Energie
le 09/03/2023

Jurisprudence de la CJUE en matière d’aides aux énergies renouvelables et de droits exclusifs en matière d’énergie

CJUE, 15 décembre 2022, AS Veejaam, OÜ Espo contre AS Elering, C-470/20

CJUE, 12 janvier 2023, « DOBELES HES » SIA et Sabiedrisko pakalpojumu regulēšanas komisija, C-7012/20 et C-17/21

CJUE 2 mars 2023, C-394/21, Bursa Română de Mărfuri SA contre Autoritatea Naţională de Reglementare în domeniul Energiei (ANRE)

Deux récents arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après, CJUE) rendus en matière d’aides d’Etat au financement des énergies renouvelables (ci-après ENR) ont apporté d’intéressantes précisions sur le cadre juridique applicable.

Premièrement, par un arrêt en date du 15 décembre 2022 (CJUE, 15 décembre 2022, AS Veejaam, OÜ Espo contre AS Elering, C-470/20), la CJUE a été amenée à se prononcer sur une demande de question préjudicielle s’inscrivant dans un litige ayant trait à un régime d’aides aux ENR mis en place en Estonie. Dans cette affaire, la CJUE a eu l’occasion d’interpréter les lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014 – 2020, le règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE) et l’article 108 du TFUE.

On signalera que ces lignes directrices ont été remplacées par de nouvelles lignes directrices concernant les aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie adoptées le 18 février 2022 et applicables jusqu’en 2027.

Cette décision apporte d’intéressantes précisions sur la notion d’« effet incitatif » d’une mesure d’aide. En effet, dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité d’une aide avec le droit de l’Union, il est notamment vérifié que l’aide facilite bien le développement d’une activité économique. Il résulte de cet arrêt que, selon la CJUE, les lignes directrices 2014-2020 doivent être interprétés en ce sens que :

  • Elles ne s’opposent pas à une réglementation nationale établissant un régime d’aides aux énergies renouvelables permettant au demandeur de l’aide d’obtenir le versement de celle-ci même si la demande a été présentée après le lancement des travaux de réalisation du projet concerné ;
  • On relèvera toutefois que les nouvelles lignes directrices publiées en 2022 considèrent qu’une mesure n’a, sauf cas exceptionnels, pas d’effet incitatif lorsque la demande est présentée après le début des travaux (art. 3.1.2). La solution retenue par la Cour pourrait donc s’avérer d’une portée limitée ;
  • Une aide d’État est susceptible d’avoir un effet incitatif lorsque l’investissement qu’un opérateur économique a réalisé en vue de se mettre en conformité avec une modification des conditions d’obtention d’une autorisation environnementale (cette dernière étant nécessaire pour l’activité de cet opérateur) n’aurait probablement pas eu lieu en l’absence du versement de l’aide concernée.

L’arrêt juge par ailleurs qu’un régime d’aides existant, dont la compatibilité avec le marché intérieur a été constatée par une décision de la Commission européenne, doit être qualifié d’« aide nouvelle » lorsque ce régime est appliqué au-delà de la date que l’État membre concerné avait indiquée à la Commission.

La CJUE précise enfin que l’article 108, paragraphe 3, du TFUE ne s’oppose pas à ce qu’il soit fait droit à la demande d’un opérateur économique visant au versement d’une aide d’État, mise en œuvre en violation de l’obligation de notification :

  • D’une part, pour la période antérieure à la décision de la Commission constatant la compatibilité de ladite aide avec le marché intérieur ;
  • Et, d’autre part, lorsque ledit opérateur a demandé l’aide à un moment où celle-ci était illégale, n’ayant pas été notifiée à cette institution, alors que l’investissement auquel l’aide était liée a été réalisé à un moment où ledit régime était légal (sa compatibilité avec le marché intérieur ayant été constaté par une décision de la Commission) ;
  • Pour autant que, dans ces deux situations, le bénéficiaire de l’aide paie les intérêts sur les sommes éventuellement reçues, au titre de la période au cours de laquelle l’aide est considérée comme illégale.

Deuxièmement, dans un arrêt en date du 12 janvier 2023 (CJUE, 12 janvier 2023, « DOBELES HES » SIA et Sabiedrisko pakalpojumu regulēšanas komisija, C-7012/20 et C-17/21), la CJUE se prononce sur plusieurs questions préjudicielles posées par une juridiction lettone saisie de différends par des sociétés exploitant des centrales hydroélectriques et produisant ainsi de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables.

L’évolution du droit letton s’agissant des conditions financières dans lesquelles ces sociétés pouvaient revendre leur production à l’entreprise de distribution d’électricité agréée à un prix déterminé a donné lieu à un litige et à ce que la juridiction compétente adresse une demande de question préjudicielle à la CJUE sur plusieurs aspects ayant trait à la notion d’aide d’Etat en matière de production d’ENR.

La CJUE juge ainsi que le critère d’identification d’une aide d’Etat tenant à ce qu’il existe une intervention de l’État, ou une intervention « au moyen de ressources d’État », est remplie en présence d’une réglementation nationale qui oblige l’entreprise de distribution d’électricité agréée à acheter l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables à un prix supérieur à celui du marché et qui prévoit que les surcoûts qui en résultent sont financés par un prélèvement obligatoire supporté par les consommateurs finals ou par des fonds placés sous contrôle public.

La CJUE rappelle ensuite, dans le prolongement de précédentes décisions, qu’une aide d’État est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser ou de menacer de fausser la concurrence, même lorsque le marché concerné n’est que partiellement ouvert à la concurrence. Ainsi, la possibilité d’identifier un avantage n’est pas soumise à la condition que le marché concerné ait été au préalable entièrement libéralisé.

Il est par ailleurs rappelé par la CJUE que les dommages et intérêts réparant un préjudice ne constituent pas des aides d’État, au sens du droit de l’Union, selon une jurisprudence constante. En revanche, lorsque des demandes présentées comme des demandes de « dommages et intérêts » consistent en réalité à solliciter le bénéfice de sommes résultant d’un régime d’aide dont les sociétés les réclamant estiment avoir été irrégulièrement privées, alors la qualification est erronée, et il s’agit bien pour les demanderesses de solliciter le versement d’aides d’Etat.

La CJUE ajoute que lorsqu’une réglementation nationale instaurant un droit légal à un paiement majoré pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables institue ainsi une « aide d’État », des demandes en justice visant à obtenir le bénéfice complet de ce droit doivent être regardées comme des demandes de versement de la partie de cette aide d’État non perçue, et non comme des demandes tendant à l’octroi par le juge saisi d’une aide d’État distincte.

La Cour juge encore qu’il est possible pour le juge national de faire droit à une demande ayant pour objet le versement d’une somme correspondant à une aide nouvelle non notifiée à la Commission, dès lors que ledit juge national assortit sa décision de réserves consistant à exiger que cette aide soit au préalable dûment notifiée par les autorités nationales concernées à la Commission et que cette dernière donne, ou soit réputée avoir donné, son accord à cet égard.

Troisièmement, un arrêt du 2 mars 2023 (CJUE 2 mars 2023, C-394/21, Bursa Română de Mărfuri SA  contre Autoritatea Naţională de Reglementare în domeniul Energiei (ANRE)), a conduit la CJUE à se prononcer sur la validité du maintien par un Etat membre de droits exclusifs attribués à l’opérateur en charge des services d’intermédiation des offres de vente et d’achat d’électricité qui concernent tant les marchés de gros journalier et infrajournalier que le marché de gros à terme. Une société roumaine s’était en effet vue refuser la délivrance d’une licence aux fins de l’organisation et de la gestion de marchés de l’électricité centralisés, le droit roumain prévoyant qu’un seul opérateur est chargé des marchés centralisés de l’électricité, à l’exception du marché de l’équilibrage, aux fins de la négociation en gros de l’électricité à court, à moyen et à long terme. La notion de « marché de l’électricité centralisé » ici visée concerne le cadre organisé dans lequel ont lieu les transactions d’électricité entre différents opérateurs économiques, par l’intermédiaire de l’opérateur du marché de l’électricité.

Dans sa décision, la CJUE ne remet pas en cause la situation roumaine en relevant que le monopole en question existait au moment de l’entrée en vigueur du règlement 2015/1222 dont la violation était invoquée. Or, relève la Cour, ce dispositif autorisait alors les Etats à maintenir ce monopole.

Par ailleurs, la Cour estime que si les dispositions du règlement 2019/943 du 5 juin 2019 sur le marché intérieur de l’électricité «  imposent notamment aux États membres et aux autorités de régulation nationales certaines obligations afin d’encourager la concurrence sur les marchés de l’électricité, […] aucune de celles-ci, ni d’ailleurs aucune autre disposition de ce règlement, ne prévoit de règle concernant les échanges sur ces marchés qui soit susceptible d’être interprétée, même à la lumière des objectifs poursuivis par ledit règlement, comme s’opposant, en tant que telle, à ce que soit maintenu dans un État membre un monopole national légal des services d’intermédiation des offres de vente et d’achat d’électricité en gros, tel que celui en cause au principal ».

Enfin, la CJUE rappelle que conformément à une jurisprudence constante, les dispositions des traités européens en matière de liberté d’établissement et de libre prestation des services ne s’appliquent pas à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre. La CJUE ajoute que dans ce contexte, il appartient à la juridiction de renvoi d’indiquer à la CJUE en quoi, en dépit de son caractère purement interne, le litige pendant devant elle présente avec les dispositions du droit de l’Union relatives aux libertés fondamentales un élément de rattachement qui rend l’interprétation préjudicielle sollicitée nécessaire à la solution de ce litige.

Or, la CJUE relève que la décision de renvoi de la juridiction roumaine ne comporte aucune précision qui serait de nature à établir que le litige pourrait avoir des incidences en dehors de la Roumanie. La Cour refuse donc d’examiner la question posée à l’aune des traités.