Droit du travail et de la sécurité sociale
le 22/12/2022
Karim DE MEDEIROS
Benoît ROSEIRO

Le nouveau dispositif de la présomption de démission en cas d’abandon de poste est jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel

Décision n° 2022-844 DC du 15 décembre 2022

Le Conseil des sages a jugé par sa Décision n° 2022-844 DC en date du 15 décembre 2022 conforme au bloc de constitutionnalité les dispositions de la loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (dite également loi « Marché du travail ») qui lui ont été déférées.[1]

Parmi ces dispositions, l’une des mesures phares de la loi portait sur la présomption de démission en cas d’abandon de poste, qui entrera prochainement en application, après l’adoption du décret afférent.

La décision du Conseil constitutionnel est l’occasion de présenter ce nouveau mode de rupture du contrat de travail.

I. Présentation de la « présomption de démission »

La présomption de démission est un dispositif que l’article 4 de la loi Marché du travail prévoit d’insérer en ces termes dans le Code du travail :

« Art. L. 1237‑1‑1. – Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.

[…]

Le délai prévu au premier alinéa ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’État. Ce décret détermine les modalités d’application du présent article » .

Une exégèse rapide du texte permet de constater qu’une démission du salarié peut être présumée aux conditions cumulatives suivantes :

  • le salarié abandonne volontairement son poste de travail ;
  • le salarié est mis en demeure par l’employeur de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai minimum fixé par un décret à intervenir ;
  • la mise en demeure est formalisée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge.

Ainsi, ce n’est qu’à l’expiration du délai d’une mise en demeure de reprendre son poste et de justifier son absence qu’un salarié ayant abandonné volontairement, son poste pourra être présumé démissionnaire par son employeur.

Il s’agira d’une présomption simple de démission, ce qui signifie qu’elle qui pourra donc être renversée par une preuve contraire.

Cette présomption ne sera applicable que pour les contrats à durée indéterminée et ne devrait pas s’appliquer aux cas où le salarié quitte légitimement son poste (droit de grève, droit de retrait, etc.).

De nombreuses critiques sont apparues à l’égard de ces dispositions en énonçant notamment, et à juste titre, que la Cour de cassation avait jugé, à plusieurs reprises que la démission ne pouvait résulter que d’une volonté claire et non équivoque du salarié.

Sur le plan juridique, la Haute Cour avait, ainsi, jugé que lorsque le salarié quittait son poste, le défaut de réponse à une demande de justification d’absence ne caractérisait pas une volonté non équivoque de démissionner.[2]

Cette jurisprudence ne sera donc plus d’actualité, ce qui n’est pas sans risque pour l’employeur qui disposera de deux options dans cette situation entre recourir à la présomption de démission ou licencier le salarié pour abandon de poste.

Rappelons, en effet, que la Cour de cassation permet à l’employeur de licencier, pour motif disciplinaire, un salarié qui a abandonné son poste après l’avoir mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son travail… [3]

Le texte sur la présomption de démission poursuit en énonçant :

« Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes. L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine ».

Il ressort de ces termes que le salarié disposera d’une voie de recours devant le Conseil de Prud’hommes, qui devra statuer dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

Ce délai d’un mois correspond à celui dont dispose la juridiction pour statuer de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. Or, la prise d’acte permet à un salarié de quitter son emploi en raison de manquement qu’il pense pouvoir imputer à son employeur.

A la lecture du texte, on ne peut donc que constater des risques de confusion entre la simple volonté du salarié de saisir les juridictions pour prouver une absence de volonté de démissionner et la volonté de faire valoir des demandes au titre de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail.

Il reste, donc, à savoir comment sera traité cette source de contentieux potentielle par des juridictions déjà fortement encombrées …

Par ailleurs, l’option laissée à l’employeur entre les deux modes de ruptures revient à lui laisser le choix d’accorder ou de priver son salarié des éventuelles allocations chômages à la charge d’un tier : le Pôle Emploi.

Ce dessein plus de politique sociale que de gestion des ressources humaines aurait pû être reporté sur le Pôle Emploi au moment de son analyse de l’ouverture des droits au chômage du salarié. L’administration aurait ainsi pu déterminer si l’abandon de poste relève ou non d’une perte volontaire de l’emploi du salarié.

L’employeur pourrait décider de privilégier la procédure de licenciement pour faute grave lié à l’abandon de poste qui est privative des indemnités de licenciement et de préavis à sa charge sans être à l’origine de la privation des allocations chômages et ce, afin d’éviter un risque de contentieux accru.

II. La décision du Conseil constitutionnel

Dans le prolongement de l’adoption de la loi Marché du travail, le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de 60 députés de questions relatives à la conformité de la présomption de démission au bloc de constitutionnalité.

Parmi les critiques formulés contre ce dispositif à cette occasion, les requérants faisaient valoir qu’en assimilant « l’abandon de poste à une démission, ces dispositions privaient du bénéfice du régime d’assurance chômage des personnes conduites à abandonner leur poste pour des motifs indépendants de leur volonté. Il en résultait, selon les requérants, une méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ».[4]

Le Conseil constitutionnel n’a pas suivi l’argumentation des requérants.

Il, a en effet constaté, que, certes, le dispositif de la présomption de démission pouvait porter atteinte au droit à l’allocation chômage, et, dans le prolongement, du droit d’obtenir un emploi prévu par l’alinéa 5 du préambule de la constitution de 1946 et contrevenir à l’alinéa 11 précité.

Cependant, le Conseil a constaté que ce dispositif ne s’appliquerait pas dans les hypothèses de droit de retrait, de prise d’acte ou de grève dont dispose le salarié ou, encore, dans l’hypothèse du refus d’exécuter une instruction contraire à la règlementation ou du refus d’accepter une modification unilatérale de son contrat de travail…

Il a également relevé que le salarié ne pourra être réputé démissionnaire qu’après avoir été mis en demeure par l’employeur de justifier de son absence et de reprendre son poste dans un délai minimum fixé par décret et qu’il disposait d’un recours juridictionnel et pouvait renverser cette présomption simple démission.

Compte tenu de ces garanties, le Conseil constitutionnel a jugé le dispositif sur la présomption de démission conforme à la constitution et a précisé, au demeurant, que les dispositions contestées n’instituaient par elles-mêmes aucune différence de traitement ni ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi.

 

[1] https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/2022844DC.htm

[2] Cass. Soc., 17 mars 1994, no 90-42.045

[3] Cass. Soc., 13 janv. 2004, no 01-46.592

[4] L’alinéa 11 du préambule de la constitution de 1946 énonce notamment : Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.