Propriété intellectuelle
le 22/12/2022

La règle du non-cumul de responsabilité mise à rude épreuve dans une affaire de contrefaçon de logiciel

Cass. Civ., 1ère, 5 octobre 2022, n° 21-15.386

C’est sans remettre en question la règle de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle que la Cour de cassation a jugé qu’un titulaire de droits d’auteur pouvait engager une action en contrefaçon lorsqu’il ne bénéficiait pas des garanties liées à la responsabilité contractuelle.

I. Faits et procédure

Le 5 octobre dernier, la Cour de cassation s’est finalement positionnée sur la recevabilité à agir en matière de contrefaçon en cas de violation de droits d’auteur d’un logiciel, et par la même occasion, sur la règle du non-cumul de responsabilité.

En l’espèce, la société Entr’Ouvert a conçu un logiciel dénommé « Lasso » permettant la mise en place d’un système d’authentification unique permettant à l’internaute de ne s’identifier qu’une seule fois pour accéder à plusieurs services et sites en ligne. Ce logiciel était diffusé à la fois sous licence libre et payante.

Dans le cadre de l’appel d’offre pour la réalisation du portail « Mon Service Public » de l’Etat, la société Orange a fourni une solution informatique intégrant le logiciel conçu par la société Entr’Ouvert.

Considérant que l’intégration de son logiciel violait les clauses du contrat de sa licence libre, la société Entr’Ouvert a assigné la société Orange en contrefaçon de droits d’auteur et parasitisme.

Les juges de première instance, dans un arrêt rendu le 21 juin 2019, a déclaré la société EntrOuvert irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon, rejetant également sa demande au titre du parasitisme.

Par un arrêt en date du 19 mars 2021, la Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance en ce qu’il a débouté la société demanderesse de sa demande en matière de contrefaçon.

En effet, elle a considéré que dès lors que le fait générateur de l’atteinte aux droits d’auteur résultait d’un manquement contractuel, seule l’action en responsabilité contractuelle était recevable par application du principe de non-cumul des responsabilités.

Cependant, elle a infirmé le jugement de première instance en ce qu’il n’a pas retenu le parasitisme, considérant que le logiciel Lasso modifié par la société Orange lui a bien procuré l’avantage de pouvoir répondre à l’appel d’offre de l’Etat en respectant les prérequis demandés, qui a de ce fait été condamnée à payer 500.000 euros au titre du parasitisme.

II. Décision et raisonnement de la Cour de cassation

Le 5 octobre dernier, la Cour de cassation a adopté une analyse différente de la Cour d’appel par rapport à la jurisprudence européenne, aux termes de laquelle le titulaire devait pouvoir bénéficier des garanties prévues par les directives européennes relatives au droit d’auteur, et ce indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national[1].

Si la Cour d’appel en a déduit que la Cour de Justice de l’Union européenne ne remettait pas en cause le principe du non-cumul des responsabilité délictuelle et contractuelle, et que par conséquent seule une action en responsabilité contractuelle était recevable en l’espèce, la Cour de cassation a adopté une analyse bien plus favorable aux auteurs de logiciels :

Ainsi, et sans que la règle du non-cumul de responsabilité ne soit affectée, la Cour de cassation a cassé la décision et considéré que dans le cadre d’une atteinte portée à ses droits d’auteur, le titulaire, lorsqu’il ne bénéficie pas de la protection nécessaire sur le fondement de la responsabilité contractuelle, peut agir en contrefaçon sur le terrain délictuel.

La jurisprudence qui considérait traditionnellement que la contrefaçon ressortait de la responsabilité délictuelle, vient ici élargir le champ de l’action en contrefaçon, à un cas cette fois de violation d’un contrat de licence de logiciel.

 

[1] CJUE, arrêt du 18 décembre 2019, C-666/18