière systématique et rappelle, au contraire, que l’augmentation des prix ne conduit pas, en elle-même, à une situation de force majeure permettant au titulaire de se soustraire à ses obligations contractuelles.

En définitive, la suspension des pénalités contractuelles doit donc continuer à s’envisager au cas par cas.

L’insertion d’une clause de révision des prix dans tous les contrats de la commande publique à venir

En plus d’évoquer les leviers à la disposition des acheteurs publics pour adapter l’exécution de leurs contrats, la circulaire rappelle les acheteurs à leurs obligations en matière de rédaction des clauses de prix. En effet, ainsi que le prévoit l’article R. 2112-13 du CCP, un marché doit être conclu à prix révisable, et non pas ferme, « dans le cas où les parties sont exposées à des aléas majeurs du fait de l’évolution raisonnablement prévisible des conditions économiques pendant la période d’exécution des prestations ». Ces dispositions sont applicables aux marchés d’une durée d’exécution de plus de trois mois qui nécessitent pour leur réalisation le recours à une part importante de fournitures, et notamment de matières premières, dont le prix est directement affecté par les fluctuations des cours mondiaux.

Dans la même logique, la circulaire prescrit d’écarter les formules de révision de prix contenant des termes fixes, les clauses butoir et les clauses de sauvegarde.