La Cour administrative de Douai a rendu le 19 décembre 2024 un arrêt éclairant sur les règles de compétences juridictionnelles en matière d’occupation des propriétés privées par les ouvrages de transport d’électricité.
Dans cette affaire, la société propriétaire d’une parcelle sur laquelle est implanté un ouvrage de transport d’électricité (à savoir une ligne électrique haute tension) sollicitait en première instance de la part du Tribunal administratif de Rouen :
- D’ordonner à la société gestionnaire du transport d’électricité (RTE) de procéder aux travaux d’enfouissement de cette ligne haute tension à une profondeur conforme avec la convention de servitude ayant autorisé son implantation (et donc, en d’autres termes, de procéder au déplacement de cet ouvrage qu’elle considère irrégulièrement implanté) ;
- De condamner la société à lui verser une indemnisation en réparation du préjudice résultant du refus de RTE de déplacer cette ligne haute tension (cette demande lui ayant déjà été formulée par la société propriétaire lors d’échanges précontentieux), préjudice qui trouverait selon la requérante son origine dans la mauvaise application de la convention de servitude susvisée ainsi que sur le fondement des dommages de travaux publics.
Par un jugement du 15 décembre 2022, le tribunal avait alors rejeté l’ensemble de ces demandes indemnitaires et à fin d’injonction en considérant qu’elle relevait toutes de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.
Pour sa part, la Cour administrative de Douai, tout en confirmant la compétence du juge judiciaire pour statuer sur le respect de la convention de servitude et ses conséquences indemnitaires, examine les autres demandes de la société requérante, qu’elle considère comme relevant bien de sa compétence :
Ainsi, la Cour commence par rejeter la demande de la société tendant à la réparation des préjudices découlant de l’application de la convention de servitude en cause qui est une convention de droit privé comme étant portée devant une juridiction incompétente.
Elle procède ensuite à l’analyse des conclusions tendant au déplacement de la ligne haute tension.
En effet, cette demande, tirée du caractère irrégulier de l’implantation de cet ouvrage public indépendamment de l’engagement de la responsabilité contractuelle du gestionnaire pour mauvaise exécution du contrat de servitude, relève bien des juridictions administratives (voir en ce sens concernant un ouvrage de la distribution d’électricité CE, 14 juin 2019, Société ERDF, n° 414458).
Toutefois, après analyse du caractère irrégulier de l’implantation de l’ouvrage et de sa régularisation comme des inconvénients en résultant pour le propriétaire (selon les conditions jurisprudentielles fixées en la matière et rappelées ici), la Cour rejette sur le fond la demande de déplacement de l’ouvrage en cause.
Elle considère enfin que la demande de réparation présentée par la société requérante sur le fondement de la responsabilité pour dommage de travaux publics de la société RTE doit également être rejetée.
Au total, cet arrêt permet de rappeler aux propriétaires sollicitant le retrait ou le déplacement d’ouvrages électriques irrégulièrement implantés sur leur parcelle que si leurs conclusions tendant à tirer les conséquences de la mauvaise application d’une convention de servitude doivent être portées devant le juge judiciaire, ils sont bien recevables à demander aux juridictions administratives d’enjoindre les gestionnaires à réparer les conséquences de l’atteinte portée à leur propriété privée.
Une subtilité parfois mal maîtrisée par certaines juridictions de première instance en présence de conventions de servitudes.