Environnement, eau et déchet
le 11/01/2024
Julie CAZOU
Eloïse GUILLERMIC

Le juge judiciaire des référés peut-il suspendre une exploitation pour mettre fin aux atteintes à des espèces protégées ?

Cass. Civ., 3ème, 21 décembre 2023, n° 23-14.343

Par une décision en date du 21 décembre 2023, la Cour de cassation s’est prononcée sur la compétence du juge des référés judiciaire pour statuer sur une demande de suspension de l’activité d’une exploitation en raison d’atteintes portées à des espèces protégées, l’exploitant ne s’étant pas vu octroyer d’autorisation en ce sens.

En l’espèce, était en cause la mise en œuvre de travaux nécessaires à l’exploitation d’une carrière, qui avait fait l’objet d’une autorisation environnementale mais qui n’incluait pas de dérogation espèces protégées. Or, selon deux associations, « de nombreux rapports [attestaient] de la présence, sur ce site, de plusieurs espèces protégées, dont certaines en voie d’extinction » (CA Aix-en-Provence, 23 février 2023, n° 22/12634) ; le Conseil du parc naturel régional de la Sainte-Baume confirmant la présence de ces espèces sur la zone de la carrière. Les deux associations demandaient ainsi au juge des référés judiciaire d’enjoindre l’arrêt de l’exploitation jusqu’à l’obtention d’une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées.

Pour fonder sa décision, la Cour rappelle en premier lieu le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. Ainsi, « le juge judiciaire ne peut substituer sa propre appréciation à celle que l’autorité administrative a portée en application de ses pouvoirs de police spéciale ».

Les tribunaux judiciaires ne peuvent donc être saisis que pour se prononcer sur l’allocation de dommages-intérêts aux tiers lésés par une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) ainsi que sur les mesures permettant de faire cesser à l’avenir le préjudice, mais uniquement si ces mesures « ne contrarient pas les prescriptions édictées par l’administration en vertu des pouvoirs de police spéciale qu’elle détient (TC, 23 mai 1927, n° 755 ; 1re Civ., 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-25.526, Bull. 2017, I, n° 28 ; 1re Civ., 8 novembre 2017, pourvoi n° 16-22.213) ».

En second lieu, la Cour rappelle que conformément à l’ordonnance n° 2017-80 du 27 janvier 2017, et depuis le 1er mars 2017, une autorisation environnementale unique regroupe en une seule procédure les autorisations, enregistrements, déclarations, absence d’opposition, approbations et agréments énumérés au I de l’article L. 181-2 du Code de l’environnement ; incluant ainsi l’autorisation délivrée au titre de la législation spéciale applicable aux installations classées pour la protection de l’environnement et la dérogation espèces protégées.

La Cour de cassation indique ainsi que la délivrance d’une telle dérogation est une « possibilité » soumise à l’appréciation de l’autorité administrative, qui doit en apprécier la nécessité « dès lors que des spécimens d’une de ces espèces sont présents dans la zone du projet » ; le pétitionnaire devant quant à lui solliciter la dérogation « si le risque que son projet comporte pour ces espèces est suffisamment caractérisé ».

En ce sens, la Cour déclare que « les autorisations environnementales délivrées au titre de la police de l’eau et de celle des ICPE constituent, qu’elle que soit leur date de délivrance, des autorisations globales uniques, excluant la compétence du juge des référés judiciaire pour se prononcer sur une demande de suspension d’activité au motif du trouble manifestement illicite résultant de l’absence de dérogation à l’interdiction de destruction de l’une de ces espèces protégées ».

En l’espèce, la Cour casse donc l’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, considérant que le juge du fond a substitué son appréciation à celle de l’autorité administrative en ordonnant la suspension provisoire de tous travaux sur le site de la carrière jusqu’à l’obtention, par la société, d’une dérogation à l’interdiction de la destruction d’espèces protégées.