Urbanisme, aménagement et foncier
le 13/04/2023

L’affectation de « l’essentiel » des parcelles expropriées à l’objet de la DUP empêche l’exercice du droit de priorité sur les reliquats

Cass. Civ., 3ème, 1er mars 2023, n° 22-12.455

Dans cette affaire, des terrains agricoles ont été expropriés au profit d’un département en vue de réaliser une infrastructure routière déclarée d’utilité publique (DUP).

A la suite de la réalisation des travaux, le département a vendu à une société les reliquats de parcelles finalement non utilisés et non nécessaires à l’infrastructure routière. Ces reliquats concernaient des parcelles expropriées.

Les anciens propriétaires des parcelles expropriées ont assigné le département en indemnisation de leurs préjudices résultant, selon eux, de la méconnaissance de leur droit de priorité lors de la cession de ces reliquats puisque ces dernières ont été vendus à une société tierce sans qu’une proposition préalable de cession ne leur a été faite.

Pour mémoire, l’article L. 424-2, alinéa 1er du Code de l’expropriation pour cause d’utilité publique dispose que :

« Lorsque les immeubles expropriés sont des terrains agricoles au moment de leur expropriation et que ces terrains sont cédés, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel disposent d’une priorité pour leur acquisition ».

Par cette décision, la Cour de cassation rappelle que la mise en œuvre de l’article précité nécessite pour le juge de vérifier si les parties de parcelles dont il est demandé la rétrocession en priorité ont effectivement été affectées ou non au but d’intérêt général défini par la DUP.

Puis, dans l’hypothèse où ces reliquats n’ont pas été affectés à l’objet de la DUP, le juge devra alors vérifier la part de ces parcelles non utilisées sur l’ensemble des parcelles ayant bien reçu une affectation.

Ainsi, le droit de priorité ne trouvera pas à s’appliquer si les portions de parcelles non effectivement affectées à l’objet de la DUP et dont il est demandé prioritairement la rétrocession ne représentent qu’une partie minoritaire de l’ensemble des parcelles expropriées qui ont, elles, bien reçu l’usage prévu par la DUP.

C’est ici bien comprendre que, à supposer même que certaines parcelles n’aient pas été utilisées en conformité avec l’objet pour lequel la DUP a été prise, les expropriés ne disposeront pas pour autant automatiquement d’un droit de priorité sur ces parcelles, puisque le juge vérifiera si « l’essentiel » – terme utilisé ici par la Cour de Cassation – des parcelles expropriées a reçu la destination objet de la DUP pour faire droit à leur demande.

Dans l’affaire en litige, les expropriés n’ont pas reçu proposition de rétrocession des reliquats de leurs anciennes parcelles car l’autorité expropriante les a directement revendu à une société tierce. Toutefois, la juridiction a relevé que ces reliquats rétrocédés à une société tierce ne représentaient que 3,2 % de la surface totale de l’opération d’expropriation.

La Cour a pu en conclure que seule une infime partie de l’ensemble des parcelles expropriées n’avait pas reçu d’affectation conforme à la DUP, de sorte que la Cour a jugé que la condition de non-affectation à l’usage prévu par la DUP, qui s’apprécie à l’échelle globale de l’opération, n’était pas remplie et que les expropriés ne bénéficiaient pas d’un droit de priorité lors de la cession à un tiers des parcelles. Cette dernière cession n’a partant pas pu être remise en cause par les expropriés.

Par ailleurs, la Cour indique que l’absence de reconnaissance de droit de priorité aux expropriés ne les a pas indûment privés d’une plus-value, ni n’a porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de leurs biens au sens de l’article 1 du protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Enfin, l’on relève que la Cour fait ici le parallèle entre le droit de priorité et le droit de rétrocession puisqu’elle indique :

« 5. D’une part, la cour d’appel a relevé, à bon droit, que le droit de priorité prévu par l’article L. 424-2 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ne trouve sa cause qu’en cas de non-affectation de la parcelle expropriée au but d’intérêt général défini par la déclaration d’utilité publique et se rattache au droit de rétrocession prévu à l’article L. 421-1 du même code et, comme lui, ne s’applique pas aux portions de parcelles non utilisées pour l’usage prévu par la déclaration d’utilité publique si l’essentiel des parcelles expropriées a reçu cette destination ».

Pour rappel, l’article L. 421-1 du Code de l’expropriation dispose :

« Si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique ».

Pour le droit de rétrocession aussi, il est rappelé par les juridictions que « la conformité des réalisations effectuées avec les objectifs poursuivis par la DUP doit s’apprécier au regard de l’ensemble des parcelles expropriées pour la réalisation de l’opération et non pas au regard de chaque parcelle prise isolément ».

Pour conclure, cette décision récente de la Cour de cassation a pour intérêt de nous rappeler que, en matière de droit de priorité comme de droit de rétrocession, l’appréciation de l’affectation effective des parcelles expropriées dans le cadre d’une DUP doit se faire par la prise en compte de l’ensemble des parcelles, et est toujours très casuistique.