Dans cette affaire, par un arrêté en date du 20 janvier 2020, le Maire de Mandelieu-la-Napoule a décidé d’exercer son droit de préemption urbain sur trois parcelles, au prix fixé par les vendeurs, en vue de la réalisation d’une opération d’aménagement d’un pôle d’excellence de nautisme.
Seulement, ces parcelles étaient grevées de deux baux à construction au profit de différentes sociétés.
A la suite de la décision de préemption, les propriétaires de ces parcelles, et les sociétés titulaires de baux à constructions sur celles-ci, ont demandé au Juge des référés du tribunal administratif de Nice de suspendre l’arrêté du Maire.
Le Juge des référés de Nice a suspendu l’exécution de l’arrêté municipal uniquement en tant qu’il permet le transfert de propriété ou la prise de possession du bien préempté au bénéficie de la collectivité publique titulaire du droit de préemption. La Commune a alors contesté cette ordonnance devant le Conseil d’État.
Le Conseil d’État a d’abord rappelé que les deux contrats de baux à construction avaient été conclu en 1988 pour une durée de 32 ans et stipulaient une promesse de vente au profit des sociétés preneuses, lesquelles devaient manifester leur intention d’acquérir lesdites parcelles au plus tard le 14 mars 2020.
Or, dès 2019, les sociétés parties à ces contrats ont demandé la réalisation de ces promesses de vente. C’est donc dans ce cadre que la Commune a été destinataire d’une déclaration d’intention d’aliéner.
S’agissant ensuite des conditions du référé suspension, le Conseil d’État a rapidement reconnu l’urgence à suspendre, compte tenu des effets de la décision de préemption sur l’acquéreur évincé, et l’absence de démonstration par la Commune de la nécessité de réaliser son projet dans des délais rapides – ce que ne permettrait pas la décision de préemption.
S’agissant de la condition relative au doute sur la légalité de la décision de préemption, le Conseil d’État a considéré que cette seconde condition était également remplie.
Selon le Conseil d’État, par principe, l’existence d’un bail à construction sur une parcelle ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de préemption sur celle-ci.
Toutefois, il précise que, lorsque cette préemption est exercée à l’occasion de la levée, par le preneur au bail à construction, de l’option stipulée dans le contrat lui permettant d’accepter la promesse de vente consentie par le bailleur sur les parcelles données à bail, l’autorité préemptrice prend alors la place du propriétaire initial des parcelles, et lui succédera également dans sa qualité de bailleur. Consécutivement, l’autorité préemptrice, en sa qualité de bailleur, devra supporter les obligations attachées à cette qualité car elle devient partie au contrat, et en particulier celle d’exécuter la promesse de vente consentie par le bailleur initial dans le cadre du bail à construction grevant les parcelles en litige.
Dans cette espèce, la Commune étant obligée par le contrat de bail de céder les parcelles en litige aux sociétés preneuses, sa décision de préemption ne pouvait alors plus conduire à la réalisation d’une action ou opération d’aménagement, motif nécessaire à la légalité d’une décision de préemption.
Autrement dit, la justification de la décision de préemption attaquée a été vidée de sa substance par le contenu des contrats de baux à construction, de sorte que la Conseil d’État a considéré qu’il y avait un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption.
C’est ici bien comprendre que si l’autorité préemptrice peut préempter une parcelle grevée d’un bail à construction, il lui appartiendra d’être vigilante aux obligations du bailleur puisqu’en préemptant, elle lui succédera dans cette qualité. Or, selon les obligations réciproques des parties au contrat de bail à construction, le contenu dudit contrat est susceptible de remettre en cause voire de rendre impossible la mise en œuvre de l’objet même de la préemption pour lequel l’autorité préemptrice a voulu exercer son droit.