L’association française des opérateurs de recharge pour véhicules électriques avait demandé l’annulation pour excès de pouvoir de deux arrêtés du 2 juin 2023, l’un relatif à l’encadrement de la contribution pour le déploiement d’infrastructures collectives de recharge dans les immeubles collectifs à usage principal d’habitation, et l’autre relatif au taux d’équipement à long terme par point de charge pour le déploiement d’infrastructures collectives de recharge du réseau public de distribution.
Elle demandait en outre au Conseil d’Etat d’enjoindre à l’Etat de récupérer l’aide dont les gestionnaires du réseau public de distribution d’électricité auraient illégalement bénéficié et de prendre toutes mesures nécessaires au rétablissement d’une égale concurrence entre les opérateurs sur le marché de l’installation de bornes de recharge dans les parkings d’immeubles collectifs d’habitation.
On rappellera tout d’abord que les deux arrêtés contestés, commentés dans l’une de nos précédentes lettres d’actualités, sont venus préciser les conditions financières de réalisation des infrastructures de recharge de véhicules électriques dans les immeubles collectifs d’habitation.
La réalisation de l’infrastructure peut être confiée au gestionnaire du réseau public de distribution (art. L. 352-12 du Code de l’énergie) ou à un opérateur d’infrastructure de recharge (art. L. 325-13 de ce même code) à la demande du propriétaire ou copropriétaire d’un immeuble collectif à usage principal d’habitation.
Les propriétaires et copropriétaires recourant au mécanisme prévu par l’article L. 352-12 du Code de l’énergie n’ont pas à avancer les coûts de l’infrastructure collective, à condition que celle-ci remplisse les critères relatifs à sa puissance totale et au nombre d’emplacements inclus dans son périmètre de déserte prévus par l’article D. 353-12-1 du Code de l’énergie.
Le coût de réalisation de l’infrastructure collective par le gestionnaire du réseau de distribution est intégralement couvert par le Tarif d’Utilisation des Réseaux Publics de distribution d’Electricité (ci-après, TURPE). Cette prestation se distingue de la demande de création d’un ouvrage de branchement alimenté par cette infrastructure collective formulée par chaque utilisateur, qui doit verser à ce titre une contribution au gestionnaire du réseau. Le montant de cette contribution est encadré par l’article D. 353-12-2 du Code de l’énergie.
Comme le rappelle le Conseil d’Etat, les arrêtés contestés sont venus fixer le taux d’équipement à long terme et la puissance de référence par point de recharge permettant d’apprécier le respect des critères de puissance totale et de nombre de places et les montants minimums et maximums de la contribution versée par les utilisateurs.
L’association requérante considérait que le mécanisme de préfinancement de l’infrastructure collective de recharge installée par le gestionnaire du réseau, via le TURPE, constituait une aide d’Etat, au sens de l’article 107 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (ci-après, TFUE), aide illégale car non notifiée à la Commission européenne.
Elle estimait en effet que le gestionnaire du réseau de distribution était en concurrence avec des opérateurs d’infrastructure de recharge, auxquels, pour rappel, les propriétaires et copropriétaire peuvent recourir pour l’installation de l’infrastructure dans les conditions de l’article L. 353-13 du Code de l’énergie. Dans ces conditions, la prise en charge des coûts afférents par le TURPE donnait au gestionnaire du réseau « l’assurance d’être remboursé des sommes qu’il a exposées », alors que selon l’association « un opérateur privé supporte le risque que le nombre d’utilisateurs souhaitant se raccorder à l’infrastructure de recharge, et donc le montant des recettes d’exploitation qu’il en tire, s’avère moindre qu’anticipé » et doit financer à ses frais l’installation avant de percevoir les versements des utilisateurs.
Le Conseil d’Etat n’a pas suivi cette argumentation.
D’abord, il a rappelé que ce financement est prévu par les dispositions du Code de l’énergie susvisées et non par les arrêtés attaqués. Dès lors, le moyen selon lequel ces arrêtés institueraient une aide d’Etat devait être écarté.
Ensuite, le Conseil d’Etat a rappelé qu’au titre de l’article L. 322-8 4° du Code de l’énergie, qui précise que le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité doit assurer une mission de raccordement et d’accès aux réseaux, celui-ci est notamment tenu, en application de l’article L. 353-12 de ce même code, de « procéder à la réalisation de toute infrastructure collective de recharge remplissant les conditions réglementaires, qui constitue un ouvrage public, quelle que soit la rentabilité du projet ».
Puis, que la compensation qui lui est accordée à ce titre, via le TURPE, est calculée conformément aux règles de droit commun prévues par l’article L. 341-2 du Code de l’énergie, c’est-à-dire de manière transparente et non discriminatoire afin de couvrir l’ensemble des coûts supportés par les gestionnaires des réseaux dans la mesure où ceux-ci correspondent à ceux d’un gestionnaire de réseau efficace.
Il rappelle notamment que les paramètres de calcul du TURPE, définis par la Commission de Régulation de l’Energie (ci-après, CRE) permettent au gestionnaire du réseau d’obtenir une « marge raisonnable » dans la mesure où il exploite le réseau à ses risques et périls. Et il relève que les contributions des utilisateurs reçues par le gestionnaire au titre de l’infrastructure collective viennent, en tant que produit, en déduction des charges.
En conclusion, se fondant sur les critères dégagés par la Cour de justice des communautés européennes dans son arrêt « Altmark »[1], le Conseil d’Etat considère notamment que les charges de capital supportées par le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, dont les coûts de réalisation de ces infrastructures, sont calculées de façon objective, transparente et non discriminatoire.
Dans ces conditions, la compensation par le TURPE ne lui confère pas un avantage économique susceptible de le favoriser.
Enfin, le Conseil d’Etat précise que cette compensation « n’excède pas ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts résultant de l’exécution de l’obligation de service public, en tenant compte des recettes qui y sont relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable » et que le niveau de la compensation ne s’écarte pas des coûts que supporterait une entreprise moyenne, gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises.
Cet arrêt apporte un éclairage intéressant sur le régime des aides d’Etat et, au-delà, met en lumière la limite de la mission de service public du gestionnaire de réseau de distribution d’électricité.
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[1] CJCE, 24 juillet 2003, Altmark Trans GmbH, n°C-280/00 : fixant les critères pour qu’une subvention représentant la contrepartie de prestations effectuées par des entreprises dans le cadre de l’exécution d’obligations de services publics échappent à la qualification d’aide d’Etat.