Urbanisme, aménagement et foncier
le 24/01/2023

Le principe constitutionnel de laïcité ne fait pas obstacle à ce qu’une décision de préemption soit prise en vue de permettre la réalisation d’un équipement collectif a vocation cultuelle

CE, 22 décembre 2022, n° 447100

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a eu à trancher la question de l’exercice du droit de préemption par une commune en vue de permettre l’agrandissement d’un édifice culturel, dans le respect de la législation propre à la préemption, à savoir classiquement les articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, mais également de la loi du 9 décembre 1905 de séparation de l’Église et de l’Etat.

En effet, par une décision en date du 25 janvier 2017, le Maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain sur une parcelle afin de permettre la réalisation d’un équipement public collectif d’intérêt général à vocation culturelle consistant en une extension d’un centre socio culturel et ses aires de stationnement, déjà présents sur la parcelle voisine, ainsi que de créer des salles de classe, des salles de conférence et une bibliothèque consacrée à l’enseignement religieux.

Saisi par les propriétaires du terrain préempté, le Tribunal administratif de Montreuil a, par jugement n° 1702610 du 1er février 2018, annulé cette décision. Selon le Tribunal, cette décision de préemption ne répondait pas aux exigences des articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, car l’extension d’un édifice cultuel et de son parking ne constitue pas un équipement collectif :

« la réalisation d’équipements collectifs visés par les dispositions ci-dessus reproduites ne peut concerner que des opérations qui, d’une part, revêtent une certaine ampleur, et, d’autre part, relèvent de la compétence des collectivités publiques et sont mises en œuvre par elles ou sous leur contrôle ; que si ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une commune exerce ce droit pour rétrocéder à une autre personne le soin de réaliser l’aménagement prévu, cette autre personne doit être une collectivité publique ou être contrôlée par elle ; qu’ainsi, ni l’extension d’un édifice cultuel ni celle du parking réservé aux fidèles, attenant à cet édifice, ne sauraient constituer la réalisation d’un tel équipement collectif ; qu’enfin, il ne ressort d’aucune pièce du dossier, ni du reste n’est soutenu en défense, que les salles de classe et de conférence ainsi que la bibliothèque seront affectées à un établissement d’enseignement supérieur ».

Devant le Tribunal, avait également été soulevé le moyen selon lequel la décision de préemption méconnait la loi du 9 décembre 1905, moyen qui a également été accueilli par le Tribunal qui a considéré que les travaux d’agrandissement du centre culturel et du parking attenant devaient être assimilés, en raison de leur ampleur, en une construction et non en des travaux de réparation, de sorte que la décision de préemption de la Commune, qui engage ses finances, s’apparentait à une contribution indirecte à la construction d’un édifice culturel :

« la décision de préemption attaquée a été prise pour permettre l’extension d’une mosquée et de son parking ainsi que de créer des salles de classe, des salles de conférence et une bibliothèque consacrées à un enseignement religieux ; que les travaux envisagés n’ont pas la nature de travaux de réparation d’un édifice cultuel mais doivent, en raison de leur ampleur, être assimilés à la construction d’un édifice cultuel et de ses dépendances ; qu’en conséquence, une telle décision de préemption, qui engage les finances de la commune, constitue une contribution indirecte à la construction d’un tel édifice ».

Puis, la Commune a interjeté appel de ce jugement, appel qui a été rejeté par la Cour administrative d’appel de Versailles par un arrêt n° 18VE01088 du 1er octobre 2020. Selon la Cour, en décidant de préempter la parcelle à un prix bien inférieur au prix mentionné dans la décision d’intention d’aliéner et à celui émis par l’avis des domaines, en vue de la laisser de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association culturelle, la Commune a décidé une dépense illégale en faveur de l’exercice d’un culte, et partant contraire à la loi de 1905. Aussi, la Cour a confirmé la qualification des faits du Tribunal en refusant de donner la qualification d’équipement collectif, et, consécutivement d’action ou d’opération d’aménagement, à l’équipement projeté :

« en décidant de préempter la parcelle litigieuse en vue de la laisser de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association principalement pour l’exercice d’un culte, d’ailleurs au prix de 450 000 euros très inférieur au montant de 796 000 euros retenu par l’avis du service des domaines et à la somme de 800 000 euros figurant dans la promesse de vente passée avec l’acquéreur évincé, le maire de la commune de Montreuil a, en l’absence de dérogations légales le prévoyant, décidé une dépense illégale en faveur de l’exercice d’un culte, en méconnaissance des dispositions, mentionnées au point 2, de la loi du 9 décembre 1905 susvisée. En outre, la préemption litigieuse a été décidée en vue de réalisation d’un équipement dont l’ampleur insuffisante ne permet pas de le regarder comme un équipement collectif au sens et pour l’application des dispositions combinées, mentionnées au point 4, des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme ».

Il est intéressant de relever que les juges du fond ont considéré que l’ampleur du projet, au sens de la loi de 1905, était suffisamment importante pour assimiler les travaux en une construction même d’un édifice culturel, mais ont, en revanche, considéré que l’ampleur de l’équipement projeté était insuffisante, au sens des dispositions précitées du Code de l’urbanisme, pour le regarder comme un équipement collectif.

Cela étant rappelé, c’est ici bien comprendre que les juges du fond ont, en substance, considéré que la décision de préemption de la commune de Montreuil était illégale, puisqu’elle méconnaissait :

  • d’une part, la loi du 9 décembre 1905 ;
  • d’autre part, les articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme.

Saisi par un pourvoi de la Commune, le Conseil d’Etat a cassé, à deux titres, l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles.

D’une part, s’agissant de la loi de 1905, le Conseil d’Etat a combiné les principes de laïcité, de neutralité et d’égalité, et considéré que :

« le principe constitutionnel de laïcité ne fait pas obstacle à ce qu’une décision de préemption soit prise, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, en vue de permettre la réalisation d’un équipement collectif à vocation culturelle. Une telle décision n’est pas par elle-même constitutive d’une aide à l’exercice d’un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. En revanche, ces dispositions impliquent, sauf à ce que la collectivité se fonde sur des dispositions législatives dérogeant aux dispositions de la loi du 9 décembre 1905, que la mise en œuvre d’un tel projet soit effectuée dans des conditions qui excluent toute libéralité et, par suite, toute aide directe ou indirecte à un culte ».

Partant, le Conseil d’Etat a jugé que la Cour avait commis une erreur de droit en jugeant que la décision de préemption en litige était par elle-même constitutive d’une dépense illégale en faveur de l’exercice d’un culte au sens de la loi du 9 décembre 1905. Au contraire, selon le Conseil d’Etat, une décision de préemption prise en vue de permettre la réalisation d’un équipement collectif à vocation culturelle est en principe possible, dès lors que n’en découle aucune libéralité.

D’autre part, s’agissant de la prétendue méconnaissance des articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a jugé que le projet d’agrandissement de l’édifice cultuel et de son parking, en raison de son ampleur, doit être considéré comme un équipement collectif, et présente ainsi le caractère d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens des dispositions précitées du Code de l’urbanisme :

« il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la décision du 25 janvier 2017 par laquelle le maire de Montreuil a exercé le droit de préemption urbain sur la parcelle appartenant aux consorts A […] est destinée à permettre l’extension du centre socio-cultuel implanté sur le terrain communal mitoyen de la parcelle préemptée, qui a fait l’objet d’un bail emphytéotique administratif passé entre la ville de Montreuil et la fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil afin, d’une part, d’augmenter la capacité d’accueil de la mosquée existante pour répondre aux besoins de la communauté musulmane locale ainsi que celle du parc de stationnement assurant l’accueil des fidèles et, d’autre part, de créer des salles de classe, des salles de conférences et une bibliothèque consacrées à l’enseignement religieux. Eu égard à son objet et à son ampleur, ce projet présente le caractère d’une action ou d’une opération d’aménagement au sens des dispositions combinées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme ».

Ici, le Conseil d’Etat a donc reproché à la Cour une erreur de qualification des faits qui lui étaient soumis car cette dernière avait estimé que le projet était d’une ampleur insuffisante pour pouvoir être regardé comme un équipement collectif au sens des dispositions précitées.

Enfin, l’on rappellera que le Conseil d’Etat a réglé l’affaire au fond et a, concrètement, considéré que la décision de préemption était parfaitement légale, ce qui l’a conduit à annuler l’arrêt de la Cour et le jugement du Tribunal, et de rejeter la requête des requérants, propriétaires de la parcelle préemptée.