Urbanisme, aménagement et foncier
le 24/03/2023

Les « dark stores » : des entrepôts au regard du droit de l’urbanisme

CE, 23 mars 2023, n° 468360

Par une décision n°468360 du 23 mars 2023, le Conseil d’Etat, statuant en référé, a tranché la question de la destination des locaux utilisés pour la réception et le stockage ponctuel de marchandises dits « dark stores ».

 

Pour mémoire, la Ville de Paris avait mis en demeure, sous astreinte, la société FRICHTI et la société GORILLAS TECHNOLOGIES FRANCE de restituer, dans leur état d’origine, leurs locaux, initialement à usage de commerces traditionnels.

 

Ces deux sociétés avaient saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris d’un référé-suspension à l’encontre de ces décisions.

 

Par une ordonnance n°2219412/4 du 5 octobre 2022, le juge des référés du Tribunal a suspendu les décisions de la Ville de Paris en raison notamment d’un doute sérieux sur la légalité de ces décisions, au motif que celles-ci considéraient ces locaux comme des entrepôts, alors que les sociétés requérantes s’estimaient être des constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif (CINASPIC).

 

Plus précisément, le juge des référés du Tribunal avait retenu que « Ces locaux doivent donc être regardés comme ayant pour objet, à l’instar des espaces de logistique urbaine, d’optimiser en milieu urbain le délai et le mode de livraison par la mise en place d’une logistique dite « du dernier kilomètre », qui conduit à diminuer le trafic de camions et le nombre de points de livraison dans Paris intramuros, et présentent ainsi un intérêt collectif. » (ordonnance du Tribunal).

 

La Ville de Paris s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat.

 

Par la décision commentée, le Conseil d’Etat juge que les locaux modifiés en « dark stores » ne constituent plus des locaux destinés à « la présentation et vente de bien directe à une clientèle », car désormais destinés à « la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs à bicyclette » (décision précitée), de sorte qu’ils doivent être considérés comme des entrepôts, quand bien même des points de retrait peuvent y être installés.

 

Partant, le Conseil d’Etat a considéré que les sociétés avaient mis en œuvre un changement de destination sans dépôt d’une déclaration préalable alors qu’elles y étaient soumises. Il en conclut que la Ville de Paris était bien en droit d’exiger des sociétés le dépôt d’une déclaration préalable pour changement de destination des locaux.

 

En outre, le Conseil d’Etat s’est interrogé sur le point de savoir si, comme le soutenait la Ville, une telle déclaration préalable de changement de destination des locaux conduirait nécessairement à une décision d’opposition à déclaration préalable. Autrement posé, le Conseil d’Etat a étudié le caractère régularisable d’une absence de déclaration préalable par les sociétés.

 

Pour ce dernier, l’occupation des locaux par les deux sociétés « ne correspond pas à une logique de logistique urbaine qui, en application des dispositions du plan local d’urbanisme de Paris, pourrait les faire entrer dans la catégorie des « constructions et installations nécessaires aux services publics ou d’intérêt collectif », mais a pour objet de permettre l’entreposage et le reconditionnement de produits non destinés à la vente aux particuliers dans ces locaux, ce qui correspond à une activité relevant de la destination « Entrepôt », telle que définie par le même plan local d’urbanisme. (…) »

 

Ainsi, selon lui, les « dark stores » correspondent à la catégorie « entrepôts », tant du point de vue du code de l’urbanisme que du plan local d’urbanisme de Paris, et ne sauraient donc être considérés comme des CINASPIC.

 

Concrètement, les sociétés auraient donc dû déposer une déclaration préalable de changement de destination auprès de la Ville de Paris, qui s’y serait opposée car le PLU de Paris interdit la transformation de locaux existants en entrepôt en rez-de-chaussée sur rue.

 

Contrairement au juge des référés de première instance, le Conseil d’Etat a donc jugé qu’il n’y avait pas de doute sérieux sur la légalité des décisions prises par la Ville de Paris. Le Conseil d’Etat annule donc la suspension de ces décisions prononcée par le juge des référés du tribunal administratif de Paris.

 

Cette décision du Conseil d’Etat s’inscrit notamment dans la lignée d’un communiqué de presse de septembre 2022 du Ministère de l’Economie, rappelant que, après concertation avec les élus locaux, le Gouvernement avait sa préférence pour considérer les « dark stores » comme des « entrepôts », peu important qu’ils disposent ou non d’un point de retrait.

 

Enfin, preuve supplémentaire de ce que ces nouveaux concepts de « dark stores » ou encore de « dark kitchens » font bouger les lignes de la réglementation applicable en matière de destinations et sous-destinations, l’on vous indique la publication récente du décret n° 2023-195 du 22 mars 2023 portant diverses mesures relatives aux destinations et sous-destinations des constructions pouvant être réglementées par les plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu et d’un arrêté du même jour. Ce décret intervient afin notamment de créer une nouvelle sous-destination « cuisine dédiée à la vente en ligne » dans la destination « autres activités des secteurs primaire, secondaire et tertiaire ». Et l’arrêté précise que cette nouvelle sous-destination  « recouvre les constructions destinées à la préparation de repas commandés par voie télématique. Ces commandes sont soit livrées au client soit récupérées sur place. »