En bref : Par une décision du 10 septembre 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation précise qu’en matière de prise illégale d’intérêts, le simple défaut d’information de sa hiérarchie concernant l’existence d’une situation de conflit d’intérêts ne constitue pas un acte positif de dissimulation propre à reporter le point de départ de la prescription. |
Rappelons qu’en application de l’article 7 du Code de procédure pénale, le délai de prescription de l’action publique, de six ans en matière délictuelle[1], commence à courir à compter du jour où le délit a été commis et se prescrit après la fin du délai fixé par la loi.
Néanmoins, le point de départ de la prescription peut être reporté à la date de révélation des faits dans des conditions permettant la mise en mouvement de l’action publique dans le cas d’infractions dites occultes ou dissimulées[2].
L’infraction occulte est celle qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne pouvait être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire ; tandis que l’infraction dissimulée est celle ayant fait l’objet de manœuvres caractérisées tendant à en empêcher la découverte.
La Cour de cassation considère classiquement que la matérialité de ces manœuvres doit être caractérisée par le Juge pénal[3].
L’infraction de prise illégale d’intérêt qui n’est pas considérée par la jurisprudence répressive comme un délit occulte par nature – elle constitue d’ailleurs une infraction instantanée[4] – peut, en revanche, être un délit dissimulé, lorsque l’auteur a accompli toute manœuvre tendant à empêcher la connaissance de l’infraction[5].
C’est sur ce point que la Cour de cassation vient de se prononcer, en précisant ce qu’il convient de considérer comme des manœuvres de dissimulation en matière de prise illégale d’intérêts.
En l’espèce, le prévenu avait été mis en examen du chef de prise illégale d’intérêts pour avoir, entre 2009 et 2016, alors qu’il exerçait des fonctions publiques, participé à des délibérations, reçu des informations et émis des orientations stratégiques ou des avis concernant une société avec laquelle il entretenait des liens familiaux étroits.
Dans le cadre de l’information judiciaire, le mis en examen avait formé une demande de constatation de la prescription de l’action publique, estimant que les faits commis entre 2009 et 2014 étaient prescrits.
Cette demande était rejetée par le juge d’instruction qui avait alors considéré que le point de départ du délai de prescription avait été retardé en raison de la dissimulation, par l’intéressé, de la situation de conflit d’intérêt dont il était l’objet, à l’égard de sa hiérarchie.
Pour confirmer l’ordonnance rendue à cet égard, la Chambre de l’instruction avait ensuite précisé que :
- Si l’intéressé avait révélé ce conflit d’intérêts à une partie de sa hiérarchie, le périmètre de cette publicité était resté restreint et certaines personnes concernées par la situation n’en avait pas été informée ;
- L’existence d’un écrit informant sa hiérarchie de ce potentiel conflit d’intérêts était essentiel pour apprécier le caractère dissimulé du délit ;
- Les destinataires de cette information n’avaient pas agi pour faire cesser la situation de conflits d’intérêts.
Dans son arrêt du 10 septembre 2025, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Chambre de l’instruction, estimant qu’elle n’avait pas justifié sa décision, et relève à ce titre que :
« Le silence gardé par M. [A], au surplus à l’égard de seulement certains des dirigeants des entités au conseil d’administration desquelles il siégeait, n’est pas à lui seul de nature à caractériser un acte positif constitutif d’une manœuvre caractérisée de dissimulation au sens de l’article 9-1 du code de procédure pénale. »
Aussi, il ressort de cette décision qu’en matière de prise illégale d’intérêts, le simple défaut d’information d’une partie de sa hiérarchie concernant une situation de conflit d’intérêts ne constitue pas un acte positif de dissimulation propre à reporter le cours de la prescription.
Notons que la chambre criminelle ajoute également que si la chambre de l’instruction avait relevé le silence gardé par les supérieurs hiérarchiques du mis en examen informés de sa situation, elle n’a pas caractérisé de concert frauduleux destiné à empêcher la découverte de l’infraction et susceptible de constituer alors une manœuvre caractérisée au sens de l’article 9-1 du Code de procédure pénale.
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[1] Article 8 du Code de procédure pénale ; LOI n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale
[2] Principe jurisprudentiel codifié à l’article 9-1 du Code de procédure pénale par la Loi du 27 février 2017 précitée
[3] Cass. Crim., 19 mars 2008, n° 07-82.124
[4] Cass. Crim., 15 avril 1848 : Bull. crim. n° 120
[5] Cass. Crim., 16 décembre 2014, n° 14-82.939