Vie des acteurs publics
le 25/05/2023

Fin de l’improvisation juridique : les concerts de casseroles ne constituent pas une menace terroriste

Article L. 226-1, Code de la sécurité intérieure

L’instauration d’un périmètre de protection en application de l’article L. 226-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI) n’est légale qu’en cas de menace terroriste. Or, le risque de voir des manifestants tapant sur des casseroles conspuer le Président de la République et les membres du Gouvernement ne constitue pas une telle menace. Tel est le sens de l’ordonnance du Juge du référé-liberté du Tribunal administratif d’Orléans qui a suspendu, le 25 avril dernier, l’arrêté du Préfet du Loir-et-Cher instaurant un périmètre de protection dans la commune de Vendôme à l’occasion d’une visite d’Emmanuel Macron.

Pour tenter de mettre un terme à l’accompagnement orchestral qui accompagnait les déplacements des membres de l’exécutif, les préfets se sont efforcés de tenir à distance ces manifestants musiciens en prenant des arrêtés énonçant plusieurs types d’interdictions. En ce sens, un premier arrêté a été pris par le Préfet de l’Hérault le 19 avril 2023, instaurant un « périmètre de protection » dans le département à l’occasion de la visite officielle du Président de la République, le 20 avril, dans la commune de Ganges.

Un second arrêté signé du Préfet du Loir et Cher a été édicté le 25 avril 2023 pour empêcher ces manifestations bruyantes lors de la visite du Président à Vendôme le même jour. Il a immédiatement été suspendu par une ordonnance du Juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans. Ce même 25 avril, le Préfet du Doubs a pris un troisième arrêté créant un « périmètre de sécurité » dans la zone de La-Cluse-et-Mijoux, région qui accueillait le Président le 27 avril. Ce nouvel arrêté a aussi fait l’objet d’un recours devant le Juge des référés du Tribunal administratif de Besançon. Toutefois, le Préfet du Doubs a finalement choisi de prudemment retirer son texte au vu du risque de suspension particulièrement important.

En édictant ces mesures de police, les préfets se sont d’abord heurtés à la difficulté de définir juridiquement une casserole ou tout autre article de cuisine susceptible de faire du bruit – étant précisé qu’un contrôle était prévu à l’entrée du périmètre de sécurité afin d’empêcher les casseroles d’y pénétrer.

L’arrêté du Préfet de l’Hérault interdisait donc les « objets susceptibles de constituer une arme (par destination) ou pouvant servir de projectile présentant un danger, ainsi que l’usage de dispositifs sonores portatifs ». A cet égard, sera soulignée la généralité de cette définition, au fond susceptible de s’appliquer à de nombreux autres objets régulièrement utilisés ou présents lors des manifestations.

L’arrêté du Préfet du Loir-et-Cher visait quant à lui tout « dispositif sonore amplificateur de son », la cohérence de cette qualification n’étant guère plus pertinente que la première au vu de son caractère abstrait et globalisant. Cela étant, le Juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans n’a pas eu besoin de se livrer à l’exercice périlleux consistant à définir juridiquement un ustensile de cuisine pour censurer l’arrêté litigieux. En effet, pour adopter de tels arrêtés, les préfets se sont fondés sur l’article L. 226-1 du CSI, issu de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (dite loi SILT).

Pour rappel, ces dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution dans la mesure où un périmètre de protection ne peut être institué « qu’aux fins d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement exposé à un risque d’actes de terrorisme à raison de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation » (CC, 29 mars 2018, QPC n° 2017-695). En l’occurrence, très concrètement, par l’édiction des arrêtés ci-dessus évoqués, les préfets invoquaient l’existence d’une menace terroriste pour justifier l’interdiction des casseroles. Or, la procédure ci-dessus exposée n’étant applicable qu’à la seule hypothèse d’une menace terroriste réelle, il est patent que cette condition n’était, en l’espèce, pas remplie en présence de quelques dizaines de personnes armées de casseroles.

C’est pour ce motif que le Juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans a suspendu l’arrêté du Préfet du Loir-et-Cher. C’est aussi pour cette raison que l’arrêté du Préfet du Doubs a été retiré, car il reposait sur le même fondement. Aux termes de son ordonnance, le Juge des référés du Tribunal administratif d’Orléans relève qu’il « résulte des termes mêmes de l’article L. 226-1 du [CSI] qu’un périmètre de protection ne peut être institué par le préfet en application de ces dispositions qu’aux fins d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement exposé à un risque d’actes de terrorisme à raison de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation ». Et, en « l’absence de circonstances particulières, un déplacement du Président de la République ne saurait être regardé comme justifiant à lui seul, par sa nature, l’instauration d’un périmètre de sécurité ».

Ni le niveau du plan Vigipirate ni le climat social actuel « et en particulier la mobilisation liée à la contestation de la réforme des retraites ne suffisent pas, alors même que plusieurs manifestations ont donné lieu à des violences et dégradations de la part de casseurs, à caractériser en l’espèce l’existence d’un risque d’actes de terrorisme au sens de l’article L. 226-1 du [CSI] ».

Enfin, si la solution n’a rien de surprenant en droit, elle témoigne de la rapidité des associations requérantes. En effet, depuis la promulgation de la réforme des retraites, les préfets avaient pris l’habitude d’instaurer systématiquement des périmètres de protection pour toute visite du Président de la République ; mais aussi de publier tardivement leurs arrêtés, compliquant tout recours avant que l’arrêté ait cessé de produire ses effets, entraînant ainsi un non-lieu à statuer.