Fonction publique
le 15/06/2023

Du nouveau sur le front des enquêtes administratives : une nouvelle obligation pour les administrations relativement aux témoignages non communiqués

CE, 28 avril 2023, n° 443749

Une des questions les plus souvent posées sur les enquêtes administratives est celle de l’anonymat des personnes amenées à témoigner, certaines d‘entre elles conditionnant même leur témoignage à cet anonymat.

 

Dans la décision ici très brièvement commentée, relative à un inspecteur pédagogique régional détaché sur l’emploi de de directeur académique des services déconcentrés de l’éducation nationale dont le détachement a pris fin de manière anticipée à la suite d’une enquête administrative déclenchée à la suite d’un signalement, le Conseil d’Etat a précisé sa jurisprudence sur le sort de ces témoignages anonymes.

 

On rappellera à titre préalable que la fin anticipée de détachement, à l’instar d’une mutation dans l’intérêt du service ou d’une sanction, constituent des décisions prises en considération de la personne, ce qui déclenche la garantie imposée par l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 :

 

« Tous les militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d’être l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’un déplacement d’office, soit avant d’être retardé dans leur avancement à l’ancienneté ».

 

Ainsi, le principe a déjà été posé par la Haute Juridiction que « le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905 ».

 

Toutefois, le Conseil d’Etat avait immédiatement permis une porte de sortie à cette obligation stricte : « sauf si la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné ».

 

La jurisprudence relative à la définition de ce qui peut être considéré comme un préjudice grave n’est pas encore solidement arrimée : il y a peu de décisions sur le sujet, et on peut en retenir que par principe les mineurs sont concernés (CAA Douai, 15.12.2022 ; TA Orléans, 11.10.2022), que parfois le fait de concerner son supérieur hiérarchique peut suffire (CAA Lyon, 29.06.2022), voire si les faits concernent « la direction générale » (CAA Lyon, 16.02.2023 pour une chambre de l’agriculture), et qu’en tout état de cause cela doit être établi par l’employeur (CAA Bordeaux, 25 octobre 2022).

 

L’espèce considérée – un directeur académique – aurait pu rentrer dans la définition de supérieur hiérarchique des agents ayant témoigné, mais en tout état de cause, il semble que l’administration n’ait pas soulevé cet argument : le Ministre a communiqué un rapport, et des pièces, caviardés sur le fondement de la jurisprudence de la CADA.

 

Le Conseil d’Etat a choisi d’utiliser cette affaire pour affiner sa jurisprudence en affirmant que dans un tel cas « l’administration doit informer l’agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu’il puisse se défendre utilement ».

 

Encore une fois, il ne s’agit pas du cas du préjudice grave qui pourrait être causé aux personnes ayant témoigné, mais uniquement d’un caviardage fondé sur les informations contenues dans les procès-verbaux.

 

Le contenu précis de cette nouvelle obligation, et ce que cela entraîne concrètement pour les administrations n’est pas davantage explicité, surtout que les conclusions de la Rapporteure publique n’ont pas proposé cette solution, laquelle relève donc de la seule formation de jugement.

 

On comprend naturellement que l’idée dominante est que l’agent doit pouvoir savoir ce qu’on lui reproche pour se défendre, à savoir la mise en œuvre du principe du contradictoire, mais le moyen d’informer de la teneur du témoignage, de manière circonstanciée, sans atteindre à l’anonymat, semble être un exercice bien délicat…