Urbanisme, aménagement et foncier
le 28/08/2025
Céline LHERMINIER
Tadjdine BAKARI-BAROINI

Le droit de délaissement en déclaration d’utilité publique (DUP) et en zone d’aménagement concerté (ZAC)

Le droit de délaissement est défini comme le « droit pour le propriétaire d’un terrain (bâti ou non) […] d’exiger de la personne publique (collectivité publique, service public) au bénéfice de laquelle le terrain est réservé d’acquérir celui-ci »[1].

Pour certains, il s’agit, au fond, d’une « expropriation anticipée, dont le propriétaire prend l’initiative »[2]. En vérité, dès lors que ce droit ne s’impose pas au propriétaire, il est plus juste de parler d’une « réquisition d’achat à l’initiative des propriétaires »[3].

Le présent article a pour objet de présenter le droit de délaissement d’un bien inscrit dans le périmètre d’une déclaration d’utilité publique (DUP) (I) et celui d’un bien inscrit dans le périmètre d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) (II), d’abord sous la forme d’un tableau comparatif didactique, puis sous la forme d’une synthèse.

 

Tableau comparatif entre le délaissement en DUP et celui en ZAC
Droit de délaissement né de la DUP

Droit de délaissement né de la ZAC

Champs d’application Les « biens » (article L. 241-1 du Code de l’expropriation) Les « terrains » (article L. 311-2 du Code de l’urbanisme)
Mise en œuvre 1 an à compter de la publication de la DUP Immédiatement à compter de la publication de l’acte portant création de la ZAC
Initiative Le propriétaire du bien compris dans le périmètre de la DUP Le propriétaire du bien compris dans le périmètre de la ZAC
Destinataire L’expropriant bénéficiaire de la DUP La collectivité publique ou l’établissement public qui a pris l’initiative de la création de la ZAC
Lieu d’envoi de la MDA L’adresse de l’expropriant bénéficiaire de la DUP La mairie de la commune où se situe le bien
Délai d’acquisition 2 ans à compter de la réception de la demande d’acquisition prorogeable une fois pour une durée d’1 an (sauf cas de décision de sursis à statuer opposée antérieurement à l’intéressé au visa de l’article L. 424-1 C. Urb)

6 mois avant l’expiration du délai de 2 ans, l’expropriant fait connaître au propriétaire s’il entend proroger le délai et en informe simultanément le préfet

1 an à compter de la réception en mairie de la demande
Forme et contenu de la demande Mise en demeure d’acquérir adressée par LRAR, avec copie au préfet Mise en demeure d’acquérir (MDA) par LRAR

La MDA mentionne les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits
d’emphytéose, d’habitation ou d’usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes

Acquisition L’acquisition peut se faire à l’amiable

Ou

De façon forcée
A défaut d’accord amiable dans le délai de 2 ans, le juge de l’expropriation saisi par le propriétaire prononce le transfert de propriété et fixe le prix

En cas d’accord amiable, le prix doit être payé au plus tard 2 ans après la réception en mairie de la demande

Ou

A défaut d’accord amiable, à l’expiration du délai d’1 an, le juge de l’expropriation saisi soit par le propriétaire, soit par la personne à l’initiative de la ZAC prononce le transfert de propriété et fixe le prix

Modalité de fixation Le prix est fixé comme en matière d’expropriation Le prix est fixé et payé comme en matière d’expropriation, sans qu’il soit tenu compte des dispositions justifiant le droit de délaissement
Effet de l’acquisition L’acte d’acquisition amiable ou la décision judiciaire emportant transfert de propriété éteint par lui-même et à sa date tous droits réels et personnels existants sur l’immeuble cédé

Les droits des créanciers inscrits sont reportés sur le prix

L’acte d’acquisition amiable ou la décision judiciaire emportant transfert de propriété éteint par lui-même et à sa date tous droits réels et personnels existants sur l’immeuble cédé

Les droits des créanciers inscrits sont reportés sur le prix

Mise en échec du droit de délaissement  Le propriétaire n’a pas de droit irrévocable pour exiger l’acquisition de son bien et le bénéficiaire de la DUP peut jusqu’au transfert de propriété renoncer à son projet

(3ème Civ., 3 décembre 2008, SCI les Trois Figuiers, n° 07-18.632 )

La modification du périmètre de ZAC fait obstacle au droit de délaissement et il suffit que les formalités de publicité de cette modification soient intervenues avant la date du jugement pour l’exclusion du bien périmètre de la ZAC du bien objet du droit de délaissement soit opposable au propriétaire l’ayant exercé (3ème Civ., 21 décembre 2017, n° 16-26.564)
Quid du droit de préemption urbain ? L’immeuble qui fait l’objet d’une MDA n’est pas soumis au droit de préemption urbain[4] L’immeuble qui fait l’objet d’une MDA n’est pas soumis au droit de préemption urbain[5]
Quid d’un droit de rétrocession ? Le droit de rétrocession s’applique aux immeubles expropriés[6], aux immeubles acquis à l’amiable postérieurement à la DUP[7], aux immeubles acquis avant la DUP s’il en a été donné acte par le juge de l’expropriation[8].

La question se pose de savoir si un bien acquis à la suite de l’exercice du droit de délaissement peut faire l’objet du droit de rétrocession visé à l’article L. 421-1 C. Expro s’il n’a pas été affecté à l’objet de la DUP.

Dès lors que le bien acquis par exercice du droit de délaissement est une réquisition d’achat à l’initiative du propriétaire, il ne nous semble pas qu’il puisse faire l’objet d’un droit de rétrocession (voir, à propos d’un droit de délaissement dans le cadre d’un emplacement réservé : 3ème Civ, 26 mars 2014, 13-13.670, Publié au bulletin).

Le transfert de propriété résultant de l’exercice de ce droit n’entre pas dans le champ d’application de l’article 17 de la Déclaration de 1789 (à propos d’un emplacement réservé : Décision

Décision n° 2013-325 QPC du 21 juin 2013)

Pour autant, si la rétrocession n’est pas admise, une demande de paiement de dommages-intérêts n’est pas à exclure en cas de revente illégitime d’un bien acquis à la suite de la mise en œuvre du droit de délaissement (3ème Civ., 18 avril 2019, n° 18-11.414, Mme Birgit Düppe c/ Commune de Saint-Tropez)

Le Code de l’urbanisme ne prévoit pas de dispositions spécifiques relatives à un droit de rétrocession lorsqu’un bien est inscrit dans le périmètre d’une ZAC, en dehors de toute procédure d’expropriation.

La jurisprudence ne s’est pas prononcée sur la ZAC, mais elle s’est prononcée à l’égard d’un terrain réservé en écartant toute possibilité de solliciter un droit de rétrocession s’agissant d’un terrain réservé pour une voie, un ouvrage public, une installation d’intérêt général ou un espace vert en relevant que le droit de rétrocession est une réquisition d’achat à l’initiative du propriétaire (3ème Civ, 26 mars 2014, 13-13.670, Publié au bulletin).

Pour autant, si la rétrocession n’est pas admise, une demande de paiement de dommages-intérêts n’est pas à exclure en cas de revente illégitime d’un bien acquis à la suite de la mise en œuvre du droit de délaissement (3ème Civ., 18 avril 2019, n° 18-11.414, Mme Birgit Düppe c/ Commune de Saint-Tropez)

 

 

I. Le droit de délaissement d’un bien situé dans le périmètre d’une DUP

Le droit de délaissement d’un bien situé dans le périmètre d’une DUP et prévu au Code de l’expropriation a pour but d’empêcher que l’administration qui contraint un propriétaire à se séparer de son bien ne prolonge trop longuement l’état d’incertitude d’une propriété comprise dans ce périmètre. Il est la contrepartie des pouvoirs exorbitants de la puissance publique.

 

A. Sur le champ d’application du droit de délaissement

Jusqu’à l’ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 relative à la partie législative du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, ledit code empruntait la notion de « terrains à acquérir » pour qualifier ce qui pouvait ouvrir droit à une demande de délaissement.

Depuis cette ordonnance, cette notion a été remplacée par celle de « biens à acquérir »[9].

Lorsque le droit de délaissement était ouvert aux seuls « terrains à acquérir », la question s’est posée de savoir si un « terrain » pouvait comprendre non seulement les terrains nus mais aussi les terrains bâtis. La 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé, à propos du droit de délaissement en ZAC que le renvoi à la notion de terrain ne pouvait signifier l’exclusion des terrains bâtis du champ d’application du texte (3ème Civ., 7 mai 1996, n° 95-70.031).

La notion de « biens à acquérir » est plus large et permettra certainement à la jurisprudence d’envisager des cas d’ouvertures plus nombreuses du droit de délaissement.

Il peut être remarqué, d’ailleurs, que la 3ème chambre civile de la Cour de cassation prend le soin de faire référence à la notion de « biens » et non à celle de « terrains », y compris lorsqu’elle évoque la fixation du prix. En effet, alors que l’article L. 242-2 du Code de l’expropriation évoque la notion de « fixation du prix du terrain », la Cour de cassation utilise la notion de « fixation du prix des biens délaissés » (Civ. 3ème, 11 janvier 2023, n° 21-24.275).

 

B. Sur les délais pour exercer le droit de délaissement

Le droit de délaissement peut être actionné lorsqu’un délai d’un an s’est écoulé à compter de la publication de l’acte portant déclaration d’utilité publique, par le biais d’une mise en demeure d’acquérir.

L’expropriant doit se prononcer dans un délai de deux ans à compter du jour de la demande.

Ce délai peut être prorogé une fois pour une durée d’un an sauf dans l’hypothèse où ledit propriétaire a déjà fait l’objet d’une décision de sursis à statuer en application de l’article L. 424-1 du Code de l’urbanisme.

En cas de volonté de prorogation du délai pour répondre à la demande de délaissement, l’expropriant doit six mois avant l’expiration du délai de deux ans faire connaître au propriétaire qu’il entend proroger. Il en informe simultanément le préfet[10].

A défaut d’accord amiable à l’expiration du délai de réponse laissé à l’expropriant, le juge de l’expropriation est saisi par le propriétaire, prononce le transfert de propriété et fixe le prix du terrain comme en matière d’expropriation.

L’absence de réponse dans le délai de deux ans à la mise en demeure d’acquérir n’est pas sanctionnée par la juridiction de l’expropriation. En effet, la mise en demeure d’acquérir le bien n’est pas un acte créateur de droit et l’expropriant a la possibilité de renoncer à l’expropriation antérieurement à la fixation du prix et au transfert de propriété jusqu’à la date où le premier juge doit statuer. Il est admis que l’expropriant renonce à l’expropriation dans ses conclusions devant le juge de l’expropriation en première instance à l’expropriation, au-delà du délai de deux qu’il a pour se prononcer sur la mise en demeure d’acquérir (Civ. 3ème, 13 février 2008, SCI les Trois Figuiers, n° 06-21.202).

 

C. Sur les modalités d’exercice du droit de délaissement

En vertu des dispositions de l’article R. 241-1 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le propriétaire qui souhaite exercer son droit de délaissement adresse une mise en demeure d’acquérir leur bien par lettre recommandée avec demande d’avis de réception à l’expropriant, avec copie au préfet.

Le délai de réponse de l’expropriant court à compter de la date d’avis de réception.

En outre, la mise en demeure d’acquérir doit être formulé par le propriétaire sans quoi elle ne peut être regardée comme étant régulière (CAA Lyon, 4ème chambre, 24 novembre 2011, n° 10LY02065).

D. Sur les règles applicables devant la juridiction de l’expropriation

Lorsqu’aucun accord amiable n’a pu être trouvé, il appartient au propriétaire du bien de saisir la juridiction de l’expropriation.

Celle-ci a deux rôles :

  • 1°) Prononcer le transfert de propriété ;
  • 2°) Fixer le prix du bien délaissé.

La prononciation du transfert de propriété est une obligation pour le juge, s’il est saisi en application des articles L. 241-1 et L. 242-2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, y compris, si le propriétaire omet de le solliciter expressément (Civ. 3ème, 11 janvier 2023, n° 21-24.275).

En outre, le prix du bien est fixé « comme en matière d’expropriation ». Cela signifie que la juridiction de l’expropriation doit préciser sur quelle méthode d’évaluation elle se fonde et se référer, le cas échéant, aux termes de comparaison cités par les parties (Civ. 3ème, 16 novembre 2017, n° 14-29.695).

E. Sur la mise en échec du droit de délaissement

Le propriétaire n’a pas de droit irrévocable pour exiger l’acquisition de son bien et le bénéficiaire de la DUP peut jusqu’au transfert de propriété renoncer à son projet (Civ. 3ème, 3 décembre 2008, SCI les Trois Figuiers, n° 07-18.632).

 

II. Sur le droit de délaissement d’un bien situé dans le périmètre d’une ZAC

A. Sur le champ d’application du droit de délaissement

L’article L. 311-2, 1° du Code de l’urbanisme fait référence à la notion de « terrain ». Ainsi, la mise en œuvre du droit de délaissement en ZAC est réservée aux propriétaires de terrains bâtis ou non (Civ. 3ème, 7 mai 1996, 95-70.100, Inédit).

Par contre, ce droit ne peut être entrepris sur un lot en volume au motif que le propriétaire d’un volume ne peut être considéré comme le propriétaire d’un terrain car la division en volume déroge à la règle posée par l’article 552 du Code civil selon laquelle le propriétaire du sol (d’un terrain) emporte la propriété du dessus et du dessous (avis de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation du 20/03/2025, n° 25-70.001).

B. Sur les délais pour exercer le droit de délaissement

L’article L. 230-3 du même code précise les délais dans lesquels se déroule la procédure.

A compter de la publication de l’acte créant la ZAC, le propriétaire des terrains compris dans cette zone peuvent mettre en demeure la collectivité publique ou l’établissement public qui a pris l’initiative de la création de la zone de procéder à l’acquisition de leur terrain, dans les conditions et délais prévus à l’article L. 230-1.

La collectivité publique doit se prononcer dans le délai d’un an à compter de la réception en mairie de la demande du propriétaire.

En cas d’accord amiable, le prix d’acquisition doit être payé au plus tard deux ans à compter de la réception en mairie de cette demande.

A défaut d’accord amiable, le propriétaire ou la collectivité publique mise en demeure d’acquérir saisit le juge de l’expropriation, afin qu’il prononce le transfert de propriété et fixe le prix du bien.

C. Sur les modalités d’exercice du droit de délaissement

La mise en demeure de procéder à l’acquisition d’un terrain bâti ou non est adressée par le propriétaire à la mairie de la commune où se situe le bien.

Elle mentionne les fermiers, locataires, ceux qui ont des droits d’emphytéose, d’habitation ou d’usage et ceux qui peuvent réclamer des servitudes.

Les autres intéressés sont mis en demeure de faire valoir leurs droits par publicité collective à l’initiative de la collectivité ou du service public qui fait l’objet de la mise en demeure. Ils sont tenus de se faire connaître à ces derniers, dans le délai de deux mois, à défaut de quoi ils perdent tout droit à indemnité.

 

D. Sur les règles applicables devant la juridiction de l’expropriation

Le prix du terrain objet du délaissement, y compris l’indemnité de réemploi, est fixé et payé comme en matière d’expropriation, sans qu’il soit tenu compte des dispositions qui ont justifié le droit de délaissement.

 

E. Sur la mise en échec du droit de délaissement

La modification du périmètre de ZAC fait obstacle au droit de délaissement et il suffit que les formalités de publicité de cette modification soient intervenues avant la date du jugement pour l’exclusion du bien périmètre de la ZAC du bien objet du droit de délaissement soit opposable au propriétaire l’ayant exercé (Civ. 3ème, 21 décembre 2017, n° 16-26.564).

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[1] Vocabulaire juridique, Gérard CORNU, 12ème édition, Quadrige, p.316

[2] Une garantie méconnue du droit de propriété : le droit de délaissement en matière d’urbanisme et d’expropriation, JCP 1979, doct., n° 2925, F. Bouyssou

[3] Décision n° 89-267 DC en date du 22 janvier 1990 prise sur la loi complémentaire à la loi n° 88-1202 du 30 décembre 1988 relative à l’adaptation de l’exploitation agricole à son environnement économique et social et Décision n° 2013-325 QPC en date du 21 juin 2013 – droit de délaissement inscrit en emplacement réservé

[4] L. 241-1 al. 3 C. Urb et L. 213-1, e) C. Urb

[5] L. 213-1, e) C. Urb

[6] Article L. 421-1 C. Expro

[7] 3ème Civ., 15 avril 1992, n° 90-17.704

[8] 3ème Civ., 24 septembre 2008, n° 07-13.972

[9] Article L. 241-1, al. 1 du Code de l’expropriation « les propriétaires des biens à acquérir compris dans cette opération peuvent mettre en demeure l’expropriant au bénéfice duquel la déclaration d’utilité publique est intervenue de procéder à l’acquisition de leur bien »

[10] Article R. 241-1, al. 2 du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.