Droit pénal et de la presse
le 31/03/2025
Matthieu HÉNON
Marguerite SAUREL

La décision du Conseil constitutionnel sur les conséquences de l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité pour les élus municipaux

Décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025

Ce 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les conséquences de la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire prévue par l’article 131-26-2 du Code pénal.

En substance, aux termes de cette décision, le Conseil constitutionnel affirme l’exigence, pour le préfet, de prendre une décision de démission d’office de l’élu municipal condamné à une telle peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire.

Par ailleurs, il souligne la situation différente dans laquelle se trouve les conseillers municipaux et les membres du Parlement – non concernés par cette exigence – indiquant que ces derniers participent à l’exercice de la souveraineté nationale, votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement[1].

Cette décision était particulièrement attendue, dans la perspective notamment du jugement qui sera rendu ce jour dans l’affaire dite des assistants parlementaires du Front national, pour laquelle le Ministère public a notamment requis à l’encontre de Madame Marine LE PEN une peine d’inéligibilité de 5 ans assortie de l’exécution provisoire

 

I. Par application de l’article 131-26 du Code pénal, la juridiction pénale peut prononcer, en tant que peine complémentaire, l’interdiction de tout ou partie des droits civiques, civils et de famille d’une personne tel que son droit d’éligibilité.

S’agissant des condamnations délictuelles, cette interdiction ne peut, en principe, pas excéder une durée de cinq ans ; à moins qu’elle soit prononcée à l’encontre d’une personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits[2].

En 2017, la loi pour la confiance dans la vie politique[3] a créé l’article 131-26-2 du Code pénal, qui rend le prononcé de cette peine complémentaire d’inéligibilité obligatoire à l’encontre de toute personne reconnue coupable de certaines infractions telles que, notamment, les infractions de probité et les infractions électorales.

Juridiquement, cette peine doit être considérée comme obligatoire mais pas automatique : le juge répressif peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas la prononcer en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

Par ailleurs, conformément aux dispositions de l’article 471 du Code de procédure pénale, le juge répressif peut prononcer l’exécution provisoire – soit l’exécution immédiate malgré l’existence d’un appel – des peines prononcées telle que la peine obligatoire d’inéligibilité, sans qu’une motivation supplémentaire ne soit nécessaire[4].

 

II. Il résulte des dispositions de l’article L. 230 du Code électoral, en jeu dans cette décision du Conseil constitutionnel, que les personnes privées de leur droit électoral ne peuvent pas être conseillers municipaux.

Or, tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d’inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet [5].

Aussi, les conséquences d’une peine d’inéligibilité – assortie d’une exécution provisoire le cas échéant – portent tout à la fois sur les scrutins à venir et sur les mandats en cours avec, toutefois, une notable différence entre mandats locaux et nationaux :

  • S’agissant du mandat parlementaire, le Conseil constitutionnel rejette les requêtes tendant à la constatation de la déchéance de plein droit des parlementaires par suite d’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire, en soulignant que celle-ci ne peut être constatée « en l’absence de condamnation définitive».
    Concrètement donc, et s’agissant des mandats nationaux, la peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire est « sans effet sur le mandat parlementaire en cours »[6].

 

  • S’agissant de l’élu local en revanche, le Conseil d’Etat a jugé à plusieurs reprises qu’une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire impose au représentant de l’Etat de prendre une décision de démission d’office des mandats en cours[7]:

« Par voie de conséquence, la privation du droit d’éligibilité en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire lie le représentant de l’Etat et lui impose, en vertu des dispositions précitées des articles L. 236 et L. 273-4 du code électoral, de prendre une décision de démission d’office des mandats de conseiller municipal et conseiller communautaire qui seraient détenus par l’intéressé. »

Ces deux orientations jurisprudentielles coexistaient jusqu’à présent, le Conseil constitutionnel ne s’étant pas prononcé sur ce qui pourrait apparaître comme une rupture d’égalité.

 

III. C’est dans ces conditions que le Conseil constitutionnel a été saisi le 03 janvier dernier d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité des dispositions des articles L. 230 et 236 du Code électoral aux droits et libertés garantis par la Constitution.

  • Ces dispositions tendant à la démission immédiate du conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, alors même qu’une décision définitive n’est pas encore pas intervenue, étaient contestée en premier lieu, comme portant une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité[8].A cet égard, le Conseil constitutionnel relève d’abord que ces dispositions garantissent l’effectivité de la décision du juge, l’efficacité de la peine et la prévention de la récidive, l’objectif étant de renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants[9].Il ajoute que le juge répressif peut moduler la durée de cette peine d’inéligibilité et décider de ne pas la prononcer et en déduit alors qu’aucune atteinte disproportionnée est portée au droit d’éligibilité.
  • En second lieu, il était reproché à ces dispositions de méconnaitre le droit à un recours juridictionnel effectif.Le Conseil constitutionnel écarte également cet argument au motif qu’un conseiller municipal peut former une réclamation devant le Tribunal administratif et un recours devant le Conseil d‘Etat contre l’arrêté prononçant sa démission d’office, qui aura par ailleurs un effet suspensif sur l’arrêté en question.
  • Enfin, il était également relevé que ces dispositions instituaient une différence de traitement injustifiée entre les élus locaux et les élus nationaux.Sur ce point, le Conseil constitutionnel considère que la différence de traitement contestée est justifiée compte-tenu de la situation particulière des membres du Parlement et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution.

 

Ce faisant, le Conseil constitutionnel entérine cette dichotomie de portée de la peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, selon qu’elle concerne un mandat local ou national.

Ce qu’il ne dit pas en revanche, c’est si cette peine peut avoir un effet immédiat sur l’éligibilité à un futur nouveau mandat national, voire présidentiel.

Toutefois, naturellement, l’affirmation du caractère singulier des membres du Parlement lié aux prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution laisse à penser que ce raisonnement pourrait éventuellement être étendu à d’autres scrutins tout autant singuliers[10].

 

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[1] Décision n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025

[2] Article 131-26-1 du Code pénal

[3] Loi n°2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique

[4] Cass. Crim., 19 avril 2023, n°22-83.355

[5] Article L. 236 du Code électoral

[6] CC, DC, 16 juin 2022, n°2022-27 pour un membre de l’Assemblée nationale ; CC, DC, 23 novembre 2021, n°2021-26 pour un membre du Sénat

[7] CE, 20 juin 2012, n° 356865 ; CE, 14 avril 2022, n° 456540

[8] Communiqué de presse du 28 mars 2025 sur la décision n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025

[9] Décision n°2025-1129 QPC du 28 mars 2025

[10] Titre II de la Constitution du 4 octobre 1958