Energie
le 09/10/2025
Marie-Hélène PACHEN-LEFÈVRE
Ana NUYTTEN

L’avenir des réseaux de distribution de gaz naturel : transition verte ou fin annoncée ?

À l’heure où la transition énergétique impose une réduction progressive de la dépendance aux énergies fossiles, le gaz naturel se trouve à la croisée des chemins. Entre l’essor des gaz verts injectés dans les réseaux existants et la perspective d’une restructuration voire d’une extinction partielle du service public de distribution, son avenir interroge.

1. Du développement de l’injection du gaz vert dans le réseau de gaz naturel

On recense désormais un nombre important de dispositifs en faveur de l’usage des gaz d’origine non fossile et de leur injection dans le réseau de gaz naturel.

On rappellera d’abord que les installations des producteurs de gaz renouvelables et de gaz de récupération ont la possibilité de se raccorder au réseau de distribution ou de gaz naturel (article L. 111-97 du Code de l’énergie). En ce sens, les gestionnaires des réseaux de distribution de gaz naturel sont notamment tenus d’établir des zonages de raccordement des installations de production de biogaz au réseau de gaz naturel. Ces zonages définissent « pour chaque zone du territoire métropolitain continental située à proximité d’un réseau de gaz naturel, le réseau gazier le plus pertinent d’un point de vue technico-économique pour le raccordement d’une nouvelle installation de production de biogaz qui s’y implanterait » et soumis à la validation de la CRE.

Les mesures d’accélération et le développement des projets de production de biogaz et de toute autre forme de gaz renouvelable sont également, depuis loi du 16 août 2022 dite « loi pour le pouvoir d’achat », intégrées au sein du volet sécurité d’approvisionnement de la Programmation Pluri annuelle de l’Energie (PPE). Cette même loi est également venue crée un portail national du biogaz permettant d’accéder aux schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), aux schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie (SRCAE) et aux plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) (article L. 446-58 du Code de l’énergie) ainsi qu’un guichet unique pour les porteurs de projets d’installations de production de gaz.

Plusieurs dispositifs de certification ont été introduits pour, dans le même sens, favoriser la production de biogaz injecté dans le réseau de gaz naturel, à savoir les garanties d’origine (assurant que, pour une unité énergétique prélevée dans le réseau public, une unité énergétique d’origine renouvelable a été injectée dans ce même réseau[1]) et les certificats de production biogaz (imposant pour leur part aux fournisseurs de gaz naturel, dont les livraison ou consommations annuelles excèdent 400 gigawattheures de pouvoir calorifique supérieur, une obligation de restitution à l’Etat de certificats de productions de biogaz[2]).

On constate plus récemment que certains nouveaux usages de l’énergie telle que l’autoconsommation collective sont réservés au gaz renouvelable.

En effet, la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables a consacré un cadre légal, dite loi « APER » (complétée par deux décrets et un arrêté du 29 mars 2024[3]) a consacré l’autoconsommation collective en gaz renouvelable. Par ce dispositif, le législateur a partiellement calqué le régime de l’autoconsommation collective d’électricité sur la production et la consommation de gaz mais en le réservant au gaz renouvelable, c’est-à-dire celui produit à partir d’énergies renouvelables au sens de l’article L. 211-1 du Code de l’énergie (article L. 448-1 du Code de l’énergie).

Ces dispositifs introduits au plan national conduisent à interroger la poursuite du développement des réseaux de distribution de gaz naturel.

 

2. Vers la cessation partielle de la distribution de gaz naturel ?

En l’état de l’ordonnancement juridique, les autorités organisatrices de la distribution de gaz peuvent d’ores et déjà limiter les extensions du réseau en cas de demande faible en gaz, c’est à dire empêcher pour l’avenir la réalisation de raccordement au réseau public de distribution de gaz lors que le taux de rentabilité de cette portion de réseau est inférieur au référentiel de rentabilité établie dit « B/I ».

En revanche, il n’est pour l’heure pas possible pour les autorités organisatrices de la distribution de gaz de décider de la cessation du service de distribution de gaz pour les usagers du réseau d’ores et déjà raccordés, y compris sur certaines de ses portions faiblement rentables, et ce, en vertu du droit d’accès au réseau des usagers[4] ainsi qu’au principe de continuité attaché au service de la fourniture de gaz[5].

Ce dispositif pourrait prochainement évoluer.

Un terrain fertile à cette évolution est déjà proposé par le modèle de cahier des charges de concession de distribution publique de gaz qui prévoit, en son article 22, l’abandon et la réaffectation éventuelle de portions du réseau (sans toutefois que les motifs de cet abandon n’y soient précisés).

De même, la Commission de régulation de l’énergie, en intégrant la baisse de la consommation de gaz à la structure de l’ATRD 7 de GRDF dans sa délibération du 15 février 2024, envisageait déjà en 2023, dans son rapport sur l’avenir des infrastructures gazières, la possibilité d’abandonner certaines portions du réseau en raison de la baisse de la demande en gaz, dans une proportion qu’elle estime toutefois limitée à l’horizon 2050.

Surtout, l’article 57 de la Directive européenne 2024/1788 du 13 juin 2024 impose aux gestionnaires des réseaux de distribution de gaz naturel d’élaborer des plans de déclassement total ou partiel de ces réseaux dès lors qu’une réduction de la demande de gaz naturel attendue le justifie. La directive prévoit que ces plans devront être établis « en étroite coopération » avec les gestionnaires de réseaux de distribution d’hydrogène, les gestionnaires de réseaux de distribution d’électricité, et les gestionnaires d’installations de chauffage et de refroidissement urbain.

Ce texte européen sera l’occasion pour les autorités organisatrices de la distribution de gaz de se réinterroger sur la pertinence de tous leurs réseaux, leur éventuelle concurrence et la nécessité d’en privilégier certains, par zones géographiques.

L’objectif de ce dispositif est un remplacement progressif du gaz naturel pour assurer un verdissement du réseau ainsi présenté par la directive : « choisir de fermer et d’adapter de manière stratégique une partie de leur réseau de distribution de gaz afin de faire cesser progressivement la fourniture de gaz naturel, pour assurer une transition vers un système plus durable ».[6]

Ce dispositif n’est pour l’heure pas transposé en droit interne, cette transposition devant intervenir au plus tard le 5 août 2026[7]. Il le sera peut-être dans le cadre du nouveau projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit du l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, d’information, de transport, de santé, d’agriculture et de pêche dit « DADUE », dont l’avenir demeure toutefois incertain dans les circonstances politiques actuelles.

Quoi qu’il en soit, cette transposition devra s’accompagner de mesures de protection visant à lutter contre les effets négatifs liés à la hausse des tarifs de gaz naturel en raison de la diminution du nombre d’usagers (en particulier pour les clients dits vulnérable ou en situation de précarité énergétique)[8]. Elle impliquera également une mise en cohérence avec la structuration du secteur de la distribution en gaz naturel en France afin de replacer les autorités organisatrices de la distribution de gaz au centre de ce dispositif, laissé dans le texte européen aux mains des gestionnaires de réseau de gaz naturel.

Le remplacement du gaz naturel par du gaz vert et sa disparition pourraient donc sembler incontournable.

Un très récent arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 septembre 2025[9] semble pourtant donner un second souffle au gaz naturel.

Le législateur de l’Union (c’est-à-dire le Parlement européen et le Conseil de l’union européenne) a – en application du règlement sur la taxonomie[10] – délégué à la Commission européenne le soin d’établir des critères d’examen technique selon lesquels une activité économique peut être considérée comme contribuant au changement climatique ou au contraire préjudiciable pour certains objectifs environnementaux.

C’est ainsi que la Commission a adopté en 2022 un règlement délégué, par lequel elle a établi lesdits critères d’examen technique[11], mais pour inclure certaines activités des secteurs de l’énergie nucléaire et du gaz fossile dans les catégories des activités apportant une contribution substantielle à l’atténuation du changement climatique ou à l’adaptation à celui-ci.

L’Autriche, soutenue par de nombreux Etats dont la France, a alors introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne en vue d’obtenir l’annulation de ce règlement délégué. Toutefois ce dernier a jugé, dans son arrêt rendu le 10 septembre 2025, que la Commission a valablement estimé dans son règlement que certaines activités économiques liées à l’énergie nucléaire et au gaz fossile peuvent, sous certaines conditions, contribuer substantiellement à l’atténuation du changement climatique et à l’adaptation à celui-ci[12].

Ainsi, si la transition vers les gaz renouvelables est ouverte, le gaz naturel pourrait conserver, pour un temps encore, une place stratégique. Cette perspective pourrait être précisée dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie dite « PPE 3 », dont la publication définitive est attendue depuis maintenant plusieurs mois (voir en ce sens notre brève sur le sujet).

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[1] Articles L. 446-18 à L. 446-22 du Code de l’énergie

[2] Articles. L. 446-42 et R. 446-114 du Code de l’énergie

[3] Décret n° 2024-288 du 29 mars 2024 relatif à l’autoconsommation collective étendue de gaz dans les habitations à loyer modéré et portant diverses dispositions relatives aux gaz renouvelables et bas-carbone

Décret n° 2024-289 du 29 mars 2024 relatif à l’autoconsommation collective étendue de gaz dans les habitations à loyer modéré et portant diverses dispositions relatives aux gaz renouvelables et bas-carbone

Arrêté du 29 mars 2024 fixant le critère de proximité géographique de l’autoconsommation collective étendue de gaz

[4] Articles L. 111-97 à L. 111-110 du Code de l’énergie

[5] Articles L. 111-101, L. 121-32, L. 443-8-1 et L. 432-13 du Code de l’énergie

[6] Considérant 135 de la Directive (UE) 2024/1788 du 13 juin 2024 susvisée.

[7] Article 94 de la directive.

[8] Considérant 33 de la directive

[9] Arrêt du Tribunal du 10 septembre 2025 dans l’affaire T-625/22 | Autriche/Commission

[10] Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2020, sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables.

[11] Règlement délégué (UE) 2022/1214 de la Commission, du 9 mars 2022, modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2139 en ce qui concerne les activités économiques exercées dans certains secteurs de l’énergie et le règlement délégué (UE) 2021/2178 en ce qui concerne les informations à publier spécifiquement pour ces activités économiques.

[12] Arrêt du Tribunal du 10 septembre 2025 dans l’affaire T-625/22 | Autriche/Commission ; communiqué de presse de l’arrêt disponible ici : https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2025-09/cp250113fr.pdf